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SOMMAIRE 

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Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source

 

 

Numéro 147 * Décembre 2011

 

 

Sommaire

1. Le thème de l'exclusion dans Le Nom de la rose et dans L'Oeuvre au noir, 3e degré

Propositions de recherche: Christian Thys

2. Le billet d'humeur :références contextuelles et connexions logiques, 2e degré

Récit de Marie Constant

3. Blogs de profs, suite, et pas fin:

Ateliers philo au collège, le blog de Michèle Sillam

4. Pris sur le vif !

De la 1re à la 6e : coups d'oeil rapides sur élèves en projet

5. Itinéraire d’une enseignante en questionnement

Une carte blanche d'Emmanuelle Florent

6. «...la jeune et jolie prof sur l’affiche du Ministère...»

Document brut de Véronique Soulé

En guise d'édito

L'enseignant et le programme

L’enseignement repose plus sur les enseignants que sur les programmes : telle est ma conviction à mesure que des missions d’inspection me donnent à connaitre des professeurs en situation, et pas seulement des programmes inscrits dans des textes officiels. Si les recommandations varient, si les instructions évoluent  au gré des réformes, les hommes et les femmes chargés de les appliquer ne changent pas et assurent par la constance de leurs qualités humaines et professionnelles une continuité dans la finalité éducative de notre métier.  Dévouement, intelligence, compétence, sensibilité, inventivité, la plupart des professeurs utilisent ces qualités dans le cadre de leur liberté pédagogique et humanisent ainsi des objectifs généraux dans une relation personnalisée à leur classe.

Jean Georges, chargé de mission de l'Inspection de Lettres (France)

La rédaction de LMDP remercie chaleureusement M. Jean Georges de nous avoir adressé ce message amical.

 

Aborder le thème de l’exclusion

dans Le Nom de la rose et dans L’Oeuvre au noir

Proposition de Christian Thys 

"vision du monde" / "personnage problématique": un détour par Lukacs - Goldman 

* deux romanciers philosophes: Eco. * ...et Yourcenar * la critique sociale: l'exclusion

 * Guillaume de Baskerville et Sébastien Théus * projets et pistes

 

Proposer la lecture de deux oeuvres de cette qualité la même année à des adolescents peut paraître aventureux. Il ne faut pas se voiler la face, les écrits  de Yourcenar et de Eco sont considérés par nos élèves comme des «briques» indigestes.  C’est que leur lecture, pour être fructueuse, demande un investissement culturel important. Ces deux romans  font tous deux appel à un monde médiéval tantôt déclinant, tantôt  finissant, qui reste souvent  très à l’écart des connaissances historiques que les étudiants de Terminale ont conservées du Moyen Âge. Malgré cet inconvénient, on peut observer  que le souvenir de ce passé lointain subsiste çà et là dans la culture contemporaine et réapparaît sous diverses formes dans le roman historique, dans les parodies de romans de chevalerie, dans les scénarios de cinéma et, bien sûr, sur les planches. Ceci vaut également pour les romans dont nous traitons et qui tous deux ont été portés à l’écran, pour Le Nom de la rose par Jean-Jacques Annaud en 1986 ; pour L’Oeuvre au noir par André Delvaux en 1987. Par ailleurs, l’oeuvre de Eco vient d’être récemment portée sur la scène de l’abbaye de Villers-la-Ville pendant  la période des vacances du 13 juillet au 13 août 2011. Raison de plus pour s’y intéresser.

Dans les lignes qui suivent, nous n’avons évidemment pas l’ambition de proposer une étude exhaustive de ces deux œuvres, mais modestement de poser des jalons pour ceux qui recommanderaient à leurs élèves d’aborder lors d’une épreuve de synthèse une étude portant sur le thème de l’exclusion, donc sur l’arrière-plan social de ces romans, étant entendu que les sociétés des XIVe et XVIe   sont observées commentées et jugées au travers de deux regards au moins : ceux des deux héros, eux-mêmes menacés d’exclusion. Et pour ce qui concerne Zénon, le personnage de Yourcenar,  il est même menacé du  bûcher.   Quiconque  se lancerait dans cette aventure tiendra compte du fait que ces regards  diffèrent évidemment en raison  du statut de clerc ou de laïc des personnages, et se réfèrent indirectement aux visions du monde divergentes de leurs créateurs ; divergentes du moins dans le ton, les deux auteurs stigmatisant  l’arbitraire et la cruauté du pouvoir civil et ceux  du pouvoir religieux : pour Baskerville un regard plus serein, distancié, nuancé même quant au rôle de l’inquisition (1982, 252,256), ce qui contribue à sa survie  jusqu’à ce que la peste l’emporte ; pour Sébastien Théus, un regard plus tendu, hautain, finalement résigné de celui qui apparaît comme  un homme hors du commun.

Il va de soi que le projet que nous présentons peut être modulé et se limiter à un des deux romans exclusivement.

 

Vision du monde & personnage problématique : un détour par Lukacs - Goldman 

début "exclusion" * sommaire 147

Quant à notre propre lecture, nous nous sommes laissé guider d’abord par les allusions philosophiques évidentes qui méritaient un étayage ; ensuite et cum grano salis par deux concepts qui nous semblent transférables, moyennant les simplifications d’usage, aux élèves des classes terminales : le concept de /vision du monde/ et celui de /personnage problématique/, les deux provenant de la  filiation Lukács – Goldman qui demande peut-être un rapide rappel. Pour les deux sociologues de la littérature, l’épopée met en scène des personnages en phase avec leur milieu et contribuant à en confirmer les valeurs, tandis que le genre romanesque porte l’accent sur la dissonance existentielle entre un héros décalé de son environnement par ses problèmes personnels et par sa volonté de le transformer. C’est ainsi que le célèbre roman de Cervantès se pose dans l’Histoire comme source d’un genre prolifique qui mettra l’accent sur le vécu des inadéquations entre l’individu et la société, l’individu appartenant lui-même à une collectivité traversée de contradictions.

 Un roman s’ouvre à une vision du monde quand il brasse les différents aspects d’une société  par le biais des conflits  dont elle est traversée. Et cette vision est façonnée par les conflits idéologiques, sociaux, familiaux et politiques qui traversent l’environnement social de l’écrivain.  Notons en passant que c’est bien au nom de cette expérience humaine et du conflit des valeurs qu’elle implique  -  et que le lecteur peut revivre par procuration -  que le roman subsiste comme genre majeur, et ce bien postérieurement à ceux qui en avaient prédit la disparition. Lukács avait à juste titre observé que le roman donne corps aux problèmes éthiques du romancier. Il encourageait  Goldmann à penser que les formes contemporaines du roman  et leurs anti-héros trouvaient leur origine  dans la situation de dégradation de l’auteur dans une société de production et de consommation massives. Nous n’irons pas jusque-là, le roman historique  perdurant, selon nous, plutôt dans des formes  classiques et  ouvertes à un public très large.

 Baskerville et Zénon nous semblent bien relever de la définition du héros problématique donnée par Goldmann en ce qu’ils luttent l’un et l’autre en solitaires contre une société dont les valeurs (chrétiennes) se sont dégradées sous les brisures d’un monde qui change. Cette lutte prend une  forme légèrement différente pour Guillaume de Baskerville qui exerce son regard critique de l’intérieur du système et avec plus de circonspection que le personnage de Yourcenar.

 

Deux romanciers philosophes

 début "exclusion" * sommaire 147

Umberto Eco

  Les deux romans campent des personnages qui, au détour  de leur quête, semblent bien se rejoindre dans une tentative de dépassement des superstitions et des opinions communes, et inévitablement des croyances  métaphysiques en vigueur. Les réflexions qui émanent  de Baskerville témoignent en fait d’une ambition qui traverse tous les essais théoriques de Eco, lui-même  disposé à  décliner sa qualité de philosophe qui, à ses heures perdues, se consacre au roman. Et les analyses  philosophiques qu’il distille dans ses essais confirment en effet que, sur de vastes thèmes, il peut rivaliser avec celles des plus grands.  Si nous tentons de résumer le fondement de la pensée du philosophe italien, le monde  est comparable à une sorte de  super-système qui, à l’instar de  l’Ètre heideggérien, laisse entrevoir des indices de sa nature, lesquels deviennent les référents des cultures ou des langues au sens large (mythiques, artistiques, scientifiques,...). Du fait de leurs fonctions, celles-ci se présentent comme des sous-systèmes d’interprétations qui façonnent l’intelligence humaine en réponse à la donation originaire.

 Connaître un objet X se fait selon un processus de reconstruction de la réalité déjà esquissé par Kant, mais rectifié par Peirce. L’objet du monde se donne dans une intuition simple (token) qui est rapportée  par analogie avec des objets connus remisés en notre mémoire;  il est ensuite transmis à un (type) qui permet, outre de l’identifier, de le stabiliser dans un champ social ;  à partir de ce signifiant, stabilisé par sa définition conventionnelle, il est  livré à des connaissances ou à des langues spécialisées qui expliquent  par exemple que l’objet /eau/ diffère dans son interprétation selon qu’il inspire le poète ou qu’il est étudié par le un chimiste. Cette démarche qui va de la perception à la conceptualisation et à la mise en langage  est clairement illustrée dans  l’extrait suivant du roman :

 Baskerville :  « Si tu vois quelque chose de loin et ne comprends pas de quoi il retourne, tu te contenteras de le définir comme  un corps étendu en extension. Quand il se sera approché de toi, tu le définiras alors comme un animal, même si tu ne sais pas encore s'il s'agit d'un cheval ou d'un âne.  Et enfin, quand il sera plus  près, tu pourras dire que c'est un cheval, même si tu ne sais pas encore si c'est Brunel ou Favel. Et seulement quand tu seras à la bonne distance, tu verras que c'est Brunel (autrement dit un cheval et pas un autre, quelle que soit la façon dont tu décides de l'appeler). Et là ce sera pleine connaissance l'intuition du singulier. C'est ainsi qu'il y a une heure j'étais prêt à voir arriver tous les chevaux, mais pas du fait de l'étendue de mon intellect, mais bien de l'insuffisance de mon intuition (1982,42). »

 Adso :  « Ainsi les idées, dont j'usais précédemment pour me figurer un cheval que je n'avais pas encore vu, étaient de purs signes, comme les empreintes sur la neige étaient des signes de l'idée de cheval : et on use des signes et des signes de signes dans le seul cas où les choses nous font défaut.

          D'autres fois, je l'avais entendu parler avec un grand scepticisme des idées universelles, et grand respect des choses individuelles : et même par la suite, il me sembla que cette tendance lui venait tant de sa nature de Britannique que de son état de franciscain…( 1982, 42-43). »

   L’attention du sémioticien se porte donc sur deux ouvertures, celle du monde aux signes et celle des signifiants aux signifiés multiples. Et débouche en définitive sur l’illimitation de l’interprétation, marque ultime de notre finitude. Pour prendre sens, les choses ont besoin d’un discours et le véritable problème qui se pose à l’épistémologue est de leur trouver le  discours pertinent pour les faire apparaître avec le maximum de vérité ou de phénoménalité. L’abduction, qui désigne ce mode de connaissance et qui nous fait entrer dans la logique scientifique de la position d’hypothèses, se heurte à une modalité de la pensée aristotélicienne et, par voie de conséquence, à l’une de celle de son disciple Thomas d’Aquin (1982, 45). 

 Le tragique et la grandeur de la condition de l’être parlant proviennent toujours de ce qu’il est enclin à généraliser des choses qui restent  cependant toujours singulières (Kant et l’ornithorynque, 1997, 38), ce qui explique  qu’il puisse s’en remettre à des projections aussi fantasmatiques ou à des concepts vides : les meurtres qui endeuillent l’abbaye du Roman de la rose ne sont pas le fait de manifestations d’une puissance occulte, mais de conflits bien réels entre hommes singuliers poursuivant des intérêts différents et dissimulant  les petits secrets d’un passé peu avouable. La bibliothèque qui occupe le centre de l’abbaye est, avec tous les manuscrits qu’elle contient, le sous-système d’interprétation de l’ensemble des expériences du  monde (1982, 360).

  Dans cette perspective, une pensée quelque peu fondée sur des bases empiriques devrait reléguer au rang de procédés  de manipulation terroriste les invocations au diable et autres appels aux puissances des ténèbres pour ne donner à l’ennemi, l’exclu, aucune chance de subsister ni sur la Terre ni même au Ciel. L’enquête menée par Baskerville applique ces principes.

 Détruire la bibliothèque de l’abbaye comme le fait Jorge en désespoir de cause, c’est, par dogmatisme, empêcher  la détente qui pourrait rendre l’homme à plus de bonheur, à plus de liberté et à moins de superstitions, conseils que l’on aurait pu découvrir dans le fameux deuxième livre de la Poétique qu’Aristote a  réservé à la comédie, à la satire et au mime, bref à autant de prises de distance qui risqueraient d’inciter par le biais d’une catharsis à une transgression salutaire des poncifs. Au vrai, le but de l’humanité serait en cette fin de Moyen Âge la libération de la peur, de cette peur considérée par Jean Delumeau [La peur en Occident, Fayard, 1978] comme appartenant aux entrailles mêmes de ces temps tragiques:

Jorge : «Mais la loi s’impose à travers la peur, dont le vrai nom est crainte de Dieu (1968,593). »

 À partir de là, l’homme, quand il sera guéri des superstitions, pourrait préférer l’immanence d’une vie heureuse mais finie, aux vagues promesses d’une vie éternelle sous une forme indéterminée ; le doute est encore préférable à l’obstination fanatique.

 Tout ce qui précède est confirmé dans Apostille au Nom de la rose, (Paris,1987, Poche, Biblio, 4068, en p. 32), où Eco  explicite  son projet : il lui fallait d'abord un roman où l'on assassine un moine ; ensuite un enquêteur dont la méthode d'investigation procéderait par interprétation objective des signes en opposition aux interprétations symboliques des signes en usage dans l’esprit de ce temps. Pour satisfaire à ces deux exigences, il lui semblait conséquent d’insuffler à son personnage un esprit d’observation scientifique tiré des idées de Guillaume d'Ockham ou de Roger Bacon. Du reste, il aurait pu faire de Guillaume d’Ockham le héros du roman, mais,  le personnage historique lui semblant antipathique, il n’en a conservé pour son héros que le prénom, Guillaume. En vertu des  principes exprimés dans Lector in fabula (1985, 65) et dans Les Limites de l'interprétation (1992,139), le sémioticien laisse à l’érudit le soin de tisser la filiation qui relie Ockham et Peirce, référence obligée d’un savoir à l’élaboration duquel  Eco a largement contribué. 

Cette insistance sur les convictions philosophiques de Baskerville-Eco nous permet de comprendre que les sages solutions qu’il propose aux problèmes politiques et aux problèmes religieux (1982, 447) comportent un danger d’anachronismes aux yeux de l’historien sourcilleux et à l’encontre du fait que les philosophes de la Renaissance ont eu bien du mal à se détacher de la vision médiévale du cosmos. La possession démoniaque ne trouvera, en effet, un début de médicalisation qu’au XVIe.  Et la figure du diable ne fera retrait qu’au XVIIe.

 

Marguerite Yourcenar

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De son côté, Yourcenar ne fait pas non plus mystère de ses sources : le personnage de Zénon est fait de l’étoffe de ces réfractaires aux systèmes établis quand ces derniers empêchent la progression du savoir. Avant d’être médecin, il a fréquenté la Faculté de Théologie de Louvain. Mais a abandonné la spéculation pour l’expérimentation. Parmi  ses références, on peut citer les grandes  figures de Paracelse, Copernic, Dolet, Servet, Vésale, Paré, Cardan, Campanella et Giordano Bruno, lesquels encadrent ou inspirent le personnage fictif de près ou de loin. L’auteure nous a livré les étapes de la composition  de son roman et il n’est pas douteux que celui-ci transpose ses propres conflits intérieurs et ses doutes religieux (1968, 425). Arrivé au bout de ses expériences, son héros a tendance à accréditer une sorte de monisme matérialiste comme solution au mind/body problem (1968, 222, 278); il manifeste d’ailleurs autant d’admiration que d’effroi devant la complexité du corps humain, devant la diversité des choix sexuels et devant  la difficulté du respect de la vie dans des circonstances très particulières :

«Plus alchimistes qu’il ne l’avait jamais été lui-même, ses boyaux opéraient la transmutation de cadavres de bêtes ou de plantes en matière vivante, séparant sans son aide l’inutile de l’utile (1968, 220). » 

Alors, l’âme ne se sent-elle pas à l’étroit dans cette enveloppe charnelle ? La question restera ouverte tout comme  la croyance en une vie après la vie.

Au premier regard, Yourcenar ajoute un second point de vue sur la société, celui du prieur des Cordeliers tout en confidences avec l’auteur des Prognostications, mais qui oblige ce dernier à dissimuler ce qu’il pense réellement des choses du monde (1968, 256).

 

La critique sociale

début "exclusion" * sommaire 147

Dans un univers marqué par les luttes entre papes, entre empereurs, entre papes et empereurs, entre villes italiennes et Rome, hanté de surcroît par la familiarité avec les anges et les démons, les humbles sont les plus exposés aux coups du sort et la multiplicité des mouvements hérético-mystiques ne fait que refléter la violence des revendications sociales et l’intensité des espérances de salut. Ces exclus, dont la violence est parfois exploitée  par les ennemis de la  puissance romaine (1982, 257) et qui ne sont certainement pas sans reproches, constituent une menace qui fera dans tous les cas objet d’une répression disproportionnée par l’ajout de la torture exercée sur les rebelles. Il arrive à Baskerville de nous donner (1982,162) des explications aux mouvements de révolte sous forme de leçons d’économie politique qui détectent  la transformation d’une société rurale en société urbaine, ce passage  générant pour certains la misère. Et cette misère fait tache d’huile, soit en raison d’une économie de troc qui se transforme en économie de marché, soit par l’exploitation d’une main-d’œuvre à bas prix. De la menace pesant sur les besoins élémentaires à la rébellion ouverte, il n’y a pour l’époque qu’un pas très aisé  à franchir. Les lectures dites hérétiques de la pauvreté évangélique se présentent alors comme des  ripostes à l’exploitation, aussi désespérées qu’éphémères, de toute façon coûteuses en sang versé et certainement vouées à l’échec. Les pauvres s’accrochent au premier prophète venu, et les franciscains, qui ont effectivement fait vœu de pauvreté, deviennent leurs alliés objectifs, mais qu’ils tombent eux-mêmes sous l’accusation de complicité avec l’hérésie et il en serait terminé de leur ordre :

 Baskerville : « Les simples ne peuvent pas choisir leur hérésie, Adso, ils s'agrippent à qui prêche dans leur contrée, à qui passe par le village ou traverse la place. C'est sur cela que tablent leurs ennemis. (…)  Je pense que l'erreur est de croire que d'abord vient l'hérésie, et ensuite les simples qui s'y donnent (et s'y damnent). En vérité, vient d'abord la condition des simples, et ensuite l'hérésie (1982,  252, 253). »

« Gratte l’hérésie, tu trouveras le lépreux. Chaque bataille contre l’hérésie ne tend qu’à ça : que le lépreux reste tel (1982, 256). »

Le lecteur du Nom de la rose rencontrera nombre de ces révoltés au destin incertain qui ont laissé trace effective dans l’histoire : Ubertin de Casale, Gérard de Borgo, Michel de Césène, et, communiant avec les  personnages fictifs, le lecteur frémira devant l’horrible fin de fra Dolcino, narrée avec force détails. 

 Le heurt des intérêts et la montée en puissance de la bourgeoisie marchande sont bien présents également dans L’Oeuvre au noir. Mais ce n’est qu’un regard  dédaigneux que le jeune Zénon Ligre jette sur l’agitation sociale soulevée par l’apparition des métiers mécaniques dans le travail du textile (1968, 59). Cette fois, c’est la lassitude devant les richesses de ce monde qui incite la famille de Simon Adriaensens à rejoindre Münster, la Jérusalem des réprouvés, et à préparer son salut dans l’au-delà. Le lecteur appréciera ce morceau d’anthologie qu’est la prise et le sac de Münster par les troupes du prince-évêque, ville qui abrite autant les déçus d’un monde corrompu que les laissés-pour-compte de toute espèce, et lieu d’une sorte de christianisme ou de communisme primitif, mais où la vie au moins est célébrée (1968, 91) :

Jean de Leyde : « … il avait compris que dieu était cette chair qui bouge, ces corps nus pour qui la pauvreté n’existe  pas plus que la richesse, ce grand flot de vie qui emporte aussi la mort et coule comme du sang d’ange. »

 Le lecteur croisera aussi le personnage historique de Bernard Rottmann, «jadis le plus cher disciple de Luther (1968, 87). »

Reste à parler du statut de la femme, qui, à lui seul, pourrait constituer un travail à part entière. Certes, l’apparition d’un personnage féminin est dans le milieu de l’abbaye de Melk aussi fugace que troublante puisqu’une pauvresse, au demeurant assez jolie, remue de fond en comble le narrateur Adso  et l’invite à s’interroger sur la place de cet être de séduction  dans le plan divin. C’est qu’en ce XIVe l’image de la femme oscille dangereusement entre l’angélisme de la Vierge et la caricature de la putain. De cette dernière à la sorcière, le chemin est raccourci par les interrogatoires et procédures cruelles de l’inquisition (1982, 415), bref par tout ce qu’il faut pour que la femme devienne chair à bûcher.

Dans la société bourgeoise du XVIe., les mœurs se sont visiblement libérées. Zénon est le fruit des étreintes entre un prince de l’Église et de Hilzonde, la jeune sœur de l’opulent drapier Henri-Juste Ligre. L’abandon par son partenaire prestigieux et son veuvage ne semblent pas compromettre des liaisons plus officialisées, la bâtardise n’étant qu’un accident commun. On suivra la destinée de cette bourgeoise acquise à l’hérésie anabaptiste jusque sur le billot. Identique sera le sort, au sein même du clergé, de ces  jeunes gens qui  osent transgresser les tabous les plus sacrés au sein de sectes acquises au libertinage. Ces désordres causeront indirectement la perte de Zénon.

 

Guillaume de Baskerville et Sébastien Théus

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 Les deux personnages ont donc bien évidemment des relations conflictuelles avec un  milieu mortifère. Si Baskerville est un artiste de l’esquive, de la rhétorique et de la logique, ce qui lui permet de survivre aux astuces de l’inquisition autant qu’aux manoeuvres de Jorge, Zénon réunit en lui les qualités de l’humaniste cosmopolite - sa pratique médicale est ouverte à tous sans distinction de classe, ce qui lui vaudra son arrestation sur délation - et celles du  chercheur, malheureusement  solitaire.  Leur différence se marque surtout au niveau du caractère plus arrogant et, en fin de vie, plus résigné du médecin qui oeuvre en se dissimulant le plus possible et fréquente malgré lui des milieux sociaux rebelles aux politiques et aux gardiens des moeurs (1968, 297).

Bien que d’une tonalité tragique, les deux romans se terminent sur une note d’espoir, dans la mesure où leurs choix philosophiques et épistémologiques survivront aux deux héros : le savoir médical ne fera que progresser ; les livres survivront à leur disparition matérielle et la méthode scientifique prendra le pas sur les spéculations vides.  

Les deux auteurs s’accordent pour, sur fond  des procès d’inquisition, donner une leçon amère de tolérance. Dans le cas de L’Oeuvre au noir, l’exécution de la peine est évidemment interrompue par le suicide de Zénon, mais on peut remarquer que, dans son cas,  ce sont finalement aussi des facéties comiques, les Prophéties comiques,  qui  finissent par devenir plus dérangeantes que bien des relations suspectes (1968, 369).

Dans le même ordre d’idée, Baskerville rappelle dans une de ses réflexions finales que «Le devoir de qui aime les hommes  est peut-être de faire rire de la vérité, car l’unique vérité est d’apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité (1982, 613). »

 

Projets et pistes

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 La comparaison entre les deux oeuvres relève, comme dit plus haut, de travaux de grande amplitude comme les TFE proposés en fin de cycle dans  certaines écoles. C’est dans ce cadre que nous proposons quelques pistes dans la ligne de  nos jalons.

 Pour l’étude de l’arrière-plan social dans le Nom de la rose,  nous attendons qu’on développe les  aspects suivants :

·   les débats autour de la pauvreté au sein des  communautés religieuses ;

·   la hiérarchie au sein de l’abbaye et le rôle de l’inquisiteur ;

·   les causes de l’hérésie ;

·   les vues démocratiques de Baskerville. (1982, 260) ;

·   les solutions qu’il donne aux problèmes politiques et sociaux ;

·   le rapport entre l’hérésie et les luttes entre groupes sociaux ;

·   le personnage de Salvatore et la question de la langue du peuple;

·   l’antisémitisme (1982, 238) ;

·   la diabolisation de la femme.

 

Pour l’étude du même thème de l’exclusion  dans L’Oeuvre au noir, on tiendra compte du fait que le héros est exclu parce qu’il s’exclut lui-même et on développera les raisons de cette clandestinité et de ses inconvénients.

On pointera les aspects suivants :

·   les débats autour de la pauvreté en relation avec le protestantisme et l’occupation espagnole ;

·   le rôle de l’inquisiteur et les sentiments qu’il suscite dans le chef du prieur des Cordeliers ;

·   la relation entre les accusations d’hérésie et la politique de répression espagnole ;

·   la conception de la femme prise entre l’image de Marie et celle de Marie-Madeleine ;

·    l’inégalité des pauvres devant la justice ;

·   l’arrière-plan de crise économique et de rivalités entre villes.

 

Référence au programme

Ce qui précède s’inscrit dans l’évaluation des acquis décrits en page 18 du programme de la FESEC :

Identification des savoirs, valeurs, croyances et normes de comportement véhiculés par le texte, décodage des grands courants idéologiques,…

Table de concordance

Les deux romans ont, en raison de leur succès, reçu de multiples éditions. Nous avons indiqué entre parenthèses la date de référence de notre édition suivie de la page. Pour retrouver plus facilement nos références dans des éditions plus récentes, nous proposons d’indiquer la correspondance entre les pages et les titres de chapitres.

Yourcenar 1968

59                      La fête à Dranoutre

87,91                 La mort à Münster

220,222,223      L’abîme

369                    L’acte d’accusation

425                    La visite du chanoine

 

Eco 1982

42,45                   Premier jour Tierce

162                      Deuxième jour Tierce

252,257               Troisième jour None

360                      Quatrième jour Tierce

415                      Quatrième jour Nuit

447                      Cinquième jour Tierce

593                      Septième jour Nuit

613                      Septième jour Nuit

                                                                                                                         Ch. Thys

début "exclusion" * sommaire 147

Articles parus dans LMDP:    

Marguerite Yourcenar - Recherches et spectacle - Récit de Cécile Jancart

Yourcenar et... Shakespeare mis en scène - Récit de Christian Kellen

                           

Le billet d'humeur

Référence contextuelle et connexion logique

Présentation: Marie Constant * Deuxième degré (classe de 3e)

type de texte & objectifs * six textes proposés * analyse de Vilaines rumeurs, va! de Vincent Peiffer (texte n. 6)

Il n'y a pas qu'à Madrid...

(...) sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; et [qu'] il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que, pendant ma retraite économique, il s'est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs.

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, V, 3. [C'est Figaro qui parle.]

 

Le billet d'humeur est un type de texte qui permet souvent d'observer à la fois

* le rapport au contexte (comment sont évoqués des événements, des usages, des opinions, des personnages...),

* les procédés d'argumentation - notamment les connecteurs logiques.

* les  moyens d'expression de la polémique (valorisation/dévalorisation, hyperbole/litote, insinuation, jeu sur la langue: registre de parole, créations lexicales, paronymie...).

 

Comment procéder ?

 

* Un "bain de textes" est proposé. (Les six textes - voir ci-dessous - sont distribués.)

* Un rapide parcours de l'ensemble permet de découvrir leur spécificité.

* Un ou deux textes peuvent ensuite être analysés en classe par le menu (échange oral, prise de notes).

* Les autres peuvent ultérieurement être destinés à une recherche individuelle, inspirée librement de la méthode pratiquée en classe, et qui pourra utilement se conclure par une mise en commun.

 

Le but est finalement de donner à l'élève des moyens d'améliorer la cohérence textuelle de ses propres écrits.

 

Liste des textes proposés* Par ordre chronologique:

 

1. Pierre Desproges, Fonds de tiroir (extrait), Seuil, 1990. - Lire

2. Paul Piret, Des scandales comme s'il en neigeait, La Libre Belgique, 30.11 & 01.12 1996. - Lire

3. Patrice Leconte, Popcorn. Id., 14 janvier 2004. - Lire

4. Frank Einstein, Nuit gravement à la santé, Id., 28 janvier 2004. - Lire

5. Vincent Peiffer, Si je serais resté à la RTB. TéléMoustique, 21 juillet 2011. - Lire

6. Id., Vilaines rumeurs, va !  Id., 28 juillet 2011. - Lire

 

 

C'est de ce dernier texte que nous proposons ci-dessous une analyse. Lire

 

début billet d'humeur * sommaire et édito 147

 

1. Pierre Desproges, Fonds de tiroir (extrait), Seuil, 1990.

 

Le Corbeau et le Renard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

début billet d'humeur * sommaire et édito 147

 

 

2. Paul Piret, Des scandales comme s'il en neigeait,

La Libre Belgique, 30.11 & 1.12 1996

 

 

début billet d'humeur * sommaire et édito 147

 

 

3. Patrice Leconte, Popcorn, La Libre Belgique, 21.07.2004

 

 

 

transcription

Moments d'égarement. Tel est le titre d'un recueil de chroniques écrites par le cinéaste Patrice Leconte. Voici l'une d'elles «Pop- corn», sujet cher à Frank Einstein.

Un jour, ou plutôt un soir, j'étais quelque part en France dans une salle de cinéma.

Je vous plante le décor, ce qui ne devrait pas être bien long: un hall d'entrée, la caisse, des escaliers, un comptoir où l'on vend des glaces et du popcorn, et de la moquette au sol.

On me présente le directeur de la salle. Je n'en demandais pas tant: j'étais simplement venu pour voir un film mais bon, comment refuser. Il me demande:

- Vous voulez quelque chose à boire?

- Non, non merci, je n'ai pas soif.

- Quelque chose à manger peut-être?

- Non merci, je n'ai pas faim non plus, quand j'ai soif, je vais au café; quand j'ai faim, je vais au restaurant. Là, je suis juste venu voir un film.

Moi, poli, et constatant que l'endroit sentait le neuf, je lui demande s'il a ouvert depuis longtemps.

- Pensez-vous, qu'il me dit, on a inauguré les salles il y a deux mois.

C'est vrai que tout est nickel, frais, pimpant. Enfin, tout, pas exactement, la moquette est absolument immonde, couverte de milliers de taches brunâtres à perte de vue. Je m'informe:

- Qu'est-ce que c'est que ces taches? Vous avez récupéré une moquette d'occasion?

- Pensez-vous, qu'il me fait, elle est neuve: les taches c'est le popcorn. Quand il en tombe par terre, les gens marchent dessus. C'est sucré, alors bien sûr, ça fait des taches.

- Ah là là, que je dis, saloperie de popcorn, une moquette toute neuve et la voilà foutue à cause de cette merde.

- C'est pas grave, me dit le directeur, on va la changer.

- La changer? Mais ça recommencera : deux mois plus tard, elle sera à nouveau dégueulasse.

- Hé bien, on la changera encore.

- Sans compter que ça doit coûter la peau des fesses, que je dis. Ce serait pas plus simple de ne pas vendre du popcorn?

- Certainement pas, qu'il me répond, avec l'argent que je gagne avec le popcorn, je peux changer la moquette tous les trois mois, alors vous voyez.

Donc si je comprends bien, on vend du pop corn qui tache la moquette qu'on peut changer avec l'argent que rapporte le popcorn, qui tache la moquette qu'on peut changer...

Mais je m'égare. On dira ce qu'on voudra: les gens sont consommateurs.

 

début billet d'humeur * sommaire et édito 147

 

4.

Frank Einstein, Nuit gravement à la santé, La Libre Belgique, 28.01.2004

 

transcription

Nuit gravement à la santé

On savait que le pop-corn empoisonnait la vie des cinéphiles. Qu'il avait réduit à néant la convivialité du cinéma en transformant le spectateur en ruminant et les salles en étables, voire en porcheries à la fin de la séance.

On savait que le pop-corn tachait la moquette des multiplexes, bonne à remplacer après trois mois nous révélait, avec humour, Patrice Leconte dans un de ses «Moments d'égarement», le titre de son recueil de chroniques. On savait que le pop-corn est un facteur d'obésité, qu'il était source d'allergies, et qu'il pouvait provoquer des intoxications alimentaires. On ne risque d'ailleurs pas de vous montrer dans quelles conditions hygiéniques il est fabriqué. Après tout, cela s'avale dans le noir.

On savait aussi que le pop-corn payait la résidence secondaire des dentistes. Il y a les caries bien sûr, mais il y a pire. Un bon coup de mâchoire sur un grain de maïs dur comme un caillou parce qu'il n'a pas explosé comme un pet pendant la cuisson et un morceau de dent peut voler en éclat, une molaire se fissurer profondément, véritable plage des Seychelles pour les bactéries, terrain paradisiaque pour les douloureuses infections...

On le savait, le pop-corn est mauvais pour la santé, mais on n'imaginait pas qu'il pouvait même être fatal. Or, voici quelques jours, une dépêche nous apprenait qu'un spectateur allemand était décédé après s'être étouffé avec du popcorn, selon la police régionale du Brandebourg, alors qu'il assistait à la projection du «Dernier samouraï».

Eh oui, cette saloperie tue. À quand une campagne de sensibilisation aux méfaits du pop-corn? À quand la mention en gros caractères sur le seau: nuit gravement à la santé? À quand une interdiction de vente de pop-corn aux moins de 18 ans? À quand une augmentation dissuasive des prix et le profit de la taxe versé intégralement au fonds pour le cinéma belge? À quand le remboursement par la sécurité sociale du patch aidant les intoxiqués à décrocher? Que fait Rudy Demotte, cet ex-ministre de la Culture aujourd'hui en charge de la Santé publique?

 

début billet d'humeur * sommaire et édito 147

 

5.

Vincent Peiffer, Si je serais resté à la RTB

TéléMoustique, 22 juillet 2011

 

transcription

Je vous sens admiratifs: mazette, le Peiff’ ne prend pas ses congés payés! Sûr qu’il n’a pas voulu quitter la Belgique pour ne rien rater de l’actu. Or, comme on va bientôt avoir un gouvernement (je rigole), ce n’est pas le moment d’aller se les mettre en éventail.

Eh bien, si! Moi aussi, je glandouille très loin de la note d’Elio, de la stratégie crétine du CD&V, de la 374e réunion "de la dernière chance" et du 762e "momentum politique". Normalement, là, je dois être à l’apéro (j’ai souvent apéro, comme activité sportive de vacances). Bart De Wever peut mourir d’étouffement en bouffant sa 32e gaufre de la journée, je m’en cale profond! Tante Fabi peut être nommée formatrice royale, je m’en contretouille!

Pour être honnête, je vous ai écrit cette bafouille avant de prendre la poudre des clapettes. J’en ai profité pour faire une séance rattrapage sur un méga-truc d’actu que j’ai honte d’avoir zappé au moment des faits. Quoi, la 628e grève sauvage des TEC Liège-Verviers? La quéquette sauvage de DSK? Kris Peeters qui veut être reçu comme un chef d’État (de la Flandre)? Mahmoud Ahmadinejad qui accuse les pays occidentaux de voler l’eau de pluie iranienne en "vidant les nuages de leurs gouttes d'eau"? Du tout.

La véritable méga-affaire qui bouleverse nos vies est autrement plus marquante: Stéphane Pauwels a quitté la RTBF pour RTL! Qu’est-ce qu’on va faire sans Lui, le lundi dans la Tribune de foot? Attention, Stef, je comprends: certains transferts ne se refusent pas, même vers une télé que tu trouvais super-conne il y a quelques mois.

Si j’ai bien compris, la RTB te bloquait dans ton irrémédiable ascension vers les sommets de la radio-télé. Tandis qu’à RTL, ils ont compris que tu étais le grand animateur de demain, avec des méga-shows en prime time et tout et tout. Donc on va souvent te voir. Et t’entendre. C’est pour ça que j’ai un petit cadeau. Tu passes le chercher quand tu veux. C’est un petit livre: le Bescherelle. Tu verras, c’est super.

Mes Louloutes le connaissent par cœur depuis leur 5e primaire chez Madame Katia. Ça cause des conjugaisons dans la langue française. Et il y a un chapitre très utile que tu devrais relire: celui des phrases qui commencent par "si". Ça s’appelle le "conditionnel". Et là, tu verras que certains verbes se conjuguent avec l’auxiliaire "avoir" et d’autres avec l’auxiliaire "être". Ça ne se fait pas à pouf. Par exemple, on ne dit pas "si je serais resté à la RTBF" mais "si j’étais resté à la RTBF, je ne serais pas devenu une giga-star internationale". Donc voilà: tu me révises tout ça pendant tes vacances et comme ça, nous, quand on regardera RTL, on ne se prendra pas un cancer du tympan avec des "si j’aurais été" ou des "si je serais vous". Précision: je sais qu’on ne dit pas "prendre la poudre des clapettes", mais "prendre la poudre d’escampette". C’est fait exprès (et pas "en exprès"). Un peu comme si tu disais "je passe du Coca Light" pour dire "je passe du coq à l’âne". C’est un jeu de mots qui a rapport aux vacances, que je te souhaite excellentes.

début billet d'humeur * sommaire et édito 147

 

Source http://www.moustique.be/le-magazine/les-chroniques/18297/si-je-serais-reste-a-la-rtb

6.

Vincent Peiffer, Vilaines rumeurs, va!

TéléMoustique, 28.07.2011

transcription

Ça y est, la marche du monde peut reprendre. Le genre humain peut à nouveau respirer : Charlene a calé ses zygomatiques en position "bon, d'accord, tu épouses un vieux qu'a vingt ans de plus, mais princesse à Monaco c'est quand même pas la mine de Blégny-Trembleur, alors tu fais au moins l'effort de sourire" et elle nous a fait un "oui" bien comme il faut. Un "oui" un peu figé, mais affirmatif quand même. Albert 2 du Caillou était enthousiaste comme un cactus, certes, mais quand y faut y faut. Et on sait bien que jeune marié à 53 ans, ce n'est pas comme à 25 ans : on gère. Bref, tout ça était naturel comme un pesticide, mais l'important c'est que la Monaco S. A., un peu blette ces derniers temps, ait repris du poil de la bête sur le marché des mafieux russes et des veuves d'armateurs grecs qui ont des pépettes à claquer au casino. Dans ce beau mariage, j'ai bien aimé le souci du détail un peu farce, aussi : Albert avait convie notre gagman national, le prince Lolo, qui nous a fait un superbe numéro de prise de pieds dans le tapis rouge pour se retrouver sur son séant. Sans mal, puisque ses généreux airbags naturels ont amorti la chute. Donc voilà, quand c'est fait, c'est fait ! On n'en parle plus. J'aimerais juste profiter de cet événement de toute première importance pour dire à quel point je suis admiratif du travail des chroniqueurs royaux. Heureusement qu'ils étaient là pour rétablir la vérité vraie, les Stéphane Bern de France 2, les Barbara Louys de la Ertebé ou les Patrick Weber de Ertéel. Après un long travail d'investigation d'au moins trente secondes, ils ont unanimement affirmé que cette histoire de fuite de Charlene, c'était rien que de vilaines rumeurs lancées par des journalistes d'une "certaine presse" qui sont même pas des chroniqueurs royaux, les cons ! D'ailleurs, c'est bien connu que l'Express, qui a révélé l'affaire, fait partie de cette "certaine presse" de caniveau.

Tandis que eux, les royaux chroniqueurs, ils savent bien qu'un mariage princier, c'est comme un conte de fées avec une belle princesse et un prince très charmant, et que les contes, c'est toujours très beau. Avant même le mariage, l'expert Weber disait à RTL que c'était "une grande réussite", pasque "seul Monaco peut réussir l'alliance parfaite du Gotha et de la jet-set" et donc que c'était "un événement qu'on ne peut absolument pas bouder". Là, l'investigateur royal se laissait un peu emporter par son objectivité. (Je boude si je veux, OK ?) Après, d'autres journalistes d'une "certaine presse" de caniveau (genre Le Monde ou Le Figaro) on recoupé infos et témoignages. Et les vilaines rumeurs sont devenues un tout petit peu vraies quand même : Darling Charlene et Bébert Chéri ont vraiment eu une énorme brette, la quasi-princesse a pris son baluchon pour finalement se faire choper à l'aéroport de Nice. Mais là, Stéphane Bern avait une explication qui coulait de source : le stress, vous comprenez. C'est normal : moi aussi, quand je ressens la pression, je vais à Charleroi-Brussels South Airport et je prends un avion pour l'Afrique du sud. Ça me déstresse.

 

début billet d'humeur * sommaire et édito 147

 

 

Propositions pour une lecture de Vilaines rumeurs, va !

 

A quel genre de texte avons-nous à faire ?

Il s'agit d'un article de la revue Moustique, dans la rubrique Que du beau monde !

 

Lecture sémantique

 

1. Quel en est le thème ?

Le sujet traité est le mariage de Charlene (Lynette Wittstock) et d'Albert II de Monaco.

 

Comment le journaliste présente-t-il (considère-t-il) le sujet qu'il a choisi d'égratigner ici?

a. L'introduction (deux premières phrases) est fortement ironique : cet événement ne va pas changer la face du monde !

b. Ensuite, il présente les "acteurs" de ce mariage: l'une se doit de sourire (jaune), l'autre est franchement rébarbatif (cactus).

 

2. A quoi, selon Vincent Peiffer, ce mariage ressemble-t-il ?

Cela ressemble à un marché : la mariée devient princesse et l'événement permettra au mari de donner un coup de pouce à l'économie locale. Cependant l'auteur n'évoque pas le commerce avec l'Afrique du Sud, mais les mafieux russes et les armateurs grecs.

 

3. Quel est le clou du spectacle ? (Pauvre Belgique)

Le prince Laurent, qualifié de "Lolo" et de "gagman", se prend les pieds dans le tapis rouge.

 

4. "une certaine presse"

 

a. A quoi sert, en fait, le thème choisi ? Quelles sont les phrases effectuant la transition vers un sous-thème ?

Il sert en quelque sorte de tremplin à l'auteur du texte pour s'attaquer au plat de résistance: les chroniqueurs royaux sont c'est la fonction de présenter les événements vécus par la noblesse. Les phrases exprimant la clôture du sujet sont les suivantes : «Voilà, quand c'est fait, c'est fait. On n'en parle plus.»

 

b. Quelle est l'opinion de Vincent Peiffer au sujet de ces "royaux chroniqueurs" ?

Ils réfléchissent peu avant de parler. Ils sont méprisants vis-à-vis de journaux sérieux comme L'Express, Le Monde ou Le Figaro qu'ils qualifient de "certaine presse", ce qui n'est pas considéré comme un compliment... Ceci tendrait à montrer leur peu d'intelligence. Les journaux en question ont recoupé méthodiquement les informations et les témoignages... De plus, ils adorent donner dans le romantisme à l'eau de rose... L'un d'entre eux anticipait déjà la réussite du mariage; un autre parle de stress quand il doit se rendre à l'évidence de la fuite de la jeune Sud-Africaine...

 

Lecture stylistique

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Observons les particularité du style de Vincent Peiffer 

 

a. Il utilise des expressions appartenant au registre familier Relevons-en quelques-unes et précisons leur signification:

    * caler les zygomatiques (les muscles du sourire)

    * Albert II du Caillou" (du Rocher, comme l'on appelle souvent Monaco)

    * claquer des pépettes (gaspiller de l'argent)

    * une brette" (belgicisme pour "une dispute")

            En rechercher d'autres, et les expliquer.

 

b. Il y a aussi des expressions, appelées parasites vocaux, caractéristiques du langage oral: "Va", "Vous comprenez" ; et aussi quelques écarts syntaxiques ou phonétiques fréquents dans la conversation: "un vieux qu'a vingt ans de plus" - "quand y faut y faut" - "qui sont même pas" - *pasque" -

            En rechercher d'autres, et leur équivalent dans un autre registre de parole.

 

c. Il manie aussi très bien l'ironie. Relevons quelques exemples et recoupons-les éventuellement avec les figures de style.

    "Monaco, c'est quand même pas la mine de Blégny-Trembleur" (métaphore, opposition)

    "Enthousiaste comme un cactus" "Naturel comme un pesticide" (comparaison, hyperbole)

    "Le prince Lolo, gagman national et ses airbags naturels" (portrait, périphrase, insinuation : il adore les grosses cylindrées)

    "... à quel point je suis admiratif" (antiphrase)

    "... la vérité vraie" (pléonasme volontaire)

    "long travail d'au moins trente secondes" (hyperbole, satire)

 

d. Notons aussi cette graphie "Ertéel", calquée sur la prononciation de RTL

 

La cohérence du texte

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a. L'emploi de référents contextuels, notamment de substituts lexicaux, pour éviter les répétitions.

    Monaco - le Caillou - la Monaco S.A.

    Les chroniqueurs royaux - les Stéphane Bern - les royaux chroniqueurs - l'expert - l'investigateur royal

 

b. L'utilisation des connecteurs logiques. Relevons-les, précisons leur nature et leur valeur.

    "...mais princesse à Monaco c'est quand même pas la mine de Blégny-Trembleur, alors tu fais au moins l'effort de sourire" : alors introduit la conséquence de ce qui précède

    "d'ailleurs, c'est bien connu" : ajout d'un argument qui va dans le même sens

    "tandis que eux" : mise en parallèle et en opposition de deux éléments

    "Donc voilà, quand c'est fait, c'est fait ! On n'en parle plus." donc, voilà : ponctuants marquant la fin d'un développement

 

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Blogs de profs * Suite

Le blog de Michèle Sillam : ateliers philo au collège 

Pour une visite détaillée : http://sillamichele.typepad.com/mon-blog/

 

 

Qui suis-je

Professeure de mathématiques
Formatrice Apprentissages et Vie Scolaire
Formatrice aux Ateliers de Philo AGSAS-LEVINE
Animatrice de groupes Balint-enseignants

Comment ça a commencé


Au collège Honoré de Balzac, Paris ; et aussi dans d'autres établissements :

cette idée, raconte-t-elle, a pris forme un jeudi de septembre 2002. Il restait un petit quart d'heure après un interro de maths. Un mot d'explication, puis cinq minutes chrono pour répondre à la question "Comment je vis ma relation à la classe?" On peut signer ou non,  rendre sa feuille ou non (tous l'ont remise)...

 

Comment ça se pratique

 

En deux périodes de cours consécutives, et "sur la plage méridienne", autant que possible :

un temps de réflexion et d'écriture personnelle et anonyme
un temps d'empathie amicale: chacun lit un texte d'un autre...,
un temps de partage
un temps de passage à la trace : distribution à chacun de la transcription intégrale des lettres

En savoir plus

Quelques sujets traités

 

Faire famille en classe
La lettre du professeur principal à la rentrée
L'enseignant "du deuxième type"
A l'Unesco, un atelier sur la peur avec des parents d'élèves
Faire revivre Euclide en classe

Un atelier sur le regard ("On peut le changer, mais ça dépend de son cœur.")
etc

Quelques liens (philo, pédagogie...)

 

Ateliers de philo et Soutien au Soutien (Sgen Limousin : "Construisons l'école de tous")

L'atelier de philosophie, de la maternelle au collège : "(se) penser avec les autres"

Les Cahiers pédagogiques : changer la société pour changer l'école, changer l'école pour changer la société

Pédagopsy http://www.pedagopsy.eu/

Le site de Philippe Meirieu Histoire et actualité de la pédagogie

Le Bateau Livre (blog de Mathilde Bernos, enseignante documentaliste, présenté dans LMDP 146)

etc.

Les archives du blog

Classées par mois

Pour une visite détaillée : http://sillamichele.typepad.com/mon-blog/

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Pris sur le vif : instantanés d'élèves en projet

 

Huit situations de classe... plus seize autres en prime

 

expo * théâtre intra muros * concours de photos * spectacle La Fontaine * fête scolaire - Danser * cinéma * thème du loup

 

Cette nouvelle chronique adopte une forme volontairement dépouillée - une espèce de " Twitter en trois lignes" - mais qui nous paraît suffisamment explicite pour inspirer des collègues. Il s'agit chaque fois d'expériences authentiques... dont les initiateurs sont, ou trop modestes, ou trop occupés, pour entrer dans les détails. Merci à eux !

 

Élèves chaudronniers à la télé !

J'ai organisé un partenariat entre un sculpteur de métal connu et mes élèves chaudronniers, afin de montrer que la chaudronnerie n'était pas seulement un métier utilitaire, mais que l'art pouvait aussi transformer, créer. Ce projet nous a permis de réaliser une exposition, de convoquer la presse et France 3. Les élèves étaient très heureux de cette aventure.

 Nadia F. Lycée prof.

Elèves acteurs en tournée intra muros

Le jour est la nuit, de Hubert Ben Kemoun. Réécriture théâtrale du premier chapitre (reparties et didascalies). Travail de mise en scène et de mise en voix. Tournée - avec succès ! - de spectacles suivis de débats dans plusieurs autres classes de l'école. Echange épistolaire avec l'auteur, qui vient nous rendre visite.

Claude D.. (be-1er degré - fr-début collège)

Devoir de vacances

Concours de photos de vacances envoyées par sms au professeur de français. Règlement: la légende de la photo doit être une phrase célèbre du théâtre français. A la rentrée, observer la façon de les détourner de leur contexte; débattre entre élèves pour le classement (et sur quels critères). * Inspiré d'un concours organisé naguère par le Figaro littéraire)

Marc B. (lycée)

retour "pris sur le vif"

La Fontaine chez les seniors

Organisation d'une mise en scène de quelques Fables de La Fontaine dans des maisons de repos - dont une en Belgique - par une troupe formée de jeunes de 16-17 ans et de 14 aînés dont la moyenne d'âge était de plus 83 ans. Découvrir l'importance de la parole - y compris de la parole ludique - dans ces milieux d'accueil.

Ghislaine P. (terminale carrières sanitaires et sociales)

De 1886 à nos jours

125e anniversaire de l'école ! Recherche dans les archives de l'école. Spectacle "fruit du rêve et d'idées un peu folles" (80.000 watts... : y découvrir le rôle de la lumière!) : L'école de 1886 et celle de 2011 Apprentissage de l'enquête, du dialogue, de l'occupation de l'espace pour exposer, et autres formes d'écriture: légendes, invitations, affiches...

Marcel F. (collège & lycée)

Danser pour écrire

Danser sur le poème. Danser le poème. Travail de la respiration, du rythme, de l'expression corporelle. Du mouvement du texte au mouvement du corps. Puis du mouvement du corps au mouvement du texte. L'expérience de danseurs fait entrer plus volontiers dans l'écriture. Du geste du corps au geste de l'écriture. Plus largement : réflexion sur "le geste qui exprime".

Isabelle L. (collège & lycée)

retour "pris sur le vif"

Salle obscure et spectateurs éclairés

Impliquer les élèves dans un festival. Construire ensemble un questionnaire pour la rencontre avec la réalisatrice, puis avec un acteur. Les notes prises dans le carnet de bord individuel servent à la rédaction du document commun. Apprendre à apprécier et exploiter le point de vue de chacun. Démarche qui rejaillira sur la perception des textes littéraires.

Stéphane C. (fin de collège)

D'un loup à l'autre

Le thème de la ruse... Du conte des frères Grimm Le Loup et les sept Chevreaux à la fable de La Fontaine Le loup, la chèvre et le chevreau: le travail de la voix dans l'échange et dans une lecture "qui a prise sur le texte".  Lecture expressive et échange oral comme moyens de découverte de soi et de découverte des textes.

Laurent M. (début de collège)

 

Retrouvez dans les archives de LMDP :

 

Seize situations où s’exercent des compétences de communication (be-premier degré, fr-début collège) Ouvrir

 

retour "pris sur le vif"

 

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Itinéraire d’une enseignante en questionnement

Une carte blanche d'Emmanuelle Florent

 

A. En guise de préambule : un mot sur un projet de formation

Lors de mon dernier entretien avec le "rédac'chef" de LMDP (septembre 2010), je me vois lui dire que je n’ai pas pour le moment un article relatant un parcours intéressant à partager, un projet ou encore une expérience enrichissante vécue avec mes élèves.

Je lui ai simplement dit que je travaillais sur « mon rôle d’enseignante ».

Terminant un master en Sciences de l’Education (Un. de Lille), mon mémoire porte sur l’identité de l’enseignant du secondaire. Comment se reconnait-on enseignant aujourd’hui ? Que vit l’enseignant qui est déjà bien installé dans son métier ? Quelles sont ses réalités ? Quelle reconnaissance de la part de la société ?

Par une approche biographique mais aussi à travers son activité, je tente de répondre à ces questions.

*

 Ces quelques mots que je vous livre sont le récit d’un parcours professionnel : le mien. C’est le vécu de ma propre réalité.

Je vous livre ces mots tout simplement… après une très longue hésitation parce que se livrer n’est jamais simple, ne va pas de soi mais à l’aube de cette nouvelle année scolaire, je tiens à respecter cette promesse à notre "rédac'chef".

A l’aube de cette année scolaire 2011-2012, j’ai envie de dire à tous les enseignants qui ont repris le chemin de l’école qu’ils font un métier extraordinaire, lourd de sens.

Ils font accoucher la société de demain.

 *

Les lignes qui suivent sont simplement un arrêt sur le métier d’enseignant au travers d’une expérience singulière, ordinaire ; il s’agit de mon expérience personnelle. Avant d’entendre le récit d’enseignants sur leur identité professionnelle, avant d’entamer un mémoire sur l’identité des enseignants au cours de leur carrière, il me semblait plus pertinent, plus juste, plus sincère aussi de me poser la question à moi-même et d’écrire un récit de vie professionnelle.

 

B. Questionnement, formation... : l'itinéraire d'une enseignante

début "itinéraire" * sommaire 147

Enseigner ! Ce mot résonne depuis longtemps dans ma tête, dans tout mon être à vrai dire. Je devais être à l’école primaire que je rêvais déjà d’être à la place de mon institutrice. Avec le secondaire, je suis passée par les moments difficiles de questionnements plus existentiels propres à l’adolescence : questionnements chagrins et douloureux pour ma part mais toujours très intériorisés et jamais verbalisés. On ne peut sans doute pas parler de crise d’adolescence vue de l’extérieur.

Sortie de mes humanités à 17 ans, c’est vers le métier d’enseignante que je me suis tout naturellement dirigée pour commencer ce que l’on appelle la formation initiale. Mon régendat (c’est ainsi qu’on l’appelait à l’époque – 1994)  m’a confortée dans l’idée que j’étais faite pour le métier : j’étais pressée d’enseigner, d’avoir ma classe, mes élèves ; j’allais faire le plus beau métier du monde et avais cette maturité et cet instinct quasi innés pour être responsable de l’apprentissage des adolescents. J’avais trouvé une voie toute tracée.

 

Régendat : ce terme désignait naguère, en Belgique, les études menant au titre de régent (habilité à enseigner dans le secondaire inférieur). A ce titre, correspond aujourd'hui celui de Bachelier AESI (agrégé de l'enseignement inférieur).

 

Et comme de fait, je me suis sentie comme un poisson dans l’eau non sans certains regrets de n’avoir pas été jusqu’au bout de mes rêves et d’étudier la psychologie.

Aujourd’hui, les années ont passé et je suis toujours enseignante dans le même établissement depuis 17 ans et avec les mêmes attributions (le français dans le degré inférieur). J’aime toujours enseigner, j’aime toujours autant mes élèves : travailler avec « de l’humain » est extraordinaire.

Mais aujourd’hui, après 17ans,desquestionnementsnouveaux ont apparu non pas du jour au lendemain, mais des questionnements muris, de plus en plus prégnants et qui avaient surtout un besoin vital (le mot n’est pas faible je vous assure) de réponses.

C’est alors que j’ai entrepris une démarche plus réflexive sur ma pratique. Qui suis-je aujourd’hui en tant qu’enseignante ? Que signifie être enseignant aux prémices du 21e siècle ?

Quelle identité professionnelle pour un enseignant en cours de carrière ? Comment faire face à ces « routines incertaines » pour reprendre l’expression d’Anne Barrère, enseignante et chercheuse en Sciences de l’Education. Et « Vais-je mourir au tableau noir une craie à la main ? »  pour reprendre cette formule d’Huberman. 

BARRÈRE, A. (2002) Les enseignants au travail, les routines incertaines. Paris : L’Harmattan.

HUBERMAN, M., La vie des enseignants.  Évolution et

 bilan d'une  profession, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé, 1989.

La démarche intellectuelle que j’ai alors entreprise a vraiment été bénéfique pour moi, elle a permis de poser de nouvelles balises sur le métier d’enseignant, elle a apporté un certain nombre de réponses et a généré en même temps un foisonnement d’autres questions pour lesquelles j’ai un appétit insatiable de tenter d’y trouver des réponses. L’enseignement, le travail éducatif au sens plus large, la didactique, la pédagogie sont des termes qui ont permis une autre ouverture d’esprit sur mon métier.

L’enseignement est un métier difficile, c’est un métier exigeant ; l’enseignant est bien souvent un être seul, un travailleur en dehors du monde du travail « ordinaire », il n’est pas toujours compris et reconnu par la société qui attend tellement de cet être à qui elle confie tout de même ses propres enfants.

Le soi-enseignant est donc toujours à reconstruire. « On peut avoir édifié un soi professionnel à peu près confortable et, néanmoins, n’en être pas tout à fait satisfait.  On peut alors se réveiller des parties de ce soi que l’on avait « choisi » auparavant d’endormir, de geler. Attention, le réveil, le dégel, ne s’effectue pas sans souffrance, mais pas sans plaisir non plus. »  Ces paroles de Claudine Blanchard-Laville ont un écho particulier en moi.

 

BLANCHARD LAVILLE, C. (2001). Les enseignants entre plaisir et souffrance : Vers une écologie clinique du lien didactique.  Paris, PUF  p. 86.

Maintenant, je ne suis ni tout à fait la même ni tout à fait une autre… Je suis bien entendu restée fidèle à moi-même sur beaucoup de points mais si je regarde mon parcours,  j’y vois une maturité professionnelle, et aussi intellectuelle, qui me permet d’avoir une vision plus large encore du métier.

J’ai l’impression que ma démarche de réflexion m’a fait prendre conscience de cette dynamique qui fait partie de l’identité professionnelle. Rien n’est figé, je pense. On ne naît pas enseignant à la sortie de l’école normale ou de l’université, une fois pour toutes. On change, on évolue, on voit les choses différemment, on remet en question ce que l’on était ou ce que l’on pensait être pour repartir autrement, différemment, et sans cesse se renouveler parce que le métier est sans cesse à renouveler, à questionner, à enrichir.

Nos élèves nous le rappellent d’ailleurs chaque jour ! C’est eux qui nous donnent cette impulsion pour répéter inlassablement ces règles d’orthographe, de grammaire, c’est encore eux qui nous donnent le sens de notre métier parce qu’enseigner, c’est avant tout donner des signes, ceux-là même qui leur serviront  sur le chemin qu’ils se tracent chaque jour et sur lequel ils avancent et se construisent et c’est toujours eux qui nous font violence parfois et nous renvoient devant notre propre réalité humaine parce que nos adolescents sont vrais, entiers et ne calculent pas nécessairement les enjeux de notre société. Et c’est grâce à ce qu’ils sont justement, qu’ils nous permettent d’avancer, de ne pas nous encroûter et de nous remettre en question. Finalement, un enseignant en questionnement est un bon enseignant, et je le dis sans prétention aucune. Celui qui se questionne, est celui qui est prêt à s’adapter à celui qui est en face de lui, qui est prêt à négocier, même si, je le répète toujours à mes élèves, les maître mots de l’apprentissage sont : courage, discipline, volonté ! « Plus est en vous ! », c’est la devise de mon école et c’est celle-là qui fait que je suis encore là après 17 ans. Croire en eux, en leur potentiel et les aider à se surpasser.

début "itinéraire" * sommaire 147

Par ces quelques lignes, on peut comprendre que le questionnement sur l’identité professionnelle n’est pas anodin parce j’y suis impliquée en tant qu’enseignante en questionnement même sur sa propre identité.

La question de la pertinence du sujet, vu mon implication, s’est alors assez vite posée. Peut-on entamer une recherche scientifique valable si le sujet qui l’étudie est impliqué dans l’objet même de la recherche ?

La réponse est je pense dans la prise de conscience que l’on a des choses justement.

Le fait de vous livrer ces quelques lignes veut simplement montrer que j’ai conscience de mon implication mais il me permet aussi d’être vigilante et d’avoir cette honnêteté intellectuelle face à mon objet de recherche.

 Emmanuelle Florent - 13/10/2010

 début "itinéraire" * sommaire 147

 

"...la jeune et jolie prof sur l’affiche du Ministère..."

Document brut pour un débat

Le rêve...

...l'ambition

Professeur, un métier pour filles rêveuses ? Libération, 8 juillet 2011

Par VÉRONIQUE SOULÉ

Laura, la jeune et jolie prof sur l’affiche du ministère de l’Education, a l’air douce et rêveuse - elle lit posément un livre. Julien n’est pas mal non plus - mais pour les hommes, c’est quand même moins important… Surtout, il a l’air décidé et fort en informatique - il est devant un ordinateur. L’actuelle campagne de recrutement de l’Education nationale, qui a mis en colère les syndicats enseignants, dénonçant une opération de com au moment où l’on supprime 16 000 postes, a des côtés très distrayants, voire incongrus. D’abord, alors que l’on s’inquiète plutôt aujourd’hui des clichés sexistes véhiculés à l’école, elle les reprend allègrement. Laura, la jeune prof, «a trouvé le poste de ses rêves». Julien, son collègue mâle, a, lui, «trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions». Interrogé par Libération, le ministre de l’Education, Luc Chatel, a reconnu que ce problème ne lui avait pas sauté aux yeux. En septembre, il avait pourtant reçu un rapport sur les discriminations à l’école où les experts se désolaient : «Les filles seraient par nature plus tournées vers la littérature et la communication, les garçons seraient plus doués pour les sciences. L’école ne parvient pas à combattre efficacement ces stéréotypes.»

Voir la suite de l'article sur le site de Libé

haut de l'affiche [transcription]

Laura

a trouvé le poste de ses rêves.

C'est l'avenir qu'elle a toujours envisagé. Et l'avenir, pour elle, c'est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C'est pour cela qu'elle a décidé de devenir enseignante.

 

haut de l'affiche [transcription]

Julien a trouvé un poste à la

hauteur de ses ambitions

 

 

C'est la concrétisation de son projet personnel. Et ce projet, pour lui, c'est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C'est pour cela qu'il a décidé de devenir enseignant.

 

 

Articles de Véronique Soulé (sur l'enseignement) : http://classes.blogs.liberation.fr/

début "jeune et jolie prof" * sommaire et édito 147

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