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SOMMAIRE 

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Chaque mois, depuis janvier 2001, la rubrique livre du mois de la page lecture de LMDP présente des ouvrages qui nous paraissent utiles à la formation initiale et continue des enseignants. Pour certains, nous avons exprimé des réserves, voire notre désaccord : chaque fois en toute liberté et dans le respect de nos lecteurs.  

.Il ne s'agira plus seulement de former des lecteurs qui « comprennent » les textes, mais de former des lecteurs capables de réfléchir et de créer. [...] A cette dimension de lecture personnelle, l'école peut ajouter une contribution essentielle, celle de proposer aux élèves de partager leur interprétation du texte.

Jocelyne Giasson, Vie pédagogique, 100

 

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]Présentation plus détaillée à partir de 2002 ]

 2001 

Janvier 

Marie-Anne Couderc, Bécassine inconnue, préface de Jean Perrot, CNRS éd., 02.2000, 993BEF.

[Pour une histoire du féminisme...]

Février

Tzvetan Todorov, Mémoire du mal. Tentation du bien, Laffont, 356 p., 149FRF, décembre 2000. 

[Les idéologies du 20e siècle...]

Mars

Nathalie Heinich, Comment peut-on être écrivain?, éd. La Découverte, coll. Armillaire, septembre 2000, 320 pages, 160FRF 

[Pour saisir à la racine la pulsion de l'écriture...]

Avril

Michel Jarrety (dir.), Propositions pour les enseignements littéraires, PUF, 2000, 192 p., 98FRF 

[Les réformes pédagogiques en procès...]

Mai

Bernadette Bricout (dir.), Le regard d'Orphée - Les mythes littéraires de l'Occident, Seuil, coll. Philosophie, février 2001, 18,29EUR

Juin

Naomi Klein, No Logo, la tyrannie des marques, traduit de l'anglais par Michel Saint-Germain, 566 p., Actes Sud / Leméac, coll. Essais littéraires, avril 2001, 24.24EUR.

Juillet – août  

Philippe Hamon, Imageries, José Corti éd., coll. Essais, mai 2001, 320 p., 140FRF 

[Image et littérature...]

 

2002

retour début

JANVIER 2002

François Laplantine et Alexis Nouss, Métissages. De Arcimboldo à Zombi, Pauvert, 2001, 44,50EUR.

Les auteurs: un anthropologue français et un linguiste canadien. Leur démarche fait penser à Michel Serres, à Emmanuel Levinas: célébrer le métissage comme accueil, écoute, accès à l'horizon de l'autre. Cela, par le biais d'un dictionnaire thématique qui ouvre, de A à Z, c'est-à-dire sans parti-pris d'exclusive - mais aussi sans prétendre à l'exhaustivité - des chemins de métissage. De quoi, pour chacun, "tisser", à la fois, un réseau de parentés et la trame de sa propre identité.

Et ainsi devenir pleinement soi-même, par le détour indispensable de l'ouverture.

 

FEVRIER 2002

Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, LGF, Livre de poche, nov. 2001, 480 p., 7,50EUR.

De A (Abbaye de Créteil) à Z (Zutistes), avec de multiples liens d'une rubrique à l'autre. Voilà qui pourra étoffer la "boîte à outils" de quiconque - élève ou professeur - explore le champ littéraire: courants, genres, écoles, sources, influences... Erudit sans pédantisme, facile à consulter. Pour former des lecteurs futés.

(Et vous avez vu le prix?)

 

MAI 2002

Marie-José Mondzain, L'image peut-elle tuer? Bayard, coll. Le temps d'une question, févr. 2002, 10 €

Évoquer la magie de l'image, c'est  souligner la force d'un média que chacun saisit à travers son vécu, ses peurs et ses désirs. Cette puissance émotive qui nous domine (l'image peut donc tuer?!), c'est par la parole que nous pouvons la transformer en "puissance de jugement". Là où l'émotion retient et enchaîne, la parole met à distance, prend ses distances! Eduquer à l'image, c'est "donner à chacun la liberté de son discernement".

 

JUIN 2002

Alain Finkielkraut, L'imparfait du présent, Gallimard, mars 2002, 283 pages, 17,25 €

Les enseignants de français découvrent en 1981 son Petit Fictionnaire illustré; et l'exploitent (avec excès parfois) dans des ateliers d'écriture. Livre de bonne humeur, qui contraste avec l'humeur grave, voire pessimiste, des ouvrages ultérieurs! Qu'on en juge par les titres: L'Humanité perdue, La Défaite de la pensée, La Mémoire vaine...  

Journal de l'an 2001, sous forme de Pièces brèves,  L'imparfait du présent dénonce la «décivilisation», le laxisme, l'inculture, la démagogie (et là, l'école en attrape!!!). Mais est-ce en jouant au gourou brillant, solennel et misanthrope, et surtout en versant dans la généralisation et l'outrance, qu'on se rend crédible?

 

JUILLET - AOUT 2002

Marcel V. Locquin, Quelle langue parlaient nos ancêtres préhistoriques? Albin Michel, 2002, 208 p., 14,25 €

Biophysicien, paléontologue, linguiste, informaticien... l'auteur part à la découverte des premiers langages articulés à partir d'un inventaire de quelque 30.000 énoncés dans 315 langues, et de l'observation du babil des bébés, ce qui lui permet de relever les combinaisons de phonèmes les plus fréquentes, et de retrouver par conjecture les fossiles phonétiques. On peut être déconcerté par les hypothèses du chercheur, mais on est frappé par la minutie et par la rigueur de l'enquête, par une pluridisciplinarité qui permet d'établir avec plus de force des liens de causalité. La méthode fascine peut-être davantage que les conclusions...

 

SEPTEMBRE 2002

Dominique Schnapper (avec Christian Bachelier), Qu'est-ce que la citoyenneté?, Gallimard, Folio Actuel, 2001, 320 p.,  env. 6 €.

Comment concilier droits et devoirs, liberté et responsabilité, autonomie et solidarité...? Cet ouvrage nous aidera à traiter ces questions en classe, avec l'éclairage d'une mise en perspective historique, illustrée de textes d'auteurs (Aristote, Rousseau, Raymond Aron et quantité d'autres), de documents officiels (de la "Grande Charte de 1215" aux "institutions européennes" actuelles). Citoyenneté: "utopie créatrice" (p. 305), et donc toujours fragile, toujours à (r)affermir. L'école s'engage?

 

OCTOBRE 2002-11-04

Tiphaine Samoyault, L’intertextualité – Mémoire de la littérature, coll.Nathan U, 128 p.

 

NOVEMBRE 2002

François Dubet, Le déclin de l'institution, Coll. L'épreuve des faits, Seuil, 2002, 428 pages, 22€

Ils ou elles, enseignant(e)s, infirmier(e)s, médiateurs..., sont ce que Claude Javeau nomme quelque part des lubrifiants sociaux. Leur tâche, à leurs yeux, est de l'ordre de l'engagement, fondé sur une certaine part d'idéal, voire d'enthousiasme : "la vocation", comme on dit ! Mais voilà, il y a aussi, pour définir, réglementer, unifier leurs tâches, la nécessaire prise en charge par l'institution "à la face sombre et au front obtus" ! D'où, souvent, et de plus en plus, la tension entre celle-ci - en perte de crédibilité - et ceux-là, pris souvent d'un désir irréaliste d'autonomie. 

 

DÉCEMBRE 2002

Bruno Blanckeman, Les fictions singulières, étude sur le roman français contemporain, Prétexte éd., coll. Critique, 2002, 174 p., 12€

Professeur de littérature française à l'Univ. de Caen, l'auteur s’en prend à une critique nostalgique qui mésestime la production romanesque du 20e s. finissant (Echenoz, Quignard, Ernaux, Modiano...) dont il apprécie, au contraire, la vitalité, la diversité, le travail du texte. Son livre comprend trois parties: fictions vives, fictions joueuses, fictions de soi. Cette dernière, où il confronte fiction et vécu et souligne la dérive du nombrilisme - intéressera l'enseignant qui veut amener ses élèves à réfléchir sur le rapport qu'ils entretiennent avec leur propre écriture.

Ce livre fait suite à Récits indécidables, 2000, Pr. Univ. du Septentrion,  et formera un triptyque avec un ouvrage en préparation.

 

2003

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Janvier 2003

Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, PUF, coll. Fondements de la politique, oct. 2002, 384 p, 25€12

Prix 2002 du Jury de Philosophie, l'ouvrage condense une thèse de doctorat soutenue en 2000 sur les politiques de justice de transition pratiquées depuis les années 80 en Argentine, Chili, Uruguay et Afrique du Sud. Comment passer de la violence à la réconciliation, sinon par une "rhétorique du pardon dans un large éventail de textes: discours, débats, textes de loi, dépositions…, par où se construit une entrée en légitimité. Autant de langages en action, dans des situations d'énonciation et des formes d'argumentation variées, à analyser en classe de français. Et ainsi, faire découvrir le pouvoir des mots, tantôt pour avilir l'homme, tantôt pour le remettre debout: un objectif capital de formation à la citoyenneté!

 

Février 2003

Michèle Petit, Eloge de la lecture, Belin, coll. Nouveaux mondes, septembre 2002, 160 p., 15.02€

Elle avait écrit naguère De la bibliothèque au droit de cité, surtout pour revendiquer l’accès gratuit des jeunes aux bibliothèques, au nom du droit de tous à accéder au savoir, au déploiement de l’imaginaire, au partage de la culture, au développement de l’esprit critique, à la connaissance de soi – de son irremplaçable singularité - aussi bien qu’à l’ouverture aux autres. Éloge de la lecture est une récidive, où elle cite des témoins de divers milieux sociaux, et souligne la responsabilité de l’école dans la formation de lecteurs éclairés. Prenons-en de la graine !

 

Mars 2003

Thomas Pavel, La pensée du roman, Gallimard, coll. Essais, févr. 2003, 22,50€

Vaste panorama : le roman dans l’ensemble de l’Europe et même au-delà, et depuis les fictions de l’Antiquité jusqu’à nos jours ! L’éude porte moins sur l’écriture que sur la représentation (la pensée...) de la fiction : distance ou proximité par rapport au réel, au milieu, au vécu. Autre originalité, l’auteur distingue subtilement les initiateurs qui ne sont pas nécesssairement les meilleurs, les plus reconnus dans une forme qu’ils créent ou renouvellent, et d’autre part les grands auteurs... par exemple, Huysmans par rapport  Proust.

Français d’origine roumaine, l’auteur enseigne la littérature à Chicago.

 

Avril 2003

Michel Barlow, L’évaluation scolaire, mythes et réalités, coll. Pédagogies, dir. Philippe Meirieu, ESF éd., janvier 2003, 192 p. 22,70€

Une pratique correcte de l’évaluation scolaire prend appui sur une relation singulière – chaque élève est unique ! -  moins soucieuse de juger le passé que de construire l’avenir. Elle évite donc toute forme de domination, voire d’intimidation, dans un rituel qui la pervertirait en bureaucratie, voire en procédure judiciaire. L’élève considère alors l’enseignant comme cheminant avec lui et pour lui, et faisant sur lui le pari d’une réussite, si modeste soit-elle.

Homme de terrain – il a enseigné au collège, au lycée, à Lyon II, à l’Institut Supérieur de Pédagogie de Paris... – l’auteur nous rappelle que la pédagogie est d’abord une éthique.

 

Mai 2003

David Mc Neil, Quelques pas dans les pas d'un ange, Gallimard, 2003, 152 pages, 14,50€.

Fils de Marc Chagall, citoyen russe naturalisé français, et d'une mère anglaise, il a pris le patronyme de son oncle, ne voulant pas tirer avantage de la célébrité paternelle... Mais David aime Marc! Avec ferveur! Et il lui dédie ce livre, un mixte savoureux de souvenirs et de fictions, où le père n'est jamais nommé autrement que papa. Une découverte, pour ceux qui ne le connaissent que comme le créateur de chansons célèbres, Mélissa pour Julien Clerc, J'veux du cuir pour Alain Souchon, Souvenez-vous, Louisa pour Yves Montand... La découverte d'un homme "vrai", ennemi de l'esbroufe et du narcissisme, jongleur de mots et témoin lucide de son époque.

 

Juin 2003

Catherine Millet, Riquet à la Houppe, Millet à la loupe, Stock, mai 2003, 96 p., 7,03€

Le projet de l'éditeur: mettre côte à côte le conte de Perrault et sa réécriture! Belle illustration du fait que l'écriture s'approprie le cliché du conte (ce qu'indique le titre paronymique) pour s'en échapper en y mettant son propre style; car il y a toujours un écart entre le vécu et le conte: la vie contredit le conte.

Réécriture que traverse la question sur beauté et laideur et où l'auteure se place sous la loupe du lecteur-voyeur.

C. Millet dirige ArtPress et a publié chez Flammarion en 1998 L'art contemporain en France - 343 p. 

Même collection: Christine Angot, Peau d'âne, mai 2003

 

Juillet-août 2003

Bernard Stiegler, Passer à l'acte, Galilée, juin 2003, 80 pages, 13,06€

Pour être un jour passé à l'acte, l'auteur a écopé de cinq ans de tôle, de 1978 à 1983. Ce qu'il écrit ici n'est pas la chronique d'un crime et d'une incarcération; c'est le récit d'un autre 'passage à l'acte' qui continue à s'opérer de jour en jour et qu'il appelle "mon devenir-philosophe": de la transgression à reconstruction de soi. 

En filigrane, l'image de Socrate, son maître lointain, prêt à philosopher à mort.  

 

Régis Debray, Le feu sacré - Fonctions du religieux, Fayard, avril 2003, 400 pages, 22,10€ 

Les enseignants connaissent sans doute son  rapport  L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque (Odile Jacob, 2002) établi  à la demande de Jack Lang. Le fait est là, à la fois massif et subtil: la réalité de l'homo religiosus; une réalité à considérer sans préjugés, parce qu'elle est dans la mémoire et les pratiques communes, et aussi - voilà qui est original dans Le feu sacré - parce qu'elle peut éclairer notre perception du profane.

 

Septembre 2003

Laurent Gervereau, Histoire du visuel au XXe siècle, coll. Points Seuil, mars 2003, 544 p., 10,55€.

"Le poids des mots, le choc des photos"... Le décodage idéologique du texte gagne certainement à être pratiqué en parallèle avec celui de l'image: nos élèves, en effet, ne sont-ils pas bien davantage - et sou­vent à leur insu - sous le coup du visuel...? Il s'agit de mesurer quelle est la prise de pouvoir de celui-ci dans le champ de la politique, de la consommation. Dans un décryptage d'images qui va de Dreyfus à l'impérialisme de la télévision, l'auteur donne une leçon d'humanisme et de rigueur de méthode.

 

Octobre 2003

Le partage des savoirs * XVIIIe-XIXe siècles, Collectif (Lise Andries, Gilles Denis, Andreas Gipper, Florence Lotterie et al.), , Pr. univ. de Lyon, coll. Littérature et idéologies, 09.2003, 294 p. 22,10€

Les auteurs remontent au rêve encyclopédique de Diderot et d'Alembert pour observer comment, depuis les années 1750, la transmission du savoir, surtout scientifique, s'opère dans et par la littérature. Cette pédagogie par la lecture répond au credo d'une société émancipée par la science, à l'intérêt pour le 'personnage homme de science', héros de Balzac, de Zola, de Jules Vernes, jusqu'aux ingénieurs, aviateurs, informaticiens de nos romans d'anticipation. Elle apparaît aussi dans le rôle 'instructif' assigné à la description: on en apprend sur cent domaines, mine, banque, pêche en haute mer, architecture, médecine, astronautique... 

 

Novembre 2003

Michel Schneider, Morts imaginaires, Grasset,  Prix Médicis de l'essai 2003, 19€

De Montaigne à Truman Capote (Dumas, Nerval, Marcel Schwob, Baudelaire, Rilke, Nabokov...): des écrivains de toutes sensibilités nous introduisent dans une réflexion sur la mort, non pas à partir d'un 'mot de la fin', qui serait ultime message ou ultime clin d'oeil, souvent imaginé après coup, et tellement dérisoire et anecdotique... mais à partir de leur oeuvre elle-même, dont le langage dévoile en clair ou en filigrane une approche de la mort en même temps qu'elle parle de la vie. Présence de la mort dans le langage! Voilà un ouvrage d'une brillante érudition, tout proche de l'intime des auteurs, et qui se lit comme une confidence sereine et grave. 

 

Décembre 2003

Philippe Breton, La parole manipulée, La Découverte, rééd. 2000, 224 p., 7,50€.

Intox, désinformation, amalgame, simplification, séduction idéologique, pénètrent masqués dans les discours guerriers, racistes, populistes. Et certaines publicités ne sont pas en reste! Il faut résister en démasquant: enjeu capital pour l'institution scolaire qui forme à la liberté - et il n'est pas de liberté sans clairvoyance. Chercheur au CNRS de Strasbourg, l'auteur inventorie les ressorts de la manipulation dans un ouvrage à la fois rigoureux, dense et clair. Excellent outil pour l'enseignant! 

Référence Bibliothèque 27 Septembre: *F9985 A/20*

 

2004

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Janvier 2004

Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, coll. "Biographies N.R.F.", Gallimard, 2003, 743 p., 31,50€

Victor Martin-Schmets, secrétaire de rédaction de Que vlo-ve?, bulletin international des études sur Apollinaire, nous confie son appréciation :

« Ce livre est merveilleux par sa précision biographique et par son écriture. Il fallait oser affronter le monstre Michaux en termes de biographie et de rapprochement entre le poète et l'homme, dans une langue d'une modernité étonnante; ce n'est pas le style habituel du genre. Martin est d'ailleurs à la fois écrivain et professeur d'université. C'est rare. Le biographe a réalisé un chef-d'oeuvre et je n'imaginais pas qu'il aboutît à un pareil résultat. Il y avait longtemps que je n'avais plus lu une biographie intéressante. Sa lecture n'est pas toujours facile, mais ne sont-ce pas les livres les plus difficiles à lire (quand ils sont bons) qui sont les plus enrichissants?» 

 

Février 2004

Thierry Maricourt, Ateliers d'écriture: un outil, une arme, L'Harmattan, octobre 2003, 278 p., 16,15€

L'écriture, il connaît! Il l'enseigne à Arras à l'école d'éducateurs, aux détenus de Lioncourt, aux gens du voyage, en CM1, en CM2, en 6e, aux ados ou  adultes de Chaumont, de Lille, de Doullens, ces derniers - aimable provocation! - se prénommant les Sauvageons. 

Les  milieux défavorisés, il connaît: il est né dans le quartier des 4000 à la Courneuve ... Et sait donc de quoi et de qui il parle. Faire écrire sans écrire lui-même, pas question! Se mettre dans la peau des apprenants, faire émerger du groupe des idées et des consignes d'écriture: indispensable! 

"Je veux que les gens se réapproprient leur vie. (...) L'écriture leur permet de se remettre debout." 

 

Mars 2004

Lucien X. Polastron, Livres en feu. Histoire de la destruction sans fin des Bibliothèques, Denoël, janvier 2004, 432 p. 20,90€

Ça s'est passé à Bagdad en 2003 lors de la "libervasion" anglo-américaine de l'Irak: musées et bibliothèques saccagés. Une page sombre de plus dans la longue chronique des richesses culturelles anéanties. L'auteur, éminent sinisant et arabisant, spécialiste de l'histoire du papier et de la calligraphie, énumère les désastres: Alexandrie, Rome, Ctésiphon,  Bagdad (1258 par les Mongols, puis 2003), Inquisition, réforme Luthérienne,  Louvain (16 mai 1940), Dresde, Sarajevo (1992)... ruines fumantes de trésors sans prix. On partage évidemment l'émotion indignée du savant. Mais on le suivra moins sans doute quand il s'en prend durement à l'édition numérisée qui menacerait, selon lui, la production 'papier'.

 

Avril 2004

Pierre Jourde et Eric Naulleau, Le Jourde & Naulleau. Précis de littérature du XXIe siècle, éd. Mots & Cie, 216 p., 13, 50 €.

Paru début 2004, mais daté du 1er avril 2004.. (tiens, tiens!), voilà un décoiffant pastiche des Lagarde & Michard qui hantèrent les lycées de France et d'ailleurs. Alexandre Jardin, Bernard-Henry Lévy, Madeleine Chapsal,  Philippe Labro, Philippe Sollers  et quelques autres sont épinglés, objets de farfelus curriculums, questionnaires, sujets de devoirs, avec leurs corrigés.

P. Jourde enseigne à Grenoble III, a publié entre autres La Littérature sans estomac (Prix 2002 de la critique de l'Académie française). E. Naulleau est co-auteur avec P. Jourde de Petit déjeuner chez Tyrannie (2003).

 

Mai 2004

Claude Mesplède (dir.), Dictionnaire des littératures policières, éd. Joseph K., 2003, 2 vol. (1800 p.), 50 € chacun.

Son érudition en matière de polar est incontestable! Déjà en 1982, son Voyage au bout de la nuit noire inventoriait pas moins près de 800 livres ou films policiers. Ici, plus de 2000 écrivains nous sont présentés. C'est le travail énorme d'un passionné, capitaine d'une brillante équipe de quelque 70 collaborateurs. 

 

Alain Créhange, Le pornithorynque est un salopare, Dictionnaire de mots-valises, éd. Mille et Une Nuits, 2004, 2,50 €.

Il y aura toujours un grincheux qui dira A quoi bon y perdre son temps, ne sachant pas qu'exercer la créativité lexicale éclaire la réflexion sur la langue, affine la sensibilité poétique, favorise l'indispensable prise de distance par rapport au réel. Vous n'avez pas de sou? Ouvrez http://perso.wanadoo.fr/alain.crehange 

 

Juin 2004

Anne Cauquelin, L'Exposition De Soi : du journal intime aux webcams, EsHel éd., coll. Fenêtres sur..., 2003, 96 p., 15 €

Nous existons dans le regard de l'autre. Berkeley, l'évêque philosophe irlandais, a exprimé cela dans une formule saisissante: Esse est percipi. 

L'écriture est miroir de soi, une façon d'advenir à soi-même, d'exister dans son propre regard; et c'est particulièrement intense dans l'écriture de soi qu'est le journal intime, même s'il n'est pas publié. De cet écrit  à l'exhibition des blogs et des webcams, il y a un lien, une continuité, qu'Anne Cauquelin étudie avec le regard éclairé du philosophe et du sociologue! 

Ces pratiques proliférantes de dévoilement sur la toile ne seraient-elles pas, en définitive, un moyen de vaincre le doute sur son existence? 

 

Juillet 2004

Paul Ricoeur, Sur la traduction, Bayard éd., 2004, 120 pages, 9,90€ 

Traduire, étymologiquement: mener au delà, c'est-à-dire, par le biais d'une autre langue, guider le lecteur vers un autre univers de pensées et de représentations. Le travail de traduction est doncde rendre communicables l'une à l'autre des cultures: c'est bien plus qu'un problème - verbal - de 'traductologie', c'est un projet d'hospitalité, d'ouverture, de fraternité. 

Paul Ricoeur - pas étonnant pour qui connaît ce familier de la Bible! - nous ramène ici aux origines de l'humanité telles que la Genèse nous les expose, notamment au récit de la tour de Babel: la contrepartie de la disperson et la confusion, c'est précisément... la traduction, l'accès à l'autre, accueil et  reconnaissance de l'autre... Ce que l'auteur rapproche du récit de Caïn et Abel où il apparaît que la consanguinité n'est plus le principe de la fraternité, mais que celle-ci est à construire: vaste chantier, sans cesse relancé! 

 

Août 2004

Philippe Turchet, Codes inconscients de la séduction, éd. de l'Homme, 2004, 188 p, 18€

Attention: il y a dans votre cerveau des commandes qui régissent vos gestes, votre mimique... Le corps est donc, sans doute à votre insu, porteur de sens. Et la synergologie, c'est ça: une méthode de lecture du langage non-verbal inconscient. 

Corps porteur de sens, mais aussi porteur de séduction! 

Attention, donc: votre visage peut être séducteur, ou séduit, votre main peut tracer sur le visage des signaux clairs; surveillez aussi vos coudes et vos poignets!

Fondateur de la synergologie, Philippe Turchet nous montre sur son site Internet quelques mini-vidéos destinées à entraîner votre adhésion... Mais vous vous prenez pour raisonnable et vous êtes sceptique. Vous n'avez peut-être pas entièrement tort.

 

Septembre 2004

Michel Adam, Essai sur la bêtise, La Table Ronde, rééd. 2004, 253 p. 8,50€

On peut avoir pitié de la bêtise. Il y a en effet des imbéciles heureux qui savent vivre de peu; entendons: de peu d'intérêt et d'appétit pour élargir l'éventail de leur connaissance. Ils aiment les idées simples; leur bonheur est d'être sourds.

On doit avoir peur de la bêtise: la méchanceté - et bien vite l'oppression - naissent du refus de confronter son savoir au savoir d'autrui. Méfions-nous donc de celui qui ne doute de rien, et pour qui tout va de soi.

Michel Adam, brillant philosophe (il est le spécialiste incontesté de Malebranche), sait allier rigueur, émotion et humour dans l'approche de la bêtise. Mais il nous invite aussi à rentrer en nous-mêmes: en chacun de nous est tapi un imbécile heureux en puissance. Ceci fait écho au G???? sa?t?? de Socrate: savoir débusquer en soi ce qui pourrait nous rendre bêtes et méchants! Il y faut de la modestie.

 

Octobre 2004

Christian Krumb, L'âge d'or du tableau noir, Les Belles Lettres, 2004, 472 p., 24€ 

L'auteur a d'excellents atouts pour présenter cette anthologie de textes littéraires sur la communale des 19e et 20e siècles - de Condorcet à Jules Ferry: il est historien, il connaît les ados en décrochage pour qui il anime des ateliers de lecture-écriture. 

Les auteurs convoqués sont de tous bords, de toutes régions: Chateaubriand, Flaubert, A. Daudet, Renan, Lavisse, Vallès, Alain-Fournier, Pergaud... 

Sous la petite histoire des communales, la Grande Histoire: le projet de citoyenneté républicaine souvent teinté d'anticléricalisme, de patriotisme revanchard après 1870.... Et, du côté des souvenir d'enfance: la nostalgie des rêves, des espiègleries.

Voilà un document propre à ébaucher une histoire du regard sur l'école, et - pourquoi pas! - de confronter ce regard à celui des élèves d'aujourd'hui. 

Beau sujet pour un débat en classe!

 

Novembre 2004

Lise Gauvin, La fabrique de la langue, Seuil, coll. Points-essais/Inédits, 352p., 2004, 10€

Le livre n'est pas à proprement parler l'histoire de la langue française mais plutôt celle des rapports entre celle-ci et la littérature: comment les écrivains - du moyen âge à aujourd'hui - ont-ils considéré leur usage de la langue, entre purisme et liberté créative, entre conformité et transgression.

Peut-être en raison même de sa position hors de l'hexagone, la linguiste québecoise qu'est Lise Gauvin est-elle bien placée pour voir comment de nombreux auteurs ont comme 'mis en scène' la vie de la langue, ont littérarisé (ce verbe revient quelquefois sous sa plume) les langages de leur époque. Quelques privilégiés dans son analyse: Rabelais, Hugo, Céline, Queneau..., et surtout - pour d'heureuses découvertes! - les auteurs d'aujourd'hui, belges (au passage, un joli hommage à J.-P. Verheggen!), suisses (Ramuz...), québecois (Tremblay...), créoles (Glissant...), africains (Khatibi, Ahmadou Kourouma...).

 

Décembre 2004

Michel Serres, Rameaux, Le Pommier éd., 2004, 240 p., 22€

Michel Serres aime parler en images pour donner saveur à ses propos sur l'éducation, la vie en société, la recherche scientifique, le bonheur, la souffrance... Deux images, tout particulièrement, éclairent son exposé: celle du rameau, qui figure à la fois enracinement et aventure, richesse et fragilité, et aussi diversité dans la multiplicité: aucun rameau pareil à l'autre! D'où le pluriel du titre. Chaque humain est unique. Et aussi l'image de la bifurcation, métaphore du cheminement et du métissage sans lequel l'humain aboutit à l'impasse: Fonds ton âme en tant d'appartenances qu'une nouvelle culture ne t'effraiera pas.

Michel Serres refuse une philosophie formatée, limitée à l'analyse et au commentaire: "C'est un corset qui empêche d'inventer." 

Inventer en multipliant les horizons de la recherche (il est un fervent défenseur de la pratique interdisciplinaire)! Pas étonnant qu'il voie ses modèles dans Jules Verne et dans... Tintin, héros avides de découverte et d'explication.

 

2005   

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Janvier 2005

Thierry Legay et Laurent Raval, 500 jeux avec les mots, Larousse, 2004, 415 p., 19 €

Dangereux, ce titre! Car il est des enseignants pour qui tout jeu est exclu de la pratique pédagogique: «Perte de temps, disent-ils; pas question de faire l'amuseur Ce livre, pas pour nous!» 

C'est mépriser Rabelais, pour qui le jeu est occasion d'apprendre. Que de choses à observer dans le fonctionnement de l'anagramme, de l'anaphore, de l'homophonie, du zeugme, de la périphrase, de la paronymie...: l'occasion de fixer des notions et de développer des capacités en matière de lexique, de stylistique, de syntaxe, d'orthographe. 

En outre, dans le jeu de la langue, l'idéologie pointe vite le bout de son nez: nos élèves y mesureront le poids des mots  (Prendre la parole, c'est prendre le pouvoir.) Pour former des citoyens éclairés et agissants, ce jeu vient donc bien à propos.

En résumé: 110 entrées, d'abécédaire à zeugme, 500 jeux avec leurs solutions, des dizaines d'auteurs et artistes cités comme témoins.

Un cadeau à s'offrir pour 2005!

 

Février 2005

Elie Wiesel, Le temps des déracinés, Seuil, coll. Points, 2004, 314 p.

Qui ne connaît ces lieux sinistres: Auschwitz, Treblinka, ghetto de Darawosk, goulags, cachots franquistes, Budapest sous les SS puis sous les chars soviétiques, charniers de Bosnie ou du Rwanda? Et demain, quels autres lieux?! 

Par le détour de la fiction, on revit avec quelques rescapés la fureur exterminatrice qui les a marqués à vie, les a voués l'errance, de Vienne à Paris, au Maroc, à New York: Diego, Bolek, Iasha, Shalom, Gad et surtout Gamliel, héros du roman, qui se confie à son livre secret. "Aucun d'eux n'oubliait son passé d'immigré à la recherche d'un paradis perdu. Ils aimaient se rencontrer pour célébrer la solidarité des déracinés et la divinité du rire." (p. 162)

Tout petit, Gamliel a perdu père et mère envoyés au camp de la mort; Ilonka, chrétienne de Budapest, a pris le bambin sous sa protection: Gamliel est devenu Peter pour 'faire baptisé'. Ça commence comme ça... Et la quête avide de Gamliel sera de retrouver Ilonka. Ne serait-ce pas elle, cette H

 

Mars 2005

Chistiane Chaulet-Achour (dir), Les 1001 nuits et l'imaginaire du XXe siècle, L'Harmattan, janv. 2005, 248 p., 21€

Ali Baba et les quarante voleurs, Aladin et la lampe merveilleuse, Sindbad le Marin... ces récits, et bien d'autres, tirés des Contes des Mille et Une Nuits, hantent l'imaginaire européen, depuis qu'Antoine Galland en entreprend la traduction au début du 18e siècle (1704-1717). Une équipe d'universitaires dirigée par une éminente spécialiste de la littérature arabe et des écrits de femmes analyse la dimension intertextuelle de ce chef-d'oeuvre du conte oriental. Réminiscence, remémoration, clin d'oeil, réemploi, parodie... les traces sont multiples et multiformes, aussi bien dans les genres nobles (voir par exemple les nombreuses traces de la caverne d'Ali Baba dans A la recherche du temps perdu) que dans le champ de la BD, du cinéma, de la musique. Voilà un excellent ouvrage, où l'enseignant de français découvre quantité de pistes à proposer à ses élèves pour leur faire découvrir ce ressort constant de toute littérature qu'est l'intertextualité.

 

Avril 2005

Alberto Manguel, Pinocchio et Robinson: pour une éthique de la lecture, Escampette éd., 2005, 80 p., 12€.

Merci à l'éditeur! Il a eu le flair de regrouper dans un petit livre trois textes précieux d'un expert de la lecture: Comment Pinocchio apprit à lire [...mais ne devint pas lecteur], La Bibliothèque de Robinson [l'exploration comme métaphore de la lecture], Vers une définition du lecteur idéal. 

Il ne suffit donc pas de savoir lire, il faut devenir lecteur! C'est-à-dire explorateur, le texte n'étant là que pour accéder à un labyrinthe d'allusions, de citations, de clins d'oeil, de souvenirs. 

Lire, c'est alors relire, converser, échanger, être attentifs à la voix des autres.

L'enseignant de français - de la maternelle à l'Université - trouvera dans cet ouvrage de quoi construire de tels lecteurs. 

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 Mai 2005

Alain Joannès, Communiquer par l'image, Utiliser la dimension visuelle pour valoriser sa communication - Dunod, 2005, 224 p., 24 €.

Journaliste, conseiller en communication, l'auteur fait part de sa pratique et surtout de ses réflexions sur la valeur référentielle et symbolique de l'image, surtout de l'image de marque dont il analyse des dizaines d'exemples: comment s'associent, pour engendrer l'image, le projet de l'entreprise et l'expertise du 'créatif'. L'image informe, prend en compte l'imaginaire, les affects, la mémoire individuelle ou collective: autant de paramètres variables d'une culture à l'autre. L'auteur regrette que l'image soit souvent sous-exploitée, notamment dans les médias francophones; il déplore tout autant le peu d'effort déployés dans l'éducation

 

Juin 2005

Pierre Schoentjes, Poétique de l'ironie * Seuil, coll. Essais, 2001, 348 p., 8.80€

L'ironie existe, tantôt subtile et délicate, tantôt amère et dévastatrice... mais comment définir la posture et le langage de celui qui pratique ce genre multiforme? 

L'ironiste serait un idéaliste en ce qu'il croit à la perfectibilité de l'homme dans un double mouvement de distanciation et de foi, de blâme et de louange (p. 87), poussé par la nostalgie d'un monde idéal  (p. 248). Il affectionne la prétérition, l'épitrope, l'hyperbole, l'antiphrase... et autres figures créant un écart entre le dit et le signifié, sollicitant la vigilance du lecteur. L'ironie (voyez le titre!) apparaît donc comme une p???t??? - "travail et jeu" sur le langage; elle relève du ludique et son sérieux est celui du jeu (p. 212).

Le professeur de français en quête de fondements théoriques, de repères historiques, de documents textuels (d'Aristote à Raymond Queneau...), tirera grand profit de ce remarquable essai, assorti d'une bibliographie de quelque deux cents ouvrages.

 Bibl.Espace27Septembre:F9431A/467

 

Juillet-août 2005 * Six livres pour vos grandes vacances

Idéologies en tous sens... Eveiller chez l’élève la vigilance et l’esprit !

Lectures sérieuses pour vos vacances

(dont nous avons à dessein varié les genres: essai, récit, pamphlet, lexicographie..., et les horizons: France, Roumanie, Allemagne...)

 

Victor Klemperer, Lti, [Lingua tertii imperii] La langue du IIIe Reich, Pocket éd., coll. Agora, 2003 (rééd. de la version de 1947), 375 p., env. 10€. 

Comment une idéologie s'est développée dans une façon de manier le langage, de répandre, d'accréditer des "façons de dire" et de juger. Le poids des mots...! L'auteur: né en 1881, fils de rabbin, professeur à l'Université de Dresde, destitué de son poste en 1935, devient simple manœuvre. Son journal, établi depuis 1933, est un document essentiel pour l'histoire du nazisme. (L'édition de 1996 est disponible à la Bibliothèque Espace 27 Septembre de la Cté fse de Belgique: F 31878 B/21)

 

Yves Michaud, Chirac dans le texte, Stock, 2004, 200 p., 21 €. 

Une lecture... plutôt critique des discours et déclarations politiques de Jacques Chirac depuis 1967, par un philosophe engagé, fondateur de l'Université de tous les savoirs.

 

Hélène Risser, L'Audimat à mort, Seuil, 2004, 270 p., 15.20€ (pour les prisonniers de la télé!). 

La tentation de divertir plutôt que d'informer...

Constantin Salavastru, Le pouvoir du discours et le discours du pouvoir, L'Harmattan, févr. 2005, 217 p., 19€ 

[la complicité entre l'art de parler et l'art de gérer]. Existe en version e-book. Spécialiste de la rhétorique contemporaine et de son emploi par le pouvoir, son expérience est surtout celle d'un Roumain ayant subi le régime et les armes de propagande de Ceaucescu: complicité entre art de parler et art de gérer.

 

Thérèse Mercury, Petit lexique de la langue de bois, L'Harmattan, 2001, 199 p., env. 17€ (téléchargeable: 8€.)

 

Jean-Paul Nozière, Maboul à zéro, Gallimard jeunesse, coll. Scripto, 157 p., 8€, 2003. 

Récit contre le racisme. Pour lecteurs adolescents. Comment intéresser les jeunes à la politique.

 

Septembre 2005

François Dubet, L'école des chances. Qu'est-ce qu'une école juste ?, Seuil, 2004, 11€

Il faut le reconnaître: les propos et les pratiques de certains enseignants (peu ou davantage selon les lieux) entretiennent dans l'opinion publique une perception de l'école comme lieu de compétition... Et tant pis pour les vaincus!

Pour François Dubet, l'égalité des chances offerte à chaque élève est une exigence démocratique. Cela se fera par davantage de différenciation, de (re)connaissance et de valorisation des possibilités de chacun, d'aide au projet personnel du jeune, de concertation dans l'équipe éducative... 

Tout cela ne nous rappelle-t-il pas que la pédagogie est aussi - d'abord - une éthique?  

 

Octobre 2005

François Jost,,Comprendre la télévision * Armand Colin, coll. '128', 2005, 9€

La Télévision du quotidien. Entre réalité et fiction * De Boeck-INA, 2004, 25€ 

Il faut aider nos élèves à se former une attitude critique devant la petite lucarne. Mais comment faire? Ces deux études, d'un éminent spécialiste de l'image, pourront nous y aider, nous professeurs de langages divers, qui apprenons aux jeunes à distinguer esbroufe et consistance, information et conditionnement. 

Faute de quoi, il y a grand risque de passivité, de crédulité : où en est, alors, cette citoyenneté responsable que nous devons développer chez nos élèves?

 

Novembre-décembre 2005

Marie-Louise Ténèze, Les contes merveilleux français - Recherches de leurs organisations narratives, éd. Maisonneuve & Larose, 2004, 164 p, 15€.

Cet ouvrage, qui a reçu le Prix 2005 de l'Essai, tire parti de la classification des contes populaires de Aarne et Thompson (3000 contes répertoriés). L'auteure entreprend de vérifier si les 'fonctions' de Vladimir Propp (Morphologie du conte, 1928) peuvent s'appliquer aux contes merveilleux français. Une hypothèse assez séduisante est formulée au terme de son étude: celle d'une structure narrative en deux mouvements qui caractériserait un grand nombre de ces récits. Cette étude rigoureuse éclairera sûrement l'enseignant de français soucieux de faire découvrir la richesse de l'univers des contes.

 

2006

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Janvier 2006

Enzo Traverso, Passé, mode d'emploi - Histoire, mémoire, politique, La Fabrique, 2005, 14€, 136 p.    

Comment l'homme d'aujourd'hui remémore-t-il le passé, et y trouve appui pour construire ou rejeter une opinion, justifier ou blâmer un projet de société? 

La réponse à cette question est le fil conducteur de l'ouvrage. Éminent analyste des mémoires nationales - France, Italie, Allemagne, pays anglo-saxons... - l'auteur souligne le rôle de historien, investigateur du passé ainsi que de la mémoire collective d'un peuple. La shoah n'est évidemment pas absente de son champ d'observation, ainsi que d'autres formes de fascisme ou de totalitarisme toujours bien vives dans nos souvenir, et susceptibles encore de menacer les démocraties. 

Un livre riche et dense, qui sera bien utile à l'enseignant soucieux de montrer aux jeunes comment le passé reste à l'oeuvre dans les débats d'aujourd'hui!

page 58 :

On arrive ainsi au paradoxe de la création d’un musée fédéral de l’Holocauste, consacré à une tragédie consommée en Europe, alors que rien de comparable n’existe pour les deux expériences fondatrices de l’histoire américaine que sont le  génocide des Indiens et l’esclavage des Noirs.

 

février 2006

Dominique Bucheton & Jean-Charles Chabanne, Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire - L'écrit et l'oral réflexifs, PUF, 2002, env. 24 €

Depuis les années 1990, la recherche théorique et les expériences sur le terrain mettent de plus en plus en évidence le rôle de la parole et de l'écrit dans les apprentissages scolaires et plus largement dans la construction de la personne. Ce qui frappe dans les relations d'expériences rassemblées par les auteurs pour illustrer leur propos, c'est  le déplacement qui s'opère du domaine du linguistique au domaine de la relation (p. 7): penser, apprendre, se contruire, se font dans l'interaction, de bout en bout (p. 8). "Relation", "interaction"... l'accent est mis sur l'attention portée à la personne dans l'échange langagier. Il est salutaire de rappeler la nécessité d'aller bien au-delà d'un souci d'évaluation formelle! 

 

Mars 2006

François Bégaudeau, Entre les murs, Ed. Verticales, janvier 2006, 272 p. 16,9€

C'est le livre d'un vrai prof dans un vrai collège: il enseigne le français dans une 4e du 19e en ZEP! C'est la rentrée et le voilà, pour un an, entre les murs, face à 25 ados. Lui, le lettré; eux,  usagers d'une langue dont il reconnaît la richesse, la force d'expression. Lui, dans sa gauloisitude, comme l'ensemble des collègues; eux, de souches diverses, arabe, noire, asiatique... française parfois. Lui, le lecteur expert; eux, pour qui les livres sont plutôt affaire de gonzesse. Quelle sera sa capacité de résistance? Résister, sans se draper dans l'indignation, dans la distance, mais en assurant le contact, la proximité, l'écoute; et savoir surtout que l'infini est possible par la parole. 

Voilà un témoin, un vrai. Et c'est pour cela que son propos - subjectif forcément, partial peut-être - intéressera les collègues que nous sommes. 

 

Avril 2006

Jean-Claude Guillebaud, Le goût de l'avenir, Seuil, 2003, 360 p., 21,50€

L'avenir se décide au présent, et c'est une question de choix et de refus! On songe à Antigone, rejetant l'ordre établi par Créon: récuser toute idée de fondements, de valeurs communes ou de dignité de l'homme ne revient-il pas à désarmer, par avance, les futures Antigone qui pourraient se dresser contre l'injustice "légale" de l'ordre établi? (p. 99). 

L'auteur plaide pour un humanisme d'ouverture (je suis redevable à l'autre de ce que je suis - p. 123), de tissage de liens (ce qui n'a rien à voir avec les liens hertziens du loft intersidéral! v. p. 140), d'insoumission aux vendeurs de désirs, aux camelots de l'épanouissement de soi (p. 280), et surtout de rejet de cet inespoir - le mot est d'Albert Camus (v. p. 341) - résigné à l'inéluctable, écartant l'idée que l'homme puisse être le maître de son destin.

Or, le propre de l'homme est la volonté! Il ne sait vivre et penser qu'en avant de lui-même (p. 356).

 

Mai 2006

Chantal Foucrier, Les Réécritures littéraires des discours scientifiques, textes présentés par -, Michel Houdiard éd., janvier 2006, 375 p., 30€.

Professeur de littératures comparées à l'université de Rouen, elle publie ici les résultats du colloque tenu en 2001: au total 31 études.

C'est une observation des mécanismes d'écho, de réemploi, de connivence ou de tension entre sciences et littérature, entre les cultures, entre les époques. 

Pour nous, enseignants de français; c'est surtout une imposant aperçu de textes, de l'Antiquité à nos jours. Preuves à l'appui, nous voyons comment l'imaginaire peut se nourrir du discours sur le réel, le mesurable, le codifiable. Quelques exemples, pour une mise en appétit:  d'Aristote à Virgile, l'élevage des abeilles - Sade interprète de la science matérialiste - Marivaux et le sensualisme - Flaubert lecteur du Docteur Savigny - de la clinique au roman chez Huysmans - la science dans Le pendule de Foucault... 

Comment sciences et littérature questionnent le monde et son destin: c'est sans doute le précieux fil conducteur de cet imposant ouvrage. 

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Juin 2006

François Dosse, 

Le Pari biographique - Écrire une vie, Editions de La Découverte, 2005, 480 p., 29€

C'est un livre savant - au sens sympathique du terme - c'est-à-dire ni pédant ni jargonnant, mais érudit, rigoureux, et d'un style agréable. De Plutarque à nos jours, la réflexion porte sur le côté pari du texte biographique: pari du choix éclairé entre reportage et écriture littéraire, entre parti-pris et objectivité.

L'auteur observe également les raisons de l'intérêt croissant d'un vaste public pour la biographie. Et pourquoi? Besoin d'un héros à qui s'identifier, à introduire dans son Panthéon personnel? Désir de découvrir et de comprendre une époque à travers ses acteurs ? Ce 'produit' se vend bien! Et cela tente un auteur, journaliste ou romancier, Jean Lacouture ou André Maurois, par exemple...

Cet excellent ouvrage sera bien utile au professeur de français, entre autres pour faire découvrir à ses jeunes lecteurs comment se construit la biographie, quelle est l'instance - ou la distance - de l'auteur, à quoi tient le goût d'un large public pour ce genre d'oeuvre.

 

Juillet-août 2006- Lecture de vacances

Ecrire...

Anne-Marie Trekker, Les mots pour s'écrire. Tissage de sens et de lien, L'Harmattan, 2006, 170 p., 15€ 

Le récit de vie, outil à la fois subversif et créatif contre les dérives totalitaires et manipulatrices, est présenté ici par une praticienne des ateliers d'écriture, observatrice avisée de tout ce qui est écriture de soi chez les écrivains.         

Lire...

Marc Fumaroli, Exercices de lecture - De Rabelais à Paul Valéry, Gallimard, 2006, 778 p., 33€

Théorie de la littérature, théorie de la critique? Nullement! Mais un parcours dans la richesse et la diversité des oeuvres, avec le souci de les «replacer en leur lieu, en leur heure, en leur humeur propre».          

Penser...

Luc Ferry, Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des jeunes générations. Plon, 2006, 302 p, 18€

Pas vraiment un traité, mais plutôt une aide - et par quel expert! - pour entrer en philosophie par le biais d'un large éventail de textes. Un philosophe qui sait quoi dire et comment dire!

 

Septembre 2006

Gaétane Chapelle & Étienne Bourgeois (dir.), Apprendre et faire apprendre, PUF, mars 2006, 304 p., 21€

En pédagogie, il s'agit moins de faire pour que de faire avec!  D'être le complice des apprentissages de l'élève, et pour cela, avant toute chose, de susciter chez lui l'attitude essentielle du désir d'aprendre. Le maître-mot sera donc «motivation»! Celle-ci est comme le fil rouge des réflexions et des propositions d'éminents chercheurs et praticiens rassemblées par nos deux compatriotes (l'une est journaliste scientifique, l'autre enseigne à l'UCL) qui dirigent aux PUF la collection Apprendre.

Dans le concret, pourtant, motiver n'est pas simple: la classe est un groupe où ce "désir d'apprendre" varie de l'un à l'autre, en fonction, surtout, de la diversité du milieu social et familial... : la "complicité" évoquée plus haut dans la relation enseignant-enseigné devrait aller de pair avec la complicité famille(s)-école. Mais c'est là une autre histoire! 

Peut-être celle d'une utopie.

 

Octobre 2006

Georges Picard, Tout le monde devrait écrire, éditions Corti, 2006

[Ecrire pour développer une pensée plus claire, plus ferme, plus nuancée ; pour apprendre, car écrire facilite l’apprentissage des connaissances. L’écriture de Georges Picard est riche, un rien narcissique, et souvent critique – à juste titre – envers les médiocres et les mercantiles de l’édition.]

 

Novembre 2006

Michel Serres, Récits d'humanisme, éd. du Pommier éd., 2006,  232 p., 22€.

Ni vous ni moi ni personne n'existons sans réciter notre existence (...); il faut se raconter pour naître (p. 17). Michel Serres ne définit pas l'homme; il le raconte, en scientifique de haut niveau, en lecteur éclairé des mythes fondateurs. La vérité de l'homme surgit du récit de constantes bifurcations [ce mot revient maintes fois], de risques assumés, de ruptures (v. ci-dessous, à propos de la recherche intellectuelle!), mais aussi d'ouverture, de fusion, d'échange: Grâce aux sciences humaines, nous invitons les autres et les étrangers à notre table (...). Qui ne cultive de tels échanges ne peut rien comprendre à aujourd'hui, à hier, au reste du temps et de l'espace (p. 119). 

Mais c'est une évolution où toute décision appartient à l'homme, singulièrement dans le choix entre la violence atroce et l'amour universel (p. 201).

Extraits

[Précurseur ou... perroquet?]  

    Si vous répétez, dans la recherche, ce que l'enseignement vous enseigna, vous ferez une carrière honorable dans l'Université, où l'on respecte les citations, c'est-à-dire la copie du Même. 

Si, au contraire, vous bifurquez, vous risquez de connaître le sort des Mendel, Semmelweis ou Boltzmann, géniaux précurseurs, méconnus et persécutés, acculés à l'ombre ou au suicide. 

A la génération suivante, l'on vous vénérera, mort, comme prophétique et révolutionnaire. 

Même dans les inventions, la victime devient, après sa mort et son bannissement, un dieu par apothéose.

Michel Serres, Récits d'humanisme, p. 157.

 

[La vérité de l'homme dans la littérature]

Moins il y a de littérature, moins il existe d'individus. De personnes libres. (...) En ces temps de mimétisme exacerbé, la littérature sauve.

Idem, p. 52-53.

 

Décembre 2006

D. Viart, B. Vercier, F. Evrard,  La littérature française au présent* Héritage, modernité, mutations, Bordas, 2005, 512 p., 30€

La quantité et la qualité! Environ 2000 auteurs indexés d'Aaron à Zola en fin de volume; plus de 1000 citations, une bonne soixantaine d'extraits - parfois de plus d'une page. 

Mais la qualité surtout! Rien à voir avoir la paresse d'un copier-coller! Le souci des auteurs est de fournir la preuve par le texte, de montrer le lien entre une oeuvre et le vécu de son auteur ou les problématiques d'une époque, d'attirer l'attention sur l'écriture elle-même, soit comme signe de conformité à une esthétique en place, soit au contraire comme intention de faire écouter une parole inédite (comme le dit D. Viart à propos de François Bon, p. 213): c'est cela surtout, l'attention au travail de la langue, qui  intéressera l'enseignant de français. Citations brèves et larges extraits viennent donc tout à fait à propos; et ce livre est alors saisi comme un excellent guide de lecture, qu'on voudrait avoir à tout moment à portée de main. 

L'intelligence de ce panorama de 25 années de littérature est à cent lieues des  boniments mercantiles de telles ou telles maisons d'éditions.

 

Fragments...

Intertextualité...

Il n'est d'écrivain qui ne soit aussi lecteur, tout oeuvre s'écrit d'abord avec d'autres oeuvres, dont elle s'alimente. (p. 71)

L'événement et l'écriture...

Ecrire, ce n'est donc pas rapporter des faits, fussent-ils en eux- mêmes tragiques. C'est, à partir d'eux et par le travail de l'écriture, se porter au-delà: élargir la pensée. (p. 150-151)

Quand manquent les repères...

(...) que le narrateur en vienne à ne plus savoir comment écrire son récit, ni quelle place se donner dans son texte dans le texte sinon au prix de changements dans la structure énonciative, paraît très caractéristique d'une époque en manque de certitude et de repères, inquiète d'elle-même et de sa pensée (p. 240).

Poésie: une écriture, d'abord...

(...) tous aujourd'hui conviennent de la littéralité de la poésie et affirment que tout se joue et se dit dans la langue autant qu'avec - ou contre - la langue. (p. 411).

Fait divers et littérature

La littérature contemporaine (...) privilégie l'ambivalence du sens plutôt que toute univocité; elle demeure plus interrogative qu'assertive. (p. 244)

 

2007

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Janvier 2007

Jean Salem, Le Bonheur ou l'art d'être heureux par gros temps,  Bordas, 2006, 284 p., 16€ 

Bonheur... gros temps... A ces mots, tel lecteur se souviendra peut-être de Marc-Aurèle: Etre comme le promontoire indifférent à la furie des flots. 

Oui, mais cet empereur stoicien, c'était du sérieux, de l'austère. Jean Salem, c'est un tout autre ton: il nous parle du bonheur avec la compétence d'un érudit, d'un insatiable lecteur, avec gravité sans doute (écoutez sa révolte contre un bonheur de consommation passive!) mais assortie de bonne humeur.

Le professeur de français sera avec lui en possession d'une quantité de références et de citations finement décodées: Aristote, Epicure, Montaigne, Descartes, Diderot, Rousseau, Maupassant, Feuerbach, Tolstoï... y compris son père à qui il rend hommage, Henri Alleg, dénonçant la torture dans son livre La question. 

En définitive, le message est clair: résister à l'illusion d'un bonheur prêt-à-porter!

 

Février 2007

Philippe Guibert et Alain Mergier, Le descenseur social. Enquête sur les milieux populaires, Plon, F. J. Jaurès, coll. Tribune libre, 2006, 145 p. 10,50€

Ils sont 80% aux U.S.A. à prévoir pour leurs enfants un sort meilleur. En France, ils sont 34%. 

A qui la faute, si l'ascenseur fonctionne... vers le bas; si la protection sociale est un leurre; si les revenus sont médiocres pour près d'un tiers de la population; si le travail n'est pas récompensé comme il se doit; si 25% des bacheliers ont quelque chance de devenir cadres contre 70% avant 1980: autant de situations qui sont comme à la fois causes et conséquences. D'où l'impression que c'est l'impasse! 

Pour les auteurs, deux événements majeurs auraient été le reflet de ce profond désarroi: le séisme du 21 avril 2002, quand le FN fut près de l'emporter au premier tour des Présidentielles, et le "non" de la France à l'Europe, le 29 mai 2005.

Et le malaise touche aussi l'école...! Où des obstinés rêvent de faire "remonter l'ascenseur". Mais, seule, et sans moyens adéquats, l'école sera impuissante.

 

Mars 2007

Hervé KEMPF, Comment les riches détruisent la planète, Seuil 2007, coll. Histoires immédiates, 148 p., 14€

 «... immédiate»! Ce mot attire bien l'attention sur des problématiques à régler d'urgence. Mais l'urgence et la gravité d'une situation peut être sous-estimée, voire occultée, par un lobbie de puissants: quelque 300 millions de super-propriétaires peu soucieux du sort des 6 milliards de Terriens; d'où la menace de dégradation, peut-être irréversible, de nos milieux de vie, de nos ressources, au profit d'une oligarchie aveugle qui a su parfois mettre le Pouvoir de son côté jusqu'à criminaliser la contestation politique.

L'auteur, grand reporter du journal Le Monde, ne veut pourtant pas "jouer à faire peur": il est convaincu que, seules, de radicales réformes sociales permettront de résoudre la crise écologique.

Question imprudente... Du côté de l'institution scolaire, qui forme les Terriens responsables de demain, quel intérêt accorde-t-on à ces problèmes de société ?    

 

Avril 2007

Christian Godin, Petit lexique de la bêtise actuelle *Exégèse des lieux communs d'aujourd'hui, Éd. du Temps, 2007, 224 pages, 15 €

Le lieu commun, on le sait, est une forme figée; mais c'est aussi une idée figée, incontestable, rebelle à toute nuance ou remise en cause. 

De A (acharnement thérapeutique) à V (volonté), l'auteur, prof de philo à de l'Université de Clermont-Ferrand, décortique avec rigueur une bonne centaine de ces idées reçues, solidement installées dans les opinions communes.  

Bien sûr, un tel genre d'écrit peut verser facilement dans l'excès de sévérité, et même dans le simplisme qu'il prétend dénoncer... Il n'empêche que C. Godin a atteint son but: nous rendre vigilants, nous enseigner l'insoumission aux généralisations péremptoires et le refus des savoirs prédigérés.

Ce qui ne gâte rien, c'est que tout cela nous est conté avec quelle verve, avec quel humour! 

 

Mai 2007

Carlos Liscano, L'impunité des bourreaux : l'affaire Gelman, Bourin éd., mars 2007, 256 p., 19€

Plutôt intéressé par les mathématiques, il ne songeait pas à devenir écrivain. Et s'il est passé à l'écriture, c'est après l'expérience de treize années de détention politique (de 1972 à 1985). D'abord poète, puis romancier, il passe à l'autobiographie pour évoquer sa détention dans Le fourgon des fous (2002). Début 2007, paraissent coup sur coup Souvenirs de la guerre récente (roman, Belfond, 159 p.) et cette enquête autour du poète argentin Juan Gelman, dont le fils, âgé de vingt ans, a été exécuté, dont la belle-fille disparaît sans laisser de trace...

Dans sa recherche de la vérité, l'écrivain nous fait découvrirr la force perverse du langage des pouvoirs autoritaires où abonde entre autres la litote: 'pression physique' pour torture, 'gouvernement de fait' pour dictature... Et la manipulation est telle que «le mensonge devient vérité».

L'enseignant trouvera dans ce livre de quoi faire réfléchir ses élèves sur la puissance des mots!

 

Juin ?2007

Philippe Lemoine, La nouvelle origine: la France, matrice d'une autre modernité? Ed. Nouveaux Débats publics, mai 2007, 343 p., 18€

Ses parents rêvaient de le voir Inspecteur des Finances; il n'en sera rien: sorti de Sciences-Po, il s'engage, avec d'autres brillants condisciples, à ne pas présenter le concours de l'ENA.

Son rêve à lui - celui du progrès de l'humanité fondé sur la volonté de chacun de se transformer - s'est élaboré au contact de penseurs de premier plan, Deleuze, Morin,  Foucault, Derrida...,  puis dans la découverte des ressources du numérique (l'histoire a commencé avec l'écriture, rappelle-t-il; la nouvelle histoire commence avec le numérique), puis dans l'expérience de l'entreprise où réussite signifie concertation, créativité, audace, refus de l'!inertie.

Ceux qu'il mobilise, ce seront donc, en première ligne, les "entrepreneurs, les artistes, les militants, les jeunes, les politiques", figures typiques, selon lui, de la vitalité. (Tous les politiques, on peut en douter...) A l'orée du quinquennat Sarkozy, il invite habilement ses compatriotes à se dégager du nombrilisme et à trouver hors de France des modèles inspirateurs.

 

Juillet-août 2007

Serge Gruzinski, La pensée métisse, Fayard, 1999, 345 p. (bibliogr., illustr., index)  

Professeur à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l'auteur s'est spécialisé dans l'histoire du Mexique, du Brésil, de l'Amérique latine en général. Il montre comment la culture européenne a progressivement marqué la culture locale du nouveau continent (témoin parmi bien d'autres cette fresque des années 1580 dans une église du Mexique, inspirée des Métamorphoses d'Ovide...), mais aussi comment l'Europe s'est approprié, à des degrés divers, des modes d'expression d'Outre-Atlantique (témoin, par exemple, vers la même époque, le recours des peintres florentins à des codes mexicains...). 

Telle est la "pensée métisse": l'enrichissement produit à la rencontre et à l'interpénétration des groupes humains naguère totalement étrangers l'un à l'autre. 

Quand le repli sur soi et la préoccupation identitaire tentent de l'emporter sur l'ouverture, il est salutaire de rappeler la vertu du métissage! 

 

Septembre 2007

Geert Mak, Voyage d'un Européen à travers le XXe siècle, Trad. B. Abraham, Gallimard 2007, 1024 p., 35€.

Ce journaliste consacre toute l'année 1999 à parcourir l'Europe, publiant chaque jour un billet dans le Handelsblad, un des quotidiens les plus appréciés aux Pays-Bas. En outre, il consulte quelque 600 ouvrages consacrés à l'histoire de notre vieux continent. Ces chroniques seront ensuite rassemblées dans un ouvrage en néerlandais qui récolte aussitôt un immense succès: plus de 350.000 exemplaires vendus en quelques mois! 

Que de lieux parcourus, où l'Europe a vécu quantité d'heures sombres, certaines dûment commémorées, d'autres parfois quasiment tombées dans l'oubli. 

Ce travail de rémémoration est exemplaire par la minutie de l'enquête, par la clairvoyance du regard; et c'est un guide précieux pour quiconque veut comprendre - ou faire comprendre aux jeunes générations - l'Europe d'aujourd'hui à travers le prisme de son passé. 

Il serait vain, en effet, de "faire l'Europe", de façonner une citoyenneté européenne sans prendre en compte ce qui hante notre mémoire...

 

Octobre 2007

 Régis Debray & Claude Geffré, Avec ou sans Dieu? * Le philosophe et le théologien, (Dialogue animé par Eric Vinson), Bayard, 2006, 160 pages.

Dans ce passionnant débat pris sur le vif à propos du religieux, le fil conducteur semble bien être, pour l'un, la construction du lien, pour l'autre, la quête du sens. Entre eux, l'échange est moins  confrontation que cheminement dans une écoute où chacun est en appétit de la parole de l'autre: cela est exemplaire! Et rien qu'à ce sujet - la forme du débat -  tout lecteur en prend de la graine pour sa propre conduite d'argumentation! 

Quant au fond, c'est riche et brillant d'un bout à l'autre! 

Bornons à épingler quelques moments du débat. Le lien entre écriture alphabétique et monothéisme (p. 49). L'islamisme issu d'une "culture hors sol" qui recompose des "territoires fantasmés" (p. 15-16). Et cette question cruciale: la religion est-elle aliénation ou surcroît d'être (p. 97), efficacité de l'imaginaire ou "conscience  précédée par une voix" (p.123 & 125)? 

R. Debray, à la demande de l'Education nationale française, a présenté un rapport sur l'enseignement du fait religieux dans l'école laïque (Odile Jacob, 2002)

 

Extrait: 

[Le fait religieux à l'école laïque]

C'est notamment au vu de cette distinction [expérience religieuse / fait religieux], que j'ai retenu l'expression de "fait religieux" pour le Rapport que j'ai réalisé à la demande du ministre de l'Education nationale sur la question d'une transmission d'une culture des religions à l'école laïque. Car le "fait religieux" appartient à tous quand l'"expérience religieuse" n'appartient qu'à quelques-uns. Et là, je suis imperturbable devant les objections des militants "laïques" ou rationalistes. Je leur réponds: "Ecoutez, c'est comme ça; ça plaît ou ça ne plaît pas, mais il y a Vézelay et Notre-Dame, il y a des oeuvres dans les musées, il y a des pèlerinages, un calendrier, des congés qui ont une histoire comme à Noël et Pâques, etc. Il en va de même dans toutes les civilisations, et si vous ne vous en occupez pas, vous ne vous occupez pas de l'homme." 

En revanche, si je parle dans ce cadre d'"expérience religieuse", on va me dire: "Vous voulez faire venir les curés à l'école, / et puis bientôt les imams, avant de voir enfin les magiciens et les ésotéristes... L'expérience religieuse fait partie de la vie intérieure et cela ne nous regarde pas à l'école laïque." Et ils auront raison. 

Debray Régis, op. cit., p. 142-143. 

 

Novembre 2007

Stéphane Audeguy, Petit éloge de la douceur, Gallimard, octobre 2007, coll. Petits éloges, 140 p., 2€

Parions que l'illustrateur de la couverture n'a pas lu attentivement ce tout récent "petit éloge": cette photo d'une pâte de guimauve vert tendre et rose bonbon n'a en effet aucun rapport avec ce que notre brillant moraliste définit comme la 'vertu' de douceur. 

Vertu, du latin virtus, courage, disons même 'virilité'. Pour lui, en effet, la douceur n'a rien à voir avec la faiblesse, avec le doucereux, avec l'inertie.Elle est au contraire militance, engagement: car être doux, c'est à la fois assurer son propre bonheur et contribuer au bonheur d'autrui. 

L'exposé prend la forme d'un joyeux abécédaire où sont convoqués des témoins aussi contrastés que Fred Astaire, Michel Drucker, Jean-Luc Godard; Diego Maradona... Il y a aussi, quelque part, un surprenant excusus oenologique, qui vante la flaveur du vin, bonheur du goût, de l'olfaction: et c'est un toast inattendu à la gloire de la douceur!

 

Décembre 2007

Patrick Rambaud, La grammaire en s'amusant, Grasset, septembre 2007, 196 p., 11,90€

Les enseignants de français, il faut tout de suite le préciser, ne trouveront rien de nouveau quant aux "contenus" de la grammaire française: l'auteur est assez futé pour en être conscient. L'intérêt du livre est ailleurs: dans la "manière" d'enseigner.

Et avant tout dans le climat de joviale confiance mutuelle qu'un papy (ou tonton?) prof crée entre lui et un petit  espiègle, chez qui il suscite la curiosité et le plaisir de savoir.

Donc: grammairiens tristes, s'abstenir.

Et aussi dans le souci de tirer parti des formes correctes de langage (lexique, morphologie, syntaxe) que l'enfant pratique déjà. De lui faire prendre conscience qu'il dispose donc d'une boîte à outils, qu'il lui faut encore enrichir [voir e. a. 102: bravo, tu as même accordé l'adjectif avec le nom; 121: je m'suis servi d'tes verbes, comme ça, sans les avoir appris; 135. tu viens d'employer deux temps composés: "on avait vu" et "tu m'as caché"]. 

Donc: grammairiens hors situation, s'abstenir.

.Encore que, à tout âge, on peut changer de cap!

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 2008

 

Janvier 2008

Christian Morel, L'enfer de l'information ordinaire, Gallimard, Bibl. des sc. hum., 236 p., 18€50 

L'oxymoron du titre évoque un monde où le quotidien peut devenir infernal. C'est un sociologue rigoureux - d'abord cadre supérieur chez Renault - qui l'affirme! Pictogrammes, modes d'emploi, graphismes de toutes sortes... sont passés au crible par notre enquêteur. Ce qu'il en dit peut être pris pour un agréable bêtisier du cocasse, du grotesque, du charabia: les exemples surabondent (chasses de w-c, repliage du landau, usage de l'ascenseur...) et il y a de quoi en rire franchement! 

En fait, la réflexion dépasse largement le cadre de l'anecdote: nous voilà, dit l'auteur, dans un monde où l'informateur manque trop souvent d'empathie envers son destinataire, et est trop peu attentif à la manière dont le message va être perçu. C'est particulièrement inquiétant quand le traitement incomplet ou même tendancieux d'un événement méconnaît le droit à l'information correcte.

Mais voilà qui est inattendu et paradoxal: c'est que l'embarras, le blocage, voire la panique de l'usager face à la complexité, à l'obscurité de l'information, deviennent occasions de créer du lien social!!! Qui n'a pas, en effet, un jour ou l'autre, sollicité le passant, le voisin, le copain ou le collègue pour initialiser le GSM, pour corriger le PC qui se plante, pour retrouver son chemin, pour saisir les clauses d'un contrat, ou pour décoder la "langue de bois" d'un politicien...? 

 

Février 2008 

Enzo Traverso, A feu et à sang: de la guerre civile européenne, 1914-1945, Stock, 2007, 314 p., 21€

Nos élèves ont pu lire Le journal d'Anne Frank, Le tambour (G. Grass), Le pavillon de cancéreux (Soljenitsyne), Les croix de bois (Dorgelès), Le doigt tendu (Cl. Raucy) et bien d'autres. Ils ont pu voir La vie est belle (Benigni), La liste de Schindler (Spielberg), La bataille de l'eau lourde (Dréville), Nuit et brouillard (Resnais) et bien d'autres.

Pour aider les enseignants à faire mieux comprendre aux jeunes le cadre historique auquel réfèrent ces oeuvres, ce livre d'E. Traverso fournit de précieux repères.

De Verdun à Auschwitz...! Comment ces trente années furent-elles à ce point violentes? L'auteur observe avec rigueur les idéologies qui ont exalté la race et la conquête, qui ont suscité le soupçon et le rejet, jusqu'à l'extermination, et qui, pour ce faire, ont su mettre à leur service les performances technologiques aussi bien que l'eficacité  bureaucratique..

Vigilance, vigilance! Car il est encore fécond, le ventre d’où a surgi la bête immonde. (Berthold Brecht)

 

Mars 2008

Roger-Pol Droit, La compagnie des philosophes, Odile Jacob, 1998, 346 p., index, bibl.  

Compagnie. Avec son sens premier de partage du pain, ce mot rend bien compte de l'intention de l'auteur: établir entre le lecteur et les philosophes cette proximité qui éveille la curiosité, suscite l'échange, invite au débat, ouvre l'appétit de connaissance. 

S'il y parvient, c'est par la grâce d'une écriture qui évite le jargon, imagée, voire enjouée, mais toujours rigoureuse. C'est aussi par la mise en perspective des courants d'idées: régimes politiques, recherche scientifique, art et littérature, religions et mythes, et aussi - très souvent - le vécu personnel du penseur, sont clairement pris en compte.

Des présocratiques à Gilles Deleuze, ce guide expert nous propose un parcours passionnant. Nous voilà à cent lieues du superficiel, de la mode, de la pensée conforme, du bling bling ! 

Il est donc salutaire que le penseur nous dérange, nous amène à reconsidérer nos soi-disant certitudes. La vérité nous libère..

A la fin du volume, un index de plus de 700 noms propres et une bibliographie commentée de quelque 200 ouvrages viennent bien à propos pour nous maintenir dans... la compagnie des philosophes.

 

Avril 2008

Sylvie Yvert, Ceci n'est pas de la littérature. Les forcenés de la critique passent à l'acte Editions du Rocher, 2008. 220 p., 15€ 

C'est un titre bien long pour un livre léger! Un livre en forme de florilège de jugements sans appel, d'exécutions en règle, prononcés par des critiques littéraires, voire par des écrivains, à l'encontre d'auteurs illustres, cités ici par ordre alphabétique - d'Alain-Fournier à Émile Zola.

Citons quelques perles: Proust, une femme de chambre travestie en Suétone, Lamartine, une cigogne larmoyante, Mallarmé, intraduisible, même en français, Apollinaire, un poète mineur, Molière, un infâme histrion...

Livre léger, diront certains; car il est assez facile de glaner ces bourdes dans des manuels d'histoire littéraire, dans des anthologies, dans la presse d'autrefois....

Mais si le contenu est léger, il nous donne pourtant l'occasion de nous interroger sur ce qui amène un critique à formuler de tels avis, aussi surprenants que péremptoires: jalousie, horreur de la nouveauté, paresse intellectuelle, superficialité, précipitation...? 

Et d'en prendre de la graine pour nous-mêmes, tentés parfois de simplisme et de rigidité dans nos jugements esthétiques.

 

Mai 2008

Alain Rey, De l'artisanat des dictionnaires à une science du mot - Images et modèles Armand Colin, coll. U, 2008, 304 p., 28€.

Qui ne connaît pas cet auteur de nombreux dictionnaires, dont l'inestimable Petit Robert? Le titre de son dernier livre précise on ne peut mieux l'enjeu de la lexicographie, travail de savant, travail d'artisan.. 

Observatoire de la langue, le dictionnaire prend en compte les usages du moment sans négliger pour autant l'évolution des formes (p. 48), décrit celles-ci avec rigueur mais n'ignore pas les valeurs véhiculées dans les pratiques langagières (p. 123). S'il a pu jouer naguère un rôle de gardien de la norme, il se montre de nos jours de plus en plus ouvert à la créativité des usagers de la langue et à la variation selon les régions ou les milieux sociaux.

D'un bout à l'autre, le lecteur est séduit! L'érudition et l'expertise impressionnent; mais cela passe bien, dans un exposé limpide, voire parfois enjoué.

Et pour finir (p. 215 à 261), Alain Rey nous convie dans son atelier. Sur son établi, il y a  sarabande, [art] roman et le préfixe -anti. La démonstration du savant et de l'artisan est proprement éblouissante!

*

Quelques propos:

Quelques propos d'Alain Rey

Synchronie, diachronie...

[Parmi les difficultés de la lexicographie] la contradiction mal résolue entre l'exigence absolue du synchronisme, sans lequel aucune description scientifique du langage ne peut être entreprise et la nécessité de ne pas négliger la dimension dynamique du système, grâce à un recours véritable à l'histoire. (p. 48)

Discours sur la langue et discours sur le monde

(...) à travers un discours sur la langue qui est son principal objet, ce dictionnaire contient aussi un discours fragmenté sur le monde. Le premier discours représente la métalangue. Le second correspond aux fragments d'énoncés - c'est-à-dire du discours - qu'on appelle exemples, citations (...). (p. 123)

*

A la fin de l'ouvrage 

Notes bibliographiques (env. 200 titres) - Index des termes et notions (201) - Index des noms propres - Index des dictionnaires - Index des formes linguistiques (98 formes analysées au fil des pages: de à cause de à vessie, en passant par blanc bec, chair de poule, fourchette, prendre son pied, ras le bol...)

 

Juin 2008

Dan Franck, Roman nègre, Grasset, 2008, 311 p., 19,80€

Pour qui ne le saurait pas encore: bien plus nombreux qu'on ne le croit, sont ceux qui signent un livre sans l'avoir écrit, la besogne ayant été confiée à ce qu'on appelle un nègre. Nègre: mot à double connotation de fidèle domestique et d'obscur anonyme. 

Ecrire pour d'autres, Dan Franck l'a fait à 62 reprises! Il évoque ce métier dans un texte brillant où se mèlent plusieurs intrigues sous lesquelles on voudrait pouvoir identifier ces gens qui signent sans écrire. A part un certain Z du monde du ballon rond, on n'en saura guère plus: discrétion absolue!

Un tissu d'allusions fines dans une sorte de roman à clés qu'on pourra trouver léger, mondain... 

Mais un tel livre peut constituer un bon point de départ pour engager une réflexion sur l'émergence de la personne dans son écriture. Comment trouver, dans l'arsenal des formes, le moyen de s'effacer sous le masque d'un autre que soi:  c'est lucratif, certes, mais quel talent cela suppose!. 

Je n'ai jamais voulu écrire de traité de négritude, ça ne m'intéresse pas. Cela suppose que l'on donne des noms, et moi je n'en donne pas. Ce qui m'intéresse, c'est le mécanisme : l'appropriation des oeuvres des uns par les autres. 

Dan Franck, interviewé par Isabelle Monnart pour la Dernière Heure, 29.04.2008

 

Juillet 2008

Ruth Amossy, L'argumentation dans le discours, Colin, coll. Cursus, 2e éd., 2006, 276 p.

Le titre est bien choisi: l'auteure vise en effet manifestement à montrer comment l'argumentation affleure dans le discours, c'est-à-dire dans la mise en oeuvre des matériaux du langage, qui donne forme à un contenu. Cela apparaît clairement dans les très nombreux extraits - de l'oral ou de l'écrit, du littéraire ou des médias, de l'éloge ou du pamphlet - observés avec une étonnante expertise de lecture minutieuse.

L'attention aux formes textuelles doit aller de pair avec leur mise en perspective: en tel lieu, à telle époque, tout texte est convergence ou divergence plus ou moins déclarée par rapport à des courants d'opinion, à des pratiques sociales: lire l'argumentation est - aussi - un activité intertextuelle. L'usage scolaire, trop souvent, ne tient pas toujours assez compte de cette perspective.

On ne manquera pas de remarquer l'intérêt porté dans cet ouvrage à l'analyse de la conversation, mise en paroles, mais aussi mise en scène. 

 

Septembre 2008

Nicolas Rouvière, Astérix ou la parodie des identités, Flammarion, Coll. Champs, 2008, 337 p., 8,55€ 

Vous le saviez sans doute: Goscinny et Uderzo, les pères d'Astérix (né il y aura bientôt 50 ans) sont, l'un, d'origine juive polonaise, l'autre, d'origine italienne. Français aujourd'hui, leur regard sur la culture gauloise est pourtant comme celui de sympathiques et futés ethnologues jouant à la fois de la distance et de proximité. 

Spécialiste de la bd et de la littérature de jeunesse (il enseigne à l'Université et à l'IUFM de Grenoble), N. Rouvière, qui n'en est pas à son premier ouvrage sur la saga d'Astérix, porte à son tour un regard expert et rigoureux sur l'ensemble de cette collection. Quelle richesse d'observations sur le langage - celui de l'image et celui des mots! Qui dit parodie signifie en effet tout un travail de citation, de réécriture, de jeu sur le son et le sens, de mise en cause de multiples stéréotypes et, à travers ceux-ci, de pratiques sociales.

Un livre à prendre dans vos bagages pour toute expédition au Pays d'Astérix!

 

Octobre 2008

Edouard ZARIFIAN, Le goût de vivre - Retrouver la parole perdue, Odile Jacob, 2005, 240 p., 20€

L'idée maîtresse du livre, c'est l'importance de l'échange dans la construction du psychisme. Qui dit échange dit parole; qui dit parole dit aussi écoute attentive de la parole de l'autre.

Que ce soit dans le champ du réel, du symbolique ou de l'imaginaire, la parole contribue à la formation de l'individu. : La parole construit, la parole guérit... elle peut aussi détruire et briser les potentialités, l'estime de soi, le... goût de vivre; il est essentiel de rappeler cela à quiconque a affaire à des humains en devenir, parents, éducateurs, enseignants...

Voilà un livre bien utile pour rappeler à l'enseignant que la parole des savoirs qu'il transmet, si importante qu'elle soit, ne pourra jamais faire l'impasse sur une parole "d'homme à homme", disponible et respectueuse.

à l'écoute d'E. Zarifian

Le déficit de parole par manque de culture et d'éducation favorise le passage à l'acte comme seul moyen d'expression. C'est une des sources de la violence. [80]

Notre cerveau à la naissance possédait la matière capable de lui permettre d'émerger puis de se développer et de se façonner. Mais la matière sans l'outil serait demeurée informe. L'outil, c'est la rencontre avec la parole de l'autre. Cette parole porteuse de sens et de symboles, entendue dès / les premières secondes de notre existence, va nous constituer comme être humain. [106-107]

Un enfant qui s'entendra dire pendant des années par son entourage qu'il est intelligent ou, devant chaque maladresse, qu'il n'est pas doué, finira par le croire. [176]

 

Novembre 2008

Charles Bernet & Pierre Rézeau, On va le dire comme ça. Dictionnaire des expressions quotidiennes, Balland éd., 2008, 766 p., 32€ 

La langue française en formation permanente! C'est ce que nous montrent brillamment et savamment ces deux éminents linguistes (ils ont collaboré à l'inestimable Trésor de la langue française). De 1950 à nos jours, ils ont récolté pas moins de quelque 1600 locutions, assorties d'environ 5000 exemples, en puisant aussi bien chez des écrivains que chez des hommes politiques, des journalistes, des publicistes, des blogueurs... en datant la première occurrence écrite de chacune. C'est donc rigoureux en diable! Mais c'est aussi tout à fait jouissif! Dans ces témoins de la créativité langagière, il y a de la verdeur, du pittoresque, de l'à-propos, de la bonne humeur, du dynamisme. Bref, il y a de la vie!

De quoi observer de près la vitalité du français à l'oeuvre dans la tribu des locuteurs francophones. 

Et de s'en féliciter!

 

Décembre 2008

Jean-Michel Zakhartchouk, L’enseignant, un passeur culturel, ESF éd., coll. Pratiques & enjeux pédagogiques, 1999, 13€

Si ce livre suscite l’adhésion, n’est-ce pas d’abord par les multiples témoignages de pratiques réalisées - parfois par l’auteur lui-même - en terrain scolaire, y compris auprès de jeunes de milieux défavorisés ? A découvrir ces pratiques, l’enseignant-lecteur se sentira-t-il inspiré pour les transposer dans sa propre sphère d’activité ? 

Eh bien, ce n’est pas gagné d’avance !  Parce que, tout d’abord, passeur de culture, ça ne s’improvise pas : il ne suffit donc pas de copier-coller ces pratiques évoquées par l’auteur. Ce serait de l’illusion, voire de l’esbroufe, s’il manque ce qui est essentiel à notre point de vue : la capacité de susciter les questions, les étonnements, les doutes, le désir, l’ouverture à autrui et aux « rumeurs du monde », de cultiver l’esprit critique, de favoriser cette créativité qui introduira peu à peu l’élève dans l’échange culturel. 

Et cela, dira l’auteur en conclusion, ça s’appelle pédagogie, et il entend surtout par là qu’il ne suffit pas d’enseigner pour que l’élève apprenne (v. p. 121).   

 

Au fil des pages...

"Passeur"... une image de vraie pédagogie

Il s’agit là d’un vieux mot qui correspond, dès le Moyen Âge, à celui qui fait franchir un obstacle, et en particulier un fleuve. Personnage de conte ou de mythologie, il embarque le voyageur vers des rives inconnues (…). On connaît aussi le « passeur » qui fait passer clandestinement les frontières, par des chemins souvent obscurs ou détournés. Ces connotations quelque peu mystérieuses ne sont pas pour nous déplaire, et surtout l’allusion au voyage. (p. 19)

Le détour par le spectacle 

J'aurais tendance à penser qu'on aura fait un grand pas en avant quand dans un conseil de classe, savoir interpréter un personnage du répertoire sera au moins aussi bien coté que savoir reconnaître le complément d'objet indirect. (p. 106)

La classe, comme la tente ouverte du nomade... 

Les murs de la classe ne peuvent être nus comme le voulait Alain, la salle de cours ne sera pas insonorisée: les bruits du dehors y arrivent. Bien au contraire, l'établissement d'un lieu de vie au service des apprentissages et de la formation culturelle permet tout autant l'ouverture que la résistance à l'extérieur. (p. 107)

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2009

Janvier

Annie Rolland, Qui a peur de la littérature ado? Thierry Magnier éd., 2008, 240 p., 17€

 Psychologue clinicienne - elle enseigne à l'Université d'Angers -  l'auteure aborde sans tabou ces oeuvres destinées à la jeunesse qui dépeignent un monde où s'affiche la violence: elle observe les mécanismes de censure qui, selon elle, viennent d'adultes préfèrant le rejet - ou la tranquillité - au dialogue. 

Le dialogue! c'est sans doute là la fine pointe de l'ouvrage qui milite pour l'échange entre enseignants et élèves, entre parents et ados. 

Ceux-ci ne le savent d'ailleurs que trop bien: le monde - leur monde - est dur dans la recherche du gain, du pouvoir, de la jouissance. Ils le voient dans les médias, iIs le vivent parfois eux-mêmes dans les quartiers. 

Ils le savent donc avant de lire...; mais en lisant, ils se mettent à distance du réel par le biais de la fiction: une distance critique où la raison peut l'emporter sur l'émotion et la passion.

Ce livre se fonde sur de multiples contacts avec les témoins les plus impliqués: auteurs, éducateurs, adolescents.

Il faut le recommander aux enseignants: ceux qui déjà lisent avec leurs élèves cette littérature de jeunesse, et qui s'y verront confortés; mais aussi ceux qui seraient encore réticents: ils découvriront qu'il y a là de quoi aider les jeunes à se construire.

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Février 2009

Jean-Claude Guillebaud, Le commencement d'un monde. Vers une modernité métisse Seuil, 400 p., 2008, 22€

L'auteur s'appuie sur une évidence historique: l'Occident n'est plus le centre du monde et le seul maître du jeu. D'autres civilisations, d'autres cultures entrent désormais dans l'échange mondial. Echange, c'est-à-dire reconnaissance de l'autre et non affrontement ou repli identitaire.C'est dire que la violence - violence des armes, violence de la convoitise économique, violence idéologique - ne peut qu'exacerber la violence de l'autre. Il faut donc bon gré mal gré accepter la réalité d'aujourd'hui et apprendre à s'ouvrir à la diversité, au. métissage ; il faut accepter que le monde n'est pas immobile, que rien n'a de sens sinon ce qui est en train de se transformer (*).

En lisant ce livre, on songe à Saint-Exupéry, dans Citadelle: Ceux-là qui n'échangent rien ne deviennent rien. 

(*) Patrice Magnilier, philosophe, Le Monde, 27.11.2008.

 

Mars 2009

Jean-Claude Carrière, Fragilité Odile Jacob, 2006, 280 p., 20€.

Accepter sa fragilité, et même en venir à l'aimer, telle est la sagesse, l'art de vivre qui nous est ici proposé. On croit pouvoir échapper à cette fragilité par l'issue de secours de l'imagination qui rêve de l'inaccessible ou par le conformisme qui asservit, ou encore par la croyance qui se pervertit en intolérance et en exclusion de l'autre.

Or la fragilité, paradoxalement, c'est notre richesse: c'est elle qui féconde et suscite ce que l'homme peut créer de plus grand: l'oeuvre d'art et la gratuité de l'inutile.

 "Tout le théâtre, tout le cinéma, toute la littérature repose sur cette fragilité. Elle est notre ressource cachée. (...) Nous devons sauver l'inutile parce qu'il nous sauve du simple calcul productif, maître du monde" (pp. 274 & 275). 

 

Avril 2009

Régis Debray, Le moment fraternité Gallimard, 2009, 375 pages 21 €

La fraternité serait-elle la partie faible de la devise républicaine? Plutôt un peu fanée, depuis 1848, dit l'auteur,

C'est que cette fraternité est toujours à revifier, c'est toujours le moment de la reconstruire, de retrouver le sentiment du "nous" et l'engagement que cela exige, car il y a aujourd'hui, affirme-t-il, trop de people et pas assez peu de peuple. Se faire fraternel, c'est toujours quelque part une prise d'armes.

La fraternité s'appuie autant sur l'Evangile que sur les Lumières: elle se colore donc, à la fois, de républicain et de monastique (une référence qui peut agacer une certaine laïcité...). 

Elle propose une famille où la génétique n'a rien à voir, où ce qui nous unit, c'est ce qui nous dépasse: refus de l'injustice, accueil de l'autre, échange...

«Suis-je le gardien de mon frère?», demandait Caïn. Question chaque jour posée. Et chacun en connaît la réponse.

Revenons au titre: moment et mouvement ont même étymologie. La fraternité est donc cheminement.

 

Mai 2009

Alberto Manguel, La Bibliothèque, la nuit, Actes Sud, 2006, 335 p., 23€, trad. de l’anglais par C. Le Bœuf

Nous lirons ce titre comme une métaphore: celle d'une lumière persistant au plus creux de la ténèbre. Et cela est superbement illustré par l'image de couverture. 

La bibliothèque est en effet l'espace à la fois sacré et familier où le lecteur... éclairé trouve matière à voyager, hors de soi, vers des lieux, des temps, des cultures, et surtout à l'intérieur de soi-même, parce que lire, c'est s'identifier, se construire. «Tout lecteur est soit un voyageur qui fait une pause ou quelqu'un qui rentre chez lui.» (p 282).. 

Ainsi, le lecteur se fait artisan d'un monde, ce qu'exprime l'activité apparemment bien prosaïque du "rangement" dans les rayons: subtile analogie entre lire et créer!

On n'imagine donc pas un monde sans bibliothèque!  «Robinson Crusoé était le fondateur - un fondateur malgré lui - d'une société nouvelle. Et Daniel Defoe, son auteur, trouvait nécessaire qu'au début d'une société nouvelle il y eût des livres.» (p. 199)

 

Juin 2009

Amin Maalouf, Le dérèglement du monde Grasset, 2009, 314 p., 18€.

Issu d'une famille libanaise de journalistes et d'intellectuels, l'auteur est bien placé pour observer à la fois les pays d'islam et ce que nous appelons globalement l'Occident.

Pour lui, le monde arabo-musulman souffre à la fois de ses dissensions - conflits de pouvoir, affrontements religieux (chiites et sunites par exemple), incapacité de se fédérer - mais aussi de la main-mise de pays occidentaux colonisateurs, exploiteurs, imposant souvent leurs modèles de société, ce qui suscita des rancoeurs menant à la violence terroriste: les identités meurtries sont devenues des identités meurtrières! (cf p. 245).

D'où la méfiance des uns face à la rancoeur des autres.

Tel est le dérèglement du monde! Mais comment en sortir? L'auteur ose parier sur la primauté de la culture et de l'échange. "Aujourd'hui, le rôle  de la culture est de fournir à nos contemporains les outils intellectuels et moraux qui leur permettront de survivre - rien de moins." (p. 203).

 Obama: un signe d'espoir?

Qu'ils s'agisse des contrées où coexistent depuis des siècles des communautés différentes, ou bien de celles qui accueillent, depuis quelques décennies, des groupes importants d'immigrés, il est clair que la méfiance et l'incompréhension se développent, au point de compromettre toutes les politiques d'intégration ou même de simple cohabitation. Que de scrutins, que de débats sont aujourd'hui plombés par ce dossier épineux, qui favorise les crispations identitaires et les dérives xénophobes! Notamment en Europe, où l'on a vu certaines des sociétés les plus tolérantes s'irriter, s'aigrir et se rigidifier. Mais l'on assiste dans le même temps à des renversements surprenants dans la perception de l'autre, qui révèlent des cheminements invisibles dans les esprits de nos contemporains - l'exemple le plus révélateur et le plus spéculaire étant l'avènement de Barak Obama.l (pp. 293-294)

 

Juillet-août 2009

Francis Lacassin, Mémoires, Sur les chemins qui marchent, Ed. du Rocher, 2006, 360 p., 21€.

Voilà un titre qui en dit apparemment bien peu sur le propos développé. Mais il y a cette image, combien savoureuse, du chemin! Avec un guide avisé, nous voilà devenus en effet explorateurs du monde, trop peu connu, de l'édition, particulièrement de cette littérature dite populaire, souvent dédaignée par les doctes. 

Rien de tel que ce livre pour découvrir ou en savoir plus, beaucoup plus, sur la saga des Fantomas, les reportages d'Albert Londres, les polars de Simenon, Léon Malet, Gustave Le Rouge..., pour apprendre que Jack London, c'est bien davantage que Croc-Blanc, pour évoquer la méfiance et le mépris à l'égard de la BD quand celle-ci apparaît et se développe. 

L'auteur sait de quoi il parle: il a rencontré des auteurs, les a publiés, préfacés (pas moins de quelque 350 préfaces!). Des centaines et des centaines de livres sont cités. On apprécie d'un bout à l'autre l'expert (il a piloté Bouquins, 10/18...), et surtout l'amoureux. Qui ne manque pas de saluer, à maintes reprises, la créativité langagière à l'oeuvre dans cette littérature en marge.

 

F. Lacassin se souvient...

Richesse de la non-conformité...

Ces colliers de perles naïves, au second degré, tenaient parfois du prodige, elles ont charmé les grands poètes admiratifs de Fantômas. C'est son côté antilittéraire, l'explosion du style, le dynamitage des conventions, le pied de nez adressé aux "convenances", le saccage de l'art d'écrire.(p. 61)

BD naguère malfaisante...

Les éducateurs et universitaires aujourd'hui consacrent à la bande dessinée des thèses savantes et respectueuses. Naguère, ils se réunissaient en congrès pour en dénoncer les méfaits. (p. 205)

Quand un ignare se croit expert...

La démocratie, c'est le droit, pour une personne ignorant tout d'un métier, de dire à celui qui le pratique depuis des années, comment il doit s'y prendre. (p. 218)

Quand je serai devant saint Pierre...

Aurai-je droit, après l'entracte, de poursuivre ma passion des livres? J'espère que saint Pierre m'accordera l'une des chambres d'amis réservée au pécheurs qui se sont rachetés par leur esprit de partage. Peut-être me dira-t-il: "Sois le bienvenu. A partir de maintenant tu pourras lire tous les livres que tu voudras. (p. 355).

L'aventure en bottes de sept lieues, de F. Lacassin (éd. du Rocher, 2007) est une suite des Mémoires:

les aventuriers-écrivains (Exmelin, le P. Hue, R. L. Stevenson, V. Revillon. J. London, A. Londres, É.Sauvy...)

 

Septembre 2009

William Marx, Vie du lettré, Ed. de Minuit, coll. Paradoxe, 2009, 244 p., 18€

Pour beaucoup, ce mot lettré connote un certain élitisme, une certaine distance par rapport au commun des mortels: on se représente un sage à l'abri du banal et de l'utilitaire. Oui, il y a un peu de ça chez le lettré. Mais s'il se met à l'écart, c'est à coup sûr pour mieux observer, par mille détours de lecture assidue, les rumeurs, les modes, les valeurs, les obsessions qui constituent notre humaine condition. Il prend du recul pour être plus proche. Pour éveiller notre propre lucidité, affiner notre esprit critique.

Sous la plume de W. Marx, le portrait du lettré n'a rien de rébarbatif: cet universitaire sait à la fois être rigoureux et agréable, souvent avec un zeste d'humour et de malice.

Pour le professeur de lettres, voilà un livre qui vaut vraiment le détour! 

 

Octobre 2009

Alexandre Jollien, La construction de soi. Un usage de la philosophie, Seuil, 2006, 190 p. 15€

Depuis sa naissance en 1975, il souffre d'athétose, un handicap musculaire rarissime auquel l'accoutumeront son courage, sa soif de savoir, son ouverture, sa passion de communiquer. 

A 24 ans, il reçoit le Prix Montyon de l'Académie française puis le Prix Mottard de littérature et de philosophie pour son Éloge de la faiblesse. Après La métier d'homme (2002), voici ce nouveau témoignage.

S'il fréquente les philosophes, c'est moins pour s'instruire que pour se construire: c'est moins le savoir que la sagesse qu'il recherche. Mais il le précise bien: "sagesse" n'est pas "repli"! Il milite pour la fraternité (v. p. 170), et il le montre bien en s'engageant pour l'insertion des handicapés. . 

Son livre alterne les apostrophes à Dame Philosophie et les évocations de ses maîtres à penser: Boèce, Épicure, Schopenhauer, Érasme, Spînoza ... et, pour finir, Etty Hillesum, cette penseuse juive disparue à Auschwitz en 1943. «Ces indéfectibles compagnons m'ont prêté main-forte dans les moments délicats» (p. 15).

 A l'écoute d'Alexandre Jollien

Même un fâcheux peut m'instruire...

Pour ma part, j'aimerais me risquer à considérer chaque individu que je côtoie comme un maître en humanité. Car l'autre, en incarnant dans sa vie une manière particulière d'être pleinement humain, peut me prêter des repères pour édifier ma personne. Mais, tu me l'accorderas, très chère amie: ce n'est pas nécessairement les grands de ce petit monde qui instruisent le mieux. Même un fâcheux peut livrer sa leçon! (p. 15)

Se délester de ses erreurs...

[Il évoque la disputaison médiévale...] Pour de tels esprits, la question disputée, en exigeant de peser le pour et le contre des énoncés, participait de la réappropriation de soi. Car enfin, on peut le jouet d'une hâte ou d'une illusion qui incitent à penser faux. C'est précisément pour nous prémunir que tu invites à considérer notre interlocuteur comme un compagnon qui nous déleste de nos erreurs. (p. 18)

Mon bonheur de vivre...

Chère Etty [Hillesum], je m'étais promis de ne pas m'attarder sur la souffrance. Plus que tout, je veux nourrir ma gratitude d'avoir le redoutable bonheur de vivre. (p. 174-175)

 

Novembre 2009

Yves Michaud, Qu'est-ce que le mérite ? Ed. Bourin, 2009, 253 p. 22€

Nous risquons d'avoir tout faux si nous relions au mérite les salaires, les primes, les bonus, les médailles......

Pire encore, si nous le rattachons au rang social, à la notoriété, voire au bling bling!

Et si on jugeait plutôt du mérite sur les valeurs d'humanité: tolérance, droiture, solidarité, souci du faible...?

Combien de discours sur le mérite qui conduisent à classer au risque de mépriser et d'exclure ? 

Parler du mérite, c'est aussi prendre en compte les inégalités : ou bien on s'y résigne, ou bien on lutte pour les corriger. Et ici l'école, les travailleurs sociaux, les pouvoirs publics s'impliquent... ou se dérobent.

  Philosophe très attentif aux problèmes sociaux, Y. Michaud nous aide à réfléchir sur ce sujet du mérite. Lucide, il sait combien cela est complexe. Généreux, il nous ouvre les voies de l'engagement. 

 

Décembre 2009

Antoine Audouard, L'Arabe, Ed. de l'Olivier, 2009, 266 p., 19€

Il travaille dans un chantier de terrassement. Pour le loger, Bernard, son employeur, lui a trouvé un sous-sol dans un village qui évoquerait le pays de Giono. Un nouveau venu discret, effacé, mais la Mamine, forte en gueule, péremptoire, a bientôt fait, du haut de sa chaise roulante, de le décider : « il a des cheveux comme des poils de couilles; c'est un arabe! »

Alors, bonjour la rumeur, l'exclusion, la suspicion! 

Il y a eu un meurtre dans le coin: c'est lui le meurtrier. Et Estevan, le gendarme, et Bernard, et quelques amis, auront beau faire pour démontrer que non.

Vous lirez la suite et vous verrez jusqu'où peut aller la bêtise et la violence du racisme au quotidien.

Un roman en forme de pamphlet d'une écriture colorée, vigoureuse, qui donne matière à réfléchir en ce temps de brassage des cultures. 

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2010

Janvier 2010

Pierre Gibert, L'inconnue du commencement, Seuil, 2007, 230 p., 18€

C'est un paradoxe que l'homme soit curieux de savoir d'où viennent l'univers, la vie, l'humanité, les peuples et les nations, les lignées... et qu'il bute sur la difficulté d'appréhender les commencements. Commencements sans témoins, donc insaisissables.! 

Une impasse dont nous tentons de sortir, soit par des hypothèses, soit par des récits: on suppose ou on raconte, faute de pouvoir décrire! 

Et ces récits d'origine, survenus après coup, reflètent telle ou telle vision du monde ou de l'homme ou telle ou telle avancée scientifique à l'époque de leur formation.  A ce sujet, on retiendra l'intérêt de confronter dans la Genèse les deux récits de la création: tous deux disent le vrai mais reflètent des perceptions différentes du destin de l'homme. 

A retenir aussi les dérives dénoncées par l'auteur au sujet des récits sur l'origine des nations marqués davantage d'idéologie que de rigueur : s'ils suscitent la cohésion citoyenne, ils peuvent se pervertir en manipulation, rejet de l'autre, rivalité meutrière.

 

Février 2010

Stéphane Giocanti, Une histoire politique de la littérature * De Victor Hugo à Richard Millet, Flammarion, 2009, 334 p., 19€.

L’entreprise est monumentale ! Observer comment la littérature fait écho aux événements politiques n’est pas chose facile : l’auteur distingue d’un côté les planqués, les tours d’ivoire, les prudents…, de l’autre les prophètes, les vaillants, les pamphlétaires… ; il y a aussi les courtisans, les sceptiques, les fonctionnaires… ; au total seize catégories d’écrivains. Pas facile, dans bien des cas de décider de l’appartenance à l’une ou l’autre d’entre elles. L’auteur en convient souvent, évoquant ceux qui se protègent et s’engagent à la fois (p. 296). Il faut parfois être un lecteur averti pour s’y retrouver dans un tel classement. Mais certains « ténors » sont bien identifiés : Hugo, Zola, Barrès, Léon Bloy, Léon Daudet, Péguy, Albert Camus… et ceux-là sont plutôt du côté des combatifs.

Un travail d’érudit, foisonnant de citations mises en perspective ! On appréciera aussi, çà et là, l’art du raccourci dans les portraits, les jugements, les insinuations : les cirages de pompes n’ont point de chronologie (p. 38), [Baudelaire] défenseur acharné du péché originel (p. 96)  [Sartre] ne s’est jamais rendu en Chine [communiste] ni à l’évidence (p. 142 - superbe zeugma !), [Philippe Sollers] poseur perpétuel, accroché aux médias comme les moules au rocher (p. 162). Même un certain omniprésident en prend quelque part pour son grade ! (v. 50).  

 

Mars 2010

Patrick Fauconnier, La fabrique des «meilleurs» Enquête sur une culture d'exclusion Seuil, coll. L'histoire immédiate, 282 p., 2005, 20€

L'auteur observe une situation, selon lui typiquement française, mais qui peut se vérifier ailleurs à des degrés divers. Si les meilleurs, et les plus nantis, sont favorisés, c'est surtout à l'école que cela se fabrique, et aussi au-delà de la scolarité obligatoire : peu de volonté politique en matière de formation continue, manque d'intérêt du Pouvoir pour les actions citoyennes de promotion. 

Pour ce qui concerne l'école, l'auteur s'en prend à ceux qui la veulent comme une raffinerie qui sélectionne et élimine, au lieu de la voir comme une pépinière qui a le souci de donner ses chances à chacun. 

D'un côté, en schématisant, privilégier la transmission des savoirs théoriques; de l'autre, développer les savoir-faire, susciter le désir d'apprendre et les moyens d'y parvenir. D'un côté, plutôt Luc Ferry, Alain Finkielkraut...; de l'autre, plutôt Philippe Meirieu, François Dubet....

L'enjeu est de taille: voulons-nous une école vraiment démocratique, ou une école complice de l'inégalité, de l'iniquité? Complice de la violence sociale.

 

Avril 2010

Serge Gruzinski, La Pensée métisse, Fayard, 1999, 345 p., bibl., index, fig., ill., 23€

Spécialiste reconnu des civilisations américaines, l'auteur observe les échanges entre les cultures européennes, surtout espagnoles et portugaises, et celles du nouveau continent, notamment du Mexique et du Pérou. 

Maintes illustrations en sont données: certains plafonds de la Galleria degli Uffizi  (1560-80) agrémentés de motifs indiens, l'intérêt des lecteurs de Mexico pour l'empire ottoman, le retentissement d'Ovide au-delà de l'Atlantique, une chronique du Nouveau Monde rédigée à Istanbul en 1580: une pincée d'exemples parmi une multitude d'autres !

Ce qui se passe il y a plus de quatre siècles est tout à fait pareil à ce qui se produit encore aujourd'hui: les cultures se nourrissent l'une de l'autre en se rencontrant. 

Voilà qui prouve que les cultures ne constituent pas des espaces cloisonnés, autosufffisants, et que l'ouverture l'emporte avantageusement sur le rejet. 

 

Mai 2010

Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques Seuil, rééd. 1996, 240 p., 7 €

Préfacé par Philippe Sollers, ce livre rassemble une trentaine d'articles parus pour la plupart dans des revues italiennes entre 1954 et 1985. 

De Xénophon à Georges Perec, I. Calvino remémore son immense expérience de lecteur sans frontières. Ce qui frappe le plus, ce sont les nombreux rapprochements - parfois inattendus, toujours pertinents - entre auteurs, oeuvres ou personnages: Diderot et Kundera (85), Beckett et Dickens (91), Jocaste et Hamlet (115), Mark Twain et Buster Keaton (126), Hemingway et Stendhal, Queneau et Bouvard et Pécuchet,  etc., ou encore cette étrange prémonition du régime nazi dans Le Duel de Tchekov. 

De telles mises en parallèle émoustillent nos méninges, nous donnent envie d'y aller (re)voir de près, et surtout nous rappellent que la littérature, comme l'art en général, est un vaste espace de dialogue entre écrivains, entre artistes: il y a toujours des livres,.des oeuvres d'art "en deça et au-delà"; et Montaigne l'avait déjà affirmé: nous ne faisons que nous entregloser. (III, 13)

Pensées sur la lecture avec Italo Calvino

 

* Les classiques sont des livres qui, quand ils nous parviennent, portent en eux la trace des lectures qui ont précédé la nôtre et traînent derrière eux la trace qu'ils ont laissée dans la ou les cultures qu'ils ont traversées (ou, plus simplement, dans le langage et les moeurs.) (9)

* Un classique est un livre qui vient avant d'autres classiques; mais quiconque a commencé par lire les autres et lit ensuite celui-là reconnaît aussitôt la place de ce dernier dans la généalogie. (11)

* Est classique ce qui tend à reléguer l'actualité au rang de rumeur de fond, sans pour autant prétendre éteindre cette rumeur. (12)

* ... parce qu'il [Jérôme Cardan, qui influença Shakespeare] était un écrivain poursuivant avec les mots quelque chose qui échappe aux mots. (57)

[C'est nous qui soulignons.]

 

Juin 2010

Eric Nataf, Moi, Abraham, Roman, Odile Jacob, 2010, 348 p. 19 €

C'est un roman, bien sûr ! N'empêche que la fiction semble bien n'être qu'un prétexte et que le lecteur peut se sentir engagé à son tour dans la recherche du jeune Abram, le futur Abraham , "père d'une multitude", une recherche qui aboutira à la conviction monothéiste. Un peu comme si le lecteur devenait au fil des pages l'Abraham du titre ! 

Le cheminement du héros sera long, périlleux: il faut dès la naissance échapper à la menace de mort, vivre dans l'ombre d'une caverne, se reclure dans l'insécurité, et surtout rompre avec Térah, son père, fabricant et fournisseur d'idoles, ces représentations sans vie qu'il finira par contester au point de saccager l'atelier paternel ; puis ce sera l'exil pour échapper au tyran Nimrod. 

Il a alors quinze ans: son destin de "père des croyants" peut commencer à se réaliser... La suite au chapitre 12 du livre de la Genèse !

On apprécie le narrateur, mais aussi l'historien (il évoque l'Inquisition, la shoah et autres génocides...) et surtout le sage (voir ci-contre quelques propos).

Pensées du mois avec Éric Nataf

Monothéisme, athéisme, laïcité...

Quant au monothéisme, il aurait peut-être pu ne jamais advenir. (...) L'athéisme lui-même n'aurait alors pas pu se développer: ne s'est-il pas construit par la négation de la croyance en un Dieu unique, dont il n'est d'une certaine manière que la posture inverse? Et que dire de la laïcité et de ses têtes coupées, sorte d'intégrisme sans Dieu? Ou de l'agnosticisme.

Ma pauvre vie porte déjà en elle ces interrogations. Elle ne les résoudra pas. (p. 50)

Sujet, mais non soumis !

(...).ce qui explique le succès de mon entreprise: mon Dieu représentait un potentiel pour l'humanité. L'homme pouvait redresser la tête, il était sujet de Dieu, mais non soumis. Il disposait du libre arbitre. (p. 120)

Le poids du non-dit !

(...) ce qu'il y a de magique dans l'éducation, l'important réside dans le non-dit. (p. 170)

Foi, mauvaise foi...

La foi ne se démontre pas. Elle est. De même d'ailleurs que la mauvaise foi. (p. 296)

 

Juillet-août 2010

Daniel Sibony, Les Sens du rire et de l'humour, Odile Jacob 2010, 236 p., 23€

De bons textes sur l'humour et sur le rire, il n'en pleut pas! Il y a eu Kant (quelques propos épars), Baudelaire dans L'essence du rire (rééd. 2008), Freud dans Le Mot d'esprit et sa relation à l'inconscient (rééd. 1992), Bergson dans Le Rire : Essai sur la signification du comique (rééd. 1993). 

Et en 2010, ce livre de D. Sibony, judicieusement mis sous un titre au pluriel, car il s'agit, pour bien traiter du sujet, d'en varier les approches, d'y multiplier les exemples. Ceux-ci vont du rire de Sara (Genèse, 18: vers 1800 ACN) à celui que suscite aujourd'hui un Raymond Devos. Quant aux approches, elles tiennent de la psychanalyse (rassurez-vous: c'est solide, mais rien de pédant!), de l'analyse sociologique (interaction, connivence...) aussi bien que de l'observation des moyens du comique dans le langage (on ne peut donc mieux trouver, pour un professeur de français!). 

C'est séduisant, car sous l'érudit, on découvre bien vite un homme ouvert à de multiples horizons culturels, et l'envie vous prend d'aller lire d'autres ouvrages de sa plume.

 

Septembre 2010

Pierre Sansot, Les gens de peu, PUF, 1991, rééd. 2009, 224 p. 10€

Sous le patronage de Péguy - Nous étions la piétaille. Nous n'avancions jamais plus d'un pas à la fois - l'auteur nous invite à visiter les lieux et les objets où se manifeste le vécu du petit peuple: la cuisine, le balcon, le terrain de pétanque, le Tour de France, le camping, le pliant, le bal du 14 Juillet, et bien d'autres...

On peut vraiment parler d'une 'sociologie de proximité', de connivence, d'empathie, mais évitant le piège du sentimentalisme. Cela n'a donc rien d'un discours pédant et jargonnant. 

Et quelle virtuosité, quelle élégance d'écriture dans les tableaux: le bricoleur (p. 57),  le convive en liesse  (p. 99). le footballeur des trottoirs (p. 141), le bouliste (p. 160)...

Sous le beau titre La chanson des rues, le livre s'ouvre sur la créativité langagière des gens de peu: une langue riche de sons et d'images où le vécu se projette, Un régal pour la classe de français !

La chanson des rues

Il n'est pas étonnant que la linguistique se soit davantage intéressée à une production écrite, souvent figée et de surcroît peu familière aux personnes modestes plutôt qu'à l'échange d'une parole vivante. En effet, à prendre en considération cette dernière, l'espérance d'une totale rigueur s'estompait, la part de l'interprétation augmentait quand on voulait rendre compte du rythme, de la charpente phonique, des exclamations, des différences d'intonation qui ponctuent une conversation ou une altercation. (p. 34)

En conséquence, chacun d'entre nous réinvente le langage dont il dispose et auquel il a droit - et c'est bien cette inventivité perpétuelle qui qualifie l'originalité d'un langage populaire. 

 

Octobre 2010

Louis Pinto, Le café du commerce des penseurs : à propos de la doxa intellectuelle Éd. du Croquant, coll. Savoir/agir, 2009, 150 p., 13€50

C'est Pierre Bourdieu, dont s'inspire nettement notre auteur, qui a créé ce terme de 'doxosophe' pour désigner celui qui, se considérant comme maître à penser, recourt à divers pouvoirs - presse et autres médias - qui l'accueillent et le consacrent. Nous voilà proches du sens husserlien de 'doxa', où l'on est plus dans la croyance que dans la certitude, dans la subjectivité que dans l'objectivité, dans le particulier que dans l'universel..

Il y a donc bien de quoi s'indigner, et de militer vigoureusement en faveur d'une recherche guidée par l'éthique et la rigueur. 

Comme le dit l'auteur, il s'agit, pour le philosophe, de bien savoir où il met les pieds, s'il veut éviter le piège de l'allégeance et de la compromission. 

 

Novembre 2010

Jean Cottraux, À chacun sa créativité * Einstein, Mozart, Picasso... et nous, Odile Jacob, 2010, 304 p., 20€

C'est clair, à en croire le titre: personne n'est interdit de créativité !

Encore faut-il pour cela, insiste l'auteur, que chacun approfondisse la connaissance de soi, c'est-à-dire de tous les possibles qui y sont latents, et exploite, dans le vécu quotidien - rencontres, découvertes, réussites ou échecs - mille occasions de s'adapter, de "créer".

Encore faut-il, aussi, être capable de voir au-delà de l'horizon de ses savoirs, ce que J. Cottraux appelle le paradoxe de Dracula: «Apprenez donc la psychiatrie (...) mais apprenez aussi à vous asseoir dessus pour innover.» (p. 30). 

Encore faut-il - surtout, à notre opinion ! - la présence de mentorx pour guider les Télémaque d'aujourd'hui. Des enseignants, par exemple, sachant voir plus loin que le programme et que le manuel.

 

Décembre 2010

Anne Jorro, L'enseignant et l'évaluation. Des gestes évaluatifs en question, De Boeck, coll. Pratiques pédagogiques, 2000, 188 p.

"Accueil, accompagnement, approche interactive, transaction interpersonnelle, négociation, écoute, dialogue..." on pourrait poursuivre la liste de ces termes qui révèlent au mieux l'intention de l'auteure: montrer que l'évaluation requiert proximité, disponibilité, qu'elle est en définitive une éthique, et qu'il dépend des "gestes évaluatifs" que les élèves soient plus ou moins autonomes, plus ou moins captifs, plus ou moins investigateurs (p. 19).

C'est un ouvrage érudit, certes, mais fondé aussi sur une riche expérience personnelle. 

On en retiendra certaines images savoureuses, par exemple celle du radar qui piège le fautif (le professeur verbalisant, p. 79), celle de l'arpenteur et du coryphée (l'élève qui recherche, tâtonne, au lieu de reproduire, l'élève qui rappelle à l'ordre, répercute le sens, p. 99-100).

 

Le redoublement (p. 83)

Les arguments avancés par les enseignants pour justifier la décision d'un redoublement, dont ils soulignent le caractère positif pour l'élève, concernent  le manque de bases, le manque de travail, la nécessité d'une plus grande maturité. (...) 

De fait, un fossé existe entre les intentions généreuses des enseignants et l'attitude de l'élève, parfois bougonne, pour ne pas dire amère, tant il épouve la sensation de faire du sur-place. Un sentiment d'amertume s'échappe alors de ses propos: redoubler, c'est revenir à la case départ quand les autres passent. 

L'annotation comme dialogue (p. 146)

Contrairement au jugement judiciaire où l'autorité de la chose clôt l'audience, l'annotateur peut établir un mode relationnel plus interactif orientant l'élève, faisant en sorte qu'il prolonge son propre travail et qu'il envisage un réinvestissement sur l'objet annoté. 

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2011

Janvier

Alain Bentolila, Parle à ceux que tu n'aimes pas * Le Défi de Babel Odile Jacob, 2010, 230 pages, 19,90€

On connaît le mythe de Babel qui signifie dispersion, séparation, mise à l'écart, peur de l'autre... Il faut, dit l'auteur, relever défi de Babel, renouer et entretenir le lien, la reconnaissance d'autrui, retrouver le "pouvoir de paix" dont est inves tie la parole (p. 41). Linguiste, et surtout humaniste, il nous rappelle l'importance d'une parole bien apprise, refusant toute indifférence à l'Autre (p. 136). Faute de quoi on va tout droit vers la violence et vers la soumission aux discours médiatiques.

Résistance et tolérance, tels sont donc les impératifs pour une vraie citoyenneté (p. 214).

D'où l'importance de l'école, responsable au premier chef, mais celle-ci doit pouvoir compter sur des parents partenaires. (p. 215). Or cela nous paraît bien optimiste: quand l'école, en effet, veut engager les parents dans ce projet, ne voit-on pas davantage ceux dont l'enfant est comme prédestiné à la réussite que ceux des milieux marginalisés que l'indigence langagière tient à l'écart ? On pourrait, malgré tout, parier pour l'utopie !

 

Février 2011

Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme, Actes Sud, 2010, 153 p., 18€ [recension de Christian Thys]

Le jeune philosophe  Jérôme Ferrari obtient le prix roman France Televisions pour Où j’ai laissé mon âme, 5 novembre 2010. Comme romancier, il n’en est pas à son coup d’essai puisque, né en 1968, il  inaugure sa carrière d’écrivain en 2003 avec  Aleph Zero, aux édition Albiana (Ajaccio) qui avaient déjà fait paraître son recueil de nouvelles Variétés de la mort.  En 2007, il publie chez Actes Sud Dans le secret, qui sera suivi de Balco Atlantico (2008) puis d'Un dieu un animal (2009).

 Nul doute que  Où j’ai laissé mon âme figurera, pour sa réflexion sur la  violence,  aux côtés des Bienveillantes de Littell, à la différence que Ferrari a l’audace de  nous transporter  dans l’après-guerre d’une France aux prises avec les mouvements de décolonisation sur fond de Guerre froide.  Une période mal aimée des lettres françaises qui s’étend de la chute de Dien bien Phu (mai 1954)  aux accords d’Evian (18 mars 1962). Il n’est pas inutile de rappeler que pour clôturer ce chapitre de l’histoire de France, De Gaulle eût à affronter les réactions souvent violentes d’une majorité de pieds-noirs soutenue par une partie de la population métropolitaine située politiquement à droite. L’imposition de ses visées politiques contraignit le Général à renier certaines de ses promesses tout en provoquant un malaise certain  dans une armée placée sous le commandement de chefs prestigieux (Challe, Jouhaud, Salan, Zeller).

  Bien avant Jérôme Ferrari, des romanciers, souvent issus des combattants comme Jean Lartéguy, Jacques Perrin, Paul Bonnecarrère, avaient évoqué les états d’âme d’une armée enlisée dans des guerres perdues d’avance et tentant d’effacer par l’héroïsme la défaite de juin 1940. Le film L’ennemi intime de Florent Emilio Siri avec dans les rôles principaux Benoît Magimel et Albert Dupontel avait en 2007 largement illustré les difficultés d’un combat où des officiers français idéalistes devaient progressivement abandonner leurs illusions d’une guerre légitime et où leurs subordonnés algériens étaient partagés entre leur fidélité à la France et les bonnes raisons de rejoindre les partisans du FLN. Cette thématique hante la plupart des films de guerre récents.

 Dans le roman de Ferrari, qui se passe en 1957, il s’agira aussi de camper des personnages qui, solidaires, et après avoir résisté successivement aux geôles de la Gestapo et aux rigueurs des camps viets, finissent par se transformer en bourreaux, chargés comme dans toute guerre moderne de recueillir des renseignements par l’imposition de la  torture.

L’originalité du roman réside donc plutôt dans l’écriture de l’auteur qui oppose deux voix narratives : la première, en narration directe, renvoie aux reproches émanant du lieutenant Horace Andreanis, chargé des basses oeuvres, puis condamné à mort pour avoir exécuté des prisonniers, mais en fin de compte amnistié par la justice militaire. Et la seconde voix,  celle de son supérieur, le capitaine André Degorce, voix qui renvoie, elle, à une narration en  troisième personne, mais  fortement impliquée dans les tropismes qu’éprouve ce dernier. Ceux-ci  nous révèlent des tentatives   aussi vaines que  naïves pour «humaniser» l’usage de  pratiques dégradantes exercées sur les prisonniers, malheureusement aussi indispensables à la guerre que contraires aux  principes de l’éthique militaire pratiquée en chambre.

 De leur complicité dans l’accomplissement de leurs tâches ignobles, aucun des deux officiers ne sauvera son âme, même si le second  croit lever ses scrupules en reportant sans raison valable son mépris sur le premier. C’est d’ailleurs la leçon de vie   qui nous retiendra,  précisément parce qu’elle dénonce  combien est fragile la fine pellicule de vertu que le capitaine voudrait   conserver en dépit des faits. Pour sa défense, Andreanis, le subordonné,  invoque le cycle infernal et incontournable des attentats et de leur répression, tout autant que - on pouvait s’y attendre - son attachement sans faille aux ordres  et à une loyauté aussi indéfectible que touchante à son supérieur. Une leçon universelle qui concerne toutes les armées du monde, car  la guerre a ses exigences et la raison d’Etat  passe outre au sang souvent inutilement versé. Les valeurs militaires dites d’autant plus nobles qu’elles  sont attachées à la nation ou  au drapeau perdent de leur crédit et   ne deviennent sur le terrain  que de pures abstractions aussi dérisoires que  les breloques qui pendouillent sur la poitrine  des anciens combattants. Alors, il faut peut-être conclure que l’Histoire elle-même est un piètre pédagogue, elle  qui,  ironiquement, replace malgré eux les Français dans l’ombre des bourreaux gestapistes. Et l’étau des regrets et des remords se referme  implacablement sur la conscience des deux hommes, car à moins d’émaner de brutes, les actions dégradantes  ne cessent de hanter  ceux qui les ont infligées. La dégradation de la victime fait resurgir dans le bourreau une violence primitive, celle de la haine que l’on se porte suite à sa propre dégradation dans la pulsion de mort déchaînée. Et la résistance de la victime, tout en suscitant une certaine admiration, ne fait qu’attiser la haine de soi. Après cette expérience l’image du sur-moi est irrécupérable.

 On l’a dit, c’est un scénario connu  qui revient de manière récursive à propos de tous les conflits et qui laisse les mêmes traces chez tous les acteurs poussés dans les mêmes impasses. Notons l’exception exemplaire du général Jacques Pâris de Bollardière, résistant, meneur d’hommes, bardé de médailles pour son courage, qui prit sans restrictions le parti des protestataires et accepta de compromettre une brillante carrière :

 «La guerre n’est qu’une dangereuse maladie d’une humanité infantile qui cherche douloureusement sa voie. La torture, ce dialogue dans l’horreur, n’est que l’envers affreux de la communication fraternelle. Elle dégrade celui qui l’inflige plus encore que celui qui la subit. Céder à la violence et à la torture, c’est, par impuissance à croire en l’homme, renoncer à construire un monde plus humain. »

 En devenant acteur  de ces crimes qui ne peuvent être ni punis ni pardonnés, le bourreau  appartient alors  à  ces maudits  condamnés et  à  ressasser sans fin  leur faute et  à  s’abriter derrière les excuses conventionnelles comme le suggérait Arendt lors du procès  Eichmann  ?Ferrari laisse la réponse en suspens jusqu’à ce qu’il fasse prononcer à un André Degorce, taraudé par ses scrupules, cette prière adressée  au Fils de Dieu    :

 «Pourquoi m’a-t-il (Jésus) laissé gâcher ainsi tout l’amour que je portais en moi ? (...) Je suis un animal qui gémit si froid que je n’éprouve même plus la douleur qui me fait gémir, et bien que je sache que j’ai perdu depuis longtemps le droit de le prier, je le fais quand même. Je voudrais seulement qu’il me permette de revenir, ne serait-ce qu’un instant, où j’ai laissé mon âme.»

On imagine qu’un metteur en scène bien inspiré pourrait porter ce roman sur les tréteaux avec une sobriété qui égalerait celle d’un huis clos de trois personnages, les deux bourreaux et la victime, un troisième personnage responsable du FLN, lui au moins  optimiste et sans illusions quant au sort qu’on lui réserve, mais  porté par la vague du vaste mouvement de décolonisation.

  A un moment où Houellebecq avec le Goncourt donne le  ton  à  la littérature d’aujourd’hui, Ferrari, jeune professeur de philosophie et    engagé dans  la foulée  de la génération humaniste d’après-guerre,  rejoint donc une nouvelle génération de romanciers   français et algériens,  marqués par les  événements d’Afrique du Nord comme cet autre officier passé brillamment à la littérature, Yasmina Khadra, lui-même  héritier déclaré de Camus.

 

mars 2011

Marc Augé, Où est passé l'avenir ? Seuil.2011, coll. Essais, 131 p., 6,50€

Cela est dû principalement à l'essor prodigieux des moyens de communication: nous en sommes arrivés à abolir quasiment le temps et la distance; les événements les plus lointains nous sont connus presque aussitôt qu'ils se produisent: "les catégories de temps et d'espace ne sont plus opérantes" (p. 15), "le présent est devenu hégémonique et ne laisse plus apparaître les linéaments de possibles futurs" (p. 35).   

Autre constat: en ce qui concerne l'accès au savoir, face à une élite restreinte de détenteurs, se forme une masse croissante d'exclus. (v. p. 112).

D'où un double défi: retrouver la pensée du temps, redonner l'espoir aux exclus. Telle est la mission de "résistance" dévolue à l'éducation: former des citoyens ni uniformes ni grégaires, mais singuliers et solidaires, promouvoir les relations humaines pour construire l'identité personnelle, qui "est le produit d'une incessante négociation. (...), moins je suis seul, plus j'existe." (p. 75).

 

avril 2011

Marie-Rose Moro, Nos enfants demain. Pour une société multiculturelle, Odile Jacob, 2010, 250 p., 21€

Quand l'auteure parle de métissage, d'intégration, de diversité culturelle, c'est tout d'abord à la lumière de son propre vécu dans une famille espagnole venue vivre en France, c'est grâce aussi à une spécialisation très poussée de psychiatre et psychanalyste pour enfants et adolescents (elle enseigne à Paris-Descartes), c'est surtout au travers de nombreux et variés contacts - à Paris, à Kaboul et ailleurs... - avec des jeunes en difficulté d'insertion, et qui sont relatés dans un style direct qui saisit la réalité sur le vif.

Elle nous rappelle une évidence: ces problèmes d'intégration sont de plus en plus attestés, et "le mal-être des adolescents n'a pas de frontières" (p. 221). Il est donc urgent d'en prendre conscience; il est indispensable - particulièrement dans la sphère éducative - de "faire l'expérience du décentrage et de se familiariser avec d'autres systèmes culturels" (p. 200).

Faute de quoi, c'est la peur, le repli sur soi, la violence, qui risquent de l'emporter. Cessons donc de "voir la diversité comme un obstacle" (p. 11) !

 

mai 2011

Tzvetan TODOROV, La peur des barbares * Au-delà du choc des civilisations, Robert Laffont, 2008, 300 p., 19€

"Avec les moyens de destruction dont nous disposons actuellement, leur embrasement pourrait mettre en danger la survie de l'espèce humaine. C'est pourquoi il est nécessaire de tout faire pour l'éviter. Telle est la raison d'être du présent livre." (p. 24)

Tout faire ! A commencer par l'indispensable : percevoir la pluralité comme une valeur, le métissage comme une dynamique d'enrichissement, le dialogue comme l'unique voie vers la vérité et la justice. Pour l'illustrer, l'auteur étudie quelques faits récents: l'attentat du 11 septembre, les caricatures de Mahomet, le discours papal de Ratisbonne, la torture et la répression comme exercices du pouvoir, la création, en France, d'un ministère de l'Identité nationale...

S'agissant d'ouverture culturelle, l'institution scolaire est  directement sollicitée: comme il serait profitable de "mettre les élèves en contact avec des grandes oeuvres de diverses cultures mondiales, montrant par là que l'épanouissement de l'esprit peut prendre les formes les plus variées" (v. p. 114).

Cette phrase de Voltaire, citée p. 253, nous interpelle encore en 2011: «Je ne sais à laquelle de ces trois nations [Anglais, Français, Italiens] il faudrait donner la préférence, mais heureux celui qui sait sentir leurs différents mérites. »

 

juin 2011

Jean-Pierre Astolfi, L'école pour apprendre. L'élève face aux savoirs ESF, coll. Pédagogies, (rééd. 2010), 206 p., 23€

Il fallait le rappeler, et vigoureusement : l'école, c'est sans doute - un peu - le maître qui enseigne ; c'est surtout l'élève qui apprend !.

Ça veut dire, par exemple, que l'évaluation est moins un bilan qu'un projet ; ou encore que les questions de l'élève importent plus que celles de l'enseignant ; ou encore que l'acquisition des savoirs est moins une transmission qu'une "transaction", c'est-à-dire une d'appropriation par des procédures différenciées ; ou encore qu'apprendre n'est pas ajouter ou cumuler des savoirs, mais les relier, les mettre en réseau..

On l'aura compris, l'auteur s'en prend aux partisans du cours magistral, eux qui dénigrent le "pédagogisme". (Voir l'extrait ci-dessous). Il en impose par la rigueur de ses analyses ; mais il sait aussi recourir à des images parlantes: le mur, l'escalier, le jeu d'échecs, le saut en hauteur, l'effet Jivaro, le poisson rouge... ! 

Voir avec les yeux de l'élève !

Experts en leur domaine, ils (les enseignants...) ne parviennent plus à le voir avec les yeux de novice qu'est l'élève. Le savoir est pour eux déjà compacté, mis dans une certaine "forme", sans qu'ils soient à même de percevoir que celle-ci n'est compréhensible qu'à ceux qui savent déjà.

On entend déjà la réplique des tenants de la tradition : que voulez-vous donc alors, des maîtres ignorants, peut-être? Qui, ne sachant rien, ou pas trop, puissent davantage rester à l'écoute de leurs élèves?

Là n'est en aucun cas la question. La question, c'est d'allier à une compétence disciplinaire - la plus solide possible, qui s'en plaindra ? - une décentration suffisante, qui permette de comprendre les difficultés des élèves, de leur propre point de vue. Les questions des élèves sont plus importantes que celles des enseignants.

Op. cit., p. 52

 

Juillet-août 2011

Frédérique Aït-Touati, Contes de la Lune. Essai sur la fiction et la science modernes, Gallimard, coll. NRF Essais, 2011, 206 p, 17,50€. 

 Voilà un livre qui fera date dans la réflexion sur les rapports - des rapports très étroits ! - entre fiction et science. Enseignante à Oxford et à Science-Po, docteure en littérature et en histoire des sciences, elle nous présente, sous ce titre - ô combien poétique - Contes de la lune, une refonte de sa thèse en Sorbonne Poétiques du discours cosmologique au XVIIe siècle.

Son propos ne manquera pas d'intéresser un enseignant de français lisant et faisant lire de la SF ! Et gageons que cela intéressera encore plus tout amoureux et tout expert de la recherche scientifique. C'est une évidence, en effet, que la science nourrit la fiction, et que celle-ci inspire celle-là.

Jules Verne autant que Tintin ont chatouillé les méninges des scientifiques d'aujourd'hui: c'est Michel Serres qui vous le dira !

Nous nous retrouvons ici au coeur de ce XVIIe siècle qui fut celui de Kepler et de Huygens, mais aussi de Fontenelle (Entretiens sur la pluralité des mondes) et de Cyrano de Bergerac (L'autre Monde ou les Çtats et Empires de la Lune).

C'est passionnant d'un bout à l'autre. Passionnant de découvrir combien la fiction - même la plus libre - peut produire le savoir le plus rigoureux.

 

Septembre 2011

Robert Darnton, Apologie du livre – Demain, aujourd’hui, hier, Gallimard, nrf essais, 2011, 216 p., 19€

Des rouleaux de l'Antiquité à l'e-book de demain, avec passages obligés par Gutenberg et par la reconnaissance du droit d'auteur, la perspective est large, et l'érudition, considérable ! Difficile, désormais, de parler du livre et de son avenir en faisant l'impasse sur cet ouvrage.

On en apprend, des choses: que le zapping ne date pas du 21e siècle (p. 25), que la stabilité textuelle n’a jamais existé avant Internet (p. 97), que Google pourrait bientôt en savoir plus sur nous que la CIA, le FBI et le fisc confondus (p. 130), que le monde du savoir demeurera dans la galaxie Gutenberg – même si cette galaxie connaît une expansion grâce à une nouvelle source d’énergie, le livre numérique, qui viendra compléter la grande machine de Gutenberg, non s’y substituer (p. 175).

Retenons, nous, enseignants, cette réflexion de l'auteur (p. 178) : de nos jours, l'information pullule à la milliardième puissance... Mais l'information n'est pas le savoir !

Au fil des pages

Ce que R. Darnton nomme zapping: c'est, de l'Antiquité à Gutenberg et au delà, la pratique du recueil de citations pour "mettre en forme la nature du monde"; une activité qui reflète la personne autant que la "saveur du temps". (p. 21 & 25)  [Ce butinage fécond n'a rien à voir avec le zapping improductif du téléspectateur oisif et frivole.]

La stabilité textuelle... Exemple: "L'édition la plus largement répandue de l'Encyclopédie de Diderot, en France, au XVIIIe siècle, contenait des centaines de pages qui n'existaient pas dans l'originale. Son éditeur était un prêtre qui étoffa le texte d'extraits d'un sermon de son évêque afin d'obtenir la protection de ce dernier." (p. 97)

La numérisation des livres par Google. Vers 1990, on aurait pu numériser par une alliance des bibliothèques. «Nous comprenons aujourd’hui que nous avons perdu une grande occasion." Pour Google, "il s'agit essentiellement d'une question de répartition des profits, non de défense de l'intérêt public". (p. 124-125)

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Octobre 2011

Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2011, 268 p., 18€

A 37 ans, nomade impénitent, il décide de faire halte pendant six mois dans une isba en bordure du lac Baïkal, "le premier village à 120 km". Il ne sera pas ermite - celui qui fuit le monde - mais "forestier" - celui qui se réconcilie avec le monde. Une solitude qui sera fusion totale avec la nature au travers des tâches de survie: couper du bois, pêcher l'omble dans les eaux gelées, se protéger de l'ours... Une solitude meublée de lectures où il fréquente Bachelard, Jankelevitch, Romain Gary..., écoutant tantôt la Callas, tantôt du clavecin - qu'il préfère au piano parce qu'il "a les nerfs à fleur de peau". Parfois aussi, des rencontres de Russes dans un parfum de cigares et de vodka.

Sa cabane dans la taïga, c'est "le royaume de la simplification", le "laboratoire de ses transformations", le lieu d'une "vie sobre et belle" - superbe couple d'adjectifs ! Mais il ajoute que "la solitude, cela peut se recréer partout".

On pourrait penser à Daniel Defoe, à Jack London. Mais ici, on dépasse largement le niveau du pittoresque et du simple dépaysement. Nous voici dans le registre de la connaissance de soi, de la contemplation, du dépassement du temps : une expérience qui va désormais le nourrir, et que l'écriture rend durable.

 

Novembre 2011

Valérie Barry, Identifier des besoins d'apprentissage * Fondements, méthodologie, étude de situations L'Harmattan, coll. Savoir et Formation, 2011, 196 p., 19€.

C'est un processus bien connu, dans la sphère de l'instruction et de l'éducation: l'évaluation succède à la pratique pédagogique; et celle-ci succède à l'identification des besoins d'apprentissage. Succède ou... devrait succéder ! Sur le terrain, en effet, on observe, assez souvent, que les pratiques pédagogiques sont mises en place sans avoir suffisamment pris en compte les besoins, les attentes, les potentialités des enseignés. «Il y a des programmes, il y a des directives, il y a même des manuels où tout est prévu... On peut s'y appuyer.» Conséquence : les dispositifs d'enseignement risquent de manquer partiellement leur cible. Parfois, de façon irrémédiable.

V. Barry développe un exposé très bien construit, maniant une terminologie et certains concepts parfois assez peu familiers au praticien de la base. Elle termine par l'analyse de deux situations (Sophie, 8 ans, trisomique ; et Léo, ado agressif) : une observation d'une rigueur exemplaire !

A la suite d'une bibliographie détaillée, on pourra parcourir un copieux référentiel permettant de définir les besoins d'apprentissage: pas moins de 40 pages avec quelque 1600 items répartis en quatre champs: relationnel, instrumental, cognitif, culturel !

Rigoureux, sûrement, voire austère. Mais en filigrane quelques idées-forces auxquelles tout éducateur souscrit volontiers, telles que la nécessité d'une action concertée, et surtout le pari d'éducabilité, illustré, p. 35, par ce propos du peintre Friedensreich Hunderdtwasser: certains disent que les maisons sont faites de murs. Je dis qu'elles sont faites de fenêtres !

 

Décembre 2011

Pierre Zaoui, La traversée des catastrophes - Philosophie pour le meilleur et pour le pire Collection L'ordre philosophique, Seuil 2010, 378 p., 23€

Ce livre, d'une écriture savante qui peut déconcerter le profane, se présente comme un manuel de survie face à tout ce qui nous tombe dessus (ces deux formules reviennent plusieurs fois): la maladie, la mort, la blessure amoureuse (eh oui : Eros s'acoquine avec Thanatos !), la séparation, l'exclusion...

Qui dit "traversée" dit exercice de volonté, de lucidité, de prise en charge personnelle, ce que l'auteur appelle vivre la vie dans la plus large tessiture possible (p.367), ou encore : la capacité d'extraire de ses souffrances et de ses cassures une puissance d'affirmation supérieure de la vie (p. 344).

Il se déclare athée authentique, "ni désespéré, ni replet". Pour lui, être athée signifie ne pouvoir écrire qu'à condition que ses textes ne survivent pas en tant que doctrine (p. 52). Un athéisme respectable et respectueux, lucide et critique, qui se plaît à célébrer, dans un chapitre émouvant (pp. 278 et sv.), la sagesse des Psaumes illuminant la nuit de la Shoah.

P. Zaoui se sent à l'aise - et très libre - avec les grands philosophes d'autrefois (Parménide, Zénon, Épicure...) et d'aujourd'hui (Deleuze, Blanchot, Levinas...). Il est aussi un passionné de littérature, citant volontiers Kafka, Beckett, Pessoa, Dostoievski... C'est dire combien son propos est solide et humaniste.

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2012

Janvier

Martine A. Pretceille L'éducation interculturelle Coll. Que-sais-je? 3e éd. mise à jour, 2011, 128 p., 9 €.

Difficile de trouver aujourd'hui, dans nos écoles, des classes où tous les élèves auraient les mêmes origines nationales, ethniques, culturelles, religieuses !

Au fait, cette diversité quasi générale est-elle concrètement prise en considération par les communautés scolaires: enseignants, éducateurs, médiateurs... voire par les élèves eux-mêmes? Des directives, des circulaires, des formations, des échanges d'expériences sont disponibles, mais avec quels effets sur le terrain?

Sur ce sujet de l'interculturalité, voici un ouvrage qui a le mérite d'être à la fois bref, dense, sérieux, clair et très bien mis à jour.

L'idée-force est que toute culture est diverse, ouverte au métissage; sinon elle tient du totalitarisme, du fascisme (v. p. 21-22); que "le concept d'interaction - dialogue, écoute, échange - est central pour la définition de la culture et de l'identité culturelle" (p. 57). D'où l'importance de l'apprentissage de la décentration (v. p. 116). 

 

Février 2012

François Laplantine, Je, nous et les autres Poche-Le Pommier, 2010, 160 p., 7€

L'auteur le déclare d'emblée et sans détour: il s'agit de malmener deux notions - l'identité et la représentation - qui contribuent, selon lui, à l'effritement, voire à la disparition de l'exercice critique de la pensée et de la créativité.

L'une et l'autre nous portent à rigidifier et à perpétuer nos perceptions des choses, des personnes, des cultures, à nous établir à la fois dans la suffisance qui est paresse intellectuelle (négligeant la complexité du réel) et dans la peur qui est repli sur soi, rejet du différent.

C'est le refus de l'altérité, du métissage et du changement. Et la vanité du chacun pour soi et du chacun chez soi peut aller jusqu'au drame : "de la guéguerre paroissiale, on peut passer par degrés imperceptibles au génocide (...). L'identité charrie de la mort." (53).

Ce qui fonde la pensée de l'auteur, c'est sa longue pratique de l'anthropologie, "pensée de la relation et non de la séparation, pour laquelle il n'existe jamais rien d'intrinsèque, d'inhérent" (p. 63). C'est aussi la littérature (Kafka, Beckett, Proust, Pessoa... et déjà Montaigne et Diderot), vaste entreprise de mise à distance du réel et de l'immobile.

Précieux, ce petit livre ! Pour apprendre à mieux percevoir le je, le nous et les autres.

 

Mars 2012

Jean-Louis Dessalles, Pascal Picq, Bernard Victorri, Les origines du langage  Le Pommier, coll. Universcience, 2010, 184 p., 9 €.

Pour étudier ce problème des origines du langage, il faut considérer une évolution qui s'étend sur plusieurs millions d'années. Les modes de vie de nos ancêtres - activités, habitat, nourriture... - se sont transformés. Et aussi leur morphologie: "des modifications affectant à la fois le cerveau, la partie supérieure du tronc et le pharynx ont pu se mettre en place et se retrouver mobilisées dans la production d'un protolangage articulé" (67-68).

Celui-ci fut-il unique - sorte de langue mère d'où dérivent toutes les autres, comme le prétend Meritt Ruhlen? Rien ne le prouve, mais sa reconstitution, quoi qu'en dise ce linguiste, est aujourd'hui impossible (92).

A l'origine, ce protolangage aurait eu, selon Dessalles, une fonction "événementielle" de signalement (102); mais Victorri parle plutôt de fonction "narrative" (p. 106), la narration étant information factuelle ("Signaler la nouveauté est déjà systématique chez l'enfant préverbal": 132), mais aussi mise à distance, ce qui ouvre l'espace du mythe, de l'interdit, et crée, par l'échange, les structures sociales.

Les trois auteurs sont d'éminents spécialistes, mais leur érudition n'est ni pesante ni pédante : c'est un grand art de dire les choses les plus complexes en alliant rigueur, prudence et clarté.

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Avril 2012

Hervé Kempf, L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie Seuil, La librairie immédiate, 2011, 180 p., 14€

N'importe qui vous le dira: nous sommes en démocratie. Et c'est vrai que la consultation populaire existe et fonctionne, que la voix des urnes confirme ou infirme, que le droit de manifester s'exerce et peut peser sur les décisions, que l'opinion s'exprime de diverses manières pour soutenir ou réprouver...

Et pourtant ! Il faut y voir de plus près. Et constater que d'autres pouvoirs se sont mis en place, qui contrarient le fonctionnement démocratique. Leur stratégie: favoriser les lobbies des grandes entreprises. Leur force: avoir souvent à leur tête des gens qui, préparés dans des Hantes Ecoles à la gestion de l'Etat, se retrouvent "dans le privé" à la tête de puissantes sociétés.

Alors nous voilà dans un système habile de gratifications, de promotions, de propagande. Pas étonnant que, soucieux d'avoir les mains libres, ces puissants agissent sur les médias, tantôt pour les intimider, tantôt pour aliéner leur public dans la superficialité. (Sur ce dernier point, cette phrase d'Al Gore, citée p. 91 : "Les gens qui regardent la télévision ne participent pas à la démocratie s'ils la regardent quatre à cinq heures par jour" !)

Comment sauver la démocratie de la menace oligarchique ? L'auteur se garde de donner des recettes. Pour lui, l'essentiel, c'est de "se refuser à l'indifférence"; et il cite, p. 136, une grande démocrate indienne, Arundhati Roy: "Un monde différent ne peut être construit par des personnes indifférentes."

 

Mai 2012

Alain Badiou, avec Nicolas Truong, Éloge de l'amour, Flammarion, Champs Essais, 106 p., 5€.

Cet opuscule est un redéploiement de l'entretien entre le philosophe et le journaliste qui eut lieu durant le Festival d'Avignon le 14 juillet 2008 au Théâtre des idées. 

Le fil conducteur, c'est le refus d'un amour qui serait sans obstacle : il faut "réinventer le risque et l'aventure contre la sécurité et le confort" (19). Meetic en prendra donc sérieusement pour son grade ! La rencontre initiale, qui peut sembler tenir du hasard, amène les partenaires à partager le regard sur le monde, à construire un projet, à inventer la durée. "Il y a bien sûr une extase des commencements, mais un amour, c 'est avant tout une construction durable" (40), "une lutte réussie contre la séparation" (91). L'auteur exclut toutefois toute idée de transcendance - c'est son droit. Mais quand il affirme que le christianisme substitue à l'amour combattant "un amour passif, dévot, courbé" (p.71), cette opinion ne peut guère s'appuyer que sur quelques rares mystiques doloristes et pudibonds qui s'offusquent de l'extase charnelle, telle qu'elle est décrite dès le début de la Bible (Genèse 2, 23).

Ça et là, au fil des pages, quelques brillantes références littéraires éclairent le propos du livre  : Marivaux ("On a le triomphe de l'amour, pas la durée", dit l'auteur, p. 85)), Rimbaud ("L'amour est à réinventer"), Claudel (Partage de midi, Le Soulier de satin), Mallarmé ("le hasard est enfin fixé"), les surréalistes en liberté, Platon, Tristan et Isolde, le Cantique des Cantiques ("une des célébrations de l'amour les plus puissantes qui ait jamais été écrite", p. 69)...

Un livre intelligent et généreux, ni triste ni bégueule, à recommander chaudement à ceux qui accompagnent les jeunes dans leurs projets de vie.

 

Juin 2012

Christine Inglis, Planifier la diversité culturelle, Éd. Unesco, 2009, 200 p., 14,25 €

On pouvait s'y attendre, au vu du titre: cet ouvrage très fouillé souligne le rôle décisif joué par l'école dans ce problème de la diversité culturelle qui concerne pratiquement tous les pays : en effet, "rares sont ceux qui peuvent prétendre que leurs populations sont homogènes" (22).

On ne s'étonnera donc pas que l'auteure australienne s'intéresse d'aussi près aux projets conçus par les responsables de l'enseignement: il s'agit principalement des programmes, mais ceux-ci ne doivent pas seulement viser des connaissances : "L'accent est mis autant sur les aptitudes et les aptitudes éducatives que sur la transmission du savoir" (120).

Il s'agit aussi de "développer des pratiques nouvelles qui dépassent le cadre de la classe et concernent les relations entre l'école, les parents et la communauté locale" (p. 159).

Il s'agit enfin de préparer les enseignants à intervenir dans un monde scolaire où la diversité est devenue évidence : "La diversité croissante de la population scolaire dans toutes les sociétés actuelles signifie qu'un jour ou l'autre, au cours de sa carrière, tout enseignant se trouvera en présence d'élèves issus de diverses origines ethniques et culturelles, dans son école et dans sa classe. Il est donc de plus en plus important de leur inculquer, durant leur formation initiale et leur perfectionnement professionnel, les connaissances théoriques et pratiques nécessaires pour être à l'aise et efficaces face à des groupes diversifiés d'élèves." (170)

Professeurs de langue d'enseignement, de langues étrangères, de sciences humaines, ne manquez surtout pas la page 114 qui nous rappelle que la littérature et les arts tiennent une place de choix dans la planification de la diversité culturelle !

Livre téléchargeable

 

Juillet-août 2012

Lucien Jerphagnon, De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles, Entretiens avec Christiane Rancé, Albin Michel, 2011, 261 p., 17,33€

L'auteur, éminent historien de la philosophie, décédé en 2011, nous livre ici son testament sous la forme d'un dialogue ouvert aux grandes questions que l'homme se pose depuis ses origines : la liberté, le progrès, l'éducation, l'amour, la souffrance, la mort, l'éternité, Dieu...

Au coeur de ces entretiens, l'exigence de vivre dans la curiosité et l'étonnement, de penser par soi-même, d'échapper au fléau de pensée unique et uniforme (page 154, il cite à ce propos Jean-François Revel dans La Grande Parade : "L'idéologie, c'est ce qui pense à votre place.")

Il ne manque pas de rendre hommage à ses maîtres d'autrefois, de Socrate à Augustin et passant par l'Ecclésiaste, et de son époque, Henri Bergson, Jean Orcibal, Vladimir Jankelevitch, Paul Veyne, le cardinal Paul Poupart et bien d'autres qui furent à la fois ses amis et ses inspirateurs. On ne s'étonnera donc pas du fourmillement de citations qui émaillent sa conversation, et toujours bien à propos.

Le lecteur avisé attend évidemment le philosophe sur la question essentielle de Dieu et de l'éternité ! La réponse est aussi courageuse que prudente. "L'éternité, on la devine (...), on la pressent, (...); de l'éternité, on sait tout juste ce que laisse entrevoir le temps qui passe" (248). Quant à la question sur Dieu, notre philosophe s'en prend avec ironie et bon sens à "ces incollables théologiens qui créent Dieu à leur image" (250). S'il est vain de parler de Dieu, il est plus sage d'entendre Dieu nous parler. C'est pourquoi, s'inspirant du récit des pèlerins d'Emmaüs (Luc 24), il conclut ainsi : "Si Dieu ne peut être connu, Jésus peut être aimé." (258).

Le travail du philosophe

Tout philosophe s'inscrit dans le temps pour parler de l'éternité; dans le fini pour parler de l'infini; dans le contingent pour parler du nécessaire; dans le partiel pour parler de la totalité; dans le particulier pour parler de l'universel; dans le relatif pour parler de l'absolu. (Op. cit. p. 173)

 

Septembre 2012

Robert Rowland Smith, Petit déjeuner avec Socrate - Une philosophie de la vie quotidienne Seuil, 2011, 280 p., 18€ (traduit de l'anglais par Sylvie Taussig)

Immortel Socrate ! Il n'en a pas fini de nous inspirer, de nous rappeler le double impératif de toute philosophie : l'insatiable et rigoureux questionnement sur le quotidien, fût-il le plus ordinaire et le plus banal («Une vie sans examen ne vaut pas la peine d'être vécue», cité p. 16) et l'indispensable connaissance et exploration de soi, immortalisée par le célébrissime Connais-toi toi-même.

Va donc pour ce questionnement sur notre quotidien, sur dix-huit situations, du lever au coucher - et vice versa, de la journée la plus ordinaire de Monsieur ou Madame Tout-le-monde : le boulot, la dispute, la visite chez le médecin, le shopping, la lecture, la popote, le rapport sexuel, la fête, la télé, le rêve...

Pas de pitié pour les apparences, les illusions et les idées reçues ! Ainsi, vous croyez être libre, vous ne l'êtes pas : le travail peut devenir de l'aliénation (56), le client se croit indépendant mais tout peut le conditionner (128), la gymnastique entretient la forme... la forme d'un être mortel (156), la fête doit nous rapprocher mais pour un peu se pervertit en jeu de rivalité (221). C'est agréablement écrit - et, il faut le préciser, très bien traduit. Mais comme c'est lucide, parfois impitoyable ! 

Et quelle érudition ! A tout moment, les plus grands noms de la philosophie sont pertinemment convoqués à ce petit déjeuner, ainsi que de nombreux témoins - parfois les plus inattendus : Brillat-Savarin, Machiavel, Georges Bataille, Thérèse d'Avila, Ovide, François Mitterrand, Beethoven, Margaret Thatcher, Adolf Hitler...   Gageons que, quand il enseigna la philosophie à l'université d'Oxford, cet auteur a dû séduire son auditoire.

 

Octobre 2012

Michel Serres, Éloge de la philosophie en langue française Champs - Flammarion, 1997, 280 p., 9€

"Qui habite, confortable, au sein d'une société close, classe, Église, école, parti ou discipline, manque, oui, au moins de la moitié de l'expérience humaine. (p. 14)"  Voilà qui résume au mieux, sans doute, le propos de l'auteur : les philosophes refusent l'allégeance, la conformité, la répétition, le corporatisme. Il est d'ailleurs frappant de constater que leurs biographes parlent, pour beaucoup d'entre eux, d'interdit, d'expulsion, de condamnation... Serait-ce particulièrement vrai, s'agissant de la philosophie en langue française, de Descartes à Deleuze, de Diderot à Bergson, de Rousseau à Péguy? L'auteur s'attache à le prouver... Il ne franchit guère les frontières de l'hexagone (à retenir pourtant sa particulière estime pour Leibniz, visionnaire et prophète). 

Le philosophe est donc celui qui sort du cercle ! D'où les métaphores de la "randonnée" (c'est le titre de la seconde partie - soit les deux tiers - du livre), du cheminement, du réseau, de la cartographie, du labyrinthe, du virage ("les virages favorisent la visite" - 102). Le randonneur découvre la complexité, "se débrouille dans l'imbroglio" (206) du local pour appréhender le global. Pas étonnant qu'il s'intéresse à la construction d'algorithmes.

Il faut aussi saluer le langage de Michel Serres : rigueur et érudition nécessitent une lecture patiente, voire appliquée ; mais quelle profusion d'images, quelles trouvailles de sons et de rythmes, quelle créativité de syntaxe et de lexique ! En voilà un qui est à cent lieues du triste jargon des pédants. Ça fait penser à Rabelais.

 

Novembre 2012

Gilles Dowek, Ces préjugés qui nous encombrent, Manifestes, Le Pommier, 2012, 114 p., 10€

Grand prix d'Alembert des Lycéens (2000) pour La recherche exhaustive *, Grand Prix de Philosophie de l'Académie Française (2007) pour Les Métamorphoses du calcul (Le Pommier), l'auteur s'en prend à ces préjugés tenaces qui «encombrent nos discours sur la science et sur la technique». Ces préjugés à l'encontre de "la fonction productive" s'expliquent dans une hiérarchie sociale - les clercs, les guerriers (entendez : les chefs), les artisans - qui remonte à plusieurs millénaires.

La technique, c'est évident, a amélioré nos existences. Pourtant, «l'adjectif technique est presque exclusivement péjoratif» (54) : conseiller technique, agent technique, résultat technique... et même lycée technique et I.U.T. sous-entendent des tâches ou des formations qui ne ressortent pas aux fonctions de commandement.

Qui dit technique dit calcul, formulation mathématique. Voilà qui horripile certains maîtres es sciences humaines: notre champ de recherche, prétendent-ils, est par nature rétif à la mathématisation ! A quoi l'auteur réplique : «plus un phénomène est complexe, plus il est nécessaire de le mathématiser pour l'appréhender" (71). Car mathématiser, ce n'est seulement dénombrer; c'est démontrer, c'est expliquer.

Est-ce la faute à la technique si "les allumettes permettent à la fois de chauffer les maisons et de jeter les hérétiques au bûcher" ? La réponse est qu'un "supplément de puissance" doit s'accompagner d'un "supplément de sagesse, afin que cette puissance soit utilisée pour faire le bien et non le mal : nous sommes des homo technologicus, nous devons devenir des homos sapiens technologicus" (110-111).

Un ouvrage passionnant, finement argumenté, qui pourra énerver certains mandarins... !* Vidéo de son intervention

 

Décembre 2012

Corinne Maier, Bonjour paresse * De l'art et de la nécessité d'en faire le moins possible en entreprise, Michalon éd., 2004, 120 p; 12€..

Elle a bien raison de souligner certaines dérives du monde de l'entreprise : la soumission à l'impératif du rendement aux dépens de la stabilité des emplois, la médiocrité des relations entre les différents échelons de la hiérarchie et dans la considération des personnes, les rémunérations des patrons : dividendes, parachutes dorés...

Mais souvent, trop souvent, l'outrance des formules affaiblit l'argumentation : il est commode de généraliser; plus difficile et exigeant est l'art de la nuance ! Epinglons, parmi bien d'autres, quelques avis péremptoires : "L'entreprise se sert du droit du travail... pour contourner celui-ci (36). Le syndicaliste est souvent un cinquantenaire désabusé... (47). L'entreprise est par essence le lieu de l'exclusion (66). Le salariat est la figure moderne de l'esclavage (101)." C'est encore plus gênant quand, à deux reprises, l'auteure décrit l'entreprise totalitaire en citant le slogan concentrationnaire Arbeit macht frei (21-22) ou en évoquant l'obéissance selon Goebbels (23). Cela tient du mauvais goût !

Corinne Maier pratique une écriture vive, agréable, créative. Quelques clins d'oeil intertextuels remémorent Françoise Sagan, Pierre de Coubertin (l'important est de participer), George Orwell (la novlangue), Shakespeare (To be or not to be),  le général De Gaulle (le tracassin), Cabu (le coaching), Pierre Dac (le Français moyen), etc. Une légèreté de ton et un humour qui n'assoupissent vraiment pas le lecteur.

retour début

 

2013

Janvier

Isabelle Causse-Mergui À chaque enfant ses talents * Vaincre l'échec scolaire Education Le Pommier, 2012 (3e édition), 294 p., 22€

La plus grande partie de ce livre (chapitres 1 à 4) est consacrée au récit détaillé des rencontres de l'auteure avec des enfants et des adolescents - du cours préparatoire au lycée - qu'elle a pu longuement observer et patiemment remettre en confiance. Chaque récit est assorti de deux rubriques : Idées pour les parents ("donner du sens", "inviter à rire", "exercer la curiosité", "réfléchir avec l'enfant", "regagner la confiance", "apprendre par le jeu"...) et Pour aller plus loin (la question du redoublement, l'évolution selon Piaget, le regard de l'entourage, la gestion mentale selon La Garanderie...).

Quant au cinquième et dernier chapitre, Questions de parents, il vient bien à propos pour lever des incertitudes et prévenir des erreurs: Pourquoi mon enfant n'aime-t-il pas à apprendre ? Que dois-je faire pour les devoirs de mon enfant ? Les grands parents peuvent-ils faire quelque chose ? Faut-il le faire travailler sur ordinateur ?...

Le lecteur - parent ou enseignant - sera sûrement interpellé par le parti-pris d'optimisme qui traverse tout le livre: "Combien de fois, écrit l'auteure, ai-je décontenancé des parents qui venaient de dresser un tableau sombre mettant en scène les difficultés de leur fils, en leur demandant quelles étaient ses qualités et dans quels domaines il réussissait ! (...) Tous souhaitent le meilleur pour leur enfant. Mais tous oublient ce qu'il y a de bon en lui." (p. 220) Il s'agit donc de : "faire la part belle aux mille promesses que chaque enfant recèle en lui et qui ne demandent qu'à éclore" (4e de couverture).

 

Février 2013

Hans Küng, Peut-on encore sauver l'Eglise? Seuil, 2012, 250 p., 21€

Formé à la Grégorienne, il est expert à Vatican II (1962-65) avec Joseph Ratzinger, le futur Benoît XVI. La publication en 1971 de Infaillible? Une interpellation, puis de Être chrétien, en 1979, entraîne le retrait de son habilitation canonique à enseigner la théologie catholique à l'université de Tübingen où il tenait ce poste depuis une vingtaine d'années.

Il demeurera néanmoins inébranlablement fidèle à son Église, et s'il se montre sévère, voire virulent envers elle, c'est, dit-il, par amour de l'Église et de sa cause (238). Il ne s'agit donc ni de la quitter ni d'y créer un schisme (32-33), mais de la refonder dans la foi en Jésus-Christ, l'unique Seigneur de l'Église (173) : voilà, par parenthèse, un repère essentiel pour la démarche oecuménique.

A la question du titre, la réponse fondamentale est celle-ci : nous devons nous tourner résolument vers les origines de l'Église, telles qu'elles sont attestées dans le Nouveau Testament (170).

Il attend de la hiérarchie - visant expressément la Curie romaine - qu'elle examine au plus près l'histoire du christianisme, surtout à ses débuts, puis dans son évolution, qu'elle prenne aussi en compte les mutations sociales, pour des questions vitales telles que le mariage des prêtres (le célibat est une loi monastique et médiévale), l'ordination des femmes (revoir saint Paul et les évangiles!), l'intercommunion, la prédication par des laïcs ; il la conjure de mener un dialogue sans méfiance avec les scientifiques pour ce qui concerne la sexualité, la procréation, l'origine de la vie, l'évolution, la recherche médicale, la sociologie...

L'essentiel serait sans doute, selon lui, l'écoute disponible de la parole libre et responsable des communautés : ce qui aujourd'hui est vraiment dynamique dans l'Église ne vit pas de proclamations "d'en haut, mais d'impulsions "d'en bas" (170) ; ce serait aussi d'apprendre des autres religions et de mettre en valeur les autres cultures dans une Église vraiment universelle (135).

 

Mars 2013

Christian Bobin, L'homme-joie Éd. L'Iconoclaste, 2012, 190 p., 17€

Ouvrir un livre "comme on pousse la porte d'un jardin abandonné" (4e couv.). Un livre à la couleur du bleu du ciel : innocence, plénitude, lumière. Du début à la fin, entre ce "bleu dans le matin fraîchi d'avril" (13) et cet incroyable "bruit que peut faire un bouquet de fleurs dans une toute petite chambre" (179), une série de découvertes, de souvenirs, d'évocations, où l'éclat de la forme nous fait creuser la profondeur du sens.

Ceci, par exemple, pour la bien-aimée disparue : "l'insolence colorée des fleurs, ce démenti jaune, blanc, rouge, bleu, rose au néant monocorde" (61-62).

Ou encore, quand Blaise Pascal, après l'illumination du lundi soir 23 novembre 1654, presse la doublure de sa veste où se cache son Mémorial : "L'Éternel fait un bruit de papier froissé" (95).

Et ceci : le cheval "dans l'herbe haute noyée de boutons d'or. L'animal mangeait, éclaboussé d'or et d'émeraude" (103).

Et quelle audace de l'espérance quand il découvre des "trésors vivants" dans la déchéance des malades d'Alzheimer : "Nous finirons tous en miettes mais ces miettes sont en or et un ange, l'heure venue, travaillera, à partir d'elles, à refaire le pain entier." (137)

Et ainsi de suite au fil des pages - Maria la gitane, le mimosa à la fenêtre, la Vita Nova de Dante, l'archet de Menuhin, le clavier de Glenn Gould, l'ode à la plus que vive, les paraboles et le calvaire, le philosophe qui fait rire... - chaque fois, un émerveillement ! Un foisonnement d'images, une transfiguration du réel, qui font penser irrésistiblement au Cantique des Créatures.

Ou peut-être à Rimbaud en bure franciscaine ?

 

Avril 2013

Abdennour Bidar, Un islam pour notre temps Coll. La couleur des idées, Seuil, 2004, 107 p., 13€.

Un islam pour notre temps, ce sera à la fois par l'ouverture à la modernité et par un engagement personnel libre.

Ouverture : "la référence au Coran n'est plus désormais la seule source de réflexion, de valeurs et d'espoirs des musulmans' (12); "il faut accueillir la modernité, et notamment ses valeurs humanistes (liberté, égalité, tolérance)" (13). Celles-ci ne sont nullement contradictoires à l'idéal musulman de foi et de fraternité.

Engagement personnel : c'est un point capital ! Être musulman ne doit pas tenir à un conditionnement culturel mais résulter d'un choix libre et responsable, répondant à un besoin spirituel profond, faute de quoi les pratiques, les rites, les usages perdent de leur signification. "A travers ce principe fondamental, écrit-il, j'essaie de donner un sens précis au célèbre verset coranique «Pas de contrainte en religion» [II, 256], très souvent cité comme preuve que la liberté existe en islam, mais qui reste une formule sans contenu." (60).

Quelles réponses aux questions fréquentes sur l'islam : le rôle du chef religieux, la condition de la femme, le discours guerrier?

Le chef religieux ne peut avoir qu'un rôle de conseiller. Se faire directeur de conscience est une prise de pouvoir sans fondement dans le texte sacré. "Il est temps de réaffirmer l'égalité entre croyants et d'abolir la domination des imams." (64)

Des versets coraniques attestent explicitement la prééminence de l'homme sur la femme... Il faut les replacer dans leur contexte culturel : "ce qui valait dans les premières sociétés islamiques ne peut plus recevoir aujourd'hui la moindre justification". (65)

Déclarer l'islam religion d'Etat, c'est du totalitarisme. "Le chef de l'Etat ne peut pas légitimement être «Commandeur des croyants»" (72). "Toute démarche de combat qui se réclamerait aujourd'hui de l'islam le ferait sans aucune légitimité" (101).

 

mai 2013

Simon Leys, Le studio de l'inutilité. Essais Flammarion, 2012, 302 p., 20€

Quatre jeunes étudiants, un calligraphe, un historien, un philologue et Simon Leys le philosophe, ont occupé, pendant deux ans, une cahute dans un bidonville de Hong Kong, qu'ils ont appelée le studio de l'inutilité, soulignant par là que "dans leur jeunesse et durant leur période de formation, les talents des hommes vraiment supérieurs (et promis à un brillant avenir) doivent rester cachés" (p. 9).

Le pluriel essais, accolé au titre, annonce la variété des domaines explorés : la littérature (plus de la moitié de l'ouvrage), la Chine (et aussi le génocide cambodgien), la mer. Et pour clore le parcours, son discours - plutôt impertinent - de Docteur honoris causa de l'Université catholique de Louvain en 2005.

Michaux, Orwell, Chesterton, le Prince de Ligne, Segalen, Nabokov... C'est un érudit et surtout un home de goût et de grande sagesse qui nous mène de découverte en découverte : un amour de la littérature qui est vraiment contagieux.

Des chapitres sur la Chine et le Cambodge, on retiendra particulièrement le portrait de Liu Xiaobo, Prix Nobel de Paix  en 2010, toujours en détention. "Échappant à l'endoctrinement maoïste (...), il découvrit le principe qui allait guider tout son itinéraire intellectuel : on doit penser par soi-même" (p. 167). Que penser de la Chine d'aujourd'hui ? Oui, elle est devenue une superpuissance, mais "une superpuissance amnésique (...) avec interdiction absolue de faire l'histoire du maoïsme en action" (p. 218).

La troisième partie, la mer, est introduite par une ébauche d'anthologie de quelques écrivains "maritimes" : un peu vite bien fait, il faut le reconnaître. Bien plus intéressante est l'évocation de Magellan et des naufragés de l'Aukland.

Inutilité, gratuite, intériorité : l'auteur y revient dans un chapitre sur la leçon chinoise. Pour le calligraphe, le peintre, le musicien, "l'objet premier de leur activité demeure la culture et le développement de leur vie intérieure" (p. 192). Tel est finalement l'essentiel du message de ce Belge d'Australie !

 

juin 2013

Philippe Sellier, La Bible. Aux sources de la culture occidentale Seuil 2013, coll. Points - Sagesses, 350 p., 8,50€

La culture occidentale est nourrie abondamment de la Bible. Cette copieuse littérature, de la Genèse à l'Apocalypse, a suscité une immense production d'oeuvres d'art ; elle se reflète, également, dans quantité d'expressions courantes. On le sait, bien sûr, mais un peu confusément : la diversité des personnages, des événements et  des lieux, les modes de vie, les genres textuels et les procédés de réécriture, tout cela, pour le lecteur-lambda-et-de-bonne-volonté, peut paraître confus et complexe.

C'est le grand mérite de cet ouvrage (publié en grand format en 2007 sous le titre La Bible expliquée à ceux qui ne l'ont pas encore lue) de nous fournir une "boîte à outils" idéale pour saisir de plus près combien la Bible marque de son empreinte l'art et le langage. Et c'est un tour de force d'allier rigueur et clarté dans l'exploration d'une longue histoire et d'une littérature multiforme ! Un copieux index nous permet d'aller voir de près comment tel fait, tel personnage, telle coutume trouve des échos dans la peinture, le vitrail, la poésie, le cinéma, la sculpture, la musique... comme dans les mots du quotidien : il nous en donne ces centaines et ces centaines d'illustrations !

L'épilogue élargit la perspective au niveau des idées, des valeurs, de l'action : il souligne combien une lecture éclairée de la Bible fait découvrir son actualité : «La foi biblique est aujourd'hui présentée comme la religion de la sortie du religieux à l'ancienne, comme la religion de l'avenir, dans la mesure où elle est en harmonie avec le caractère laïque et pluraliste des sociétés modernes, avec le principe de la liberté de l'individu, tout en maintenant une haute exigence éthique, universelle («catholique») au sein d'une société de débats.» (p. 330) 

 

juillet-août 2013

Jean-Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin * Les battements du temps Éd. Les liens qui Libèrent (France Inter), 440 p., 22,50€

«Nous sommes comme des nains assis sur les épaules des géants; pour cette raison, nous sommes capables de voir plus de choses, et de voir plus loin qu'eux.»  «Si j'ai vu un petit mieux, c'est parce que je me tenais sur les épaules des géants.» Ces deux citations liminaires (p. 9), l'une de Jean de Salisbury, l'autre d'Isaac Newton, éclairent la démarche de l'auteur : observer, avec Darwin pour guide, l'évolution de l'Univers qui nous entoure, les astres et tout le vivant, plantes, animaux et humains.

En réalité, l'enjeu est de taille ! Car aujourd'hui encore, l'évolution du cosmos et vivant demeure vivement contestée dans certains cénacles où l'on prend à la lettre le récit de la Genèse. On se souvient de John Thomas Scopes, dans le Tennessee, en 1925, condamné pour avoir enseigné ay lycée la théorie darwinienne ! Près d'un siècle plus tard, il en est encore qui persistent à croire - et à enseigner ! - que les êtres vivants ont été créés «sous leur forme actuelle» ! (v. p. 135.) On se souvient de la candidate républicaine Sarah Palin déclarant en 1997 que «les hommes et les dinosaures vivaient en bonne entente sur la Terre, il y a de cela 6000 ans» !

Ce que nous enseigne Darwin, c'est que «l'événement de la création n'est pas ancré dans le passé, mais projeté dans le futur.» (p. 176). Et les savants ne cessent, à la suite de Darwin, de le prouver, de nous faire découvrir - et admirer - un monde qui n'a rien d'immobile.

En définitive, dans notre observation du vivant, le plus important est, à coup sûr, de la transposer au plan de l'humain : la longue histoire de notre race nous a fait découvrir que la vie est sacrée : «Lorsque nous aurons appris ce que c'est qu'être humain, nous saurons ce que signifie être libre, et nous saurons que la liberté est réellement le commencement de notre avenir commun.» (p. 416).

C'est donc un humaniste, autant qu'un scientifique, qui s'exprime ! Et qui cite très souvent, en contrepoint, des philosophes, des poètes, des romanciers, tels que Pascal Quignard, Luis Borges, Emmanuel Kant, Marcel Proust, Démocrite... Et même Ésope, le fabuliste, qui parlait si bien d'évolution et de progrès dans sa fable de la corneille assoiffée : plus de 1500 ans avant Darwin, le mythe précédait le discours scientifique ! (v. 395)

Voir sur France Inter l'émission de J.-C. Ameisen, Sur les épaules de Darwin Déjà présentée dans LMDP 153

 

septembre 2013

Élisa Brune, Pensées magiques * 50 passages buissonniers vers la liberté, Odile Jacob, 2013, 160 p., 17,90€

Elle ne cesse de le répéter au fil des pages : pourquoi, diable, nous satisfaire de la banalité et du ressassement quotidiens, alors qu'un zeste d'imagination, de curiosité et d'audace - ce qu'elle appelle les passages buissonniers - peut donner du relief et de la couleur à notre vie ? Cet exemple, parmi bien d'autres : "Un professeur de français dont je me souviens avec gratitude a eu l'intelligence de m'orienter vers des livres qui ne m'attiraient pas du tout. Je n'ai eu que de bonnes surprises. " Et elle ajoute : "Depuis lors je ne dis jamais non à une proposition incongrue." (76-77).

Pourquoi donc se figer dans le "tout prévu", dans le conformisme, alors que l'inattendu peut nous épanouir? On a toujours fait comme ça, disons-nous, et nous voilà enfermés dans la répétition, dans l'insignifiance.

Il y a quelque outrance, parfois, dans le propos de l'auteure, surtout quand elle exalte des choix frivoles qui feraient son bonheur...; mais qu'en sera-t-il du bonheur d'un autre ? Une légèreté à mettre plutôt sur le compte d'un charmant délire.

Le style est vif, pétillant, agrémenté d'images et de formules frappantes : L'univers est en expansion. Pourquoi pas nous ? (15) La vraie question qui se pose n'est pas dans l'itinéraire mais dans son choix. (35) Combien de lapins attendent leur tour, blottis dans le chapeau? (73-74) Je me suis promis (...) de m'extirper de l'eau avant d'être cuite. (84) C'est la manie de trop décider sa vie, souvent, qui la vide de sa substance. (110) Parmi les personnages qui veillent en vous, lequel a pu prendre la parole ? (155)

Un manuel de sagesse, désinvolte parfois, mais qui nous place devant le miroir. Sous le badinage, la gravité. 

 

octobre 2013

Jean-Claude Monod, Qu'est-ce qu'un chef en démocratie? Politiques du charisme Seuil, 2012, coll. L'ordre philosophique, 315 p., 21€

Pour cerner la figure du détenteur du pouvoir politique, l'auteur propose différentes images. Tout d'abord, inspiré par A. Kojève (La politique du pouvoir, Gallimard, 2004), il distingue (p. 64) quatre figures : celle du Père (selon la scolastique médiévale), celle du Maître (selon Hegel), celle du Chef (selon Aristote), celle du Juge (selon Platon). Plus loin (p. 108 & sv), deux images encore : celle du pasteur - le guide - (de Moïse à... J.-J. Rousseau), celle du tisserand - le rassembleur - (prônée, par exemple, dans Le Politique de Platon). Des images suggestives qui viennent bien à point pour éclairer le développement théorique rigoureux.

A quoi tient donc le charisme du père, du juge, du tisserand...? Comment se déploie-t-il, pour le meilleur ? Ou pour le pire ? Quand et comment, par exemple, le pasteur devient-il führer, duce ou timonier...?

Pour répondre à ces questions essentielles, l'auteur entreprend un vaste parcours historique qui se clôt sur Lula et Obama, en passant par Napoléon, qui a tout accompli trop vite (p. 272), Staline, à la bienveillante terreur (p. 72), Hitler (la dictature comme purification..., p. 188), De Gaulle, Vaclav Havel, Kennedy, Mitterrand... En égratignant au passage l'exhibo-cratie d'un récent quinquennat.

Le but du livre : former des citoyens éclairés, aptes à refuser la dépossession démocratique (v. p. 304). Et il cite, bien à propos (p. 273), le grand résistant et moraliste René Char : Je n'écrirai pas de poème d'acquiescement (Feuillets d'Hypnos, Pléiade, 1983, 202.

 

novembre 2013

Michel Serres, Le temps des crises, Poche-Le Pommier, 2012, 112 p., 8€.

Il est grand temps de prendre la mesure du changement accéléré de nos conditions de vie. Quelques chiffres : la population rurale (agriculteurs et métiers associés) est passée - en Europe occidentale - de 50% à 2% en un peu plus d'un siècle; dans l'ensemble du globe, la population urbaine passe de 3% en 1900 à 14% en 2000, et avoisinera les 70 à 75% en 2030; quant à la mobilité des personnes, elle a été multipliée par 1000 depuis 1800. Des connexions tissent par milliards un réseau d'échange et d'informations.

Il est grand temps d'en observer les menaces. Car, dans cette frénésie créative, on a trop peu pris en compte ce que Michel Serres appelle.la Biogée, (eau, flore, faune, atmosphère...) : menacé, "le monde se venge et nous menace" (22) ! "L'air et l'eau, sans bouche ni langue, qui parlera en leur nom?" (58).

C'est aux scientifiques que s'impose la tâche de sauver la Biogée : "Seule la science a l'intuition et le souci du long terme (...) j'espère que ce livre le montre" (82). Et il égratigne au passage la politique-spectacle de certains écologistes : "Combien de soi-disant écologistes politiques savent un minimum d'écologie vraie ? Riant, je propose d'ouvrir de petits stages où, accroupis sur l'herbe, ils apprendraient" (97).

Deux serments clôturent ce savoureux opuscule. "Je jure (...) de vouer mes connaissances à l'égalité entre les hommes, à leur survie, à leur élévation et à leur liberté." (101) Le second serment, à la troisième personne, concerne les savants autorisés à parler au nom de la Biogée : ceux qui refusent d'être inféodés à la religion, à l'armée, à l'économie : "laïques, ils jurent de ne servir aucun intérêt militaire ni économique" (103).

 

décembre 2013

Philippe d’Iribarne, L’Islam devant la démocratie Gallimard, Le débat, 2013, 183 p., 19.90 €

L’auteur a souvent rencontré le monde musulman, au Maroc, en Jordanie, en Iran, en Indonésie… ; il s’interroge, dans cet ouvrage, « sur l’accueil que les pays musulmans réservent à la démocratie » (11).

L’Islam s’enracine dans la soumission au message du Coran : celui-ci, « venu de Dieu », ne souffre pas la contradiction : « Par conséquent, pas de demi-mesure entre la soumission et le refus (…) ;  ceux qui veulent suivre une voie intermédiaire : ceux-là sont vraiment incrédules » [v. Sourate IV, 150-151] (49). Si le Coran présente Dieu comme « le miséricordieux » (c’est le calligramme de la couverture), il précise que « cette miséricorde est réservée aux seuls croyants (…) ; entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, il existe un gouffre radical, seraient-ils père et fils ». [v. Sourate IX, 113-114] (58-59)

Tout autre apparaît la Bible et surtout le message du Christ, offerts à la liberté d’adhésion ou de rejet : l’auteur cite à ce propos des dizaines de passages ! (147-157)

La divergence est donc forte entre la Bible et le Coran. De même, entre la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Déclaration sur les droits de l’homme en Islam. Pour celle-là « Toute personne a la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion (…) » ; pour celle-ci : « L’Islam est la religion de l’innéité. Aucune forme de contrainte ne peut être exercée sur l’homme pour l’obliger à renoncer à sa religion (…). »

On l’a compris : si la souveraineté n’appartient qu’à Dieu, [v. Sourate XXXV, 13], si c’est le Coran – « fait des mots mêmes de Dieu » - qui est la seule source de certitude, si on ne peut penser que « conformément à l’intelligence divine » (70), on ne voit pas comment l’Islam peut accepter  la démocratie, qui se fonde sur le pluralisme, le débat, le doute, la liberté de pensée.

« La vague actuelle de fondamentalisme mondialisé va-t-elle céder (…) devant des formes nouvelles d’islams locaux susceptibles d’être ouverts au doute, à la critique et au pluralisme ? Pour le moment, on ne les voit guère venir. » (180)

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2014

Janvier 2014

Uri Eisenzweig, Naissance littéraire du fascisme Seuil, La librairie du XXIe siècle, 2013, 170 p. 19€

Recension par Cécile VOISSET-VEYSSEYRE, sur le site non.fiction.fr 14.42.2013

“Évitons d’abord tout malentendu : il n’y a pas eu qu’une seule naissance du fascisme, car il n’a pas existé qu’un seul fascisme.” Ainsi s’ouvre le livre d’Uri Eisenzweig, Naissance littéraire du fascisme, publié au Seuil dans la collection de Maurice Olender, qui se risque à donner “le marqueur de tout fascisme : une vision organique de la Nation”. Ce faisant, il met à profit les travaux de l’historien Zeev Sternhell qui voit dans le nationalisme organique de la France de l’affaire Dreyfus la naissance d’«un discours antisémite nouveau, à rebours de l’argumentation traditionnelle».

Mais c’est pour refuser l’approche historiographique stricto sensu. Car l’approche de ce livre est non pas historienne mais formelle; c’est une analyse “centrée sur la question de la forme”. Aussi la question à laquelle répondre est : comment des choix formels et littéraires entraînent-ils une transformation idéologique ? La thèse du livre, reformulée tout au long d’une démonstration en trois temps, est que le combat barrésien contre le récit comme forme privilégiée du vrai conduit à poser l’existence d’une identité organique “immotivée”, c’est-à-dire ne se légitimant par aucune discursivité narrative.

La démonstration commence par une lecture détaillée des Déracinés de Maurice Barrès (1897, commencé en 1895), cet anti-intellectualiste et anti-universaliste qui inaugure un discours proto-fascisant par les implications formelles de son entreprise littéraire ; car “ce curieux roman antiromanesque […] esquisse le principe fondateur de l’antidreyfusisme à venir – et à travers lui, la matrice fondatrice du discours fasciste”.

Cela nécessite de s’interroger sur un changement de paradigme dans la littérature désormais discréditée comme roman – processus narratif renvoyant à une réalité – par toute une génération ; en l’occurrence, il s’agit de lire un Barrès anti-balzacien qui incarne l’antiroman par la mise en question généralisée du réalisme narratif. De ce point de vue, il est facile de déréaliser, c’est-à-dire de nier, Dreyfus en le réduisant à un personnage – à une fiction − dont il importe finalement peu de savoir s’il est innocent ou non, alors que s’affairent ses défenseurs pour prouver qu’il n’a pas trahi ; s’inscrit déjà là le nouveau statut littéraire réservé au juif.

Contre Sternhell pour qui l’affaire représente le tournant dans l’engagement d’un Barrès nationaliste et antisémite, Eisenzweig pose donc que c’est une vision engendrée par la crise du roman qui explique ce fascisme naissant de la plume barrésienne ; ainsi avons-nous affaire à une “conception de l’identité authentique comme échappant à tout récit parce que physiquement, organiquement, quasi biologiquement […], liée à la terre […]”  ; ainsi s’entend par après le discours antidreyfusard d’une vision organique, non narrative, de la société et de l’identité nationales. Pour Barrès, le récit est un poison.

Le deuxième temps de cette “lecture de l’émergence du discours fasciste à travers la transformation fin de siècle des rapports entre récit et vérité” s’attache à un dreyfusard de la première heure et au dernier véritable anarchiste que fut Bernard Lazare, lequel comprit que l’antisémitisme est d’abord une production narrative. Eisenzweig élucide les raisons de son silence à partir de 1898, autre élément inquiétant quant à la naissance d’un fascisme à la française. Lazare figure en effet le symétrique inverse de Barrès et partage avec lui les mêmes prémisses : un “rejet commun du privilège narratif dans l’appréhension du vrai”. Car pour lui, l’antisémitisme est une machine à récits ; le récit officiel de la culpabilité de Dreyfus est de fait mensonger. Il était logique, attendu, que cette attitude fût celle d’un anarchiste “et en particulier un de ceux qui avaient participé à la jonction éphémère mais lumineuse entre le discours anarchiste et la conception mallarméenne du langage, où la réalité est par définition absente de ce qui prétend la représenter”.

Le troisième temps de l’étude mène la lecture au Journal d’une femme de chambre du dreyfusard Octave Mirbeau, publié en 1900 et en miroir de l’affaire. Là encore, le roman s’organise autour d’une absence de progression ou d’intrigue narrative ; il raconte en effet l’errance circulaire d’une déracinée et renvoie l’image de cet antisémitisme par la figure du jardinier – un enraciné – Joseph. Ainsi, le texte de Mirbeau entre-t-il en résonance avec celui de Barrès, associant la question juive à l’irruption du récit dans un univers qui en semblait jusqu’alors dépourvu ; ainsi, la fiction constitutive de cet Autre se dessine-t-elle dans le texte fascisant qu’au fond il dénonce.

Cette étude passionnante, pleine de ressources, se saisit de nombre d’arguments et convoque nombre de références (avec un index rendant aisés les retours aux auteurs) qui permettent le prolongement de la lecture. La référence à Buñuel, qui transpose dans les années 1930 le roman de Mirbeau, tend en effet à en élargir le champ historique – l’intérêt littéraire – en laissant finalement entendre que l’attaque de la bourgeoisie par les ennemis du fascisme signifie que ce dernier parle également pour cette même classe sociale. 

En résumé : Une étude passionnante d’analyse littéraire qui force à revoir nos habitudes de penser la politique comme si l’histoire en était la seule mesure.

Uri Eisenzweig, professeur de littérature française, Rutgers Université, USA. Recherches sur Nerval, Camus, le roman policier. A publié en 2001 Fictions de l'anarchisme, Bourgois.

 

Fevrier 2014

Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi - Dépression et société Odile Jacob, 1998, 320 p. (texte 1-252; notes 253-320), 23€ [v. papier], 13,99€ [v. numérique]

L'ensemble de cet ouvrage concerne plutôt un public d'experts - médecine générale, neurologie, psychanalyse, pharmacologie.

Nous conseillerons cependant la lecture de quelques chapitres qui abordent deux questions particulièrement préoccupantes pour les professionnels de l'éducation, de l'aide sociale, de l'animation culturelle, de l'organisation des loisirs, des relations humaines...  : comment l'évolution de la société explique la fréquence accrue de la dépression, et comment celle-ci est en lien étroit avec le phénomène de l'addiction.

Le monde de l'entreprise est conditionné par le primat du rendement, de la flexibilité, de la concurrence, de la performance, autant de contraintes qui engendrent l'angoisse : L'entreprise est l'antichambre de la dépression (199). Une autre... antichambre : l'école. Elle est touchée par le principe - pervers - de la réussite, de la sélection, du dépassement - se soi et du rival : les exigences qui pèsent sur l'élève s'accroissent tandis qu'il assume lui-même la responsabilité de ses échecs, ce qui ne va pas sans engendrer des formes de stigmatisation personnelle (200).

Si le lien est étroit entre dépression et addiction, c'est parce que le dépressif se sent frustré, et finit par croire au confort par l'alcoolisme et la toxicomanie. Le remplissage addictif apparaît comme l'autre face du vide dépressif (143).

Au fait, de quoi parle-t-on, s'agissant de dépression ? D'entrée de jeu, l'auteur ne craint pas de le déclarer : hier comme aujourd'hui, les psychiatres ne savent pas la définir (10) ! Et de le rappeler, plusieurs fois. La définir, ce serait avoir vraiment prise sur elle. Alors, faute de pouvoir guérir, on soutient (214), et le dialogue compte pour beaucoup : les proches du dépressif en savent quelque chose.

 

mars 2014

Maurice Godelier, L'énigme du don, Champs essai, Flammarion, 2008, 315 p., 10€

L'auteur consacre presque la moitié de ce livre à Marcel Mauss (1872-1950), le père de l'anthropologie française, dont il revisite les oeuvres, surtout le célébrissime Essai sur le don (1923-1924).

Lui-même anthropologue (il a étudié, entre autres, les pratiques sociales des Baruya de Nouvelle-Guinée), il observe, dans le don, don offert, don en retour, ce qui donne à une ethnie son unité, son identité, sa permanence : une vie sociale où l'échange et la transmission ont un fondement sacré. Et le sacré distingue l'homme de l'animal : « les êtres humains sont tels qu'ils ne vivent pas seulement en société comme les autres animaux sociaux, mais qu'ils produisent de la société pour vivre » (239).

Produire de la société ! Qu'en est-il aujourd'hui, où le don est « coincé entre deux puissances, celle du marché et celle de l'Etat ? » (12) L'auteur clôt son ouvrage sur cette question. Dans la société du bizniz (comme prononcent les Baruya...), le don n'est-il pas devenu simple rituel, simple convenance ? Quel rôle tient-il dans le tissage social ? Maurice Godelier semble plutôt optimiste : « Dans notre culture, le don continue à relever d'une éthique et d'une logique qui ne sont pas celles du marché et du profit, et qui même s'y opposent, leur résistent. » (291)

 

Avril 2014

José Morel Cinq-Mars, Du côté de chez soi. Défendre l'intime, défier la transparence Seuil, coll. La couleur des idées, 2013, 230 p. 21€

On l'aura remarqué : il y une petite musique proustienne dans ce titre, et l'auteur de La recherche, "ce champion de l'introspection" (228), est effectivement évoqué çà et là au fil des pages.

Mais pour l'auteure, psychanalyste bien connue, l'introspection n'est point repli narcissique d'un "petit moi qui se prendrait pour le centre du monde " (47) : l'intime dont elle parle est le lieu de la connaissance et de la construction de soi, du développement d'une richesse personnelle qui résiste à cette frivolité de l'exhibition - du plaisir d'être vu (que l'auteure appelle "la pulsion scopique" - 57, ou "la transparence imposée"  - 218) - et qui n'a rien à voir avec l'authentique rencontre de l'autre. "Se fermer sur ses espaces intérieurs, s'ouvrir à l'autre : deux temps dont il faut apprendre à réguler l'alternance si l'on veut préserver et l'intime et les liens qui peuvent l'accueillir" (148).

Le livre se termine en soulignant l'importance du langage, par où l'intime se construit et s'affirme : l'image, la métaphore, l'allusion, le débit, le souffle, le jeu sur le son et sur le sens... sont autant d'affirmations de la liberté intérieure ! "Aussi longtemps qu'on peut penser «non», même si on est forcé de dire «oui», une part de soi échappe au pouvoir de l'autre et s'en libère" (229).

 

Mai 2014

Relever les défis de l'Education nouvelle * 45 parcours d'avenir

Coordination : Odette et Michel Neumayer - Étiennette Vellas. Préface : Philippe Meirieu. Éd. Chronique sociale 2009. 272 p. 16.90€

 Ils et elles se sont engagés dans ce projet de rénovation et témoignent au nom de ces nombreux enseignants et éducateurs dont l'action se fonde sur la conviction du Tous capables ! De fieffés optimistes, par conséquent, qui osent parier sur l'éducabilité de chacun.

Quels sont leurs atouts ?

Tout d'abord, chez beaucoup d'entre eux, l'influence décisive d'un milieu familial et social ouvert au désir de justice, d'émancipation, de tolérance, de respect des droits de chacun.... où se rejoignent et fraternisent celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas.

La pratique du travail en équipe favorise l'estime mutuelle, la collaboration, l'ajustement et la réussite des pratiques pédagogiques. C'est à cent lieues du chacun dans son coin ! «Je ne peux plus voir le métier d'enseignant comme un travail solitaire.» (64)

L'élève au centre: vaste programme à cent lieues de la démagogie. Une parole vraiment écoutée suscite la motivation : «Alors des projets très stimulants se créent.» (172). La prise en compte des possibilités de chacun doit être intensifiée : «les systèmes qui ont le moins d'échecs scolaires sont ceux qui pratiquent l'hétérogénéité». (168)

 En définitive, qui sont-ils, ces acteurs de l'éducation nouvelle ? Ph. Meirieu répond : «Ils auraient pu se calfeutrer dans la 'belle souffrance' de ceux et celles qui se vivent comme des victimes pour justifier leur immobilisme (...). Ils ont, au contraire, tenté de résister. Résister à la fatalité : celle des dons, celle des 'héritiers', celle de l'exclusion.» (8)

 

juin 2014

Sven Ortoli & Michel Eltchaninoff, Manuel de survie dans les dîners en ville, Seuil, 2007, 148 p. 14€

S'agissant d'un opuscule concocté par deux philosophes, le lecteur futé se doute bien qu'il ne s'agit pas de propos sur la bouffe, façon Jean-Pierre Coffe, mais de considérations subtiles sur l'humaine condition égrenées au fil des étapes de ce rituel mondain qu'est le dîner en ville.

Subtil - mais parfois féroce - le regard porté sur une tablée de fats, de narcissiques, de pédants, de maniérés et de faux-culs ! C'est du La Bruyère pour notre temps. C'est également une occasion de réviser Épicure, Voltaire, Rousseau, Spinoza, Carl Schmitt, Heidegger, Régis Debray... Et nos deux compères philosophes d'y entendent  pour nous rappeler leur constante actualité !

C'est aussi du Montaigne, souvent évoqué : « L'homme ? " Il faut le mettre en chemise", lui ôter ses prétentions : "c'est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme" » (p. 145).

Joli tableau d'une certaine société, où il est important de paraître !

 

septembre 2014

Jean PICQ, La liberté de religion dans la République - L'esprit de laïcité Odile Jacob, mai 2014, 176 p., 18 €

Il a fait SciencesPo et y enseigne l'histoire des rapports entre politique et religion. Il est également licencié canonique en théologie et en philosophie ; il a  exercé de hautes fonctions dans les rouages de l'État (Cour des comptes, Conseil constitutionnel...).

C'est dire qu'il en connaît un brin sur cette question : comment promouvoir une laïcité « ouverte et plurielle », fondée à la fois sur le respect, qui reconnaît l'apport positif des religions au débat public, et sur la retenue, c'est-à-dire sur un double refus : du pouvoir religieux de s'insérer dans les affaires politiques, et du pouvoir politique de s'insérer dans les affaires religieuses. Spinoza, Emmanuel Levinas, Paul Ricoeur, Claude Lefort, Marcel Gauchet... : ces penseurs ouverts au dialogue inspirent largement notre auteur, catholique républicain.

Ce livre est à recommander chaudement aux enseignants et aux éducateurs : ils sont au premier rang pour former les jeunes à une laïcité tolérante, au refus du rejet de l'autre et du repli sur soi. Il leur incombe d'être vigilants dans la lutte contre les préjugés et les communautarismes !

Citons à ce propos Michel Serres : Le même nous obscurcit et l'autre nous éclaire. Le même nous enterre et l'autre nous sauve. (L'art des pont. Homo pontifex. éd. Le Pommier, 2006, p. 211) ; ou encore Christian de Chergé, moine de Tibéhirine : Le respect est un regard vers le paysage de l'autre (cité par J.-C. Guillebaud, Le commencement d'un monde, Seuil, 2008, p. 145).

 

octobre 2014

Fabrice Midal, La tendresse du monde * L'art d'être vulnérable, Flammarion, 2013, 194 p., 17€.

Critique d'art, professeur de philosophie, fondateur de l'École Occidentale de Méditation, il a lu et relu tout Kafka, et découvre avec lui que "nos sociétés modernes ne permettent plus à l'être humain de vivre librement. (...) Devons-nous l'accepter ? Avec Kafka, il faut dire non, et qu'une autre vie est possible" (55).

Une autre vie... où l'on ne glorifie pas les gros bras, mais où l'on reconnaît et respecte la fragilité - "Il faut nous confronter à l'obscur" (79) - et où le salut ne pourra venir que de la tendresse :  cette "expansion de coeur qui vient de notre propre vulnérabilité" (131) et nous porte vers la vulnérabilité de l'autre. Telle serait la vraie sagesse, à cent lieues de cette philosophie hautaine et lointaine "qui ronronne de colloque en colloque"... (71).

Le Samaritain de l'évangile (Lc 10, 25-37), qui porte secours à la victime abandonnée, "n'est pas l'homme sage, l'homme savant, mais le païen. L'homme de rien." (63), Il trace, aujourd'hui encore, une route de salut.

 

novembre 2014

Frédéric SCHIFFTER, Le charme des penseurs tristes, essai. Flammarion, 2013, 162 p., 17 €

On peut croire qu'il y aurait effectivement un charme particulier à fréquenter des penseurs tristes, surtout ceux, parmi eux, qui suscitent chez le lecteur l'émotion, la compassion, la pitié...

Mais détrompez-vous ! Ceux que notre philosophe appelle penseurs tristes ne visent guère l'émotion ; leur discours est plutôt dans le registre du dédain, du rejet, de la provocation, du scepticisme. Et aussi dans celui de l'ennui, du désoeuvrement, du cafard.

Pas étonnant de rencontrer, dans cette catégorie, l'Ecclésiaste - "le prophète de l'à-quoi-bon", La Rochefoucauld - "le plaisir de rabaisser", Mme Du Deffand, "la marquise du cafard", de même que Cioran - "la métaphysique dévastée" et quelques autres, moins connus du lecteur ordinaire, tels que : Roland Jaccard le nihiliste, Albert Caraco qui "déteste la vie à en mourir", Nicolas Gómez Dávila, réactionnaire écoeuré, Henri Roorda, pour qui "l'ennui, c'est toute [sa] vie", etc.

Alors, à quoi tient, selon l'auteur, ce charme des penseurs tristes ? Ce serait dû, prétend-il, à la qualité de leur écriture: "le réactionnaire n'a qu'une idole : le style" (p. 135). Le brillant de la forme tiendrait-il surtout à la mélancolie, "mère des muses" (p. 15) ? Vraiment, rien n'est moins sûr !

[Il vient de publier Dictionnaire chic de philosophie, Préface de Frédéric Beigbeder, Ecriture, 286 pp., 23,95 €.]

 

décembre 2014

Camille PEUGNY, Le déclassement, coll. Mondes Vécus, Grasset, 2009, 176 p., 15€

Précisons que l'auteur se limite à la France dans l'analyse de ce qu'il appelle le déclassement, ou la mobilité descendante. L'analyse est rigoureuse et détaillée. Bornons-nous à ceci, qui illustre bien la situation : "Dans la France des années 2000 et à l'âge de 40 ans, un fils de cadre supérieur sur quatre et une fille sur trois sont employé(e)s ou exercent des emplois ouvriers." (43-44) : emplois d'exécution, au lieu d'emplois d'encadrement.

Ce déclassement - "l'angoisse d'avoir rompu l'histoire glorieuse ce la lignée" (101) - est parfois à l'origine de drames : divorce, alcoolisme, tentatives de suicide... Le sentiment de frustration, de dévalorisation, tient antre autres à la dévalorisation des titres scolaires : "Pour mes parents, c'était clair : tu travailles à l'école, tu as ton bac, tu vas à la fac  (...) et tu réussiras dans la vie (...). Finalement, eux, pas trop d'études et une belle place, moi un BTS et rien de bien réjouissant." (96)

Le déclassé tient à se démarquer de l'assisté : " J'aurais pu me laisser aller, toucher le RMI (...), non, j'ai toujours eu le courage de me lever le matin et d'aller bosser" (139). Dénoncer l'assisté : un thème cher à l'extrême-droite... Mais, le déclassé adhérera-t-il pour autant  au Front national ? L'auteur se montre ici prudent et nuancé : "Plus qu'un vote d'adhésion aux idées du Front national, le vote d'extrême droite serait l'occasion saisie par les électeurs déclassés d'exprimer colère, désarroi, sentiment d'injustice et de frustration." (149)

 

2015

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François JULLIEN, De l'intime. Loin du bruyant Amour, Grasset, 2013, 240 p., 19€

Comment parler de l'intime sans nous emporter ? "Repartons d'au ras de la langue", répond l'auteur : distinguons donc ce qui est contenu au plus profond d'un être - le dedans, et ce qui lie étroitement par ce qu'il y a de plus profond - le dehors (23). Entre l'un et l'autre, le partage (ce mot revient des dizaines de fois !), la connivence... Cette définition, notre auteur la creuse au fil des pages : "On ne saurait être restreint, médiocre, quand on accède à l'intime" (34). Ce qui compte, c'est "jusqu'où je suis capable d'aller, de me livrer et de basculer de mon dehors dans ce dedans partagé" (116-117). "C'est en m'ouvrant à la transcendance de l'Autre (...) que je suis moral" (133). Vous avez dit 'transcendance' ? Serions-nous, ici, dans la perspective métaphysique et spirituelle d'Emmanuel Levinas "où Dieu vient à l'idée" (1) ? Il nous semble que non : Fr. Jullien veut s'en tenir à un discours d'humanité et de raison. Pas au-delà !

Érudit et fin lettré, il nous propose en une bonne centaine de pages une brillante exégèse sur ce sujet de l'intime : de la Chine à la Grèce (Homère, Euripide, Socrate), saint Augustin, et surtout des auteurs plus proches de nous : Montaigne, Rousseau, Stendhal, Madame de la Fayette... Reste à savoir, chez ces auteurs, si la sincérité du texte reflète la réalité du vécu !

En résumé, une belle leçon de sagesse ! Prenons donc garde : la vie s'étiole en s'enfermant (cf. 136) !

(1) Emmanuel Levinas, Altérité et transcendance, LP, Biblio-essais , 2006, p. 29.

 

février 2015

Marcel CONCHE, Philosopher à l'infini, coll. « Perspectives critiques », PUF, 2005, 194 p., 17 €

L'auteur l'affirme clairement d'entrée de jeu : "Le mythe judéo-chrétien ne me prépara pas à penser les idées de Tout et d'infini. (...) C'est ma propre intuition de philosophe qui, spontanément, provoquait mon éloignement, mon refus de la voie monothéiste (p. 13)." C'est dans dans le réel, dans la Nature, et non dans le mythe, que l'infini est à découvrir, dans les mondes innombrables, aussi bien coexistants que successifs, dans un mouvement "qui ne peut avoir de fin", comme le déclare Aristote (v. p. 160); ce qu'affirme également Pascal : "la raison porte l'infini en elle" (143).

Au fil des pages, Marcel Conche nous met à l'écoute des penseurs et chercheurs de jadis - Platon, Aristote, Épicure... - et de naguère - Montaigne, Pascal, Bergson... Une confrontation brillante, érudite, où il sait marquer nettement l'assentiment comme la distance.

Autonomie, altérité. L'auteur souligne l'importance d'une recherche indépendante : "Tout être humain est en droit auto-créateur, ayant en lui de quoi forger sa propre interprétation de monde" (p. 147.) Cette liberté est, certes, essentielle : "L'on peut, et même l'on doit, philosopher seul. Mais l'on ne peut être heureux seul" (p. 154). Ouvre-t-il pour autant la porte à une altérité selon Levinas, un cheminement pour explorer l'INFINI dans le visage de l'autre ?

(1) Altérité et transcendance, LP, Biblio-essais , 2006, p. 29

 

mars 2015

Jean-Yves TADIÉ, Le roman d'aventures, coll. Tel, Gallimard, rééd. 2013, 220 p. 8,90€.

Avant 1800, de l'Iliade à Robinson Crusoé, en passant par Héliodore et Cervantès, le roman d'aventures est représenté par quelques oeuvres célèbres, et toujours revisitées. Spécialiste de ce genre littéraire, l'auteur en retient quatre grandes figures du 19e siècle : Alexandre Dumas, féru d'histoire et brillant conteur, Jules Verne, ingénieur et géographe, maître du roman d'anticipation, Robert Louis  Stevenson, critique littéraire et essayiste avant d'être romancier, Joseph Conrad, "psychologue, poète, philosophe, ou marin, ou polonais", et qui fut tout cela,,, "en n'écrivant que des romans d'aventures" ! (149).

"Ce qui nous importe, déclare d'entrée de jeu J.-Y. Tadié, c'est l'esthétique du genre (...) telle qu'elle s'incarne dans l'oeuvre de quatre grands artistes (...)  : l'aventure classique, l'aventure moderne, l'aventure poétique et l'aventure métaphysique" (27-28). Et il revient sur cette idée, dans la conclusion de son étude : "Le roman est un tissu de symboles, mais à condition d'être lu d'abord comme un roman, de pouvoir même se contenter d'une lecture qui reste au niveau du romanesque" (185).

Pas étonnant, donc, de voir chez ce critique une attention très minutieuse, vigilante, éclairée, aux détours de l'écriture, un souci d'être "au ras du texte" : à chaque page, en effet, des extraits bien choisis étayent ses appréciations.

Peu d'observations, il est vrai, sur l'aventure... du lecteur de romans d'aventures. Sans doute n'est-ce pas le propos de l'ouvrage... Mais le sujet mérite d'être creusé ! Que se passe-t-il, qu'est-ce qui se construit chez le lecteur de ce genre d'écrit : anticipation, identification, réminiscences, empathie, tissage intertextuel...? L'enseignant de français, formateur de lecteurs éclairés, est preneur pour en savoir plus dans ce domaine !

 

avril 2015

Patrick Willemarck, Nos savoirs à l'épreuve * Sous l'empreinte des médias, la raison se perd  Éd. Espace de liberté, 2014, 190 p. 15€

Comment demeurer libre dans une société où se déploie la pression des médias qui "nous disent comment le monde doit être lu" (19), qui "dramatisent les problèmes au lieu de les traiter" (24), qui valorisent l'imitation et la copie - " l'aspirant singe, pas l'aspirant homme libre" (77), qui "observent - sur le web - ce que nous publions, échangeons, achetons, vendons" (96) ?

Pour faire face, pour éviter que la raison ne se perde pas, s'impose la nécessité d'une "école de la liberté", de l'initiative et non de la répétition, du copier-coller. A ce sujet, l'auteur évoque pertinemment un recours intelligent à Wikipedia : pas pour le lire, mais pour y... écrire (v. 77) .! Ainsi se développera l'esprit critique du citoyen, disposé à "une approche participative qui donne le pouvoir aux gens" (88) ; ainsi se formera ce qu'il appelle élégamment "l'intelligence publique" (165, 180...)

Une citation de Kant (119) illustre bien le propos de l'ouvrage : Aie le courage de te servir de ton propre entendement !        

 

mai 2015

Jean Soler, Le sourire d'Homère Éd. De Fallois, 2014, 236 p., 18€ 

L'auteur est bien connu pour avoir analysé brillamment le message religieux de la Bible, entre autres dans L'invention du monothéisme (2002) et Qui est Dieu? (2002). Rien de commun, affirme-t-il, entre le Dieu des Hébreux - à la fois maître et providence - et les dieux de l'Olympe," qui sont issus de l'imagination des hommes" (117) : narrer leurs aventures, particulièrement chez Homère, est un "jeu littéraire" (59) de création poétique et narrative qui tient plus de l'extra-ordinaire que du sur-naturel (129). Jean Soler y voit "l'indice d'une société assez clairvoyante pour prendre ses distances avec la religion" (ibid.).

Les exploits guerriers sont constants dans l'Iliade et dans l'Odyssée. Et les dieux n'y sont pas étrangers. Mais il n'y a rien de positif à attendre de la guerre : "il n'existe pas pour Homère, de 'guerre sainte' ou de guerre juste'. La guerre est toujours une calamité." (65). Ce n'est donc pas  la violence - hubris - mais la raison - logos - qui prévaut ! Tel est, pour la cité grecque,  le fondement de la démocratie "qui reconnaît  à chaque individu une valeur propre, le droit d'avoir des opinions personnelles et de les exprimer librement" (182).

Homère nous propose une sagesse, une sérénité, un... sourire "qui colore le réel d'irréalité, pour l'apprivoiser en le rendant plus attrayant ou moins difficile à supporter" (231). Toujours actuel, donc !

 

juin 2015

Alain-Gérard SLAMA, La société d'indifférence Plon, 2009, rééd. éd. Perrin, 2010, coll. Tempus, 240 p., 8 €

La démarche de l'auteur s'inspire largement de deux livres - deux manifestes "pour une vigilance constamment en éveil" - "l'un en raison de sa passion pour la liberté, l'autre en raison de son engagement pour la vérité" (14) : Le Coup d'État permanent, de François Mitterrand, publié en 1964, et La Tragédie algérienne, de Raymond Aron, paru en 1957, sous la couverture de «Tribune libre». L'un dénonce l'exercice gaullien du pouvoir ; l'autre reconnaît l'indépendance de la colonie comme la seule politique raisonnable.

Quand A.-G. Slama publie son livre, un "hyperprésident" - dont il taira le nom ! - détient le pouvoir en France depuis presque deux ans. Un pouvoir quasiment  autocratique qui tient beaucoup du spectacle, de l'exhibition du moi, souvent de la provocation : le citoyen se fait spectateur, se sent peu engagé, devient  indifférent, alors que la politique du chef met en péril la cohésion sociale, exacerbe les postures identitaires.

L'analyse est rigoureuse, intelligemment mise en perspective par le rappel préalable des présidences antérieures, de Charles De Gaulle à Jacques Chirac.  De l'outrance, sans doute, notamment quand l'auteur trouve la laïcité menacée par l'engagement du religieux dans le débat démocratique (*).

A retenir, surtout, la conviction qu'un État prend sa force quand il sait susciter la responsabilité des citoyens, quand ceux-ci, "de droite ou de gauche, se découvrent encore capables d'élever la voix pour défendre les libertés" ( 217).

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(*) « (...) s'appuyer sur les contenus convergents des différents cultes pour faire avancer la tolérance ne peut qu'aggraver les divisions et les rejets. »  (142)

 

juillet 2015

Mathieu PIGASSE, Éloge de l'anormalité Flammarion, coll. Champs Actuel, 2015, 152 p., 7€ 

Décidément, l'auteur n'est pas tendre pour les politiciens ; et c'est à ceux qui gouvernent la France qu'il s'en prend tout particulièrement.. "La  politique est pour eux un métier et non un dessein. L'objectif est de prendre le pouvoir et de s'y maintenir." (16). Manquant de courage, d'audace, de créativité, leur seule proposition est la normalité qui paralyse. L'obsession de l'équilibre induit une discipline budgétaire - "la barbarie de l'austérité" (41) - qui aggrave la détresse des populations et accroît la violence politique.

Nous voilà, dit-il, à Normaland, le pays de la normalité, où l'on préfère l'attente à l'action : "surtout ne rien faire, surtout ne pas bouger pour ne rien bousculer, surtout ne rien tenter pour ne prendre aucun risque." (95).

Comment en sortir ? Il faut retrouver "le rêve et la rage", "permettre à chacun de pouvoir agir sur sa vie et non plus de subir" , et que la politique ne soit plus "un jeu médiocre et intéressé, la conquête du pouvoir pour le pouvoir" (109).

Le rêve et la rage... ! La formule est jolie et généreuse (autant que la critique est souvent simpliste et outrancière). Mais il est vrai qu'il est important et urgent d'encourager l'audace, voire la prise de risque. Et que, dans ce but, "l'éducation doit être repensée. Elle est aujourd'hui une machine à trier et à recruter les élites". (135) Elle formera de bons citoyens... et de bons dirigeants, si elle promeut et récompense la "pensée créative" (144) et le goût de l'invention, du défi, de l'aventure, plutôt que la stérile copie du même.

 

août 2015

Hervé Kempf, Fin de l’Occident, Naissance du monde,  Seuil, 2013, 152 p., 15€

Une évidence historique : pour l'Occident, c'est la fin d'une suprématie de quelques siècles ! « Après avoir transformé le monde, les Occidentaux rentrent dans le rang. » (31) Inde, Chine, Brésil...  : les pays émergents rattrapent les pays développés.

Autre évidence : Il faut en finir avec l'obsession d'une prospérité à tout prix, parce que la croissance à un coût écologique : il faut donc « substituer une culture de la solidarité et de l’entraide à une culture de l’individualisme et de la compétition » (114), ce que l'auteur appelle "passer de néolithique au biolithique : « vivre en accord avec les rythmes du vivant et les ressources de la Terre » (137).

Voilà épinglée fortement la toute-puissance du capital ! Il importe d' « écologiser l’économie » (99) en donnant plus d'importance aux cultures vivrières qu'aux cultures d'exportation, de «libérer les chercheurs de la tutelle du capital » (112), de dénoncer. une situation où 20% de la population - les moins riches - détient 1% du revenu mondial (35).

Le livre est un plaidoyer chaleureux - et richement documenté - contre le gaspillage et le matérialisme, et aussi un appel à la tolérance, au respect de la diversité des croyances. Ce qui invite au dialogue : « moins de biens, plus de liens » (106) !

 

septembre 2015

Serge Gruzinski, L'histoire, pour quoi faire ? Fayard, 2014, 194 p., 18€

 Largement inspiré par l'historien Pierre Chaunu et par le philosophe Peter Sloterdijk, l'auteur plaide pour une approche globale de l'histoire. Il s'agit de se dégager du repli sur l'histoire nationale dont on a pu mesurer les dérives - la fascination du fascisme ! (55) - particulièrement dans la première moitié de 20e siècle, mais aujourd'hui encore dans maints régimes totalitaires. À l'heure de la mondialisation, de l'élargissement des horizons, de la multiplication des échanges, des déplacements libres ou contraints de populations, nul ne peut ignorer la culture, la mémoire, les aspirations de l'autre. Paris, New York, Mexico, Berlin... : "chaque endroit, qu'on le veuille ou non, renvoie renvoie à d'autres mondes et accueille des religions, des mémoires et des modes de vie que rien ne préparait à une vie commune" (115).

Mais qu'en est-il, au fait, de l'enseignement de l'histoire, dans nos collèges et dans nos lycées ? L'auteur cite notamment l'actuel programme de seconde qui aborde la "notion plurielle de modernité" en expliquant que "ces modernités se forgent au contact d'autres humanités et d'autres savoirs" (184). "Ce programme, poursuit-il, témoigne des efforts méritoires de l'Éducation nationale pour échapper aux vieux moule hexagonal" (ibid.).

Et il illustre son propos en évoquant le travail de Laurent Guitton en classe de seconde du lycée Jean-Rostand de Roubaix, cité multiculturelle et peu favorisée... ; un travail qui aboutit à un spectacle, L'Aigle et le Dragon - dont l'action se déroule aussi bien en Chine qu'en Amérique latine - monté dans le cadre d'un apprentissage de l'histoire, où les lycéens, déclare leur professeur, se sont montrés "capables par eux-mêmes d'accéder à une forme d'écriture de l'histoire (...) en dépassant le roman national, insuffisant à lui seul à donner du sens à leur parcours familial et social (...) afin de mieux les préparer à leur futur rôle de citoyen du monde" (192).

Le livre de S. Gruzinski, La pensée métisse, a été recensé deux fois sur le site LMDP : voir cette page librairie, juillet-août 2007 & avril 2010

 

octobre 2015

Peter SLOTERDIJK, La folie de Dieu - Du combat des trois monothéismes Fayard/Pluriel, 2012, 190 p., 8€. Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni

Gottes Eifer - tel est le titre original, paru en 2007 - cela peut signifier aussi bien "le zèle de Dieu" que "le zèle pour Dieu". Et l'on se rend bien vite compte que la seconde signification prévaut très nettement. Ce zèle monothéiste, l'auteur nous en fait découvrir la vigueur, mais aussi les dérives, dans des affrontements qui laissent des traces durables dans l'histoire de l'humanité.

C'est, tout d'abord, le monothéisme judaïque, qui s'affirme notamment dans la libération de l'esclavage (l'extermination des premiers nés d'Égypte...) puis, durant l'exil, dans le mépris des divinités étrangères. Apparaît ensuite le monothéisme chrétien qui annonce le salut et la vérité en Jésus-Christ fils de Dieu, non plus au seul peuple d'Israël, mais à toutes les nations, entendez : à tout l'empire romain. Et au 7e siècle, c'est l'Islam qui, se réclamant du Dieu unique et vrai, se définit dans un esprit de croissance et de conquête. Dans la succession de ces trois monothéismes, esquissée ici très sommairement, l'auteur souligne une certaine continuité : « Mohammed renouait avec l'exacerbation du judaïsme postbabylonien qui se prolongea avec l'exacerbation zélatrice de Paul et continua à développer ces principes dans le sens d'un militantisme intégral. » (88).

Comment échapper à la folie de l'affrontement ? Une seule voie est ouverte, une seule : déradicaliser l'alternative  - le vrai, le faux - et accéder à la pensée polyvalente (v. surtout 134-136). Pour y parvenir, le dialogue, bien sûr, mais surtout le devoir d'altruisme « dans l'abandon du moi et dans le dévouement à l'autre, grand ou petit. Dès lors, seul Dieu pourr[a] juger si un croyant lui est plaisant » (149) ! La controverse dogmatique, aussi courtoise soit-elle, est vaine et dérisoire, s'il n'y a pas d'engagement partagé dans l'altruisme. « Qu'as-tu fait de ton frère ? » dit Dieu, aux premiers temps de l'humanité.  

 

novembre 2015

François Dubet, La préférence pour l'inégalité - Comprendre la crise des solidarités Coll. La république des idées, Seuil, 2014, 108 p., 11.80€

" On peut se demander si le creusement des inégalités ne résulte pas de l'affaiblissement des solidarités " (13). Le doigt est mis sur la plaie : cette tendance au repli, au " refus de payer pour ceux qui ne le mériteraient pas " (11). Aux yeux de l'auteur, parler de préférence pour l'inégalité n'est pas une provocation. En effet, si les inégalités sont injustes (...) et " empêchent des individus d'atteindre la vie qui leur semble bonne pour eux-mêmes " (74), n'est-ce pas surtout par manque de solidarité, d'attention aux besoins d'autrui, de volonté d'épanouir chacun selon ses possibilités ? Infirme ou valide, débile ou surdoué... : " il s'agit moins de réduire les inégalités (...) que de permettre à tous d'atteindre toutes les positions possibles en fonction d'un mérite conçu comme la mise à l'épreuve de sa liberté ". (73)

Il est donc urgent de recréer un imaginaire de la fraternité, de la solidarité, de ne pas céder à la tentation du populisme qui est repli et exclusion, " rejet de ceux qui ne sont pas semblables " (51).

Sont particulièrement interpellés les acteurs de l'enseignement et de l'éducation : ils doivent refuser que l'école soit " une machine à produire des inégalités " pour refonder l'école républicaine selon Jules Ferry " dans une société où le mot « République » désigne plus qu'un régime politique : une morale politique et une philosophie sociale " (58).

 

décembre 2015

Vincent Descombes, Les embarras de l'identité, NRF essais, Gallimard, 2013, 282 p., 21€

Ce sont des expressions à la mode : revendiquer son identité, perte d'identité, crise d'identité, reconnaissance de l'identité... Au fait, de quelles valeurs, de quels rôles, de quels droits, de quels projets s'agit-il quand on parle d'identité ? L'auteur remarque pertinemment que c'est précisément dans une situation de crise d'identité que l'on perçoit le contenu de ce mot : "la crise d'identité est avant tout une crise d'indécision" (120) : et il évoque ici le célébrissime to be or not to be de Hamlet ! Dis-moi ce que tu décides, je te dirai qui tu es... Et selon les situations, c'est tel ou tel rôle qui est joué. L'identité serait donc plurielle, "à la façon d'une succession de rôles pour un même acteur" (45).

C'est au cours de l'adolescence que l'individu construit son identité. L'auteur cite à ce propos Louis Dumont : (s'ouvre alors) "une période de transition marquée par l'inadaptation, l'irresponsabilité, voire la rébellion, qui peut être longue et ne sera close qu'après la réadaptation du sujet à la société dans un rôle par lui accepté". (133)

Dans la seconde partie de l'ouvrage, l'auteur passe de l'identité personnelle à l'identité collective : on en retiendra surtout ses propos sur la place de l'individu au sein du groupe, sur les manifestations nationales (fêtes, commémorations, enseignement de l'histoire...) où "il ne s'agit pas de « lieux de mémoire », mais de « lieux d'avenir », ou, si l'on préfère, de « lieux où s'imaginer un avenir ». (227)

L'essai est abondamment étayé de références à des philosophes tels que Wittgenstein, Dumont, Mauss, Locke, Erikson...; à des linguistes comme Benveniste, Kristeva, Starobinski... Sont cités également, et bien à propos, des textes littéraires signés Molière, Pascal, Voltaire, Proust, Rousseau, Shakespeare, Plutarque... : des commentaires tout en finesse qui raviront le professeur de lettres et de philo.   

 

2016

retour début

janvier 2016  

Heinz WISMANN, Penser entre les langues Albin Michel 2012, Rééd. Flammarion 2014, coll. Champs Essais, 310 p., 11 €              

"Je suis convaincu que ce qui se joue entre les langues a lieu au niveau de la syntaxe." (14) Nous voilà donc avertis ! Cette conviction éclaire tout l'ouvrage. Le choix des mots, sans aucun doute, est éclairant ; mais plus encore la construction syntaxique, qui tisse entre les mots une relation singulière et qui, surtout, fait découvrir un auteur à travers le cheminement de sa pensée. "Tout notre travail a été de montrer, à travers la syntaxe, qu'il y a bien là, dans ces textes, un sujet qui parle." (139)

Le chapitre intitulé Nietzsche et la culture française (103-152) nous fait découvrir, précisément dans les détours de leurs langages, d'étonnantes parentés entre le philosophe du Gai Savoir et Georges Bataille, tous deux "penseurs de la brèche, du soupçon, du quelque chose qui cloche" (109) : une analyse subtile et érudite où sont invoqués d'autres témoins, aussi bien Diogène, Épicure et Héraclite, qu'Emmanuel Kant, Luther et Thomas d'Aquin. Et l'auteur entrevoit même dans le lointain... mai 68 !  

Nous retiendrons particulièrement les propos de l'auteur, professeur en Sorbonne, fondateur de l'Ecole de Lille et directeur d'études à l'EHESS, sur la mission et la responsabilité de l'enseignant : celui-ci ne peut se contenter de transmettre des savoirs ; "le seul enseignement de valeur est celui qui se trouve associé à la recherche que l'on poursuit soi-même." (134) Il insiste souvent sur cette nécessité de "rendre incertaines les certitudes enseignées" (205) : pour l'enseignant, pas de légitimité sans ce que l'auteur appelle joliment "perplexité" ! Ce qu'il appelle, aussi, (p.292) le "désaisissement", en citant  Nietzsche : "la distance prise à l'égard des certitudes dont on a mesuré la solidité." (Oeuvres, t. 1, Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement, p. 195)

 

 

février 2016

Danièle BRUN, Une part de soi dans la vie des autres Odile Jacob, 2015, 160 p., 22.90 €

C'est un bien joli titre ! Cette formule à deux versants - disons plutôt à deux voix - se retrouve à peu près telle quelle maintes fois au fil des pages ; elle rend compte de ce qui est au coeur de l'expérience de la psychanalyste, un colloque intime, où l'un aussi bien que l'autre met en scène un vécu secret.

Le secret de la psychanalyste, c'est surtout, semble-t-il, la mort subite de sa fille à la fleur de l'âge suite à une rupture d'anévrisme.  C'est un souvenir douloureux qui sera ravivé quand elle recevra une patiente dont la fille, soignée à temps, aura pu éviter la même fin. A la suite de cela, le rapport à la mort deviendra comme une constante de sa réflexion : " L'abandon est là, dit-elle, comme un lien indestructible. " (43)

Son propos sur l'écriture - quand elle évoque le célèbre Madame Bovary, c'est moi - est étroitement lié à son propre travail d'analyse : rappelant les diagnostics établis sur Emma par le médecin Charles Bovary, elle déclare : " On voit bien quelle crédibilité le détour par la vie des autres apporte à la personnalisation de l'écriture. " (76) N'avait-elle pas, d'ailleurs, déjà déclaré, p. 33 : " La plume ne s'attache qu'à restituer un vécu " ?

Le choix d'une profession... pour l'amour de l'écoute ! C'est la confidence que nous fait Danièle Brun, page 87: " Devenir psychanalyste était pour moi au début motivé par le plaisir d'entendre et d'écouter parler les autres. Comme le faisait mon père. Lui aussi consacrait beaucoup de temps à ses clients, leur donnant même la priorité sur d'autres activités de loisir. "

 

mars 2016

Linda Simon, Les rumeurs De Boeck, 2015, coll. Le point sur - Psychologie, 132 p., 14€

Si l'enseignant de français se plonge dans la lecture de ce livre pour découvrir une observation 'fine' - au ras du texte - des procédés d'expression propres à l'écriture rumorale, il sera sans doute un peu déçu ; avec ses élèves, il aura déjà pu relever ce que l'auteure signale, p. 59 : la fréquence du "on", du "peut-être", du verbe au conditionnel. Et vraiment pas grand chose de plus à ce sujet.

Mais il sera tout à fait comblé s'il veut saisir au plus près les situations - époques de crise, le plus souvent - où se créent les rumeurs, les mécanismes de leur création, de leur diffusion, de leur amplification, les canaux de leur diffusion, les stratégies de prévention et de lutte, les outils de leur analyse "en laboratoire ou sur le terrain". A ce point de vue, l'auteure nous propose un outil de recherche et de réflexion tout à fait remarquable ; érudit, mais nullement jargonnant ni dogmatique, abondamment illustré de faits authentiques, établissant de subtiles distinctions entre des formes voisines ou des variantes de la rumeur (légendes urbaines, faux souvenirs, croyances, gossips, rumeurs sataniques ou rumeurs commerciales...).

Et au terme du parcours, cette chercheuse aussi méthodique que méticuleuse fait preuve d'une étonnante honnêteté et humilité intellectuelle en vous confiant ceci : « une définition satisfaisante de la rumeur n'(a) pas été proposée dans cet ouvrage. Il en existe de nombreuses. (...) Aucune d'entre elles ne fait l'unanimité car elles présentent l'inconvénient de présenter la rumeur d'un point de vue disciplinaire particulier, donc restreint. » (p.  104)

Chaque chapitre se clôture par un résumé, une bibliographie sélective, un questionnaire. Voilà qui montre bien le souci didactique de clarté et de rigueur de cette spécialiste des manipulations de la mémoire et des dérives sectaires. 

 

avril 2016     

Éric Maurin, La fabrique du conformisme Seuil, La république des idées, 2015, 120 p., 11.80 €

Conformisme : Il s'agit de bien comprendre ce mot ! Le Petit Robert distingue le "Fait de se conformer aux normes, aux usages" et l'"Attitude passive d'une personne qui se conforme aux idées et aux usages de son milieu.", cette seconde acception étant considérée comme péjorative.

Essayons de voir de près ce qu'Éric Maurin, lui, entend par ce terme : "La vie en société implique une constante dépendance des autres" (49) ; "nombre de nos comportements et de nos choix s'inspirent directement de ceux des autres" (111) ; "l'individu contemporain ajuste continuellement ses comportements en fonction des autres, afin de ne pas s'en trouver davantage éloigné" (113-114). En fait, il ne s'agit ni de servitude, ni de dépossession : "On est passé d'un conformisme contraint par la tradition à un conformisme d'adhésion, une dépendance consentie aux règles (fluctuantes) observées par ceux qui nous entourent". (115)

Et pour le démontrer, l'auteur nous transporte, de chapitre en chapitre, dans le monde du travail, des loisirs, de l'école, des quartiers : chaque fois en soulignant l'importance du regard des autres, du temps des autres, du loisir des autres, du jugement des autres, de la couleur des autres !

Le chapitre sur l'école - le plus long - souligne l'importance des interventions en faveur de l'intégration des élèves, notamment les plus en difficulté : l'implication et l'information des parents (ceux-ci sont un levier politique ! 71), le rôle capital du chef d'établissement (un acteur clé ! 78) et surtout les interactions positives entre élèves (les plus fragiles soutenus par les mieux intégrés (86). Pointons, au passage, la critique de ces redoublements complètement inefficaces qui conduisent, dans une majorité de cas, au décrochage définitif (82).

En fait, le conformisme dont il s'agit est un facteur de cohésion, de stabilité, de sécurité : "Le conformisme est souvent ce qui reste pour ne pas se retrouver plus isolé encore." (115)

 

mai 2016

Chantal Delsol, Populisme. Les demeurés de l'histoire Ed. du Rocher, 2015, 270 p., 17,90€

Le détour par la Grèce antique s'impose pour découvrir et comprendre le cadre de pensée de ce que nous appelons aujourd'hui populisme. C'est à Athènes, particulièrement, que l'on peut observer la divergence entre l'idiôtês [ιδιώτης], davantage soucieux de son propre intérêt, et le démocrate - le koinos [κοινος] - qui reconnaît la primauté du bien commun, au nom du logos, c'est-à-dire de la vérité et de la justice... Nous dirions aujourd'hui "au nom de l'esprit des Lumières".

D'un côté, donc, l'émancipation, la tolérance, l'ouverture, la reconnaissance de l'altérité, le métissage... ; de l'autre.  l'enracinement, le repli, la vigilance aux frontières, le souci de maintenir son identité, la méfiance envers l'étrange (les nouvelles pratiques culturelles et cultuelles) comme envers l'étranger, que l'on répugne à assimiler : « l'idiôtês contemporain a, pour ainsi dire, volontairement régressé (204) »  : un demeuré de l'histoire !

Mais il faut le reconnaître : toute démocratie peut faillir à son idéal. « Les populismes contemporains se déploient dans les déficits de la démocratie. Ils obtiennent leur succès à la mesure de leur déception. » (59) Et c'est peut-être en  reconnaissant ces déficits qu'un débat peut avoir lieu : après tout, « les milieux populaires peuvent émettre à l'encontre des élites des jugements sensés dont il vaudrait mieux débattre plutôt que de les couvrir d'injures. » (122) Chantal Delsol a le courage de proposer un tel débat !

Le refuser, ce serait refuser le pluralisme, et donc le droit à la parole : « Une démocratie qui lutte par le crachat et l'insulte contre des opinions contraires, montre qu'elle manque à sa vocation de liberté. » (264)

 

juin 2016

Tzvetan Todorov, La littérature en péril  Coll. Champs essais, rééd. 2014, 94 p. 6€

Né en Bulgarie, il entreprend en 1956 des études littéraires à l'Université de Sofia : un domaine de recherches où prévaut la conformité au credo soviétique. En 1963, boursier en France ("pour un an"... ), il rencontre G. Genette, R. Barthes, S. Doubrovsky, est docteur d'État en 1970, fonde la même année  la célèbre revue Poétique. Toutes ses recherches seront vouées à la littérature et à l'histoire des idées.

La littérature en péril est une profession de foi. C'est aussi un pamphlet, où il s'en prend à un enseignement qui étudie "des théories autour des oeuvres plutôt que les oeuvres elles-mêmes" (23). "Ce qui contribue au désintéressement croissant à l'égard de la filière littéraire qui passe en quelques décennies de 33% à 10% des inscrits au bac général." (31)

Pour illustrer son propos - "la littérature est un discours sur le monde" (31)  -, il entreprend un long détour - plus du tiers de l'ouvrage - pour parcourir l'histoire de la réflexion sur l'art, surtout sur la littérature : Aristote, Platon, Horace, la Renaissance, l'époque des Lumières en Allemagne, que relayeront en France B. Constant et G. de Staël, puis G. Flaubert et G. Sand...

Si donc la littérature est en péril; c'est parce que, "à l'école, on n'apprend pas de quoi parlent les oeuvres, mais de quoi parlent les critiques" (19). Bien sûr, le sens des oeuvres pourra être éclairé par les perspectives historiques, par des notions d'analyse structurale... "Cependant, en aucun cas l'étude de ces moyens d'accès ne doit se substituer à celle du sens, qui est sa fin (23)."

Cette quête de sens est indispensable pour former à l'esprit critique, à la connaissance de soi, à l'ouverture à autrui.

L'auteur le reconnaît : une bonne partie du monde enseignant partage cette conviction et souscrit à cette déclaration de l'Association des professeurs de lettres - citée p. 85 : « L'étude des lettres revient à étudier l'homme, son rapport à lui-même et au monde et son rapport aux autres. » Cela va de soi... mais il était bon de le rappeler.

 

juillet 2016

José MORAIS, Lire, écrire et être libre. De l'alphabétisation à la démocratie Odile Jacob éd., 2016, 326 p., 25,90€

L'auteur, d'origine portugaise, a combattu la dictature de Salazar, avant d'obtenir en Belgique, en 1969, le statut de réfugié politique. Psycholinguiste réputé, démocrate convaincu, il souligne, dans cet ouvrage, l'importance capitale de l'alphabétisation pour faire advenir et consolider une authentique démocratie. Voilà qui interpelle donc les acteurs de la formation ! Et cela, dès les tout premiers apprentissages : entrer en lecture, c'est aussi entrer en relation. C'est particulièrement vrai, dit-il, dans "la lecture partagée, où l'adulte suscite des interactions, provoque des échanges verbaux" - v. p. 76. (Signalons au passage qu'il tacle sans ménagement et sans nuance  les tenants de la méthode de lecture dite globale... - v. p. 106).

Au début du chapitre 3, Lettré et démocrate, il distingue trois niveaux de capacité dans la personne du lettré : la maîtrise des habiletés de lire et d'écrire, l'usage régulier et productif de ces habiletés, enfin "la liberté dans l'expression publique de sa pensée, ce qui donne vie et chair à la démocratie" - v. p. 153. Le lettré, dans ce cas, est pleinement un être social. L'être pensant de Descartes élargit son horizon : je pense, donc je suis... en lien avec l'autre - v. p. 211. Libre, et responsable.

Mais aussi, libre et tolérant !  À ce sujet, il interpelle l'école : "Elle ne doit pas être aseptisée des différentes croyances, elle est le lieu par excellence où toutes les croyances se confrontent sans violence (...), elle est notre premier lieu collectif ou groupal, notre première expérience du commun". - p. 240.

Il ne se prive pas de dénoncer l'utilitarisme des dirigeants : "Dans l Union européenne, l'esprit d'entreprise est une des huit compétences que les enfants doivent acquérir. Ne figure pas dans la liste l'esprit de solidarité, de coopération ou d'équité" - p. 294.

Voilà un franc parler, un parler vrai, qui décoiffe !

 

août 2016

Vincent Descombes, Le parler de soi Gallimard, Folio Essais, 2014, 420 p., 9.20€

La chronique "livre du mois" de LMDP a déjà présenté, du même auteur, Les embarras de l'identité, publié en 2013 dans la même collection (déc. 2015).

Il ne s'agit vraiment pas, dans ce parler de soi, de la parole narcissique, autocomplaisante, du "moi de l'amour propre" (comme pourrait le laisser entendre la une de couverture), mais du "moi au sens métaphysique, un sujet auquel on attribue des opérations (de douter; de juger, d'imaginer, voire de se poser comme sujet)" (26).  Il s'agit du moi cartésien - Cogito, ergo sum - "où un métaphysicien ose prendre la parole à la première personne" (51). Dire «je», c'est affirmer "le pouvoir de manifester une conscience de soi" (v. 133). Avec Kant, Husserl, Merleau-Ponty, Ricoeur, Balibar, Wittgenstein et bien d'autres, l'auteur entreprend une relecture du célèbre adage.

Face au je, comment saisir le tu et le lui ? En tirant le sens de ces mots de notre usage du mot moi ! (v. 186) Ce que développe la seconde partie du livre (186-294) intitulée "La première personne et les autres". C'est par le langage que se crée et se développe l'expérience d'autrui "comme seconde première personne" (201), comme alter ego. "Toute pensée est de forme dialogique" (214).

Et c'est dans une autre première personne, un autre moi - pensant, parlant - que se découvre la figure du lui (v. 248) : l'adage cartésien se relit à la troisième personne.

La dernière partie, Le sujet de la croyance, aborde la question "Dire ce que l'on croit, est-ce parler de soi ?" (297) Le sujet est-il porte-parole, rapporteur ? Ou bien joue-t-il pleinement son propre rôle ? (v. 339) L'auteur ouvre ici une vive polémique avec d'autres philosophes du langage, Jocelyn Benoist, Elizabeth Anscombe, George Edward Moore, Ludwig Wittgenstein, et autres. De ce long débat, sans doute plus passionné que passionnant..., on retiendra surtout, à propos de l'implication du moi dans sa parole, l'intéressante distinction entre trois positions : celle du Logicien, celle du Pragmaticien, celle du Grammairien.

 

septembre 2016

François Noudelmann, Les airs de famille. Une philosophie des affinités Gallimard, 2012, 320 p., 19.50€

"Visibles et commentées, les ressemblances de famille restent toutefois difficiles à définir " : on peut sans doute les mesurer, les dessiner... "mais la ressemblance ne se limite pas à l'anatomie" (13).

Tout d'abord, cette expression même, airs de famille, n'est pas adéquate. L'auteur évoque sa propre famille recomposée : "J'ai entendu régulièrement des personnes extérieures commenter ma ressemblance avec un beau-père ou une belle-soeur alors que nous n'avions aucun lien de sang. Ces méprises m'amusaient et peut-être sont-elles à l'origine de mon intérêt pour les ressemblances de famille" (17).

Ensuite, et surtout, le discours sur ce sujet s'enracine plus dans le secret de l'imaginaire, de l'émotion, du désir, des préjugés, que dans la perception. Déjà les Encyclopédistes (Malebranche, Diderot...) montraient que "les ressemblances de famille résident plus dans l'oeil des regardeurs que dans les corps regardés" (59).

Des chapitres II et III, La science des apparentements et Typologie des ressemblances de familles, on retiendra le rôle décisif de Darwin dans l'observation des lignées et surtout les dérives de la physiognomie, cette soi-disant science fondée au 18e siècle par Johann Kaspar Lavater. "Détachée de son ambition spirituelle, [la physiognomie] devient une galerie de portraits livrée aux classifications sommaires et infamantes" (140) : s'il y a des têtes d'homos, des têtes de tziganes, des têtes de juifs..., cela mène à Auschwitz.

Dans les chapitres IV et V, La diaspora des sosies et Philosophie des affinités, l'auteur observe comment "se construisent des imaginaires de parenté naturelle" (203) et "la comédie ordinaire que nous jouons pour correspondre aux rôles que les autres attendent de nous" (220) : "j'essaie, précise-t-il, de suggérer que les affinités sont une voie de sortie, une tangente hors du paradigme généalogique qui est la grammaire majeures de nos apparentements" (284-285).

Nous découvrons un auteur pétillant d'intelligence et de finesse ! Et, tout particulièrement, un lecteur éclairé qui nous fait réexplorer, entre autres, les subtilités de la bulle proustienne, la violente saga des Rougon-Macquart, la complexité ténébreuse des Affinités électives de Goethe.

 

octobre 2016

Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches ? Seuil, Librairie du XXIe siècle, 2014,210p., 18€

Antiquité, Moyen Âge, Renaissance... nous avons tous en mémoire cette triade bien établie, avec l'idée d'une césure claire de l'une à l'autre, dates à l'appui. Et dès les premières pages, voilà que l'auteur - éminent connaisseur du Moyen Âge - ébranle nos convictions : "Ce livre met en évidence les caractéristiques majeures d'un long Moyen Âge occidental qui pourrait aller de l'Antiquité tardive (du IIIe au VIIe siècle) jusqu'au milieu du XVIIIe siècle." (9) Et il précise plus loin que "l'expression « Moyen Âge » ne semble pas avoir été d'usage courant avant la fin du XVIIe siècle" (34), et que c'est Jules Michelet (1798-1874) qui désignera par le terme « Renaissance » la période qui suit le Moyen Âge. (v. 61)

Reste à démontrer son propos. Ce qu'il entreprend longuement en observant la 'continuité" et les "ruptures" (13), les innovations et les restaurations, dans dans l'activité intellectuelle, les modes de vie, les techniques, l'architecture, les arts, la religion, la littérature (le cas de Shakespeare !), les voyages, les grandes découvertes, l'économie, les conflits, les pratiques sociales, la centralisation du pouvoir...  Sans négliger de signaler des divergences importantes entre historiens, les uns célébrant, les autres mettant en doute les progrès quand ils opposent Moyen Âge et Renaissance.

La conclusion de cette analyse détaillée est sans équivoque : "à mes yeux, la Renaissance (...) n'est en fait qu'une ultime sous-période d'un long Moyen Âge". (187)

Dans le dernier chapitre, intitulé Périodisation et mondialisation, relevons ceci, qui nous paraît capital pour la recherche historique, et plus largement dans l'observation de la diversité culturelle : "Il y a deux étapes dans la mondialisation : la première consiste en la communication, la mise en rapport de régions et de civilisations qui s'ignoraient ; la seconde est un phénomène d'absorption, de fusion. Jusqu'à aujourd'hui; l'humanité n'a connu que la première de ces étapes". (191)

Une fusion sans heurt ?

 

novembre 2016

Alain Touraine, Nous, sujets humains, Seuil, La couleur des idées, 2015, 400 p., 24 €

Nous, c'est-à-dire vous et moi, vous comme moi, de même condition, de même dignité, de semblable et inestimable valeur... Sujets, mais point assujettis... si, toutefois, nous parvenons à résister à ce que l'auteur appelle le pouvoir total, qu'il définit comme le « pouvoir s'exerçant à la fois sur la production et la distribution des richesses et sur la subjectivité des citoyens et leur capacité d'action politique » (index, 386). Total... autant dire clairement "autoritaire", tel que le sont « le capitalisme financier et les partis-Etats » (v. 11).

Le lecteur en est averti dès les premières lignes : le mot dignité sera utilisé à maintes reprises. Cette « notion de dignité n'est ni matérielle, ni culturelle, ni politique, elle est éthique » (15). Pas étonnant donc que soient évoqués à maintes reprises les droits les plus fondamentaux : liberté, égalité, dignité (v. 65). Le mépris des droits est particulièrement criant  « dans le triomphe des politiques identitaires qui détruit aussi bien la paix intérieure que la concorde internationale » (111)..

Pour faire reconnaître et respecter ces droits fondamentaux, il faudra compter davantage sur les citoyens, acteurs sociaux, que sur les responsables politiques ! L'acteur social, « combattant volontaire pour la liberté et l'égalité, n'est pas un être doux et modéré ; il engage sa vie, mobilise ses forces pour lutter contre la destruction du sujet dans les êtres humains. » (227-228) ! D'où la nécessité de repenser l'éducation : « encourager la définition par les jeunes de projets de vie personnels qui engagent à la fois leur vie sociale et leur propre personnalité » (356) : tel est l'impératif pour l'institution scolaire si elle veut réellement favoriser l'égalité des chances (v. 376) !

 

décembre 2016

Guy Prouin, Laïcité, une morale universelle Editions de l'Æncre, 2015, 200p., 25€

On ne sera pas étonné de l'importance que l'auteur accorde à l'enseignement et à l'éducation : un des huit chapitres (77-117) y est entièrement consacré. Et cette préoccupation s'exprime ailleurs à maintes reprises : "le refus de la morale a vidé l'éducation de son sens" (11) ; "la capacité à évaluer le niveau de confiance - qui lubrifie les échanges - s'apprend par l'éducation" (69) ; "les conditions pour l'épanouissement des échanges n'existent et ne se perpétuent que par l'éducation et l'enseignement" (185).

 Il fonde à juste titre sur la rationalité et sur l'universalité son exposé de la morale laïque  (55 & sv). C'est au nom de la raison que s'impose la pratique des vertus cardinales - courage, justice, prudence, tempérance - "qui pérennisent l'échange". Échange ! Ce mot revient sans cesse, car c'est précisément par la pratique des vertus cardinales que se créent et se resserrent les liens et que prennent forme des initiatives communes  au nom de valeurs partagées. (v. 64-65)  Et il insiste sur la "promotion de modèles" auprès des minorités, de crainte que celles-ci "ne  s'enferment au mieux dans une culture clandestine ou au pire dans la solitude" (133).

On approuvera sans réserve le réquisitoire qu'il prononce dans le chapitre 2 contre cette morale de l'argent  (25-36 ) qui engendre la marginalisation et le mépris du faible, met à mal l'environnement. Et plus loin (119), il blâme "une conception essentiellement mercantile" qui modèle les comportements amoureux.

Quelques réticences, pourtant, sur le fond, quand il s'agit de la vie du couple...! L'auteur a-t-il bien pesé ses mots quand il considère l'adultère avec indulgence, sous prétexte que baser le mariage sur l'exclusivité sexuelle '"impose une forme de dictature sur l'être humain" ? (144) [Cocus et cocues de tous les pays, résignez-vous ! Et bonne continuation pour la petite famille !]

Un livre généreux, dans l'ensemble, même si le propos est parfois un peu délayé, un peu confus, et tient de la paraphrase.

2017

janvier 2017

Marc Grassin (dir), L'entreprise : un lieu pour l'homme. Les fondamentaux en question, Chronique Sociale, 2015, 128 p., 14,50€

Disons d'emblée qu'on y trouve des analyses et des propositions qui intéressent d'autres milieux d'action commune que l'entreprise proprement dite. Le monde de l'enseignement et de l'éducation, entre autres. C'est dire que ces pages, rédigées par une équipe d'experts, peuvent souvent nous interpeller.

L'entreprise doit être tout autre chose que le théâtre d'une civilité complaisante et polie qui ne mène à rien" (9) ; le dialogue, la rencontre sont nécessaires, car "il n'y pas de rencontres véritables qui ne soient une déstabilisation, un pas vers une reformulation de soi, une redéfinition de ses comportements" (ibid.). C'est pour cette raison que l'entreprise est "un défi humaniste" (26), un lieu où la capacité d'agir doit être indissociable de la capacité de parler (v 39), un lieu où le temps pour faire devient un temps pour être : c'est le titre du chapitre 4 ! (63)

 Les auteurs n'éludent pas le problème de la mobilité que vivent de nombreux acteurs de l'entreprise. "Le corollaire de l'homme mobilisable n'est-il pas l'homme démobilisé, démotivé ?" (81) Comment y faire face ? En renforçant l'intériorité "où sont logés nos racines, notre culture, notre foi, nos croyances, nos peurs, nos convictions, nos souvenirs, nos connaissances, nos émotions, nos pensées..." (87) : c'est en réintégrant cette intériorité que "la mobilité ou le nomadisme n'est pas une errance" (88).

Le dernier chapitre - L'entreprise communique, l'homme parle ! - revient sur ces 'fondamentaux" déjà souvent évoqués : rencontre, dialogue, participation, responsabilité. Avec Montaigne comme témoin (106) : « Nous ne sommes hommes, et nous ne tenons les uns aux autres que par la parole. » Il faut donc rejeter cette logique, à la fois violente et improductive, où "l'entreprise et ses protagonistes (...) communiquent toujours plus, mais se parlent de moins en moins" (110).

 février 2017

Philippe Breton, Éloge de la parole; Éd. La Découverte, 2003, 1992 p., 14.50€

"Si la parole mérite, pour le moins, un éloge, c'est comme fondement d'un humanisme renouvelé."

Tels sont les derniers mots du livre (187). Et cette conviction s'affirme constamment : "La parole est une alternative à la violence du monde" (9). Citant Novarina - il y a une lutte depuis toujours entre la parole et les idoles - il assigne à la parole la mission de dénoncer les fausses valeurs, les fausses promesses et toute forme de désinformation ( v. 39). C'est en effet "à la libre expression de la parole que s'en prennent, toujours en premier lieu, les démagogues" (52). Cette prise de parole n'est pas une prise du pouvoir : elle exerce une force, à coup sûr, mais "sans engendrer de domination" (62) ! De cette façon, "le pouvoir civilisateur de la parole tend à remplacer la parole du pouvoir (160).

Et il s'impose, bien sûr, que la parole soit partagée. Et que la parole de l'autre soit respectée ! Tel est l'enjeu de ce que l'auteur appelle "la symétrie démocratique" (136).

D'où l'importance capitale de l'écoute et de l'empathie ! Et il cite de nouveau Novarina : «La parole nous a été donnée non pour parler mais pour entendre.» (180) D'où l'importance de l'objectivation - c'est-à-dire de la distance prise par rapport à ses propres émotions - et surtout de l'engagement : la parole est... une parole donnée : "la parole engage celui qui la tient" (183). D'où l'importance de la symétrie, où "la parole de l'un vaut celle de l'autre" (184). Et il cite à ce sujet Levinas : «Même quand on parle à un esclave, on parle à un égal.» 

Signalons, pour terminer, cette forme de parole qui nous semble très féconde, qui mérite un... éloge tout particulier : l'auteur l'appelle "parole intérieure, parole silencieuse, dialogue avec nous-mêmes" (78). Elle prolonge et prépare le dialogue avec autrui, elle est capitale dans la prise de décision.

Dans le brouhaha des échanges, l'intériorité pourrait devenir une denrée rare...

mars 2017

Martine Joly, Introduction à l'analyse de l'image, 1993, Nathan, rééd. Armand Colin, 2015, 160 p., 13.90€

Saluons cette réédition récente, enrichie de nombreuses informations, notamment dans une riche bibliographie commentée (11 pages !) ainsi que dans l'index, et, plus spécialement, dans une réflexion originale et clairvoyante sur cette  "accélération de l'information visuelle" due à l'image numérisée : "une profusion d'images dont on ne sait pas toujours que faire" (146).

De Lascaux à sa forme numérisée, l'image est le produit et le reflet de notre histoire, de notre culture. Imitatrice, est-elle pour autant fidèle ? Il faut évoquer ici cette "Querelle des images" opposant pendant quatre siècles iconophiles et iconoclastes (v. p. 14). Soi-disant fidèle au réel, elle peut aussi bien être éducative et enrichissante que subtilement manipulatrice.

D'où l'importance de l'éducation à l'analyse de l'image pour mieux comprendre à la fois "ce qu'elle dit et surtout comment elle le dit " (28) ! Sous le titre Objectifs et méthodologie de l'analyse, s'appuyant surtout sur Roland Barthes et sa célèbre Rhétorique de l'image, 1964, l'auteure concentre en quelques pages décisives (48-52) des orientations qui nous paraissent  essentielles : un passage obligé pour saisir la pertinence de l'ensemble de l' ouvrage !

Pour illustrer sa méthodologie, elle nous présente, (pp. 60-69), une analyse de quatre tableaux : Usine à Horta de Ebro, de Pablo Picasso  (1909), Le souper à Emmaüs, du Caravage (1601),  La Vierge Marie, Sainte Anne et l'enfant Jésus, de Léonard de Vinci (1501) La bataille de San Romano, de Paolo Ucello (1456-1460). Et plus loin, après avoir longuement (pp. 94-118) fait observer la spécificité du langage de cette "image prototype" (74) qu'est le message publicitaire, elle nous fait découvrir les intentions et les procédés d'une double page de pub pour Malboro Classics parue dans le Nouvel Obs' du 17 octobre 1991. Ces cinq exemples sont malheureusement en noir et blanc ! Mais c'est  brillant, c'est exemplaire !

On l'a compris : voilà un outil indispensable pour une lecture avisée de l'image.

avril 2017

Alain Braconnier, L'enfant optimiste * En famille et à l'école Odile Jacob, 2015, 312 p., 22.90€

"J'ai décidé d'écr

ire ce livre sur l'optimisme de l'enfant parce que c'est la première marche de l'éducation"' (7) ; et un peu plus loin,  il définit l'objectif à atteindre : "savoir réfléchir de façon optimiste plutôt que pessimiste peut être appris tout au long de l'enfance." (8). Et cela commence... dès la naissance ! D'où l'importance décisive de l'optimisme parental, qu'il évoque par cette charmante citation de l'acteur américain Robin Williams : "On naît avec une petite étincelle de

Très tôt, le jeune enfant acquiert la confiance en soi - et la conscience de soi - autant par l'attention qu'on lui accorde que par l'éveil de sa curiosité, exprimée en de multiples pourquoi ? Et notre auteur, à ce propos, interpelle l'enseignant par cette remarque qui nous paraît capitale, et qui met sérieusement en question nos pratiques pédagogiques : susciter le plaisir de la découverte importe plus que faire retenir ! (v. 56)

Survient l'adolescence, avec les potentialités nouvelles du corps et de l'esprit, et la liberté face aux menaces et aux risques : c'est maintenant, pour ce futur adulte, le temps de l'optimisme à risque, qui permet de "prendre des risques avec lucidité" (75) dans la route vers l'autonomie et la responsabilisation (v. 77).

"L'optimisme en famille, ça se travaille" : c'est le titre de la troisième partie (159-194). Pour étayer l'optimisme, quelques atouts : valeur de l'exemple, confiance accordée, disponibilité, éco

ute bienveillante : Écoute mes questions ! Écoute mes réponses ! ...

Ill en va à l'école comme en famille... L'élève optimiste : ce titre attend encore un auteur, homme de terrain, de préférence.

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mai 2017

Frédéric Lenoir, La guérison du monde Fayard, 2012, 318 p., 11.20€

"La crise du monde moderne a des racines lointaines" (11). Le processus commence quand l'humanité passe du paléolithique au néolithique : le nomade se fait sédentaire, construit des villages..."qui deviendront cités, puis royaumes, empires et civilisations" (13).

Nous voilà donc interdépendants, mais davantage soumis aux mécanismes technologiques et économiques que nourris et enrichis par le dialogue des cultures : c'est l'avènement de l'homo economicus, du consommateur livré à une logique marchande ! Et le risque de l'épuisement des ressources apparaît de plus en plus sérieux. La frénésie de production dégrade l'environnement, entraîne des crises climatiques : "Notre santé (...) est en péril, c'est l'espèce humaine qui est elle-même en danger." (101)

De plus, et à un rythme croissant depuis quelques décennies, l'information est devenue globale et pressante : il nous est malaisé de la contextualiser pour la comprendre, pour en saisir les enjeux. Et c'est une source de peur, de passivité, de résignation, de conditionnement, voire de manipulation des consciences.

Voilà pour les symptomes. Pour y faire face, pour "réenchanter le monde", il faut renouer le lien avec l'environnement, avec l'humanisme - justice, solidarité, fraternité, avec soi-même (v. 119-120). Et l'auteur de citer des témoins, groupes ou simples citoyens, au service de la Terre : biodiversité, écologie... ; au service de l'humanité : monnaies alternatives, commerce équitable, finance solidaire, non violence, diplomatie de paix (San Egidio), Forum social mondial... ; au service de la personne : favoriser le développement personnel, adopter de nouveaux modes de vie par la modération et le dialogue, reconnaître les valeurs universelles telles que vérité, justice, liberté, amour.., et tout particulièrement la richesse de la connaissance de soi : "c'est par là que l'homme se libérera du vice et du malheur' (198). C'est du Socrate !

Ainsi passerons-nous "de la convoitise à la sobriété heureuse" (269), "du découragement à l'engagement" (273), de la dépendance à l'émancipation (v. 285), de l'extériorité à l'intériorité'(291).

juin 2017

Alain Corbain, Histoire du silence - De la Renaissance à nos jours Albin Michel, 2016,  204 p. & 8 p. illustrations., 18.50€.

À une époque où le tintamarre médiatique menace l'intériorité, il est important et urgent de saluer la valeur du silence, "de réapprendre à faire silence, c'est-à-dire à être soi" (12) !

Du silence des lieux - la chambre, le sanctuaire ("La cathédrale est comme du silence incrusté dans la pierre" - 28), le monastère, la bibliothèque, et même la forteresse (cf, Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes, "Une oeuvre où se jouent toutes les nuances du silence" - 31)... aux silences de la nature - la brume, "grand plafond silencieux" (34), la nuit, "où les bruits sont sertis dans le silence" - 38), la forêt, le désert : 'une densité de silence qui incite à l'interprétation spirituelle" - 44), la montagne et "son silence solennel" - 48), la mer et "son silence qui vient des profondeurs - 50), la forêt, "où le silence dort sur le velours des mousses" Hugo - 53)... on n'en finit pas  - mais il faut y prêter une oreille attentive ! - d'inventorier les murmures du silence.

Dans les chapitres "quête, apprentissage du silence" (pp. 65-99) épinglons cette remarque : "Bien des quêtes se sont déroulées hors de la sphère du religieux" (81). Il suffirait d'évoquer ici l'intérêt croissant pour ces "monastères du silence" (81) que sont, par exemple, Qi Gong, Garef-Focusing, Pleine Conscience...

L'auteur ne manque pas de souligner l'ambivalence du silence : autant il peut rapprocher et fusionner les coeurs - "les yeux des amoureux disent en silence les seules paroles qui importent" (150) -, autant il peut être rejet et mépris ; et il cite entre autres Thérèse Desqueyroux, de Mauriac, "où l'incommunicabilité débouche sur le crime" (158).

Un coup de coeur, enfin, pour le brillant interlude (101-103) sur Joseph à Nazareth, "le patriarche du silence... : le silence d'un coeur qui écoute" (101)

 !

juillet-août 2017

Gilles Lipovetsky, De la légèreté Grasset, 2015, 340 p., 19€

Dieu sait si on parle, de la légèreté ! Chroniques de mode ou de santé, slogans publicitaires, confidences de stars... Pour l'évoquer, il y a pléthore de formes dans le langage courant : minceur, sobriété, fitness, fun, cool, mini, micro, nano, maigre, feeling, oligo-éléments, ligne pure, bien dans sa peau, Passez en mode facile (Skoda), Réveillez la déesse qui est en vous! (Vénus de Gillette), fabricant d'optimisme (Fiat), On se lève tous pour Danette... On pourrait donc rêver d'un monde où le léger peut tout pour réussir, pour "Alléger la vie" (c'est le titre du chapitre 1) !

Pour le corps, l'idéal serait d'une part la minceur, la finesse (l'obsession des "kilos de trop"), et d'autre part la glisse, ces pratiques où l'on défie la pesanteur (ski nautique, deltaplane, surf, planche à voile...) : être donc, à la fois, Narcisse et Icare (v. p. 105) ! Mais le fléau de l'obésité est là, qui fait des ravages et qui persiste... (v. 108).

La légèreté, on l'observe aussi dans la mode "pout le spectacle et le regard des autres" (178...). "L'obsession du vêtement, cependant, s'est affaiblie, celle du corps s'accroît" (197).

Dans l'art également, comme dans l'architecture, comme dans le design, l'expression vise la simplicité : en peinture, "le reflet est plus important que la scène représentée" (211), le trait s'épure. Pour la maison, pour le mobilier, on privilégie les formes élémentaires, fonctionnelles. Et de nouveaux matériaux - acier, bois, béton armé, verre, pvc... - permettent de réduire la massivité (v. p. 246).

Le chapitre 7, Sommes-nous cool ? analyse ce phénomène amplifié vers 1960 "dans l'effervescence de la contre-culture(...) où les mouvements contestataires exaltent une liberté subjective totale (...), une existence délivrée des lourdeurs du social" (289). Frivolité, butinage, inconstance, zapping, rupture... le fidélité en prend un coup.

Liberté, égalité, légèreté, tel est le titre du dernier chapitre qui observe cette citoyenneté light (318) qui semble prévaloir, ce qui n'efface ni l'inégalité des fortunes, ni les ravages des addictions... : "une légèreté-volatilité (qui) accable parce que rien ne dure" (364).

septembre 2017

Roger-Pol Droit, La tolérance expliquée à tous, Seuil, 2016, 96 p., 8€.

Notre société est de plus en plus métissée.  Les différences se côtoient : il faut trouver les moyens de ne pas les transformer en conflits. C'est dire que la tolérance est indispensable !

Voilà un petit livre qui vient bien à point pour proposer des raisons d'agir et des lignes de conduite ; et cela est rédigé sous la forme d'un dialogue adulte-ado agréable amical et enjoué, mais solidement construit : un outil de première valeur pour cette formation à la citoyenneté qui va prendre cours dans nos écoles.

La tolérance exige, de la part de chacun; un travail sur lui-même, une réflexion sur sa propre place par rapport à celle des autres (v. 31)  qui doit aller de pair avec cette ouverture au débat, à l'échange, où se partagent expériences vécues et propositions pour agir ensemble (v. 75).

Autrement dit, "la tolérance est faite d'une multitude d'attitudes, de compromis, de choix et de décisions qui s'inventent au cas par cas, jour après jour" (82). "C''est une invention à la fois très simple et toujours incertaine. Elle se construit peu à peu, et c'est toujours à recommencer. Comme la vie, finalement. " (91).

*

La bibliographie comprend les grands classiques - Pierre Bayle, John Locke et Voltaire - ainsi qu'un recueil de textes, La tolérance, commentés par Julie Saada-Gendron (Flammarion, 1999), et d'autre part quelques études contemporaines, dont celle de  Michael Walzer, Traité sur la tolérance  (Gallimard 1998), "un  des livres les plus intéressants  d'aujourd'hui sur la question" précise Roger-Pol Droit (86).

octobre 2017

Jean-Claude Soulages (dir.), L'analyse de discours Sa place dans les sciences du langage et de la communication * Hommage à Patrick Charaudeau (coll. Rivages linguistiques

Presses universitaires de Rennes (PUR), 2015, 150 p., 14 €

Co-auteur, avec D. Maingueneau, de l'excellent Dictionnaire d'analyse du Discours, Seuil, 2002, P. Charaudeau, fondateur du CAD (Centre d'analyse du discours), se voit offrir en hommage ce livre auquel ont collaboré d'éminents spécialistes du langage et de la communication.

C'est dire que l'on trouvera ici un aperçu actualisé des champs, des méthodes et des orientations de la recherche dans ce domaine ; ce qui constitue une précieuse ressource pour la formation des enseignants du secondaire.

Pour terminer, un blâme et un regret. Le blâme : bonnet d'âne pour le relecteur qui laisse en rade quelques lourdes bévues orthographiques ! Le regret : les auteurs observent l'émergence de l'AT - analyse textuelle - à partir des années 70 [v. pp.19-21]. Ignoreraient-ils que les Cahiers d'analyse textuelle des romanistes liégeois (Etienne, Remacle, Delbouille, Grisay et al.) datent des années 59-67 ? Voir A. Lerond (Paris Nanterre) dans Persée.

novembre 2017

Boris Cyrulnik, Ivres paradis, bonheurs héroïques, Odile Jacob, 2016, 230 p., 22.90€

Né en 1937 de parents émigrés juifs qui mourront en déportation, il échappe en 1944 à une rafle de la Gestapo, il sera pris en charge et placé comme garçon de ferme sous le nom de Jean Laborde. "N'ayant pas le droit d'aller à l'école, (...) je me réfugiais dans la rêverie que mes lectures alimentaient" (7). Lire, pour lui, ce sera rencontrer ces héros dont on a besoin "pour se remettre à vivre" (v. 11) : Rémy, de Sans Famille, Oliver Twist, Tarzan, Batman... et aussi ces deux médecins-écrivains - réels, ceux-là ! : Cronin et  Slaughter... - qui l'enchantent, lui, futur et réputé neuropsychiatre.

Le héros sait dire "non" à la mort, à la dictature, au conformisme" (v. 48). Mais il peut aussi se laisser pervertir ! "Planteur de haine et pourvoyeur du pire" (v. 4e couv.), il nous pervertit à son tour par quelques slogans ou  refrains qui nous donnent un sentiment de force et d'appartenance : "en route pour la pensée totalitaire !" (51).

Le résistant, alors, se  tient dans l'ombre (59), refuse le discours dominant fondé sur une pensée binaire où l'appartenance à un clan implique l'ignorance - et le rejet - de ce tout ce qui n'appartient pas à ce clan (v. 113). Et cela mène au drame, car "c'est ainsi que parlent les génocidaires" ( 117). C'est ainsi qu'est totalement nié le sentiment moral, nourri de "l'épanouissante découverte de l'Autre" (123).

L'auteur évoque ensuite à maintes reprises le fonctionnement de la pensée totalitaire dans l'Allemagne nazie, les Pays de l'Est, le Cambodge communiste, où "l'ordre règne quand l'individu n'a ni le désir ni la possibilité de s'exprimer" ( 160) : "Quand le je est fragile, le on sert de prothèse" ! (170) Alors, le langage totalitaire s'impose, à l'abri de toute discussion" (191).

"J'ai changé de héros, écrit-il dans les toutes dernières lignes : j'ai préféré aimer les aventuriers du quotidien que sont les médecins et les écrivains (...) Mes héros ont transfiguré le deuil de mon enfance en lancinant désir de bonheur." (230).

Décembre 2017

Jérôme Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ? Le récit au fondement de la culture et de l'identité, Retz, 2010, 112 p., 15€

Une des premières notions mises en évidence par l'auteur est celle de péripétie : "une histoire commence lorsqu'apparaît une sorte de brèche dans l'ordre des choses auquel nous nous attendons" (19) ; alors, le mot intrigue retrouve son sens premier - le lecteur est... intrigué !

Alors, aussi, le récit se fait miroir ou écho de notre vécu, et, paradoxalement, nous construit, nous permet de nous connaître, car "si notre Moi était parfaitement transparent, nous n'aurions pas à le raconter" (57).

Il souligne à ce propos l'intérêt du récit autobiographique, où "les expériences sont filtrées par la langue pour devenir des événements verbalisés" (66). *. Et il ajoute : "La construction de la personnalité ne semble pouvoir se faire sans cette capacité de raconter" (77).

Le chapitre 4, Finalement, pourquoi des récits, tente de répondre à la question du titre : quelle dynamique et quels enjeux dans l'exercice de cet art profondément populaire ?

"La dynamique ne se déclenche que lorsqu'apparaît une rupture dans la banalité : il faut alors y faire face,  la maîtriser..." (79). Et c'est là, précisément, que résident les enjeux : "Les histoires font que ce qui est inattendu nous semble moins surprenant, moins inquiétant : elles domestiquent l'inattendu... ' (ibid.) : "nous avons besoin de cette domestication pour maintenir sa cohérence à la culture dans laquelle nous vivons" (80).

Et notre auteur évoque, à ce sujet, les recherches de Victor Turner, Merlin Donald, Levi-Strauss, Vladimir Propp et autres...., qui ont observé comment les pratiques narratives ont contribué, depuis l'aube du néolithique, au développement du cerveau humain.

* Citation empruntée à Dan Slobin, Verbalized events, 2000, p. 107.

  PS. - Le chapitre 2, Récit de justice et récit littéraire, répond sans doute moins directement à la question du titre. On en retiendra surtout cet excellent parallèle entre deux formes et deux scènes de récit (v. p. ex. 44 & sv.).

Voir dans Café pédagogique une notice sur l'auteur décédé en 2016 à l'âge de 100 ans.

Vincent Leary, Qu'est-ce qui nous fait vivre ? Payot, coll. Rivages, 2015, 320 p., 20 €, trad. de l'anglais par Françoise Bouillot

La question peut étonner ! Elle est capitale, nous déclare l'auteur, ce brillant psychothérapeute qui quitte la région londonienne pour aller vivre en Écosse, isolé pendant deux ans, attelé à la rédaction de ce livre. Au départ de sa réflexion, ceci, qui lui paraît évident : nous sommes des créatures d''habitude, voire de routine, vivant dans la répétition, recourant à la mémoire pour perpétuer une façon d'exister.

Il serait bon d'échapper à ce mode de vie, qu'il appelle l'Acte I, et d'entrer dans l'Acte II "qui suit l'arc dramatique du changement jusqu'à l'Acte III, où s'établit le nouvel état normal, le nouveau petit monde" (11). D'où les deux grandes parties du livre, Rester le même (35-170), Changer (173-270), suivies de Danser déjà (271-310), titre - ô combien métaphorique - d'une sérénité et d'une maîtrise retrouvées.

Ce travail sur soi, cette mise en mots de son vécu pour préparer le changement, sera favorisée par la pratique de l'écriture : "En écrivant mes arguments, en utilisant cet accessoire qu'est l'ordinateur posé sur ce bureau, je peux soutenir et développer ces pensées sur un temps bien plus long que je ne pourrais le faire sans aide" (87). Beau témoignage sur le rôle de l'écriture comme moyen de construire la personnalité ! Il reconnaît aussi, comme aide au changement ce "terrain commun" que sont les réseaux sociaux : "nous avons désormais des communautés de désir" (131). Voilà qui surprendra les pourfendeurs de facebook... !

Jolie et révélatrice du changement survenu (la capacité de vaincre la routine !), cette scène du T-shirt, tombé par hasard de l'armoire ; "Après un instant de blocage, l'ancien a cédé la place au nouveau ; je l'ai relancé à sa place avant d'aller faire le thé et les toasts." (196). Autrement dit : j'arrive "au point où le délibéré devient habituel" (254).

Ainsi donc, ce qui était habitude a cessé d'être servitude, parce que vécue avec cette présence d'esprit et cette créativité retrouvées qui éliminent l'automatisme et la dépendance. "Tout dépend de qui tient les rênes. L'Automatique qui forme l'essentiel de nous a besoin de guidance et de direction." (312).

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