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  86 articles parus dans LMDP

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SOMMAIRE 

numéros parus depuis 1990

 

 

 

 

Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source

 

 

Numéro 146 * Septembre 2011

 

Septembre. Le mot est beau, avec sa longue traînée de sous-bois. Il a l'idée d'automne et la chaleur d'été.

Philippe Delerm, Un trottoir au soleil, Gallimard, 2011, p. 167.

 

Au menu

1. "Blogs de profs" - Suite

Le blog de Mathilde Bernos, enseignante documentaliste, académie de Nice * "Le Bateau Livre"

2. Christine Lara, académie de Bordeaux

Une réception communo-culturelle de la lecture

Quand l'élève recrée le texte selon sa culture et son histoire.

3. Michel De Cock, Quatre-vingt-huit réécritures de La Fontaine, Le Corbeau et le Renard, suite.

Recette de cuisine. Du ringard et du branché

Réécrire la poésie, par Henri Meschonnic

4. Ponctuer, c'est produire du sens !

Dis-moi comment tu ponctues.
Avec un document brut:
Extrait du roman Intermittences de la mort, de José Saramago.

5. En quête ... en pays légendaire pour une exposition consacrée à Frédéric Kiesel, par Sébastien Mauer, 1er degré,

Partage d'une expérience sur le conte.

Edito

Trois profils d'enseignants

L'intello fonde son identité sur la Science et la Culture. Sa mission - et il y prend plaisir -: transmettre le goût et l'intelligence. Un peu nostalgique de la forme universitaire. Défend son temps libre, temps du ressourcement culturel.

Le militant vit une mission de service public, d'engagement social, pour l'intérêt de l'élève, ce qui confère sens et exigence éthique à son travail, le met en conflit avec l'État patron s'il ne lui donne pas les moyens de la mener à bien. Ne compte guère son temps pour résoudre les problèmes dans ou autour de l'école.

Pour l'employé, enseigner est un métier comme un autre. La priorité n'est pas l'efficacité, mais les conditions de travail (confort matériel, relationnel: pas d'ennuis avec l'institution, les élèves..., "pourvu que l'ordre règne"). La responsabilité est moins revendiquée que la tranquillité.

D'après Lise Demailly, Le français aujourd'hui, n° 111, p. 58.

Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source.

Blogs de prof - Suite

Le Bateau Livre

 

Mathilde Bernos, enseignante documentaliste (Académie de Nice)
présente son blog :
http://lebateaulivre.over-blog.fr

 

1. Intention générale et destinataires...

 Le blog « Le Bateau Livre » propose des bibliographies de littérature jeunesse et de nombreuses activités pédagogiques autour de la lecture, la recherche documentaire, l'éducation à l'image ou à Internet...

 Il s’adresse principalement aux enseignants-documentalistes, de français ou tout collègue de collège et lycée intéressé par la recherche documentaire, ainsi qu’aux bibliothécaires proposant des animations lecture.

 Il met aussi à disposition des supports d’initiation à la recherche, exploitables par les élèves (diaporamas et fiches pédagogiques), dans la rubrique « Cabine Ado ».

 2. Chantiers ouverts, chantiers récents…

 Les articles sont publiés en fonction de mes propres lectures et activités que j’organise dans mon établissement.

Au printemps 2011, une nouvelle rubrique, « La réserve à idées ! », présente mes sources d’inspiration, au hasard des découvertes : spectacles, lectures, images… tout ce qui est susceptible de donner des idées d’animations pédagogiques au CDI.

 3. En marge de gauche, les rubriques et outils pour naviguer à bord du Bateau livre

 Présentation, zone de recherche, rubriques, outils Internet en lien avec le blog, images, sondage…

 Les différentes rubriques sont organisées autour de :

- Littérature jeunesse

- Activités de lecture

- Autres activités

- Cabine Ados : documents destinés aux élèves et utilisés en cours

- Gestion d’un CDI

- Actu

 

4. Et voilà à quoi ressemble le blog !

Mathilde Bernos a publié dans LMDP 137 (juin 2009) :

Le bateau livre * Découvrir le rôle pédagogique des CDI en France * de la 1re à la 6e Ouvrir

 

Blog déjà présenté: Fabien Lafontaine voir

Blogs présentés prochainement : Michèle Silla (ateliers philo au collège), Emmanuelle Florent ( "Epi(b)logue" )
 


 Christine LARA, Une réception communo-culturelle de la lecture

 

...l'existence du lecteur * culture et réception * le prisme du patrimoine culturel * l'élève: une histoire commune * Benjamin, en Guadeloupe... * naissance du lecteur autonome * en résumé

 

"enracinés dans une tradition..."  

(...) nous sommes tous nés quelque part et précédés par telle ou telle conception de l'existence. Or, en anthropologie, actuellement, loin de considérer cette situation comme un malheur ou une malédiction, on la comprend au contraire comme une chance. Nous sommes, nous dit-on, des êtres de culture, enracinés, devant être enracinés dans une tradition. Il s'agit même là des conditions de notre identité et de notre liberté.

Adolphe Gesché, Dieu pour penser, III, Dieu, Cerf, 2010, p. 137.

 

L'existence du "lecteur"

Dans les années 1970, les recherches menées par l’école de Constance ont révélé l’existence du lecteur. Ces chercheurs ont proposé deux options.

La première, positiviste et très attachée au texte, donne un rôle plus important à l’objet lu qu’à l’acte de lecture. Selon certains théoriciens comme Riffaterre (1979), Iser (1985) et Eco (1985), la bonne lecture serait en quelque sorte codée par l’auteur pour être déchiffrée, décodée par des lecteurs. Ce travail de déchiffrement est ce qu’Eco qualifie d’interprétation coopérative du texte.

L’autre option attache davantage d’importance au rôle que joue le lecteur dans l’acte de lecture aussi bien  dans la construction du sens  que dans la  reconnaissance littéraire du texte (Marghescou 1974, Jauss 1978, Picard 1986). La lecture est ici, privilégiée par rapport à l’objet lu. Cette notion du lecteur créateur se retrouve, complétée et enrichie lors du colloque  Le texte du lecteur,  organisé  à Toulouse, en octobre 2008, par le Programme Lecture littéraire, théorie et enseignement du laboratoire Lettres, Langages et Art. Il souligne l’importance de la subjectivité et de la singularité des lecteurs empiriques dans la lecture littéraire.

Une question se pose alors : est-il réellement possible de donner une culture commune, à travers la littérature, à des élèves de seconde, alors que chaque œuvre est recréée par le lecteur, que chaque œuvre est multiple, polysémique ? Quelles seraient, alors, les limites de cette culture commune puisque les lecteurs ont leur propre réception culturelle de la lecture ? Des générations de lecteurs ont connu la lecture littéraire comme un parcours unique où seuls ceux qui demeuraient au plus près des normes établies d’étude du texte, ceux qui restaient dans un cadre prédéfini de l’analyse littéraire voyaient considérer leur réflexion. En effet, l’interprétation du texte devait correspondre aux attentes précises formulées par les enseignants durant leurs cours. Ce parcours unique longeait les immensités de la langue, s’étirait sur les voies sinueuses de l’analyse modèle, rejetant les imaginations non cadrées qui risquaient d’altérer le sens du texte. Une ouverture nouvelle est alors offerte au lecteur.

De lecteur passif faisant appel à ses acquis encyclopédiques, gardant en lui comme une lecture illégitime du texte, sa propre réception du texte. Ce lecteur devient une instance incontournable de l’acte de lecture, se libérant de ses frustrations de lecteur « coupable ». Dans cette pièce où les trois protagonistes se cherchent, se découvrent, s’affrontent ou s’accordent, divers scénarii peuvent être mis en scène et, en filigrane, se dessine un nouveau lecteur, un lecteur multiple, un lecteur communo-culturel.

C’est en observant la réception de l’œuvre Atala de Chateaubriand par des élèves appartenant à des espaces culturels différents qu’il a été constaté qu’ils réagissent au texte de manière plus ou moins identique selon leur patrimoine culturel. Le texte semble être un déclencheur de réactions intellectuelles plus ou moins collectives. Diverses expérimentations et observations ont montré qu’il existe un sujet-lecteur-commun, possédant sa bibliothèque intérieure partagée avec ceux de sa communauté culturelle.

Le rôle de la culture dans la réception de la lecture  

début "réception" * sommaire 146

 

          Quelques théoriciens ont évoqué le rôle de la culture dans la réception de la lecture, mais peu se sont arrêtés à l’étudier en profondeur et moins encore ont porté une réelle attention à l’importance du patrimoine communo-culturel dans toute lecture littéraire, qu’elle soit de fictions, d’essai ou même de poésie. Il semble être temps de faire émerger cette entité, ce sujet-lecteur commun et de préciser ce concept qui sera nommé la réception « communo-culturelle ».

 

Par communo-culturel, nous entendons bien un groupe ayant le même passé historique, la même langue, les mêmes traditions et parfois mêmes les mêmes croyances religieuses, la même identité culturelle.

 

Pour valider ce postulat de départ, une étude a  été menée dans les trois espaces géographiquement et culturellement différents, que sont la Guadeloupe, la Polynésie et la France métropolitaine. Une dizaine de classes de seconde de lycée ont été retenues pour travailler autour d’Atala ou les amours de deux sauvages dans le désert, de René de Chateaubriand. Il s’agit de deux classes de seconde du lycée Gerville Réache et trois du lycée Rivière des pères de Basse-Terre (Guadeloupe),  trois classes du lycée de Villeneuve-sur-Lot (Lot et Garonne) et deux classes de Tahiti (Pirae et Taravao). Il existe dans chaque classe une majorité d’élèves de la région. Ainsi, sur les cinq classes de la Guadeloupe, plus de 80% des élèves sont d’origine guadeloupéenne, les 20% restant sont originaires des autres Antilles (Haïti, Dominique, la France métropolitaine ou Syrie).

 

Notons que cette composition des classes serait différente s’il s’était agi d’un lycée situé en Grande-terre. Sur les deux classes de  Tahiti plus de 85% des élèves sont originaires de la Polynésie (tous les archipels confondus), les 15% suivant sont d’origine culturelle asiatique, métropolitaine ou autre. Enfin, les trois classes du Lot-et-Garonne se composent de 89% d’élèves de la région, 11% d’élèves africains, antillais, maghrébins et autres.

 

Il y a donc une certaine uniformité culturelle des classes observées qui a certainement rendu possible cette observation; pourtant, les réponses des petits groupes culturels ont accentué la validité de l’hypothèse.

 

Le prisme du patrimoine culturel

début "réception" * sommaire 146

 

L’observation s’est déroulée en plusieurs étapes sous la houlette de deux enseignantes, professant ou ayant professé à la Guadeloupe, en métropole et en Polynésie. Le synopsis d’apprentissage est le même dans les diverses classes. Plusieurs outils ont été mis à la disposition des élèves-lecteurs comme la fiche de lecture (décriée, mais outil qui, après quelques modifications qui limitent le tangage internet, peut s’avérer très utile), des fiches permettant d’obtenir des informations sur l’attitude de lecteur des élèves, des notes prises lors des échanges oraux au sein des classes et les travaux écrits réglementaires.

 

Qu’il se soit agi de créer une première de couverture avant la lecture de l’oeuvre, de répondre à un questionnaire précis sur les thèmes, les personnages, la description, ou de rédiger une première approche du commentaire de texte, les élèves lecteurs ont manifesté leur attachement conscient ou inconscient à leur patrimoine culturel et historique.

Les réponses et les productions des apprenants ont été analysées et chiffrées et ont prouvé qu’il y a bien deux niveaux de réception, celui défendu par les théoriciens de la lecture depuis une trentaine d’années, et un second qui est, certainement, plus évident à constater dans les collectivités d’outre-mer*. Un second niveau, donc, défini par l’expression communo-culturel, et qui est propre à une communauté et à son histoire. En effet, quand, au sein d’une classe, plus de 60% des élèves interprètent un événement, un mot, une image, de la même manière, on ne peut plus parler de réception individuelle mais d’une réception commune. R. Barthes affirme, dans Le Bruissement de la langue, que lors de la lecture, « tous les émois du corps sont là, mélangés, roulés : la fascination, la vacance, la douleur, la volupté.»

 

* "France d'Outre.mer" :

en savoir plus !

Barthes Roland, Le bruissement de la langue, Seuil, Paris, 1993

 

Il semble essentiel de tenir compte du patrimoine communo-culturel des lecteurs, qui diffère selon les aires culturelles. Ce passé que les Antillais ont été sommés d’oublier, cette langue créole qui leur était interdite, cette histoire devenue honteuse auxquels ils se sont raccrochés, dans le secret et la douleur, sont encore vivaces aujourd’hui. Quant à la Polynésie, ce sentiment du passé oublié, truqué par une mémoire orale qui s’est tue, de la culture gommée, truquée, vendue, crée un malaise aussi tangible que cette quête identitaire. L’observation la plus évidente est certainement que les collectivités d’Outre-Mer ont une culture très marquée, qui est de plus en plus revendiquée et dont il faut tenir compte. Certes, il est possible de rétorquer que cela est aussi vrai pour les Français de la métropole, Bretons, Corse, Basques… mais, comme l’a noté Michel Leiris, ethnologue français, «  Les collectivités ont d’autres critères qui s’ajoutent à cet état de fait, et qui font qu’elles méritent un traitement à part : il apparaît ainsi que la situation des Antilles se distingue à la fois de celle des provinces françaises (dont aucune ne présente un semblable éventail de races et d’acquêts culturels) et de celle des territoires coloniaux (où, dûment ancrée dans son cadre, une masse autochtone a maintenu, au moins dans une large mesure, sa culture et sa langue). *»

 

 

 

 

* Leiris, Michel, Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe. Collection Race et société. UNESCO-Gallimard, Paris, 1955.

 

    

L’élève a un vécu teinté par le passé, par une histoire commune..

début "réception" * sommaire 146    

 

L’élève n’est pas un vase vide qu’il faut remplir selon les orientations officielles il a un vécu teinté par le passé de sa famille, de son peuple, par une histoire commune; et ce passé, ce vécu se retrouvent dans sa manière de concevoir le texte, et, à partir des mots, de créer une image peut-être non prévue par l’auteur. Le patrimoine culturel de l’élève-lecteur officie comme un tunnel dans lequel passe le texte; chaque étape de ce tunnel est en rapport avec le passé, l’histoire, la culture de ce lecteur et imprègne sa lecture. Son interprétation des mots, des images, des vides, des phrases, du texte sera donc influencée par tous ces éléments qu’il partage avec une communauté, celle dans laquelle il évolue, celle de la région dans laquelle il grandit et vit.

 

Ainsi, donc la réception de la lecture se fait surtout, et aussi, à un niveau communo-culturel défini par le patrimoine culturel que partagent les élèves d’un espace culturel donné, à un moment donné. Ces éléments que les élèves ont évoqués de la même manière, trouvent leur explication dans l’anthropologie, la sociologie, dans leur passé patrimonial. Les parents transmettent une culture à leurs enfants, la même qu’ils se partagent depuis des siècles, faite de colère, d’incompréhensions, d’amour, d’interrogations, de plaisirs ou d’injustices.

 

Benjamin, en Guadeloupe, et sa classe...

début "réception" * sommaire 146

 

Cette culture influence la perception des élèves et l’interprétation qu’ils auront d’un texte. Un mot simple évoque des images diverses selon l’aire culturelle des élèves-lecteurs, une action ou une non-action d’un personnage les émeut en fonction de leur patrimoine culturel. Benjamin, de la Guadeloupe, furieux que Chactas se soit rendu à Paris, fait référence à la foire universelle où on exposait les indigènes. La classe très sensible à ce fait, réagit comme lui. L’explication est à rechercher dans l’histoire, ce patrimoine commun à la majorité des élèves de cette aire. Atala qui ne porte pas les attributs de sa tribu, ce renoncement à sa culture interpelle les élèves de Tahiti, en pleine quête identitaire. Au moment où, en Polynésie, chacun part à la recherche de son patrimoine culturel, Atala qui renonce à son identité les révolte. Un texte n’est pas anodin, il réveille des pulsions, éveille l’intérêt des élèves-lecteurs de tant de manières que l’auteur lui-même, n’aurait pas pu envisager.

 

Claude Lafarge décrit ce rapport entre le lecteur et le monde fictif dans La valeur littéraire *: « Le lecteur prend parti dans des conflits qui génèrent la trame du récit, adoptant sans recul la présentation des faits internes à l’œuvre, approuvant les bons et condamnant les méchants ». Les théories de la réception de la lecture reconnaissent que la lecture est un phénomène complexe, éphémère et permanent à la fois, qui autorise la réalisation et l’actualisation des textes littéraires. Le texte reste le pivot central de l’acte de lecture mais le lecteur peut l’interpréter, le recevoir selon son patrimoine culturel.

 

* Lafarge, Claude, La valeur littéraire, Fayard, Paris, 1983.

 

Iser Wolfgang, La fiction comme effet, Poétique, vol.10, #39, p. 279.Le moment où la relation entre le texte et le lecteur devient dialogique est ce moment que nous avons cherché à étudier : il en peut naître désormais la situation-cadre où le texte et le lecteur atteignent à la convergence, affirme Wolfgang Iser * dans La fiction comme effet. Ce sujet lecteur-commun se sert de ses expériences personnelles, de ses acquis scolaires ou extrascolaires, de sa bibliothèque intérieure, terme utilisé par les chercheurs de université de Toulouse2, mais aussi de sa mémoire commune pour lire, dire et redire un texte. Loin d’être un handicap dans le schéma de la pédagogie, ce pouvoir du lecteur empirique (autant dans le sens d’autorisation que de puissance) est une force avec laquelle l’enseignant peut conduire l’élève à une lecture moins passionnelle et plus « cadrée ».

 

 

* Iser Wolfgang, La fiction comme effet, Poétique, vol.10, #39, p. 279.

 

La naissance du lecteur autonome

 

L’élève pourra alors produire son texte, le texte du lecteur qui, comme le dit Annie Rouxel, « est cet espace de déchiffrement du monde et d’effectuation du travail des sujets sur l’intervalle des identités qui permet de donner du sens  »*  La lecture est enfin un partage entre le lecteur et l’œuvre auquel se greffent l’individu, en tant que tel, et l’individu en tant que sujet-commun. Ce partage peut inclure l’enseignant s’il se prête au jeu du respect et des sens et ose sortir des carcans pédagogiques habituels. De cette expérience de lecture, naît un lecteur autonome, averti, qui sait affronter les nombreuses résistances textuelles afin de s’investir, dans la lecture d’abord et l’écriture ensuite. Cette lecture ouverte à l’interprétation des élèves, est un moyen de stimuler leur créativité et de lutter contre l’échec scolaire et le manque d’intérêt de certains d'entre eux pour la lecture, classique, dirons-nous.

début "réception" * sommaire 146

 

 

 

* Présentation du colloque le texte du lecteur, 22-24 octobre 2008

 

Après cette phase interprétative, les élèves-lecteurs aborderont la lecture littéraire. N’est-elle pas un retour sur le texte, une relecture, * comme l’affirme Bertrand Gervais ? « L’histoire d’une vie [qui] ne cesse d’être refigurée par toutes les histoires véridiques ou fictives qu’un sujet raconte sur lui-même »* . Ce lecteur qui se crée au fil des mots, qui se découvre à travers les mots, les situations, les personnages, ce lecteur enfin qui se raconte à travers la re-fictionnalisation des romans, des œuvres, se perd pour mieux se retrouver. L’enseignant attentif à ce bavardage intellectuel, émotionnel et d’échange que l’élève-lecteur élabore spontanément face à un texte qui lui « parle », conduira un élève motivé sur les sentiers de la lecture littéraire avec bien plus de bonheur.

 

* Gervais Bertrand, «Les régies de la lecture littéraire», dans Tangence, no 36, mai 1992.

* Ricœur Paul, Temps et récit 3. Le temps raconté, Seuil, 1985, p. 356.

 

 

En résumé:

début "réception" * sommaire 146

 

 La réception de la lecture existe bien à deux niveaux,

 

le premier qui est une réception individuelle reconnue par les théoriciens, les enseignants et tous ceux qui s’intéressent à la lecture,

 

et un second niveau qui met en évidence un lecteur qui fait une lecture en ombre, qui recrée le texte selon sa culture et son histoire. Cette réception de la lecture est partagée par un ensemble culturel, une communauté culturelle car elle est fortement marquée par une histoire commune. Les élèves des espaces culturels variés, ont une perception commune influencée par leur patrimoine culturel. Il est indéniable que cette dimension doit être prise en compte dans l’enseignement de la littérature.

 

 

Voir sur ce sujet, le livre de Christine Lara paru en 2010 aux éditions L'Harmattan:

Pour une réception communo-culturelle de la lecture * Étude d'Atala de Chateaubriand, 276 p. 27 €. (présentation)

 

Autre article de Christine Lara: Atala, de Chateaubriand Ouvrir

 

début "réception" * sommaire 146

 

 

 

Le Corbeau et le Renard * Quatre-vingt-huit réécritures de la fable

 

par Michel De Cock  

 

Un document de travail inattendu pour une classe de français ! 

Aux quatre versions parues dans le numéro 144 de LMDP (mars 2011) - alexandrins * décalage sémantique * fable express * match de foot -

 nous ajoutons dans ce numéro 146 les deux versions suivantes:

recette de cuisine (32) * du ringard et du branché (81)

 

De réécriture en découverte...

Réécrire - notamment un poème - c'est une façon de le traduire, de l'interpréter, de le reconstruire, et surtout de se l'approprier.

D'après Henri Meschonnic, conférence à Rodez, Journées de la Poésie, Pentecôte 2003

 

Il apparaît normal qu'une pédagogie de la poésie passe par l'écriture de textes poétiques. (...) La seule manière, peut-être, d'approcher le sens d'un poème consisterait, pour chaque lecteur, à écrire un autre texte avec les matériaux de sa lecture; il n'y épuiserait pas le texte, mais en continuerait le mouvement fondateur.

Jean-Pierre BALPE, Lire la poésie, Colin/Bourrelier, 1980, p. 172 & 215.

 

La perspective de devoir réécrire le texte (...) redonne sens à l'étude de la littérature. Pour écrire un pastiche, les élèves doivent se plonger plus intimement dans le texte, en repérer les procédés d'écriture, s'interroger sur leurs effets, se demander pourquoi ils fonctionnent dans le texte de l'auteur et non dans le leur. (...) A partir de cet exercice, on peut penser qu'ils comprennent l'intérêt d'une lecture approfondie du texte, d'une connaissance intime de celui-ci. La lecture d'un texte littéraire, c'est bien. Le projet de le réécrire - ou de le prolonger, c'est mieux!

Thierry Paubert, Le français aujourd'hui, 144 (01.2004), p. 82.

Voyons tout d'abord l'original, signé Jean de la Fontaine

 

 

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LE CORBEAU ET LE RENARD

 

Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau !
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois ».
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie,
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute ».
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus
 

Outils pour la lecture

Compréhension: 

alléché (3), se rapporte à (8), ne se sent pas de joie (10)...

Tradition et littérature:

Renard : découvrir ou rappeler le roman médiéval

Phénix : ce qu'on en dit dans un mythe égyptien ? Le sens actuel de ce mot... sans majuscule ?

Formes verbales et construction du récit

1. vv. 1 à 4 : quels temps ? 

2. vv. 5 à 16 : quels temps ? 

3. vv. 17-18 : quels temps ?

Propositions - à débattre et évaluer ! - pour résumer chacune des trois parties en peu de mots.

L'antiphrase et l'hyperbole dans les vv. 5 à 9: par quels moyens d'expression ?

"Monsieur" et "flatteur" ;  rime pour l'oeil Mais du temps de Lafontaine, on prononce mon - sieur [sjœR]

Recette de cuisine

début le corbeau et le renard * sommaire & édito 146

Observer les moyens d'expression du texte prescriptif

 

CORBEAU AU FROMAGE, ASSAISONNÉ DE FLATTERIE RENARDIÈRE

1.    Dresser un Corbeau sur un arbre ;

2.    Farcir le bec du Corbeau avec un fromage bien frais ;

3.    Rissoler un Renard dans l’odeur du fromage (dans une poêle à feu vif) ;

4.    Faire dire par le Renard à peu près ceci au Corbeau :

 qu’il accueille M. du Corbeau ;

qu’il trouve le Corbeau appétissant ;

que le Corbeau lui semble bien frais ;

que sans mentir, si le ramage du Corbeau se rapportait à son dressing,

                                    celui-ci serait le chef-d’œuvre des pièces de ce restaurant.

5.    Imprégner le Corbeau de plaisir gustatif à ces mots ;

6.    Avec une pince, ouvrir le large bec du Corbeau pour montrer sa belle voix ;

7.    Faire tomber la proie du Corbeau sur le plan de travail ;

8.    La disposer dans la bouche du Renard (avec du cresson) ;

9.    Faire dire au Renard :

 que son bon Monsieur apprenne que tout Maître d’Hôtel vit aux dépens de  celui  qui le goûte ;

que cette recette vaut bien un fromage, sans doute.

10.  Faire mijoter le Corbeau avec des sentiments honteux et confus (au four, thermostat 2);

11.  Faire jurer par le Corbeau qu’on ne l’y accommoderait plus ;

12.  Servir chaud accompagné d’un vin du terroir.

Boîte à outils

 pour écrire une recette

1. grammaire

Quel mode pour définir les opérations successives ? Quel autre mode peut être employé ?

2. lexique

Que signifient  dresser, farcir, rissoler, mijoter, plan de travail, accommoder...

3. réécriture

Comment sont remaniés :

"sur un arbre perché"

"que vous êtes joli, que vous me semblez beau"

"si votre ramage se rapporte à votre plumage"

"vous êtes le phénix des hôtes de ce bois"

"ouvre un large bec, laisse tomber sa proie"

Etc.

 

Recette, mode d'emploi, notice de fabrication...

Il s'agit de textes qui décrivent une suite d'activités à accomplir pour obtenir tel ou tel résultat. Ils répondent à la question "comment faire, comment réussir"...

Voir dans LMDP d'autres propositions pédagogiques sur ce genre textuel particulier. faire une momie * objets divers

 

Du ringard et du branché...

début le corbeau et le renard * sommaire & édito 146

 Explorer le lexique : des mots disparaissent, des mots apparaissent.

 

La consigne de réécriture concerne le choix lexical:

* tantôt des mots du registre "ringard",  archaïques, voire disparus des dictionnaires usuels

            p. ex. : on lit dans le Littré de 1877, au mot corbin: : "Corbeau. Inusité en ce sens."

* tantôt des mots du registre "branché" (dans le vent !)

 

LE CORBIN ET LE GOUPIL 

Prof Corbin, sur un baliveau juché,

Planquait en sa bonbonnière un coulant.

Prof Goupil, par le remugle allumé,

Lui balança à un chouya près ce jargon :

« Ho ! Salut ! Messière du Corbin !

Que vous êtes chouette, que vous me paraissez bath !

Sans déconner, si votre gueulante

Rime avec vos fringues,

Vous êtes le crack des banlieusards de cette brousse ».

À cette bafouille, le Corbin ne se la pète pas de marade,

Et pour étaler son bath grelot,

Il déballe une bonbonnière géante, laisse dégringoler sa galette.

Le Goupil la chopa, et cracha : « Mon bonard Messire,

Mâchez que tout lécheur

Traîne aux frais de celui qui l’oit.

Cette anagogie égale bien un coulant, certes ».

Le Corbin, pantois et quinaud,

Attesta, mais un chouya à la traîne, qu’on ne l’y alpaguerait plus.

La langue vit :
des mots se font rares, des mots apparaissent

Comment c'est réécrit !

Vérifions si le choix lexical (mots ringards ou mots branchés) respecte le sens de l'original.
Pour cela, lire à haute voix chaque vers de l'original suivi aussitôt de sa réécriture : échangeons nos avis et nos questions.

Rechercher (dans le Petit Robert, p. ex.) l'origine et l'histoire de certains mots.

Que signifient les abréviations suivantes dans les dictionnaires usuels:

anc. ou anciennt,  autref., inus., vieilli, vx

fam., très fam., pop., arg.

Documentation pour l'enseignant

* Dictionnaire d'argot classique (téléchargeable) par Charles Boutier (compilation de dictionnaires d’argot publiés de 1827 à 1907 : 20.000 termes argotiques)
"messière" figure dans ce répertoire, avec cette définition:
Monsieur. Dupe, victime. La messière, la police.

* à la page lecture de LMDP, quelques sites sur l'histoire du lexique.


 début le corbeau et le renard * sommaire & édito 146

 

Dis-moi comment tu ponctues !

ponctuer, c'est produire du sens * boîte à outils: le Petit Ponctueur Illustré * José Saramago: la ponctuation épurée

 

Méthodologie

Le détour par l'expression orale - intonation, rythme, mimique, gestuelle... - sera bien utile pour découvrir la ponctuation.

 

A. Découvrir l'utilité de la ponctuation

Les suites de mots ci-dessous prennent des signification différentes selon la façon de les ponctuer.

il dort le chien les chats vagabondent.
            Il dort. Le chien, les chats vagabondent.
            Il dort, le chien ; les chats vagabondent.

vous vous appelez Virgile quel beau prénom n'est-ce pas.
            « Vous vous appelez...? - Virgile. - Quel beau prénom ! - N'est-ce pas ! »
            Vous vous appelez Virgile ! Quel beau prénom, n'est-ce pas !

                   

A notre tour, de varier les significations

1. il est parti aujourd'hui et demain je serai seule

2. Jonathan va regarder derrière la maison on entend quelque chose

3. ce soir demain peu importe avec qui je ne le sais pas moi non plus

4. qui épousez-vous Dominique Claude bien sûr n'en parlez à personne

5. je reviens à midi Pol mon frère revient aussi ce soir mettez deux couverts

6. vous avez bien entendu ce que je vous demande

7. tu comprends cette histoire ça finira mal de toute façon c'est ma conviction

8. tu viendras aujourd'hui même s'il pleut

9. les voleurs s'étaient tous enfuis dans la forêt on a retrouvé une grande partie de leur butin grâce à l'aide des chiens policiers le chef de la bande fut arrêté le lendemain celui-ci donna les noms de tous ses complices

10. les touristes se demandent où aller ce matin la pluie s'est mise à tomber ils ne peuvent guère qui visiter le musée et la basilique au centre de la vielle ils peuvent aussi faire des achats de souvenirs

 

 

B. Quels signes de ponctuation utiliser ?

début "comment tu ponctues?" * sommaire et édito 146

 

Énoncés à ponctuer

Dépannage : Le petit ponctueur illustré.

 

1. Comme elle est jolie la petite Ursule avec ses bottillons cerise

2. Pourquoi le quartier s'est-il soudain trouvé sans gaz sans eau sans électricité

3. Les enfants le repas terminé purent aller jouer ainsi les parents seraient tranquilles un moment

4. Tu ne penses pas toi qu'on aurait dû les avertir imagine leur crainte leur attente interminable

5. Hélas les recherches prolongées toute la nuit restèrent infructueuses les voleur sans doute étaient déjà loin

6. Que se serait-il passé si nous avions rencontré les douaniers vous comprenez en effet qu'avec une telle quantité de marchandises

7. Le lendemain comme nous allions sortir arriva un inconnu vous auriez dû voir son étrange accoutrement qui nous demanda l'hospitalité

A.

a. Le rossignol chante.

b. Le P.D.G. a démissionné.

c. Comme il est beau ! Zut !

d. Quand partons-nous ?

e. Tais-toi, sinon...

B. Lui, il chante; moi, je pleure.

C.

a. Il faut un oeuf, du sucre, du lait.

b. Le soleil brille, mais il gèle.

c. Là-bas, l'orage gronde. Lui, il pleure.

d. L'athlète, épuisé, abandonna.

e. Je sais, Pierre, que tu reviendras.

f. Sachez, dit-il, que je suis innocent.

g. Elle joue de la flûte; moi, du saxo.

D.

a. Elle répondit : «Je t'aime !»

b. Tous sont là : Luc, Pol, Eva, Cécile.

c. Elle pleure : c'est son mal de dents !

E.

a. «Tu viens ? - Non, je suis occupé. »

b. Il croit - quel naïf ! - qu'il réussira.

c. Il croit (quel naïf !) qu'il réussira.

A. Point

a. Fin d'une P déclarative

b. Abréviation

c. Exclamation

d. Question

e. Enoncé inachevé

B. Point-virgule

C. Virgule

a. Énumération

b. Avant car, mais, or...

c. Inversion ou emphase

d. Épithète détachée ou apposition

e. Apostrophe

f. P incise

g. Verbe non répété

D. Deux points

a. Avant une citation

b. Avant ou après une énumération

c. Avant une explication

E. Tirets, guillemets, parenthèses

8. Je lui ai demandé pourriez-vous dire Monsieur l'Agent où se trouve la clinique c'est très simple me répondit-il vous première rue à droite ensuite la deuxième à gauche quel homme sympa cet agent 9. Ma brosse à dents personne ne l'a trouvée personne bizarre cette disparition 10. Vous avez bien entendu ce que je vous demande bien sûr mais aujourd'hui nous sommes en rupture de stock ça ne vous dérange pas de repasser demain

 

C. La ponctuation insolite de José Saramago

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La ponctuation épurée

Tel est le titre d'une chronique publiée le 3 mars 2011 sur le blog Langue sauce piquante de Martine Rousseau et Olivier Houdart, correcteurs au journal Le Monde.

Un blog à recommander chaudement pour l'intelligence et l'humour de ses réflexions sur la langue.

En voici le texte intégral :


Saramago, José, ou la ponctuation épurée

Vous qui n’avez pas encore pénétré dans l’œuvre exquis de José Saramago, faites-le incontinent. Arrivé au deuxième roman, voire au troisième, une idée cheminant dans votre esprit se cristallisera soudain : je n’ai trouvé sous sa plume aucun(s) deux-points, point-virgule, guillemets, parenthèses, sus, rog, ni clam.

Dans le jargon des correcteurs, sus, rog, clam signifient respectivement points de suspension, point d'interrogation, point d'exclamation



En guise de ponctuation, seulement des points et des virgules. Auxquels s’ajoutent les capitales de début de phrase (la capitale initiale peut être considérée comme un signe de ponctuation). Lesdites capitales ne servent qu’à cela, chez Saramago, et les noms propres en sont dépourvus, y compris dieu !

Voici un passage des Intermittences de la mort, Seuil, 2008 [dans un pays imaginaire, la mort a cessé de frapper. Les autorités s’en émeuvent. Le premier ministre et le cardinal s’entretiennent au téléphone] :

Une nouvelle pause se produisit que le premier ministre interrompit, Je suis presque arrivé chez moi votre éminence, mais si vous m’y autorisez j’aimerais encore vous poser une brève question, Dites, Que fera l’église si plus jamais personne ne meurt, Plus jamais c’est beaucoup trop long, même dans le cas de la mort, monsieur le premier ministre, Je crois que vous n’avez pas répondu, votre éminence, Je vous renvoie la question, que fera l’état si plus jamais personne ne meurt, L’état essaiera de survivre, encore que je doute beaucoup qu’il y réussisse, mais l’église, L’église, monsieur le premier ministre, a tellement pris l’habitude des réponses éternelles que je ne puis l’imaginer en train d’en donner d’autres, Même si la réalité les contredit, Depuis le début, nous n’avons fait que contredire la réalité et nous existons toujours,

 

Ponctué de façon habituelle, ce passage deviendrait:

 

 

Une nouvelle pause se produisit que le premier ministre interrompit : “Je suis presque arrivé chez moi, votre éminence, mais si vous m’y autorisez j’aimerais encore vous poser une brève question… – Dites. – Que fera l’Eglise si plus jamais personne ne meurt ? – Plus jamais c’est beaucoup trop long, même dans le cas de la mort, monsieur le premier ministre…  – Je crois que vous n’avez pas répondu, votre éminence. – Je vous renvoie la question : que fera l’Etat si plus jamais personne ne meurt ? – L’Etat essaiera de survivre, encore que je doute beaucoup qu’il y réussisse, mais l’Eglise… – L’Eglise, monsieur le premier ministre, a tellement pris l’habitude des réponses éternelles que je ne puis l’imaginer en train d’en donner d’autres… – Même si la réalité les contredit ? – Depuis le début, nous n’avons fait que contredire la réalité et nous existons toujours,”

Le discours direct est rendu très simplement : une virgule puis une capitale initiale. Saramago n’est pas le seul à procéder ainsi.

 

Cela permet de resserrer la narration, en y fondant le dialogues et les citations. Nous pourrions dire que cette ponctuation, qui repose entièrement sur la virgule (le point, vrai point final, n’intervenant que pour conclure les phrases), sans fioriture, se rapproche de la ponctuation sobre du XVIIe siècle, celle d’un La Fontaine, par exemple, dans les éditions originales (dans les éditions actuelles, celle-ci est “modernisée”, c’est-à-dire très augmentée, ainsi que l’orthographe).
 

Enfin l’usage de la capitale est réduit à sa plus simple expression : marquer les commencements, les “têtes” de phrase, d’où le nom de “capitale”, comme lors du Moyen Age (où l’on parlait aussi de versale).


Dernière remarque, en passant : des auteurs parviennent encore à imposer leur propre ponctuation à leur éditeur, ce qui est plutôt rassurant.

Martine Rousseau et Olivier Houdart


Autre article sur la ponctuation : voir

début "comment tu ponctues?" * sommaire et édito 146

 

 

A propos de ce livre de Jose Saramago, Les intermittences de la mort :

 

Lire les 12 premières pages du roman (13 à 24, en pdf)

Recension de Gilles Heuré dans Telerama - 26.01.2008

 


 

En quête ... en pays légendaire pour une exposition consacrée à Frédéric Kiesel

 

Partage d'une expérience sur le conte au 1er degré. Récit : Sébastien Mauer

 

Le conte ? Oui,  mais pourquoi et comment ?

Ou comment mener un projet : partage d’une expérience.

 

  le contexte de l'expérience * l'idée de faire ça ? *  

démarche en 4 temps : motivation, imprégnation, réalisation, décoration *

et quid du Programme ?

 

Trois articulations sont nécessaires dans la pratique scolaire du conte: tout d'abord l'illustration, qui recrée le lieu, l'époque, les usages...; ensuite la voix haute qui engage le corps dans la communication; enfin l'activation de la mémoire culturelle qui fait de l'auditeur-lecteur un visionnaire créateur. En d'autres termes, mettre en action le regard, l'écoute et le mouvement, déployer le rêve et la fantaisie.

D'après Serge MARTIN, Les contes à l'école, coll. Parcours didactiques, Bertrand-Lacoste éd., 1997, p. 55.

 

Il est devenu traditionnel d’aborder le conte au cours de la première année commune. Celui-ci est généralement abordé sous divers aspects : si l’analyse de sa structure en schémas prédomine encore, on s’intéresse de plus en plus à son contenu, son oralité, sa transtextualité…

 Mon propos ici ne sera nullement de prétendre à une analyse littéraire et didactique du matériau ‘conte’ : il en existe à foison. Je tenterai modestement de faire part d’une expérience pédagogique menée autour du conte, au plutôt de sa variante: la légende.

 A chaque expérience, son contexte

Septembre 2009, je me vois attribuer pour la première un cours de français 6 périodes en 1re commune.

Lors d’une réunion de concertation avec l’ensemble de mes collègues de français, notre directeur évoque diverss concours et manifestations pour cette année. Je crois entendre parler d’un concours alliant poésie et légende, autour de l’auteur régional Frédéric Kiesel à qui un hommage sera rendu en mai  par la Fondation Pierre Nothomb.

Prenant contact avec l’animatrice de ces manifestations, Madame Van der Kaa, je comprends très vite mon erreur : il existera bien un concours sur la poésie mais aucun projet concret autour de la légende. Ou plutôt pas encore, et elle aimerait y remédier.

Les belles histoires débutant souvent sur un malentendu, il n’en faudra pas plus pour s’engager. Notons au passage que Madame Van der Kaa allie à merveille les techniques de persuasion, transformant une possibilité de ma part en un engagement définitif pour elle.

 

L’idée

début F. Kiesel * sommaire et édito 146

Pourquoi ne pas créer un jeu de société autour des légendes ? Il m’est impossible de me rappeler aujourd’hui la genèse de cette idée, si tant est qu’il y en ait eu une.

L’important n’est pas de savoir pourquoi on a cette idée, mais de l’avoir. En effet, je pense qu’il est très important d’avoir un projet défini à présenter aux élèves : trop souvent, pensant leur laisser l’initiative, on leur demande d’avoir un projet sans autre exigence, le fameux qu’aimeriez-vous faire ?

 Mais cela est vague, et l’imagination créative a besoin d’un déclencheur.

Toutefois, si avoir un objectif est indispensable, avoir déjà un contenu est impensable. Il ne faut pas tromper l’élève en lui laissant croire qu’il pourra imaginer, inventer, créer ce qui serait déjà défini dans notre tête d’enseignant.

 J’insiste donc beaucoup sur ce point : il faut trouver un juste équilibre entre un objectif défini à présenter aux élèves et un grand espace de possibles à construire ensemble.

Pour nous, ce serait un jeu de société sur les légendes de Frédéric Kiesel.

  

La démarche

début F. Kiesel * sommaire et édito 146

La démarche pour mener un projet est toujours la même chez moi : sans être infaillible, elle a le mérité d’exister et se partage en 4 temps :

 

Phase de motivation.

 Il s’agit de présenter le projet aux élèves et de jauger leur motivation.

Cette phase est très importante car il faut obtenir un accord consensuel et éclairé des élèves.

Les élèves sont souvent motivés au début du projet, mais si cette motivation est superficielle, elle ne résistera pas à l’usure inévitable du temps.

Durant ce moment, il me semble important d’expliciter aux élèves

Je n’hésite pas à leur dire qu’un projet exige plus de travail, mais différemment. Je leur prédis aussi que les rapports seront parfois tendus, car il y aura des impératifs à respecter à tout pris et qu’aucun écart ne sera possible. Il faut, je crois, dans un projet, pour le rendre crédible, changer le rapport : ce n’est plus une relation enseignant-élèves , trop connue pour être motivante, mais de partenaires dans un projet avec le statut de chef de chantier pour l’enseignant. Ainsi, l’enseignant n’est pas celui qui sait et fait mais celui qui exigera leur produit fini pour un public extérieur. C’est ce regard extérieur qui motive, contraint mais crédibilise le projet.

 Je vérifie alors leur motivation par un vote que je veux ultérieur à la présentation, à l’unanimité et à main levé (c’est un peu stalinien, mais ça pousse à l’unité et au choix motivé, car affirmé devant tous).

Nous concrétisons alors cet engagement par une lettre rédigée collectivement et adressée à la direction pour obtenir un accord de principe. Cette étape permet d’aborder la lettre et de nous « interdire l’échec ».

 

 La phase d’imprégnation.

C’est l’étape la plus longue mais à mes yeux la plus importante. Il s’agit d’un temps où on ne fait rien ! Enfin, en apparence…

 Durant cette période (idéalement de plusieurs mois, - j’aime prendre le temps de la réflexion), on ne décide rien. Je crois qu’on arrête souvent trop vite des idées qui deviennent alors intangibles : on a décidé donc on ne change plus. Pour moi, il est évident qu’il ne faut que peu souvent changer d’avis : cela donne une impression d’échec, de ‘reculer’,  et l’habitude face aux difficultés de changer plutôt que de persévérer. Dès lors, il est important que les idées arrêtées soient bien réfléchies.

Concrètement, durant ce délai, on continue son cours ‘traditionnel’ avec ce projet toujours dans un coin de la tête. Et surtout, on en profite pour se documenter.

Dans notre cas, ce fut l’occasion d’étudier les contes, les légendes, de parler des jeux que nous aimions, de découvrir l’auteur F. Kiesel (sans entrer dans une analyse littéraire mais juste la lecture de 2 ou 3 légendes) en tenant à disposition un certains nombre d’ouvrages collectés (l’occasion d’aborder les bibliothèques).

 

La phase de réalisation.

début F. Kiesel * sommaire et édito 146

 Il est alors temps de concrétiser : les élèves le demandent (on a suscité leur envie) et le temps presse (l’urgence étant chez moi facteur d’action, - faute avouée à moitié pardonnée) .

Nous avons alors déterminé un scénario à notre jeu. Pour susciter l’imagination, nous avons tenté de créer une fresque sur un principe simple : chacun vient dessiner ce qu’il veut sur la fresque mais avec la contrainte d’appuyer son dessin sur un élément déjà dessiné. Cela donne un ensemble disparate, moteur d’un atelier d’écriture : écrire un récit avec un maximum d’éléments de la fresque. Etrangement, lors de la mise en commun des textes, il est apparu que plusieurs élèves étaient partis dans le même sens, le futur scénario de notre jeu.

Ensuite, il a fallu décider quelle forme prendrait notre jeu, dans notre cas un jeu de plateau.

Est alors venu le long moment où en groupes libres mais fixes (ils se choisissent avec 3 impératifs : ne plus changer, constituer des groupes homogènes en nombre et obtenir un résultat), ils ont créé les diverses étapes du jeu. Chaque groupe devait respecter les impératifs du jeu (nous avions défini comment le jeu se devrait se jouer), allier ses épreuves au monde légendaire de F. Kiesel, concevoir et réaliser des épreuves différentes de celles des autres camarades.

 

La phase de décoration.

 C’est l’étape la plus gratifiante du projet.

Il ne s’agit pas ici de passer du temps à bricoler le jeu mais à concevoir ce qui va le rendre crédible. Aucune étape de construction n’a été réalisée au cours de français : cela aurait pris beaucoup de temps et le découpage-collage-…n’est pas matière du cours. Ces étapes ont donc été réparties selon les compétences et engagements de chacun. Il ne faut pas avoir peur de faire les magasins (pourquoi passer des heures à faire un faux dé quand on en trouve des vierges, bien jolis en bois, pour quelques cents ?). Il faut se rappeler ses objectifs et ses compétences. Ces tâches manuelles auraient idéalement pu être réalisées dans un cours technique, ce ne fut malheureusement pas possible pour nous. Il faut aussi ne pas être dupe : si la conception est en très grande partie le fruit des élèves, les travaux de petites mains se font en dernière minute par le professeur, son entourage et de préférence les nuits avant l’échéance. (Travailler dans l’urgence a ses conséquences).

Dans cette dernière étape, nous avons également rédigé le mode d’emploi du jeu, créé une présentation du jeu, assisté à une conférence de presse, enregistré des légendes lues, testé le jeu, exercé notre faculté à expliquer le jeu…

 Enfin nous avons pu assister au vernissage de cette exposition, où notre jeu était présenté en bonne place, entouré de fiers élèves qui avaient sorti les habits de cérémonie. Autant jouer le jeu des grands …

Et quid du programme ?

début F. Kiesel * sommaire et édito 146

En résumé, pour ceux qui craignent de s’écarter du sacro-saint programme, ce projet a permis d’exercer, d’aborder bon nombre de points de matière.

De manière non-exhaustive,

 

Ecrire-lire

Parler-écouter

La lettre

Le conte

Le texte descriptif (présentation du jeu)

Le texte injonctif (mode d’emploi )

Le texte narratif ( conte, légende, schéma narratif, … )

L’univers de la bibliothèque

La formulation de phrases (surtout déclaratives et interrogatives)

L’échange entre pairs

La communication en situation (registres de langue)

L’interview, la conférence de presse

La lecture oralisée de légendes

L’écoute de textes narratifs (légendes)

Le contage

 

Evidemment, tout projet connaît ses moments difficiles, voire ses échecs.

Nous avons connu notamment la démotivation de certains groupes, la perte de documents, la conciliation impossible de souhaits différents, le manque de temps, le doute et la peur de l’échec, les difficultés logistiques, … Mais tout cela se résout toujours en vertu de l’obligation de résultat : qui n’a pas droit à l’échec trouvera une solution !! Cela n’empêche pas évidemment les erreurs passagères.

 Au terme de se projet, il nous reste notamment un beau jeu fonctionnel pour petits ou grands groupes (de 4 à 30) mais qui stationne dans notre bibliothèque. C’est peut-être le plus grand regret : ne pas avoir su donner vie à ce jeu après l’exposition. Qui sait …

 

début F. Kiesel * sommaire et édito 146

Tu me dis. J'oublie.
Tu m'enseignes. Je me souviens.
Tu m'impliques. J'apprends.

B. Franklin

 

langue maternelle

documents pédagogiques

Activités de langue française dans l’enseignement secondaire * Revue trimestrielle

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