Chaque mois, depuis
janvier 2001, la rubrique livre du mois de la page
lecture de LMDP présente des ouvrages qui nous paraissent utiles à la
formation initiale et continue des enseignants. Pour certains, nous avons
exprimé des réserves, voire notre désaccord : chaque fois en toute liberté et
dans le respect de nos lecteurs.
.Il ne s'agira plus
seulement de former des lecteurs qui « comprennent » les textes, mais de former
des lecteurs capables de réfléchir et de créer. [...] A cette dimension de
lecture personnelle, l'école peut ajouter une contribution essentielle, celle de
proposer aux élèves de partager leur interprétation du texte.
Marie-Anne Couderc, Bécassine inconnue, préface de Jean Perrot, CNRS éd.,
02.2000, 993BEF.
[Pour une histoire du féminisme...]
Février
Tzvetan Todorov, Mémoire du mal. Tentation du bien, Laffont, 356 p., 149FRF,
décembre 2000.
[Les idéologies du 20e siècle...]
Mars
Nathalie Heinich, Comment peut-on être écrivain?, éd. La Découverte, coll.
Armillaire, septembre 2000, 320 pages, 160FRF
[Pour saisir à la racine la pulsion de l'écriture...]
Avril
Michel Jarrety (dir.), Propositions pour les enseignements littéraires, PUF,
2000, 192 p., 98FRF
[Les réformes pédagogiques en procès...]
Mai
Bernadette Bricout (dir.), Le regard d'Orphée - Les mythes littéraires de
l'Occident, Seuil, coll. Philosophie, février 2001, 18,29EUR
Juin
Naomi Klein, No Logo, la tyrannie des marques, traduit de l'anglais par Michel
Saint-Germain, 566 p., Actes Sud / Leméac, coll. Essais littéraires, avril 2001,
24.24EUR.
Juillet – août
Philippe Hamon, Imageries, José Corti éd., coll. Essais, mai 2001, 320 p.,
140FRF
François Laplantine et Alexis Nouss, Métissages. De Arcimboldo à Zombi, Pauvert,
2001, 44,50EUR.
Les auteurs: un anthropologue français et un linguiste canadien. Leur démarche
fait penser à Michel Serres, à Emmanuel Levinas: célébrer le métissage comme
accueil, écoute, accès à l'horizon de l'autre. Cela, par le biais d'un
dictionnaire thématique qui ouvre, de A à Z, c'est-à-dire sans parti-pris
d'exclusive - mais aussi sans prétendre à l'exhaustivité - des chemins de
métissage. De quoi, pour chacun, "tisser", à la fois, un réseau de parentés et
la trame de sa propre identité.
Et
ainsi devenir pleinement soi-même, par le détour indispensable de l'ouverture.
FEVRIER 2002
Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, LGF, Livre de poche, nov.
2001, 480 p., 7,50EUR.
De
A (Abbaye de Créteil) à Z (Zutistes), avec de multiples liens d'une rubrique à
l'autre. Voilà qui pourra étoffer la "boîte à outils" de quiconque - élève ou
professeur - explore le champ littéraire: courants, genres, écoles, sources,
influences... Erudit sans pédantisme, facile à consulter. Pour former des
lecteurs futés.
(Et vous avez vu le prix?)
MAI 2002
Marie-José Mondzain, L'image peut-elle tuer? Bayard, coll. Le temps d'une
question, févr. 2002, 10 €
Évoquer la magie de l'image, c'est souligner la force d'un média que chacun
saisit à travers son vécu, ses peurs et ses désirs. Cette puissance émotive qui
nous domine (l'image peut donc tuer?!), c'est par la parole que nous pouvons la
transformer en "puissance de jugement". Là où l'émotion retient et enchaîne, la
parole met à distance, prend ses distances! Eduquer à l'image, c'est "donner à
chacun la liberté de son discernement".
JUIN 2002
Alain Finkielkraut, L'imparfait du présent, Gallimard, mars 2002, 283 pages,
17,25 €
Les enseignants de français découvrent en 1981 son Petit Fictionnaire illustré;
et l'exploitent (avec excès parfois) dans des ateliers d'écriture. Livre de
bonne humeur, qui contraste avec l'humeur grave, voire pessimiste, des ouvrages
ultérieurs! Qu'on en juge par les titres: L'Humanité perdue, La Défaite de la
pensée, La Mémoire vaine...
Journal de l'an 2001, sous forme de Pièces brèves, L'imparfait du présent
dénonce la «décivilisation», le laxisme, l'inculture, la démagogie (et là,
l'école en attrape!!!). Mais est-ce en jouant au gourou brillant, solennel et
misanthrope, et surtout en versant dans la généralisation et l'outrance, qu'on
se rend crédible?
JUILLET - AOUT 2002
Marcel V. Locquin, Quelle langue parlaient nos ancêtres préhistoriques? Albin
Michel, 2002, 208 p., 14,25 €
Biophysicien, paléontologue, linguiste, informaticien... l'auteur part à la
découverte des premiers langages articulés à partir d'un inventaire de quelque
30.000 énoncés dans 315 langues, et de l'observation du babil des bébés, ce qui
lui permet de relever les combinaisons de phonèmes les plus fréquentes, et de
retrouver par conjecture les fossiles phonétiques. On peut être déconcerté par
les hypothèses du chercheur, mais on est frappé par la minutie et par la rigueur
de l'enquête, par une pluridisciplinarité qui permet d'établir avec plus de
force des liens de causalité. La méthode fascine peut-être davantage que les
conclusions...
SEPTEMBRE 2002
Dominique Schnapper (avec Christian Bachelier), Qu'est-ce que la citoyenneté?,
Gallimard, Folio Actuel, 2001, 320 p., env. 6 €.
Comment concilier droits et devoirs, liberté et responsabilité, autonomie et
solidarité...? Cet ouvrage nous aidera à traiter ces questions en classe, avec
l'éclairage d'une mise en perspective historique, illustrée de textes d'auteurs
(Aristote, Rousseau, Raymond Aron et quantité d'autres), de documents officiels
(de la "Grande Charte de 1215" aux "institutions européennes" actuelles).
Citoyenneté: "utopie créatrice" (p. 305), et donc toujours fragile, toujours à (r)affermir.
L'école s'engage?
OCTOBRE 2002-11-04
Tiphaine Samoyault, L’intertextualité – Mémoire de la littérature, coll.Nathan
U, 128 p.
NOVEMBRE 2002
François Dubet, Le déclin de l'institution, Coll. L'épreuve des faits, Seuil,
2002, 428 pages, 22€
Ils ou elles, enseignant(e)s, infirmier(e)s, médiateurs..., sont ce que Claude
Javeau nomme quelque part des lubrifiants sociaux. Leur tâche, à leurs yeux, est
de l'ordre de l'engagement, fondé sur une certaine part d'idéal, voire
d'enthousiasme : "la vocation", comme on dit ! Mais voilà, il y a aussi, pour
définir, réglementer, unifier leurs tâches, la nécessaire prise en charge par
l'institution "à la face sombre et au front obtus" ! D'où, souvent, et de plus
en plus, la tension entre celle-ci - en perte de crédibilité - et ceux-là, pris
souvent d'un désir irréaliste d'autonomie.
DÉCEMBRE 2002
Bruno Blanckeman, Les fictions singulières, étude sur le roman français
contemporain, Prétexte éd., coll. Critique, 2002, 174 p., 12€
Professeur de littérature française à l'Univ. de Caen, l'auteur s’en prend à une
critique nostalgique qui mésestime la production romanesque du 20e s. finissant
(Echenoz, Quignard, Ernaux, Modiano...) dont il apprécie, au contraire, la
vitalité, la diversité, le travail du texte. Son livre comprend trois parties:
fictions vives, fictions joueuses, fictions de soi. Cette dernière, où il
confronte fiction et vécu et souligne la dérive du nombrilisme - intéressera
l'enseignant qui veut amener ses élèves à réfléchir sur le rapport qu'ils
entretiennent avec leur propre écriture.
Ce
livre fait suite à Récits indécidables, 2000, Pr. Univ. du Septentrion, et
formera un triptyque avec un ouvrage en préparation.
Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, PUF, coll. Fondements de la politique,
oct. 2002, 384 p, 25€12
Prix 2002 du Jury de Philosophie, l'ouvrage condense une thèse de doctorat
soutenue en 2000 sur les politiques de justice de transition pratiquées depuis
les années 80 en Argentine, Chili, Uruguay et Afrique du Sud. Comment passer de
la violence à la réconciliation, sinon par une "rhétorique du pardon dans un
large éventail de textes: discours, débats, textes de loi, dépositions…, par où
se construit une entrée en légitimité. Autant de langages en action, dans des
situations d'énonciation et des formes d'argumentation variées, à analyser en
classe de français. Et ainsi, faire découvrir le pouvoir des mots, tantôt pour
avilir l'homme, tantôt pour le remettre debout: un objectif capital de formation
à la citoyenneté!
Février 2003
Michèle Petit, Eloge de la lecture, Belin, coll. Nouveaux mondes, septembre
2002, 160 p., 15.02€
Elle avait écrit naguère De la bibliothèque au droit de cité, surtout pour
revendiquer l’accès gratuit des jeunes aux bibliothèques, au nom du droit de
tous à accéder au savoir, au déploiement de l’imaginaire, au partage de la
culture, au développement de l’esprit critique, à la connaissance de soi – de
son irremplaçable singularité - aussi bien qu’à l’ouverture aux autres. Éloge de
la lecture est une récidive, où elle cite des témoins de divers milieux sociaux,
et souligne la responsabilité de l’école dans la formation de lecteurs éclairés.
Prenons-en de la graine !
Mars 2003
Thomas Pavel, La pensée du roman, Gallimard, coll. Essais, févr. 2003, 22,50€
Vaste panorama : le roman dans l’ensemble de l’Europe et même au-delà, et depuis
les fictions de l’Antiquité jusqu’à nos jours ! L’éude porte moins sur
l’écriture que sur la représentation (la pensée...) de la fiction : distance ou
proximité par rapport au réel, au milieu, au vécu. Autre originalité, l’auteur
distingue subtilement les initiateurs qui ne sont pas nécesssairement les
meilleurs, les plus reconnus dans une forme qu’ils créent ou renouvellent, et
d’autre part les grands auteurs... par exemple, Huysmans par rapport Proust.
Français d’origine roumaine, l’auteur enseigne la littérature à Chicago.
Avril 2003
Michel Barlow, L’évaluation scolaire, mythes et réalités, coll. Pédagogies, dir.
Philippe Meirieu, ESF éd., janvier 2003, 192 p. 22,70€
Une pratique correcte de l’évaluation scolaire prend appui sur une relation
singulière – chaque élève est unique ! - moins soucieuse de juger le passé que
de construire l’avenir. Elle évite donc toute forme de domination, voire
d’intimidation, dans un rituel qui la pervertirait en bureaucratie, voire en
procédure judiciaire. L’élève considère alors l’enseignant comme cheminant avec
lui et pour lui, et faisant sur lui le pari d’une réussite, si modeste
soit-elle.
Homme de terrain – il a enseigné au collège, au lycée, à Lyon II, à l’Institut
Supérieur de Pédagogie de Paris... – l’auteur nous rappelle que la pédagogie est
d’abord une éthique.
Mai 2003
David Mc Neil, Quelques pas dans les pas d'un ange, Gallimard, 2003, 152 pages,
14,50€.
Fils de Marc Chagall, citoyen russe naturalisé français, et d'une mère anglaise,
il a pris le patronyme de son oncle, ne voulant pas tirer avantage de la
célébrité paternelle... Mais David aime Marc! Avec ferveur! Et il lui dédie ce
livre, un mixte savoureux de souvenirs et de fictions, où le père n'est jamais
nommé autrement que papa. Une découverte, pour ceux qui ne le connaissent que
comme le créateur de chansons célèbres, Mélissa pour Julien Clerc, J'veux du
cuir pour Alain Souchon, Souvenez-vous, Louisa pour Yves Montand... La
découverte d'un homme "vrai", ennemi de l'esbroufe et du narcissisme, jongleur
de mots et témoin lucide de son époque.
Juin 2003
Catherine Millet, Riquet à la Houppe, Millet à la loupe, Stock, mai 2003, 96 p.,
7,03€
Le
projet de l'éditeur: mettre côte à côte le conte de Perrault et sa réécriture!
Belle illustration du fait que l'écriture s'approprie le cliché du conte (ce
qu'indique le titre paronymique) pour s'en échapper en y mettant son propre
style; car il y a toujours un écart entre le vécu et le conte: la vie contredit
le conte.
Réécriture que traverse la question sur beauté et laideur et où l'auteure se
place sous la loupe du lecteur-voyeur.
C.
Millet dirige ArtPress et a publié chez Flammarion en 1998 L'art contemporain en
France - 343 p.
Même collection: Christine Angot, Peau d'âne, mai 2003
Juillet-août 2003
Bernard Stiegler, Passer à l'acte, Galilée, juin 2003, 80 pages, 13,06€
Pour être un jour passé à l'acte, l'auteur a écopé de cinq ans de tôle, de 1978
à 1983. Ce qu'il écrit ici n'est pas la chronique d'un crime et d'une
incarcération; c'est le récit d'un autre 'passage à l'acte' qui continue à
s'opérer de jour en jour et qu'il appelle "mon devenir-philosophe": de la
transgression à reconstruction de soi.
En
filigrane, l'image de Socrate, son maître lointain, prêt à philosopher à mort.
Régis Debray, Le feu sacré - Fonctions du religieux, Fayard, avril 2003, 400
pages, 22,10€
Les enseignants connaissent sans doute son rapport L'enseignement du fait
religieux dans l'école laïque (Odile Jacob, 2002) établi à la demande de Jack
Lang. Le fait est là, à la fois massif et subtil: la réalité de l'homo
religiosus; une réalité à considérer sans préjugés, parce qu'elle est dans la
mémoire et les pratiques communes, et aussi - voilà qui est original dans Le feu
sacré - parce qu'elle peut éclairer notre perception du profane.
Septembre 2003
Laurent Gervereau, Histoire du visuel au XXe siècle, coll. Points Seuil, mars
2003, 544 p., 10,55€.
"Le poids des mots, le choc des photos"... Le décodage idéologique du texte
gagne certainement à être pratiqué en parallèle avec celui de l'image: nos
élèves, en effet, ne sont-ils pas bien davantage - et souvent à leur insu -
sous le coup du visuel...? Il s'agit de mesurer quelle est la prise de pouvoir
de celui-ci dans le champ de la politique, de la consommation. Dans un
décryptage d'images qui va de Dreyfus à l'impérialisme de la télévision,
l'auteur donne une leçon d'humanisme et de rigueur de méthode.
Octobre 2003
Le
partage des savoirs * XVIIIe-XIXe siècles, Collectif (Lise Andries, Gilles
Denis, Andreas Gipper, Florence Lotterie et al.), , Pr. univ. de Lyon, coll.
Littérature et idéologies, 09.2003, 294 p. 22,10€
Les auteurs remontent au rêve encyclopédique de Diderot et d'Alembert pour
observer comment, depuis les années 1750, la transmission du savoir, surtout
scientifique, s'opère dans et par la littérature. Cette pédagogie par la lecture
répond au credo d'une société émancipée par la science, à l'intérêt pour le
'personnage homme de science', héros de Balzac, de Zola, de Jules Vernes,
jusqu'aux ingénieurs, aviateurs, informaticiens de nos romans d'anticipation.
Elle apparaît aussi dans le rôle 'instructif' assigné à la description: on en
apprend sur cent domaines, mine, banque, pêche en haute mer, architecture,
médecine, astronautique...
Novembre 2003
Michel Schneider, Morts imaginaires, Grasset, Prix Médicis de l'essai 2003, 19€
De
Montaigne à Truman Capote (Dumas, Nerval, Marcel Schwob, Baudelaire, Rilke,
Nabokov...): des écrivains de toutes sensibilités nous introduisent dans une
réflexion sur la mort, non pas à partir d'un 'mot de la fin', qui serait ultime
message ou ultime clin d'oeil, souvent imaginé après coup, et tellement
dérisoire et anecdotique... mais à partir de leur oeuvre elle-même, dont le
langage dévoile en clair ou en filigrane une approche de la mort en même temps
qu'elle parle de la vie. Présence de la mort dans le langage! Voilà un ouvrage
d'une brillante érudition, tout proche de l'intime des auteurs, et qui se lit
comme une confidence sereine et grave.
Décembre 2003
Philippe Breton, La parole manipulée, La Découverte, rééd. 2000, 224 p., 7,50€.
Intox, désinformation, amalgame, simplification, séduction idéologique,
pénètrent masqués dans les discours guerriers, racistes, populistes. Et
certaines publicités ne sont pas en reste! Il faut résister en démasquant: enjeu
capital pour l'institution scolaire qui forme à la liberté - et il n'est pas de
liberté sans clairvoyance. Chercheur au CNRS de Strasbourg, l'auteur inventorie
les ressorts de la manipulation dans un ouvrage à la fois rigoureux, dense et
clair. Excellent outil pour l'enseignant!
Victor Martin-Schmets, secrétaire de rédaction de Que vlo-ve?, bulletin
international des études sur Apollinaire, nous confie son appréciation :
« Ce
livre est merveilleux par sa précision biographique et par son écriture. Il
fallait oser affronter le monstre Michaux en termes de biographie et de
rapprochement entre le poète et l'homme, dans une langue d'une modernité
étonnante; ce n'est pas le style habituel du genre. Martin est d'ailleurs à la
fois écrivain et professeur d'université. C'est rare. Le biographe a réalisé un
chef-d'oeuvre et je n'imaginais pas qu'il aboutît à un pareil résultat. Il y
avait longtemps que je n'avais plus lu une biographie intéressante. Sa lecture
n'est pas toujours facile, mais ne sont-ce pas les livres les plus difficiles à
lire (quand ils sont bons) qui sont les plus enrichissants?»
Février 2004
Thierry Maricourt, Ateliers d'écriture: un outil, une arme, L'Harmattan, octobre
2003, 278 p., 16,15€
L'écriture, il connaît! Il l'enseigne à Arras à l'école d'éducateurs, aux
détenus de Lioncourt, aux gens du voyage, en CM1, en CM2, en 6e, aux ados ou
adultes de Chaumont, de Lille, de Doullens, ces derniers - aimable provocation!
- se prénommant les Sauvageons.
Les milieux défavorisés, il connaît: il est né dans le quartier des 4000 à la
Courneuve ... Et sait donc de quoi et de qui il parle. Faire écrire sans écrire
lui-même, pas question! Se mettre dans la peau des apprenants, faire émerger du
groupe des idées et des consignes d'écriture: indispensable!
"Je veux que les gens se réapproprient leur vie. (...) L'écriture leur permet de
se remettre debout."
Mars 2004
Lucien X. Polastron, Livres en feu. Histoire de la destruction sans fin des
Bibliothèques, Denoël, janvier 2004, 432 p. 20,90€
Ça
s'est passé à Bagdad en 2003 lors de la "libervasion" anglo-américaine de
l'Irak: musées et bibliothèques saccagés. Une page sombre de plus dans la longue
chronique des richesses culturelles anéanties. L'auteur, éminent sinisant et
arabisant, spécialiste de l'histoire du papier et de la calligraphie, énumère
les désastres: Alexandrie, Rome, Ctésiphon, Bagdad (1258 par les Mongols, puis
2003), Inquisition, réforme Luthérienne, Louvain (16 mai 1940), Dresde,
Sarajevo (1992)... ruines fumantes de trésors sans prix. On partage évidemment
l'émotion indignée du savant. Mais on le suivra moins sans doute quand il s'en
prend durement à l'édition numérisée qui menacerait, selon lui, la production
'papier'.
Avril 2004
Pierre Jourde et Eric Naulleau, Le Jourde & Naulleau. Précis de littérature du
XXIe siècle, éd. Mots & Cie, 216 p., 13, 50 €.
Paru début 2004, mais daté du 1er avril 2004.. (tiens, tiens!), voilà un
décoiffant pastiche des Lagarde & Michard qui hantèrent les lycées de France et
d'ailleurs. Alexandre Jardin, Bernard-Henry Lévy, Madeleine Chapsal, Philippe
Labro, Philippe Sollers et quelques autres sont épinglés, objets de farfelus
curriculums, questionnaires, sujets de devoirs, avec leurs corrigés.
P.
Jourde enseigne à Grenoble III, a publié entre autres La Littérature sans
estomac (Prix 2002 de la critique de l'Académie française). E. Naulleau est
co-auteur avec P. Jourde de Petit déjeuner chez Tyrannie (2003).
Mai 2004
Claude Mesplède (dir.), Dictionnaire des littératures policières, éd. Joseph K.,
2003, 2 vol. (1800 p.), 50 € chacun.
Son érudition en matière de polar est incontestable! Déjà en 1982, son Voyage au
bout de la nuit noire inventoriait pas moins près de 800 livres ou films
policiers. Ici, plus de 2000 écrivains nous sont présentés. C'est le travail
énorme d'un passionné, capitaine d'une brillante équipe de quelque 70
collaborateurs.
Alain Créhange, Le pornithorynque est un salopare, Dictionnaire de mots-valises,
éd. Mille et Une Nuits, 2004, 2,50 €.
Il
y aura toujours un grincheux qui dira A quoi bon y perdre son temps, ne sachant
pas qu'exercer la créativité lexicale éclaire la réflexion sur la langue, affine
la sensibilité poétique, favorise l'indispensable prise de distance par rapport
au réel. Vous n'avez pas de sou? Ouvrez http://perso.wanadoo.fr/alain.crehange
Juin 2004
Anne Cauquelin, L'Exposition De Soi : du journal intime aux webcams, EsHel éd.,
coll. Fenêtres sur..., 2003, 96 p., 15 €
Nous existons dans le regard de l'autre. Berkeley, l'évêque philosophe
irlandais, a exprimé cela dans une formule saisissante: Esse est percipi.
L'écriture est miroir de soi, une façon d'advenir à soi-même, d'exister dans son
propre regard; et c'est particulièrement intense dans l'écriture de soi qu'est
le journal intime, même s'il n'est pas publié. De cet écrit à l'exhibition des
blogs et des webcams, il y a un lien, une continuité, qu'Anne Cauquelin étudie
avec le regard éclairé du philosophe et du sociologue!
Ces pratiques proliférantes de dévoilement sur la toile ne seraient-elles pas,
en définitive, un moyen de vaincre le doute sur son existence?
Juillet 2004
Paul Ricoeur, Sur la traduction, Bayard éd., 2004, 120 pages, 9,90€
Traduire, étymologiquement: mener au delà, c'est-à-dire, par le biais d'une
autre langue, guider le lecteur vers un autre univers de pensées et de
représentations. Le travail de traduction est doncde rendre communicables l'une
à l'autre des cultures: c'est bien plus qu'un problème - verbal - de 'traductologie',
c'est un projet d'hospitalité, d'ouverture, de fraternité.
Paul Ricoeur - pas étonnant pour qui connaît ce familier de la Bible! - nous
ramène ici aux origines de l'humanité telles que la Genèse nous les expose,
notamment au récit de la tour de Babel: la contrepartie de la disperson et la
confusion, c'est précisément... la traduction, l'accès à l'autre, accueil et
reconnaissance de l'autre... Ce que l'auteur rapproche du récit de Caïn et Abel
où il apparaît que la consanguinité n'est plus le principe de la fraternité,
mais que celle-ci est à construire: vaste chantier, sans cesse relancé!
Août 2004
Philippe Turchet, Codes inconscients de la séduction, éd. de l'Homme, 2004, 188
p, 18€
Attention: il y a dans votre cerveau des commandes qui régissent vos gestes,
votre mimique... Le corps est donc, sans doute à votre insu, porteur de sens. Et
la synergologie, c'est ça: une méthode de lecture du langage non-verbal
inconscient.
Corps porteur de sens, mais aussi porteur de séduction!
Attention, donc: votre visage peut être séducteur, ou séduit, votre main peut
tracer sur le visage des signaux clairs; surveillez aussi vos coudes et vos
poignets!
Fondateur de la synergologie, Philippe Turchet nous montre sur son site Internet
quelques mini-vidéos destinées à entraîner votre adhésion... Mais vous vous
prenez pour raisonnable et vous êtes sceptique. Vous n'avez peut-être pas
entièrement tort.
Septembre 2004
Michel Adam, Essai sur la bêtise, La Table Ronde, rééd. 2004, 253 p. 8,50€
On
peut avoir pitié de la bêtise. Il y a en effet des imbéciles heureux qui savent
vivre de peu; entendons: de peu d'intérêt et d'appétit pour élargir l'éventail
de leur connaissance. Ils aiment les idées simples; leur bonheur est d'être
sourds.
On
doit avoir peur de la bêtise: la méchanceté - et bien vite l'oppression -
naissent du refus de confronter son savoir au savoir d'autrui. Méfions-nous donc
de celui qui ne doute de rien, et pour qui tout va de soi.
Michel Adam, brillant philosophe (il est le spécialiste incontesté de
Malebranche), sait allier rigueur, émotion et humour dans l'approche de la
bêtise. Mais il nous invite aussi à rentrer en nous-mêmes: en chacun de nous est
tapi un imbécile heureux en puissance. Ceci fait écho au G???? sa?t?? de
Socrate: savoir débusquer en soi ce qui pourrait nous rendre bêtes et méchants!
Il y faut de la modestie.
Octobre 2004
Christian Krumb, L'âge d'or du tableau noir, Les Belles Lettres, 2004, 472 p.,
24€
L'auteur a d'excellents atouts pour présenter cette anthologie de textes
littéraires sur la communale des 19e et 20e siècles - de Condorcet à Jules
Ferry: il est historien, il connaît les ados en décrochage pour qui il anime des
ateliers de lecture-écriture.
Les auteurs convoqués sont de tous bords, de toutes régions: Chateaubriand,
Flaubert, A. Daudet, Renan, Lavisse, Vallès, Alain-Fournier, Pergaud...
Sous la petite histoire des communales, la Grande Histoire: le projet de
citoyenneté républicaine souvent teinté d'anticléricalisme, de patriotisme
revanchard après 1870.... Et, du côté des souvenir d'enfance: la nostalgie des
rêves, des espiègleries.
Voilà un document propre à ébaucher une histoire du regard sur l'école, et -
pourquoi pas! - de confronter ce regard à celui des élèves d'aujourd'hui.
Beau sujet pour un débat en classe!
Novembre 2004
Lise Gauvin, La fabrique de la langue, Seuil, coll. Points-essais/Inédits,
352p., 2004, 10€
Le
livre n'est pas à proprement parler l'histoire de la langue française mais
plutôt celle des rapports entre celle-ci et la littérature: comment les
écrivains - du moyen âge à aujourd'hui - ont-ils considéré leur usage de la
langue, entre purisme et liberté créative, entre conformité et transgression.
Peut-être en raison même de sa position hors de l'hexagone, la linguiste
québecoise qu'est Lise Gauvin est-elle bien placée pour voir comment de nombreux
auteurs ont comme 'mis en scène' la vie de la langue, ont littérarisé (ce verbe
revient quelquefois sous sa plume) les langages de leur époque. Quelques
privilégiés dans son analyse: Rabelais, Hugo, Céline, Queneau..., et surtout -
pour d'heureuses découvertes! - les auteurs d'aujourd'hui, belges (au passage,
un joli hommage à J.-P. Verheggen!), suisses (Ramuz...), québecois
(Tremblay...), créoles (Glissant...), africains (Khatibi, Ahmadou Kourouma...).
Décembre 2004
Michel Serres, Rameaux, Le Pommier éd., 2004, 240 p., 22€
Michel Serres aime parler en images pour donner saveur à ses propos sur
l'éducation, la vie en société, la recherche scientifique, le bonheur, la
souffrance... Deux images, tout particulièrement, éclairent son exposé: celle du
rameau, qui figure à la fois enracinement et aventure, richesse et fragilité, et
aussi diversité dans la multiplicité: aucun rameau pareil à l'autre! D'où le
pluriel du titre. Chaque humain est unique. Et aussi l'image de la bifurcation,
métaphore du cheminement et du métissage sans lequel l'humain aboutit à
l'impasse: Fonds ton âme en tant d'appartenances qu'une nouvelle culture ne t'effraiera
pas.
Michel Serres refuse une philosophie formatée, limitée à l'analyse et au
commentaire: "C'est un corset qui empêche d'inventer."
Inventer en multipliant les horizons de la recherche (il est un fervent
défenseur de la pratique interdisciplinaire)! Pas étonnant qu'il voie ses
modèles dans Jules Verne et dans... Tintin, héros avides de découverte et
d'explication.
Thierry Legay et Laurent Raval, 500 jeux avec les mots, Larousse, 2004, 415 p.,
19 €
Dangereux, ce titre! Car il est des enseignants pour qui tout jeu est exclu de
la pratique pédagogique: «Perte de temps, disent-ils; pas question de faire
l'amuseur Ce livre, pas pour nous!»
C'est mépriser Rabelais, pour qui le jeu est occasion d'apprendre. Que de choses
à observer dans le fonctionnement de l'anagramme, de l'anaphore, de
l'homophonie, du zeugme, de la périphrase, de la paronymie...: l'occasion de
fixer des notions et de développer des capacités en matière de lexique, de
stylistique, de syntaxe, d'orthographe.
En
outre, dans le jeu de la langue, l'idéologie pointe vite le bout de son nez: nos
élèves y mesureront le poids des mots (Prendre la parole, c'est prendre le
pouvoir.) Pour former des citoyens éclairés et agissants, ce jeu vient donc bien
à propos.
En
résumé: 110 entrées, d'abécédaire à zeugme, 500 jeux avec leurs solutions, des
dizaines d'auteurs et artistes cités comme témoins.
Un
cadeau à s'offrir pour 2005!
Février 2005
Elie Wiesel, Le temps des déracinés, Seuil, coll. Points, 2004, 314 p.
Qui ne connaît ces lieux sinistres: Auschwitz, Treblinka, ghetto de Darawosk,
goulags, cachots franquistes, Budapest sous les SS puis sous les chars
soviétiques, charniers de Bosnie ou du Rwanda? Et demain, quels autres lieux?!
Par le détour de la fiction, on revit avec quelques rescapés la fureur
exterminatrice qui les a marqués à vie, les a voués l'errance, de Vienne à
Paris, au Maroc, à New York: Diego, Bolek, Iasha, Shalom, Gad et surtout Gamliel,
héros du roman, qui se confie à son livre secret. "Aucun d'eux n'oubliait son
passé d'immigré à la recherche d'un paradis perdu. Ils aimaient se rencontrer
pour célébrer la solidarité des déracinés et la divinité du rire." (p. 162)
Tout petit, Gamliel a perdu père et mère envoyés au camp de la mort; Ilonka,
chrétienne de Budapest, a pris le bambin sous sa protection: Gamliel est devenu
Peter pour 'faire baptisé'. Ça commence comme ça... Et la quête avide de Gamliel
sera de retrouver Ilonka. Ne serait-ce pas elle, cette H
Mars 2005
Chistiane Chaulet-Achour (dir), Les 1001 nuits et l'imaginaire du XXe siècle,
L'Harmattan, janv. 2005, 248 p., 21€
Ali Baba et les quarante voleurs, Aladin et la lampe merveilleuse, Sindbad le
Marin... ces récits, et bien d'autres, tirés des Contes des Mille et Une Nuits,
hantent l'imaginaire européen, depuis qu'Antoine Galland en entreprend la
traduction au début du 18e siècle (1704-1717). Une équipe d'universitaires
dirigée par une éminente spécialiste de la littérature arabe et des écrits de
femmes analyse la dimension intertextuelle de ce chef-d'oeuvre du conte
oriental. Réminiscence, remémoration, clin d'oeil, réemploi, parodie... les
traces sont multiples et multiformes, aussi bien dans les genres nobles (voir
par exemple les nombreuses traces de la caverne d'Ali Baba dans A la recherche
du temps perdu) que dans le champ de la BD, du cinéma, de la musique. Voilà un
excellent ouvrage, où l'enseignant de français découvre quantité de pistes à
proposer à ses élèves pour leur faire découvrir ce ressort constant de toute
littérature qu'est l'intertextualité.
Avril 2005
Alberto Manguel, Pinocchio et Robinson: pour une éthique de la lecture,
Escampette éd., 2005, 80 p., 12€.
Merci à l'éditeur! Il a eu le flair de regrouper dans un petit livre trois
textes précieux d'un expert de la lecture: Comment Pinocchio apprit à lire
[...mais ne devint pas lecteur], La Bibliothèque de Robinson [l'exploration
comme métaphore de la lecture], Vers une définition du lecteur idéal.
Il
ne suffit donc pas de savoir lire, il faut devenir lecteur! C'est-à-dire
explorateur, le texte n'étant là que pour accéder à un labyrinthe d'allusions,
de citations, de clins d'oeil, de souvenirs.
Lire, c'est alors relire, converser, échanger, être attentifs à la voix des
autres.
L'enseignant de français - de la maternelle à l'Université - trouvera dans cet
ouvrage de quoi construire de tels lecteurs.
retour début
Mai 2005
Alain Joannès, Communiquer par l'image, Utiliser la dimension visuelle pour
valoriser sa communication - Dunod, 2005, 224 p., 24 €.
Journaliste, conseiller en communication, l'auteur fait part de sa pratique et
surtout de ses réflexions sur la valeur référentielle et symbolique de l'image,
surtout de l'image de marque dont il analyse des dizaines d'exemples: comment
s'associent, pour engendrer l'image, le projet de l'entreprise et l'expertise du
'créatif'. L'image informe, prend en compte l'imaginaire, les affects, la
mémoire individuelle ou collective: autant de paramètres variables d'une culture
à l'autre. L'auteur regrette que l'image soit souvent sous-exploitée, notamment
dans les médias francophones; il déplore tout autant le peu d'effort déployés
dans l'éducation
Juin 2005
Pierre Schoentjes, Poétique de l'ironie * Seuil, coll. Essais, 2001, 348 p.,
8.80€
L'ironie existe, tantôt subtile et délicate, tantôt amère et dévastatrice...
mais comment définir la posture et le langage de celui qui pratique ce genre
multiforme?
L'ironiste serait un idéaliste en ce qu'il croit à la perfectibilité de l'homme
dans un double mouvement de distanciation et de foi, de blâme et de louange (p.
87), poussé par la nostalgie d'un monde idéal (p. 248). Il affectionne la
prétérition, l'épitrope, l'hyperbole, l'antiphrase... et autres figures créant
un écart entre le dit et le signifié, sollicitant la vigilance du lecteur.
L'ironie (voyez le titre!) apparaît donc comme une p???t??? - "travail et jeu"
sur le langage; elle relève du ludique et son sérieux est celui du jeu (p. 212).
Le
professeur de français en quête de fondements théoriques, de repères
historiques, de documents textuels (d'Aristote à Raymond Queneau...), tirera
grand profit de ce remarquable essai, assorti d'une bibliographie de quelque
deux cents ouvrages.
Bibl.Espace27Septembre:F9431A/467
Juillet-août 2005 * Six livres pour vos grandes vacances
Idéologies en tous sens... Eveiller chez l’élève la vigilance et l’esprit !
Lectures sérieuses pour vos vacances
(dont nous avons à dessein varié les genres: essai, récit, pamphlet,
lexicographie..., et les horizons: France, Roumanie, Allemagne...)
Victor Klemperer, Lti, [Lingua tertii imperii] La langue du IIIe Reich, Pocket
éd., coll. Agora, 2003 (rééd. de la version de 1947), 375 p., env. 10€.
Comment une idéologie s'est développée dans une façon de manier le langage, de
répandre, d'accréditer des "façons de dire" et de juger. Le poids des mots...!
L'auteur: né en 1881, fils de rabbin, professeur à l'Université de Dresde,
destitué de son poste en 1935, devient simple manœuvre. Son journal, établi
depuis 1933, est un document essentiel pour l'histoire du nazisme. (L'édition de
1996 est disponible à la Bibliothèque Espace 27 Septembre de la Cté fse de
Belgique: F 31878 B/21)
Yves Michaud, Chirac dans le texte, Stock, 2004, 200 p., 21 €.
Une lecture... plutôt critique des discours et déclarations politiques de
Jacques Chirac depuis 1967, par un philosophe engagé, fondateur de l'Université
de tous les savoirs.
Hélène Risser, L'Audimat à mort, Seuil, 2004, 270 p., 15.20€ (pour les
prisonniers de la télé!).
La
tentation de divertir plutôt que d'informer...
Constantin Salavastru, Le pouvoir du discours et le discours du pouvoir,
L'Harmattan, févr. 2005, 217 p., 19€
[la complicité entre l'art de parler et l'art de gérer]. Existe en version
e-book. Spécialiste de la rhétorique contemporaine et de son emploi par le
pouvoir, son expérience est surtout celle d'un Roumain ayant subi le régime et
les armes de propagande de Ceaucescu: complicité entre art de parler et art de
gérer.
Thérèse Mercury, Petit lexique de la langue de bois, L'Harmattan, 2001, 199 p.,
env. 17€ (téléchargeable: 8€.)
Récit contre le racisme. Pour lecteurs adolescents. Comment intéresser les
jeunes à la politique.
Septembre 2005
François Dubet, L'école des chances. Qu'est-ce qu'une école juste ?, Seuil,
2004, 11€
Il
faut le reconnaître: les propos et les pratiques de certains enseignants (peu ou
davantage selon les lieux) entretiennent dans l'opinion publique une perception
de l'école comme lieu de compétition... Et tant pis pour les vaincus!
Pour François Dubet, l'égalité des chances offerte à chaque élève est une
exigence démocratique. Cela se fera par davantage de différenciation, de (re)connaissance
et de valorisation des possibilités de chacun, d'aide au projet personnel du
jeune, de concertation dans l'équipe éducative...
Tout cela ne nous rappelle-t-il pas que la pédagogie est aussi - d'abord - une
éthique?
Octobre 2005
François Jost,,Comprendre la télévision * Armand Colin, coll. '128', 2005, 9€
La
Télévision du quotidien. Entre réalité et fiction * De Boeck-INA, 2004, 25€
Il
faut aider nos élèves à se former une attitude critique devant la petite
lucarne. Mais comment faire? Ces deux études, d'un éminent spécialiste de
l'image, pourront nous y aider, nous professeurs de langages divers, qui
apprenons aux jeunes à distinguer esbroufe et consistance, information et
conditionnement.
Faute de quoi, il y a grand risque de passivité, de crédulité : où en est,
alors, cette citoyenneté responsable que nous devons développer chez nos élèves?
Novembre-décembre 2005
Marie-Louise Ténèze, Les contes merveilleux français - Recherches de leurs
organisations narratives, éd. Maisonneuve & Larose, 2004, 164 p, 15€.
Cet ouvrage, qui a reçu le Prix 2005 de l'Essai, tire parti de la classification
des contes populaires de Aarne et Thompson (3000 contes répertoriés). L'auteure
entreprend de vérifier si les 'fonctions' de Vladimir Propp (Morphologie du
conte, 1928) peuvent s'appliquer aux contes merveilleux français. Une hypothèse
assez séduisante est formulée au terme de son étude: celle d'une structure
narrative en deux mouvements qui caractériserait un grand nombre de ces récits.
Cette étude rigoureuse éclairera sûrement l'enseignant de français soucieux de
faire découvrir la richesse de l'univers des contes.
Enzo Traverso, Passé, mode d'emploi - Histoire, mémoire, politique, La Fabrique,
2005, 14€, 136 p.
Comment l'homme d'aujourd'hui remémore-t-il le passé, et y trouve appui pour
construire ou rejeter une opinion, justifier ou blâmer un projet de société?
La
réponse à cette question est le fil conducteur de l'ouvrage. Éminent analyste
des mémoires nationales - France, Italie, Allemagne, pays anglo-saxons... -
l'auteur souligne le rôle de historien, investigateur du passé ainsi que de la
mémoire collective d'un peuple. La shoah n'est évidemment pas absente de son
champ d'observation, ainsi que d'autres formes de fascisme ou de totalitarisme
toujours bien vives dans nos souvenir, et susceptibles encore de menacer les
démocraties.
Un
livre riche et dense, qui sera bien utile à l'enseignant soucieux de montrer aux
jeunes comment le passé reste à l'oeuvre dans les débats d'aujourd'hui!
page 58 :
On
arrive ainsi au paradoxe de la création d’un musée fédéral de l’Holocauste,
consacré à une tragédie consommée en Europe, alors que rien de comparable
n’existe pour les deux expériences fondatrices de l’histoire américaine que sont
le génocide des Indiens et l’esclavage des Noirs.
février 2006
Dominique Bucheton & Jean-Charles Chabanne, Parler et écrire pour penser,
apprendre et se construire - L'écrit et l'oral réflexifs, PUF, 2002, env. 24 €
Depuis les années 1990, la recherche théorique et les expériences sur le terrain
mettent de plus en plus en évidence le rôle de la parole et de l'écrit dans les
apprentissages scolaires et plus largement dans la construction de la personne.
Ce qui frappe dans les relations d'expériences rassemblées par les auteurs pour
illustrer leur propos, c'est le déplacement qui s'opère du domaine du
linguistique au domaine de la relation (p. 7): penser, apprendre, se contruire,
se font dans l'interaction, de bout en bout (p. 8). "Relation", "interaction"...
l'accent est mis sur l'attention portée à la personne dans l'échange langagier.
Il est salutaire de rappeler la nécessité d'aller bien au-delà d'un souci
d'évaluation formelle!
Mars 2006
François Bégaudeau, Entre les murs, Ed. Verticales, janvier 2006, 272 p. 16,9€
C'est le livre d'un vrai prof dans un vrai collège: il enseigne le français dans
une 4e du 19e en ZEP! C'est la rentrée et le voilà, pour un an, entre les murs,
face à 25 ados. Lui, le lettré; eux, usagers d'une langue dont il reconnaît la
richesse, la force d'expression. Lui, dans sa gauloisitude, comme l'ensemble des
collègues; eux, de souches diverses, arabe, noire, asiatique... française
parfois. Lui, le lecteur expert; eux, pour qui les livres sont plutôt affaire de
gonzesse. Quelle sera sa capacité de résistance? Résister, sans se draper dans
l'indignation, dans la distance, mais en assurant le contact, la proximité,
l'écoute; et savoir surtout que l'infini est possible par la parole.
Voilà un témoin, un vrai. Et c'est pour cela que son propos - subjectif
forcément, partial peut-être - intéressera les collègues que nous sommes.
Avril 2006
Jean-Claude Guillebaud, Le goût de l'avenir, Seuil, 2003, 360 p., 21,50€
L'avenir se décide au présent, et c'est une question de choix et de refus! On
songe à Antigone, rejetant l'ordre établi par Créon: récuser toute idée de
fondements, de valeurs communes ou de dignité de l'homme ne revient-il pas à
désarmer, par avance, les futures Antigone qui pourraient se dresser contre
l'injustice "légale" de l'ordre établi? (p. 99).
L'auteur plaide pour un humanisme d'ouverture (je suis redevable à l'autre de ce
que je suis - p. 123), de tissage de liens (ce qui n'a rien à voir avec les
liens hertziens du loft intersidéral! v. p. 140), d'insoumission aux vendeurs de
désirs, aux camelots de l'épanouissement de soi (p. 280), et surtout de rejet de
cet inespoir - le mot est d'Albert Camus (v. p. 341) - résigné à l'inéluctable,
écartant l'idée que l'homme puisse être le maître de son destin.
Or, le propre de l'homme est la volonté! Il ne sait vivre et penser qu'en avant
de lui-même (p. 356).
Mai 2006
Chantal Foucrier, Les Réécritures littéraires des discours scientifiques, textes
présentés par -, Michel Houdiard éd., janvier 2006, 375 p., 30€.
Professeur de littératures comparées à l'université de Rouen, elle publie ici
les résultats du colloque tenu en 2001: au total 31 études.
C'est une observation des mécanismes d'écho, de réemploi, de connivence ou de
tension entre sciences et littérature, entre les cultures, entre les époques.
Pour nous, enseignants de français; c'est surtout une imposant aperçu de textes,
de l'Antiquité à nos jours. Preuves à l'appui, nous voyons comment l'imaginaire
peut se nourrir du discours sur le réel, le mesurable, le codifiable. Quelques
exemples, pour une mise en appétit: d'Aristote à Virgile, l'élevage des
abeilles - Sade interprète de la science matérialiste - Marivaux et le
sensualisme - Flaubert lecteur du Docteur Savigny - de la clinique au roman chez
Huysmans - la science dans Le pendule de Foucault...
Comment sciences et littérature questionnent le monde et son destin: c'est sans
doute le précieux fil conducteur de cet imposant ouvrage.
retour début
Juin 2006
François Dosse,
Le
Pari biographique - Écrire une vie, Editions de La Découverte, 2005, 480 p., 29€
C'est un livre savant - au sens sympathique du terme - c'est-à-dire ni pédant ni
jargonnant, mais érudit, rigoureux, et d'un style agréable. De Plutarque à nos
jours, la réflexion porte sur le côté pari du texte biographique: pari du choix
éclairé entre reportage et écriture littéraire, entre parti-pris et objectivité.
L'auteur observe également les raisons de l'intérêt croissant d'un vaste public
pour la biographie. Et pourquoi? Besoin d'un héros à qui s'identifier, à
introduire dans son Panthéon personnel? Désir de découvrir et de comprendre une
époque à travers ses acteurs ? Ce 'produit' se vend bien! Et cela tente un
auteur, journaliste ou romancier, Jean Lacouture ou André Maurois, par
exemple...
Cet excellent ouvrage sera bien utile au professeur de français, entre autres
pour faire découvrir à ses jeunes lecteurs comment se construit la biographie,
quelle est l'instance - ou la distance - de l'auteur, à quoi tient le goût d'un
large public pour ce genre d'oeuvre.
Juillet-août 2006- Lecture de vacances
Ecrire...
Anne-Marie Trekker, Les mots pour s'écrire. Tissage de sens et de
lien, L'Harmattan, 2006, 170 p., 15€
Le
récit de vie, outil à la fois subversif et créatif contre les dérives
totalitaires et manipulatrices, est présenté ici par une praticienne des
ateliers d'écriture, observatrice avisée de tout ce qui est écriture de soi chez
les écrivains.
Lire...
Marc Fumaroli, Exercices de lecture - De Rabelais à Paul Valéry, Gallimard, 2006,
778 p., 33€
Théorie de la littérature, théorie de la critique? Nullement! Mais un parcours
dans la richesse et la diversité des oeuvres, avec le souci de les «replacer en
leur lieu, en leur heure, en leur humeur propre».
Penser...
Luc Ferry, Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des jeunes
générations. Plon, 2006, 302 p, 18€
Pas vraiment un traité, mais plutôt une aide - et par quel expert! - pour entrer
en philosophie par le biais d'un large éventail de textes. Un philosophe qui
sait quoi dire et comment dire!
Septembre 2006
Gaétane Chapelle & Étienne Bourgeois (dir.), Apprendre et faire apprendre, PUF,
mars 2006, 304 p., 21€
En
pédagogie, il s'agit moins de faire pour que de faire avec! D'être le complice
des apprentissages de l'élève, et pour cela, avant toute chose, de susciter chez
lui l'attitude essentielle du désir d'aprendre. Le maître-mot sera donc
«motivation»! Celle-ci est comme le fil rouge des réflexions et des propositions
d'éminents chercheurs et praticiens rassemblées par nos deux compatriotes (l'une
est journaliste scientifique, l'autre enseigne à l'UCL) qui dirigent aux PUF la
collection Apprendre.
Dans le concret, pourtant, motiver n'est pas simple: la classe est un groupe où
ce "désir d'apprendre" varie de l'un à l'autre, en fonction, surtout, de la
diversité du milieu social et familial... : la "complicité" évoquée plus haut
dans la relation enseignant-enseigné devrait aller de pair avec la complicité
famille(s)-école. Mais c'est là une autre histoire!
Peut-être celle d'une utopie.
Octobre 2006
Georges Picard, Tout le monde devrait écrire, éditions Corti, 2006
[Ecrire
pour développer une pensée plus claire, plus ferme, plus nuancée ; pour
apprendre, car écrire facilite l’apprentissage des connaissances. L’écriture de
Georges Picard est riche, un rien narcissique, et souvent critique – à juste
titre – envers les médiocres et les mercantiles de l’édition.]
Novembre 2006
Michel Serres, Récits d'humanisme, éd. du Pommier éd., 2006, 232 p., 22€.
Ni
vous ni moi ni personne n'existons sans réciter notre existence (...); il faut
se raconter pour naître (p. 17). Michel Serres ne définit pas l'homme; il le
raconte, en scientifique de haut niveau, en lecteur éclairé des mythes
fondateurs. La vérité de l'homme surgit du récit de constantes bifurcations [ce
mot revient maintes fois], de risques assumés, de ruptures (v. ci-dessous, à
propos de la recherche intellectuelle!), mais aussi d'ouverture, de fusion,
d'échange: Grâce aux sciences humaines, nous invitons les autres et les
étrangers à notre table (...). Qui ne cultive de tels échanges ne peut rien
comprendre à aujourd'hui, à hier, au reste du temps et de l'espace (p. 119).
Mais c'est une évolution où toute décision appartient à l'homme, singulièrement
dans le choix entre la violence atroce et l'amour universel (p. 201).
Extraits
[Précurseur ou... perroquet?]
Si vous répétez, dans la recherche, ce que l'enseignement vous enseigna,
vous ferez une carrière honorable dans l'Université, où l'on respecte les
citations, c'est-à-dire la copie du Même.
Si, au contraire, vous bifurquez, vous risquez de connaître le sort des Mendel,
Semmelweis ou Boltzmann, géniaux précurseurs, méconnus et persécutés, acculés à
l'ombre ou au suicide.
A
la génération suivante, l'on vous vénérera, mort, comme prophétique et
révolutionnaire.
Même dans les inventions, la victime devient, après sa mort et son bannissement,
un dieu par apothéose.
Michel Serres, Récits d'humanisme, p. 157.
[La vérité de l'homme dans la littérature]
Moins il y a de littérature, moins il existe d'individus. De personnes libres.
(...) En ces temps de mimétisme exacerbé, la littérature sauve.
Idem, p. 52-53.
Décembre 2006
D.
Viart, B. Vercier, F. Evrard, La littérature française au présent* Héritage,
modernité, mutations, Bordas, 2005, 512 p., 30€
La
quantité et la qualité! Environ 2000 auteurs indexés d'Aaron à Zola en fin de
volume; plus de 1000 citations, une bonne soixantaine d'extraits - parfois de
plus d'une page.
Mais la qualité surtout! Rien à voir avoir la paresse d'un copier-coller! Le
souci des auteurs est de fournir la preuve par le texte, de montrer le lien
entre une oeuvre et le vécu de son auteur ou les problématiques d'une époque,
d'attirer l'attention sur l'écriture elle-même, soit comme signe de conformité à
une esthétique en place, soit au contraire comme intention de faire écouter une
parole inédite (comme le dit D. Viart à propos de François Bon, p. 213): c'est
cela surtout, l'attention au travail de la langue, qui intéressera l'enseignant
de français. Citations brèves et larges extraits viennent donc tout à fait à
propos; et ce livre est alors saisi comme un excellent guide de lecture, qu'on
voudrait avoir à tout moment à portée de main.
L'intelligence de ce panorama de 25 années de littérature est à cent lieues des
boniments mercantiles de telles ou telles maisons d'éditions.
Fragments...
Intertextualité...
Il
n'est d'écrivain qui ne soit aussi lecteur, tout oeuvre s'écrit d'abord avec
d'autres oeuvres, dont elle s'alimente. (p. 71)
L'événement et l'écriture...
Ecrire, ce n'est donc pas rapporter des faits, fussent-ils en eux- mêmes
tragiques. C'est, à partir d'eux et par le travail de l'écriture, se porter
au-delà: élargir la pensée. (p. 150-151)
Quand manquent les repères...
(...) que le narrateur en vienne à ne plus savoir comment écrire son récit, ni
quelle place se donner dans son texte dans le texte sinon au prix de changements
dans la structure énonciative, paraît très caractéristique d'une époque en
manque de certitude et de repères, inquiète d'elle-même et de sa pensée (p.
240).
Poésie: une écriture, d'abord...
(...) tous aujourd'hui conviennent de la littéralité de la poésie et affirment
que tout se joue et se dit dans la langue autant qu'avec - ou contre - la
langue. (p. 411).
Fait divers et littérature
La
littérature contemporaine (...) privilégie l'ambivalence du sens plutôt que
toute univocité; elle demeure plus interrogative qu'assertive. (p. 244)
Jean Salem, Le Bonheur ou l'art d'être heureux par gros temps, Bordas, 2006,
284 p., 16€
Bonheur... gros temps... A ces mots, tel lecteur se souviendra peut-être de
Marc-Aurèle: Etre comme le promontoire indifférent à la furie des flots.
Oui, mais cet empereur stoicien, c'était du sérieux, de l'austère. Jean Salem,
c'est un tout autre ton: il nous parle du bonheur avec la compétence d'un
érudit, d'un insatiable lecteur, avec gravité sans doute (écoutez sa révolte
contre un bonheur de consommation passive!) mais assortie de bonne humeur.
Le
professeur de français sera avec lui en possession d'une quantité de références
et de citations finement décodées: Aristote, Epicure, Montaigne, Descartes,
Diderot, Rousseau, Maupassant, Feuerbach, Tolstoï... y compris son père à qui il
rend hommage, Henri Alleg, dénonçant la torture dans son livre La question.
En
définitive, le message est clair: résister à l'illusion d'un bonheur
prêt-à-porter!
Février 2007
Philippe Guibert et Alain Mergier, Le descenseur social. Enquête sur les milieux
populaires, Plon, F. J. Jaurès, coll. Tribune libre, 2006, 145 p. 10,50€
Ils sont 80% aux U.S.A. à prévoir pour leurs enfants un sort meilleur. En
France, ils sont 34%.
A
qui la faute, si l'ascenseur fonctionne... vers le bas; si la protection sociale
est un leurre; si les revenus sont médiocres pour près d'un tiers de la
population; si le travail n'est pas récompensé comme il se doit; si 25% des
bacheliers ont quelque chance de devenir cadres contre 70% avant 1980: autant de
situations qui sont comme à la fois causes et conséquences. D'où l'impression
que c'est l'impasse!
Pour les auteurs, deux événements majeurs auraient été le reflet de ce profond
désarroi: le séisme du 21 avril 2002, quand le FN fut près de l'emporter au
premier tour des Présidentielles, et le "non" de la France à l'Europe, le 29 mai
2005.
Et
le malaise touche aussi l'école...! Où des obstinés rêvent de faire "remonter
l'ascenseur". Mais, seule, et sans moyens adéquats, l'école sera impuissante.
Mars 2007
Hervé KEMPF, Comment les riches détruisent la planète, Seuil 2007, coll.
Histoires immédiates, 148 p., 14€
«... immédiate»! Ce mot attire bien l'attention sur des problématiques à régler
d'urgence. Mais l'urgence et la gravité d'une situation peut être sous-estimée,
voire occultée, par un lobbie de puissants: quelque 300 millions de
super-propriétaires peu soucieux du sort des 6 milliards de Terriens; d'où la
menace de dégradation, peut-être irréversible, de nos milieux de vie, de nos
ressources, au profit d'une oligarchie aveugle qui a su parfois mettre le
Pouvoir de son côté jusqu'à criminaliser la contestation politique.
L'auteur, grand reporter du journal Le Monde, ne veut pourtant pas "jouer à
faire peur": il est convaincu que, seules, de radicales réformes sociales
permettront de résoudre la crise écologique.
Question imprudente... Du côté de l'institution scolaire, qui forme les Terriens
responsables de demain, quel intérêt accorde-t-on à ces problèmes de société
?
Avril 2007
Christian Godin, Petit lexique de la bêtise actuelle *Exégèse des lieux communs
d'aujourd'hui, Éd. du Temps, 2007, 224 pages, 15 €
Le
lieu commun, on le sait, est une forme figée; mais c'est aussi une idée figée,
incontestable, rebelle à toute nuance ou remise en cause.
De
A (acharnement thérapeutique) à V (volonté), l'auteur, prof de philo à de
l'Université de Clermont-Ferrand, décortique avec rigueur une bonne centaine de
ces idées reçues, solidement installées dans les opinions communes.
Bien sûr, un tel genre d'écrit peut verser facilement dans l'excès de sévérité,
et même dans le simplisme qu'il prétend dénoncer... Il n'empêche que C. Godin a
atteint son but: nous rendre vigilants, nous enseigner l'insoumission aux
généralisations péremptoires et le refus des savoirs prédigérés.
Ce
qui ne gâte rien, c'est que tout cela nous est conté avec quelle verve, avec
quel humour!
Mai 2007
Carlos Liscano, L'impunité des bourreaux : l'affaire Gelman, Bourin éd., mars
2007, 256 p., 19€
Plutôt intéressé par les mathématiques, il ne songeait pas à devenir écrivain.
Et s'il est passé à l'écriture, c'est après l'expérience de treize années de
détention politique (de 1972 à 1985). D'abord poète, puis romancier, il passe à
l'autobiographie pour évoquer sa détention dans Le fourgon des fous (2002).
Début 2007, paraissent coup sur coup Souvenirs de la guerre récente (roman,
Belfond, 159 p.) et cette enquête autour du poète argentin Juan Gelman, dont le
fils, âgé de vingt ans, a été exécuté, dont la belle-fille disparaît sans
laisser de trace...
Dans sa recherche de la vérité, l'écrivain nous fait découvrirr la force
perverse du langage des pouvoirs autoritaires où abonde entre autres la litote:
'pression physique' pour torture, 'gouvernement de fait' pour dictature... Et la
manipulation est telle que «le mensonge devient vérité».
L'enseignant trouvera dans ce livre de quoi faire réfléchir ses élèves sur la
puissance des mots!
Juin ?2007
Philippe Lemoine, La nouvelle origine: la France, matrice d'une autre modernité?
Ed. Nouveaux Débats publics, mai 2007, 343 p., 18€
Ses parents rêvaient de le voir Inspecteur des Finances; il n'en sera rien:
sorti de Sciences-Po, il s'engage, avec d'autres brillants condisciples, à ne
pas présenter le concours de l'ENA.
Son rêve à lui - celui du progrès de l'humanité fondé sur la volonté de chacun
de se transformer - s'est élaboré au contact de penseurs de premier plan,
Deleuze, Morin, Foucault, Derrida..., puis dans la découverte des ressources
du numérique (l'histoire a commencé avec l'écriture, rappelle-t-il; la nouvelle
histoire commence avec le numérique), puis dans l'expérience de l'entreprise où
réussite signifie concertation, créativité, audace, refus de l'!inertie.
Ceux qu'il mobilise, ce seront donc, en première ligne, les "entrepreneurs, les
artistes, les militants, les jeunes, les politiques", figures typiques, selon
lui, de la vitalité. (Tous les politiques, on peut en douter...) A l'orée du
quinquennat Sarkozy, il invite habilement ses compatriotes à se dégager du
nombrilisme et à trouver hors de France des modèles inspirateurs.
Juillet-août 2007
Serge Gruzinski, La pensée métisse, Fayard, 1999, 345 p. (bibliogr., illustr.,
index)
Professeur à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l'auteur
s'est spécialisé dans l'histoire du Mexique, du Brésil, de l'Amérique latine en
général. Il montre comment la culture européenne a progressivement marqué la
culture locale du nouveau continent (témoin parmi bien d'autres cette fresque
des années 1580 dans une église du Mexique, inspirée des Métamorphoses
d'Ovide...), mais aussi comment l'Europe s'est approprié, à des degrés divers,
des modes d'expression d'Outre-Atlantique (témoin, par exemple, vers la même
époque, le recours des peintres florentins à des codes mexicains...).
Telle est la "pensée métisse": l'enrichissement produit à la rencontre et à
l'interpénétration des groupes humains naguère totalement étrangers l'un à
l'autre.
Quand le repli sur soi et la préoccupation identitaire tentent de l'emporter sur
l'ouverture, il est salutaire de rappeler la vertu du métissage!
Septembre 2007
Geert Mak, Voyage d'un Européen à travers le XXe siècle, Trad. B. Abraham,
Gallimard 2007, 1024 p., 35€.
Ce
journaliste consacre toute l'année 1999 à parcourir l'Europe, publiant chaque
jour un billet dans le Handelsblad, un des quotidiens les plus appréciés aux
Pays-Bas. En outre, il consulte quelque 600 ouvrages consacrés à l'histoire de
notre vieux continent. Ces chroniques seront ensuite rassemblées dans un ouvrage
en néerlandais qui récolte aussitôt un immense succès: plus de 350.000
exemplaires vendus en quelques mois!
Que de lieux parcourus, où l'Europe a vécu quantité d'heures sombres, certaines
dûment commémorées, d'autres parfois quasiment tombées dans l'oubli.
Ce
travail de rémémoration est exemplaire par la minutie de l'enquête, par la
clairvoyance du regard; et c'est un guide précieux pour quiconque veut
comprendre - ou faire comprendre aux jeunes générations - l'Europe d'aujourd'hui
à travers le prisme de son passé.
Il
serait vain, en effet, de "faire l'Europe", de façonner une citoyenneté
européenne sans prendre en compte ce qui hante notre mémoire...
Octobre 2007
Régis Debray & Claude Geffré,
Avec ou sans Dieu? * Le philosophe et le
théologien, (Dialogue animé par Eric Vinson), Bayard, 2006, 160 pages.
Dans ce passionnant débat pris sur le vif à propos du religieux, le fil
conducteur semble bien être, pour l'un, la construction du lien, pour l'autre,
la quête du sens. Entre eux, l'échange est moins confrontation que cheminement
dans une écoute où chacun est en appétit de la parole de l'autre: cela est
exemplaire! Et rien qu'à ce sujet - la forme du débat - tout lecteur en prend
de la graine pour sa propre conduite d'argumentation!
Quant au fond, c'est riche et brillant d'un bout à l'autre!
Bornons à épingler quelques moments du débat. Le lien entre écriture
alphabétique et monothéisme (p. 49). L'islamisme issu d'une "culture hors sol"
qui recompose des "territoires fantasmés" (p. 15-16). Et cette question
cruciale: la religion est-elle aliénation ou surcroît d'être (p. 97), efficacité
de l'imaginaire ou "conscience précédée par une voix" (p.123 & 125)?
R.
Debray, à la demande de l'Education nationale française, a présenté un rapport
sur l'enseignement du fait religieux dans l'école laïque (Odile Jacob, 2002)
Extrait:
[Le fait religieux à l'école laïque]
C'est notamment au vu de cette distinction [expérience religieuse / fait
religieux], que j'ai retenu l'expression de "fait religieux" pour le Rapport que
j'ai réalisé à la demande du ministre de l'Education nationale sur la question
d'une transmission d'une culture des religions à l'école laïque. Car le "fait
religieux" appartient à tous quand l'"expérience religieuse" n'appartient qu'à
quelques-uns. Et là, je suis imperturbable devant les objections des militants
"laïques" ou rationalistes. Je leur réponds: "Ecoutez, c'est comme ça; ça plaît
ou ça ne plaît pas, mais il y a Vézelay et Notre-Dame, il y a des oeuvres dans
les musées, il y a des pèlerinages, un calendrier, des congés qui ont une
histoire comme à Noël et Pâques, etc. Il en va de même dans toutes les
civilisations, et si vous ne vous en occupez pas, vous ne vous occupez pas de
l'homme."
En
revanche, si je parle dans ce cadre d'"expérience religieuse", on va me dire:
"Vous voulez faire venir les curés à l'école, / et puis bientôt les imams, avant
de voir enfin les magiciens et les ésotéristes... L'expérience religieuse fait
partie de la vie intérieure et cela ne nous regarde pas à l'école laïque." Et
ils auront raison.
Debray Régis, op. cit., p. 142-143.
Novembre 2007
Stéphane Audeguy, Petit éloge de la douceur, Gallimard, octobre 2007, coll.
Petits éloges, 140 p., 2€
Parions que l'illustrateur de la couverture n'a pas lu attentivement ce tout
récent "petit éloge": cette photo d'une pâte de guimauve vert tendre et rose
bonbon n'a en effet aucun rapport avec ce que notre brillant moraliste définit
comme la 'vertu' de douceur.
Vertu, du latin virtus, courage, disons même 'virilité'. Pour lui, en effet, la
douceur n'a rien à voir avec la faiblesse, avec le doucereux, avec l'inertie.Elle
est au contraire militance, engagement: car être doux, c'est à la fois assurer
son propre bonheur et contribuer au bonheur d'autrui.
L'exposé prend la forme d'un joyeux abécédaire où sont convoqués des témoins
aussi contrastés que Fred Astaire, Michel Drucker, Jean-Luc Godard; Diego
Maradona... Il y a aussi, quelque part, un surprenant excusus oenologique, qui
vante la flaveur du vin, bonheur du goût, de l'olfaction: et c'est un toast
inattendu à la gloire de la douceur!
Décembre 2007
Patrick Rambaud, La grammaire en s'amusant, Grasset, septembre 2007, 196 p.,
11,90€
Les enseignants de français, il faut tout de suite le préciser, ne trouveront
rien de nouveau quant aux "contenus" de la grammaire française: l'auteur est
assez futé pour en être conscient. L'intérêt du livre est ailleurs: dans la
"manière" d'enseigner.
Et
avant tout dans le climat de joviale confiance mutuelle qu'un papy (ou tonton?)
prof crée entre lui et un petit espiègle, chez qui il suscite la curiosité et
le plaisir de savoir.
Donc: grammairiens tristes, s'abstenir.
Et
aussi dans le souci de tirer parti des formes correctes de langage (lexique,
morphologie, syntaxe) que l'enfant pratique déjà. De lui faire prendre
conscience qu'il dispose donc d'une boîte à outils, qu'il lui faut encore
enrichir [voir e. a. 102: bravo, tu as même accordé l'adjectif avec le nom; 121:
je m'suis servi d'tes verbes, comme ça, sans les avoir appris; 135. tu viens
d'employer deux temps composés: "on avait vu" et "tu m'as caché"].
Christian Morel, L'enfer de l'information ordinaire, Gallimard, Bibl. des sc.
hum., 236 p., 18€50
L'oxymoron du titre évoque un monde où le quotidien peut devenir infernal. C'est
un sociologue rigoureux - d'abord cadre supérieur chez Renault - qui l'affirme!
Pictogrammes, modes d'emploi, graphismes de toutes sortes... sont passés au
crible par notre enquêteur. Ce qu'il en dit peut être pris pour un agréable
bêtisier du cocasse, du grotesque, du charabia: les exemples surabondent
(chasses de w-c, repliage du landau, usage de l'ascenseur...) et il y a de quoi
en rire franchement!
En
fait, la réflexion dépasse largement le cadre de l'anecdote: nous voilà, dit
l'auteur, dans un monde où l'informateur manque trop souvent d'empathie envers
son destinataire, et est trop peu attentif à la manière dont le message va être
perçu. C'est particulièrement inquiétant quand le traitement incomplet ou même
tendancieux d'un événement méconnaît le droit à l'information correcte.
Mais voilà qui est inattendu et paradoxal: c'est que l'embarras, le blocage,
voire la panique de l'usager face à la complexité, à l'obscurité de
l'information, deviennent occasions de créer du lien social!!! Qui n'a pas, en
effet, un jour ou l'autre, sollicité le passant, le voisin, le copain ou le
collègue pour initialiser le GSM, pour corriger le PC qui se plante, pour
retrouver son chemin, pour saisir les clauses d'un contrat, ou pour décoder la
"langue de bois" d'un politicien...?
Février 2008
Enzo Traverso, A feu et à sang: de la guerre civile européenne, 1914-1945,
Stock, 2007, 314 p., 21€
Nos élèves ont pu lire Le journal d'Anne Frank, Le tambour (G. Grass), Le
pavillon de cancéreux (Soljenitsyne), Les croix de bois (Dorgelès), Le doigt
tendu (Cl. Raucy) et bien d'autres. Ils ont pu voir La vie est belle (Benigni),
La liste de Schindler (Spielberg), La bataille de l'eau lourde (Dréville), Nuit
et brouillard (Resnais) et bien d'autres.
Pour aider les enseignants à faire mieux comprendre aux jeunes le cadre
historique auquel réfèrent ces oeuvres, ce livre d'E. Traverso fournit de
précieux repères.
De
Verdun à Auschwitz...! Comment ces trente années furent-elles à ce point
violentes? L'auteur observe avec rigueur les idéologies qui ont exalté la race
et la conquête, qui ont suscité le soupçon et le rejet, jusqu'à l'extermination,
et qui, pour ce faire, ont su mettre à leur service les performances
technologiques aussi bien que l'eficacité bureaucratique..
Vigilance, vigilance! Car il est encore fécond, le ventre d’où a surgi la bête
immonde. (Berthold Brecht)
Mars 2008
Roger-Pol Droit, La compagnie des philosophes, Odile Jacob, 1998, 346 p., index,
bibl.
Compagnie. Avec son sens premier de partage du pain, ce mot rend bien compte de
l'intention de l'auteur: établir entre le lecteur et les philosophes cette
proximité qui éveille la curiosité, suscite l'échange, invite au débat, ouvre
l'appétit de connaissance.
S'il y parvient, c'est par la grâce d'une écriture qui évite le jargon, imagée,
voire enjouée, mais toujours rigoureuse. C'est aussi par la mise en perspective
des courants d'idées: régimes politiques, recherche scientifique, art et
littérature, religions et mythes, et aussi - très souvent - le vécu personnel du
penseur, sont clairement pris en compte.
Des présocratiques à Gilles Deleuze, ce guide expert nous propose un parcours
passionnant. Nous voilà à cent lieues du superficiel, de la mode, de la pensée
conforme, du bling bling !
Il
est donc salutaire que le penseur nous dérange, nous amène à reconsidérer nos
soi-disant certitudes. La vérité nous libère..
A
la fin du volume, un index de plus de 700 noms propres et une bibliographie
commentée de quelque 200 ouvrages viennent bien à propos pour nous maintenir
dans... la compagnie des philosophes.
Avril 2008
Sylvie Yvert, Ceci n'est pas de la littérature. Les forcenés de la critique
passent à l'acte
Editions du Rocher, 2008. 220 p., 15€
C'est un titre bien long pour un livre léger! Un livre en forme de florilège de
jugements sans appel, d'exécutions en règle, prononcés par des critiques
littéraires, voire par des écrivains, à l'encontre d'auteurs illustres, cités
ici par ordre alphabétique - d'Alain-Fournier à Émile Zola.
Citons quelques perles: Proust, une femme de chambre travestie en Suétone,
Lamartine, une cigogne larmoyante, Mallarmé, intraduisible, même en français,
Apollinaire, un poète mineur, Molière, un infâme histrion...
Livre léger, diront certains; car il est assez facile de glaner ces bourdes dans
des manuels d'histoire littéraire, dans des anthologies, dans la presse
d'autrefois....
Mais si le contenu est léger, il nous donne pourtant l'occasion de nous
interroger sur ce qui amène un critique à formuler de tels avis, aussi
surprenants que péremptoires: jalousie, horreur de la nouveauté, paresse
intellectuelle, superficialité, précipitation...?
Et
d'en prendre de la graine pour nous-mêmes, tentés parfois de simplisme et de
rigidité dans nos jugements esthétiques.
Mai 2008
Alain Rey, De l'artisanat des dictionnaires à une science du mot - Images et
modèles
Armand Colin, coll. U, 2008, 304 p., 28€.
Qui ne connaît pas cet auteur de nombreux dictionnaires, dont l'inestimable
Petit Robert? Le titre de son dernier livre précise on ne peut mieux l'enjeu de
la lexicographie, travail de savant, travail d'artisan..
Observatoire de la langue, le dictionnaire prend en compte les usages du moment
sans négliger pour autant l'évolution des formes (p. 48), décrit celles-ci avec
rigueur mais n'ignore pas les valeurs véhiculées dans les pratiques langagières
(p. 123). S'il a pu jouer naguère un rôle de gardien de la norme, il se montre
de nos jours de plus en plus ouvert à la créativité des usagers de la langue et
à la variation selon les régions ou les milieux sociaux.
D'un bout à l'autre, le lecteur est séduit! L'érudition et l'expertise
impressionnent; mais cela passe bien, dans un exposé limpide, voire parfois
enjoué.
Et
pour finir (p. 215 à 261), Alain Rey nous convie dans son atelier. Sur son
établi, il y a sarabande, [art] roman et le préfixe -anti. La démonstration du
savant et de l'artisan est proprement éblouissante!
*
Quelques propos:
Quelques propos d'Alain Rey
Synchronie, diachronie...
[Parmi les difficultés de la lexicographie] la contradiction mal résolue entre
l'exigence absolue du synchronisme, sans lequel aucune description scientifique
du langage ne peut être entreprise et la nécessité de ne pas négliger la
dimension dynamique du système, grâce à un recours véritable à l'histoire. (p.
48)
Discours sur la langue et discours sur le monde
(...) à travers un discours sur la langue qui est son principal objet, ce
dictionnaire contient aussi un discours fragmenté sur le monde. Le premier
discours représente la métalangue. Le second correspond aux fragments d'énoncés
- c'est-à-dire du discours - qu'on appelle exemples, citations (...). (p. 123)
*
A
la fin de l'ouvrage
Notes bibliographiques (env. 200 titres) - Index des termes et notions (201) -
Index des noms propres - Index des dictionnaires - Index des formes
linguistiques (98 formes analysées au fil des pages: de à cause de à vessie, en
passant par blanc bec, chair de poule, fourchette, prendre son pied, ras le
bol...)
Juin 2008
Dan Franck, Roman nègre, Grasset, 2008, 311 p., 19,80€
Pour qui ne le saurait pas encore: bien plus nombreux qu'on ne le croit, sont
ceux qui signent un livre sans l'avoir écrit, la besogne ayant été confiée à ce
qu'on appelle un nègre. Nègre: mot à double connotation de fidèle domestique et
d'obscur anonyme.
Ecrire pour d'autres, Dan Franck l'a fait à 62 reprises! Il évoque ce métier
dans un texte brillant où se mèlent plusieurs intrigues sous lesquelles on
voudrait pouvoir identifier ces gens qui signent sans écrire. A part un certain
Z du monde du ballon rond, on n'en saura guère plus: discrétion absolue!
Un
tissu d'allusions fines dans une sorte de roman à clés qu'on pourra trouver
léger, mondain...
Mais un tel livre peut constituer un bon point de départ pour engager une
réflexion sur l'émergence de la personne dans son écriture. Comment trouver,
dans l'arsenal des formes, le moyen de s'effacer sous le masque d'un autre que
soi: c'est lucratif, certes, mais quel talent cela suppose!.
Je
n'ai jamais voulu écrire de traité de négritude, ça ne m'intéresse pas. Cela
suppose que l'on donne des noms, et moi je n'en donne pas. Ce qui m'intéresse,
c'est le mécanisme : l'appropriation des oeuvres des uns par les autres.
Dan Franck, interviewé par Isabelle Monnart pour la Dernière Heure, 29.04.2008
Juillet 2008
Ruth Amossy, L'argumentation dans le discours, Colin, coll. Cursus, 2e éd.,
2006, 276 p.
Le
titre est bien choisi: l'auteure vise en effet manifestement à montrer comment
l'argumentation affleure dans le discours, c'est-à-dire dans la mise en oeuvre
des matériaux du langage, qui donne forme à un contenu. Cela apparaît clairement
dans les très nombreux extraits - de l'oral ou de l'écrit, du littéraire ou des
médias, de l'éloge ou du pamphlet - observés avec une étonnante expertise de
lecture minutieuse.
L'attention aux formes textuelles doit aller de pair avec leur mise en
perspective: en tel lieu, à telle époque, tout texte est convergence ou
divergence plus ou moins déclarée par rapport à des courants d'opinion, à des
pratiques sociales: lire l'argumentation est - aussi - un activité
intertextuelle. L'usage scolaire, trop souvent, ne tient pas toujours assez
compte de cette perspective.
On
ne manquera pas de remarquer l'intérêt porté dans cet ouvrage à l'analyse de la
conversation, mise en paroles, mais aussi mise en scène.
Septembre 2008
Nicolas Rouvière, Astérix ou la parodie des identités, Flammarion, Coll. Champs,
2008, 337 p., 8,55€
Vous le saviez sans doute: Goscinny et Uderzo, les pères d'Astérix (né il y aura
bientôt 50 ans) sont, l'un, d'origine juive polonaise, l'autre, d'origine
italienne. Français aujourd'hui, leur regard sur la culture gauloise est
pourtant comme celui de sympathiques et futés ethnologues jouant à la fois de la
distance et de proximité.
Spécialiste de la bd et de la littérature de jeunesse (il enseigne à
l'Université et à l'IUFM de Grenoble), N. Rouvière, qui n'en est pas à son
premier ouvrage sur la saga d'Astérix, porte à son tour un regard expert et
rigoureux sur l'ensemble de cette collection. Quelle richesse d'observations sur
le langage - celui de l'image et celui des mots! Qui dit parodie signifie en
effet tout un travail de citation, de réécriture, de jeu sur le son et le sens,
de mise en cause de multiples stéréotypes et, à travers ceux-ci, de pratiques
sociales.
Un
livre à prendre dans vos bagages pour toute expédition au Pays d'Astérix!
Octobre 2008
Edouard ZARIFIAN, Le goût de vivre - Retrouver la parole perdue, Odile Jacob,
2005, 240 p., 20€
L'idée maîtresse du livre, c'est l'importance de l'échange dans la construction
du psychisme. Qui dit échange dit parole; qui dit parole dit aussi écoute
attentive de la parole de l'autre.
Que ce soit dans le champ du réel, du symbolique ou de l'imaginaire, la parole
contribue à la formation de l'individu. : La parole construit, la parole
guérit... elle peut aussi détruire et briser les potentialités, l'estime de soi,
le... goût de vivre; il est essentiel de rappeler cela à quiconque a affaire à
des humains en devenir, parents, éducateurs, enseignants...
Voilà un livre bien utile pour rappeler à l'enseignant que la parole des savoirs
qu'il transmet, si importante qu'elle soit, ne pourra jamais faire l'impasse sur
une parole "d'homme à homme", disponible et respectueuse.
à
l'écoute d'E. Zarifian
Le
déficit de parole par manque de culture et d'éducation favorise le passage à
l'acte comme seul moyen d'expression. C'est une des sources de la violence. [80]
Notre cerveau à la naissance possédait la matière capable de lui permettre
d'émerger puis de se développer et de se façonner. Mais la matière sans l'outil
serait demeurée informe. L'outil, c'est la rencontre avec la parole de l'autre.
Cette parole porteuse de sens et de symboles, entendue dès / les premières
secondes de notre existence, va nous constituer comme être humain. [106-107]
Un
enfant qui s'entendra dire pendant des années par son entourage qu'il est
intelligent ou, devant chaque maladresse, qu'il n'est pas doué, finira par le
croire. [176]
Novembre 2008
Charles Bernet & Pierre Rézeau, On va le dire comme ça. Dictionnaire des
expressions quotidiennes, Balland éd., 2008, 766 p., 32€
La
langue française en formation permanente! C'est ce que nous montrent brillamment
et savamment ces deux éminents linguistes (ils ont collaboré à l'inestimable
Trésor de la langue française). De 1950 à nos jours, ils ont récolté pas moins
de quelque 1600 locutions, assorties d'environ 5000 exemples, en puisant aussi
bien chez des écrivains que chez des hommes politiques, des journalistes, des
publicistes, des blogueurs... en datant la première occurrence écrite de
chacune. C'est donc rigoureux en diable! Mais c'est aussi tout à fait jouissif!
Dans ces témoins de la créativité langagière, il y a de la verdeur, du
pittoresque, de l'à-propos, de la bonne humeur, du dynamisme. Bref, il y a de la
vie!
De
quoi observer de près la vitalité du français à l'oeuvre dans la tribu des
locuteurs francophones.
Si
ce livre suscite l’adhésion, n’est-ce pas d’abord par les multiples témoignages
de pratiques réalisées - parfois par l’auteur lui-même - en terrain scolaire, y
compris auprès de jeunes de milieux défavorisés ? A découvrir ces pratiques,
l’enseignant-lecteur se sentira-t-il inspiré pour les transposer dans sa propre
sphère d’activité ?
Eh
bien, ce n’est pas gagné d’avance ! Parce que, tout d’abord, passeur de
culture, ça ne s’improvise pas : il ne suffit donc pas de copier-coller ces
pratiques évoquées par l’auteur. Ce serait de l’illusion, voire de l’esbroufe,
s’il manque ce qui est essentiel à notre point de vue : la capacité de susciter
les questions, les étonnements, les doutes, le désir, l’ouverture à autrui et
aux « rumeurs du monde », de cultiver l’esprit critique, de favoriser cette
créativité qui introduira peu à peu l’élève dans l’échange culturel.
Et
cela, dira l’auteur en conclusion, ça s’appelle pédagogie, et il entend surtout
par là qu’il ne suffit pas d’enseigner pour que l’élève apprenne (v. p. 121).
Au
fil des pages...
"Passeur"... une image de vraie pédagogie
Il
s’agit là d’un vieux mot qui correspond, dès le Moyen Âge, à celui qui fait
franchir un obstacle, et en particulier un fleuve. Personnage de conte ou de
mythologie, il embarque le voyageur vers des rives inconnues (…). On connaît
aussi le « passeur » qui fait passer clandestinement les frontières, par des
chemins souvent obscurs ou détournés. Ces connotations quelque peu mystérieuses
ne sont pas pour nous déplaire, et surtout l’allusion au voyage. (p. 19)
Le
détour par le spectacle
J'aurais tendance à penser qu'on aura fait un grand pas en avant quand dans un
conseil de classe, savoir interpréter un personnage du répertoire sera au moins
aussi bien coté que savoir reconnaître le complément d'objet indirect. (p. 106)
La
classe, comme la tente ouverte du nomade...
Les murs de la classe ne peuvent être nus comme le voulait Alain, la salle de
cours ne sera pas insonorisée: les bruits du dehors y arrivent. Bien au
contraire, l'établissement d'un lieu de vie au service des apprentissages et de
la formation culturelle permet tout autant l'ouverture que la résistance à
l'extérieur. (p. 107)
Annie Rolland, Qui a peur de la littérature ado?
Thierry Magnier éd., 2008, 240 p., 17€
Psychologue clinicienne - elle enseigne à l'Université d'Angers - l'auteure
aborde sans tabou ces oeuvres destinées à la jeunesse qui dépeignent un monde où
s'affiche la violence: elle observe les mécanismes de censure qui, selon elle,
viennent d'adultes préfèrant le rejet - ou la tranquillité - au dialogue.
Le
dialogue! c'est sans doute là la fine pointe de l'ouvrage qui milite pour
l'échange entre enseignants et élèves, entre parents et ados.
Ceux-ci ne le savent d'ailleurs que trop bien: le monde - leur monde - est dur
dans la recherche du gain, du pouvoir, de la jouissance. Ils le voient dans les
médias, iIs le vivent parfois eux-mêmes dans les quartiers.
Ils le savent donc avant de lire...; mais en lisant, ils se mettent à distance
du réel par le biais de la fiction: une distance critique où la raison peut
l'emporter sur l'émotion et la passion.
Ce
livre se fonde sur de multiples contacts avec les témoins les plus impliqués:
auteurs, éducateurs, adolescents.
Il
faut le recommander aux enseignants: ceux qui déjà lisent avec leurs élèves
cette littérature de jeunesse, et qui s'y verront confortés; mais aussi ceux qui
seraient encore réticents: ils découvriront qu'il y a là de quoi aider les
jeunes à se construire.
retour début
Février 2009
Jean-Claude Guillebaud, Le commencement d'un monde. Vers une modernité métisse
Seuil, 400 p., 2008, 22€
L'auteur s'appuie sur une évidence historique: l'Occident n'est plus le centre
du monde et le seul maître du jeu. D'autres civilisations, d'autres cultures
entrent désormais dans l'échange mondial. Echange, c'est-à-dire reconnaissance
de l'autre et non affrontement ou repli identitaire.C'est dire que la violence -
violence des armes, violence de la convoitise économique, violence idéologique -
ne peut qu'exacerber la violence de l'autre. Il faut donc bon gré mal gré
accepter la réalité d'aujourd'hui et apprendre à s'ouvrir à la diversité, au.
métissage ; il faut accepter que le monde n'est pas immobile, que rien n'a de
sens sinon ce qui est en train de se transformer (*).
En
lisant ce livre, on songe à Saint-Exupéry, dans Citadelle: Ceux-là qui
n'échangent rien ne deviennent rien.
(*) Patrice Magnilier, philosophe, Le Monde, 27.11.2008.
Accepter sa fragilité, et même en venir à l'aimer, telle est la sagesse, l'art
de vivre qui nous est ici proposé. On croit pouvoir échapper à cette fragilité
par l'issue de secours de l'imagination qui rêve de l'inaccessible ou par le
conformisme qui asservit, ou encore par la croyance qui se pervertit en
intolérance et en exclusion de l'autre.
Or
la fragilité, paradoxalement, c'est notre richesse: c'est elle qui féconde et
suscite ce que l'homme peut créer de plus grand: l'oeuvre d'art et la gratuité
de l'inutile.
"Tout le théâtre, tout le cinéma, toute la littérature repose sur cette
fragilité. Elle est notre ressource cachée. (...) Nous devons sauver l'inutile
parce qu'il nous sauve du simple calcul productif, maître du monde" (pp. 274 &
275).
Avril 2009
Régis Debray, Le moment fraternité Gallimard, 2009, 375 pages 21 €
La
fraternité serait-elle la partie faible de la devise républicaine? Plutôt un peu
fanée, depuis 1848, dit l'auteur,
C'est que cette fraternité est toujours à revifier, c'est toujours le moment de
la reconstruire, de retrouver le sentiment du "nous" et l'engagement que cela
exige, car il y a aujourd'hui, affirme-t-il, trop de people et pas assez peu de
peuple. Se faire fraternel, c'est toujours quelque part une prise d'armes.
La
fraternité s'appuie autant sur l'Evangile que sur les Lumières: elle se colore
donc, à la fois, de républicain et de monastique (une référence qui peut agacer
une certaine laïcité...).
Elle propose une famille où la génétique n'a rien à voir, où ce qui nous unit,
c'est ce qui nous dépasse: refus de l'injustice, accueil de l'autre, échange...
«Suis-je le gardien de mon frère?», demandait Caïn. Question chaque jour posée.
Et chacun en connaît la réponse.
Revenons au titre: moment et mouvement ont même étymologie. La fraternité est
donc cheminement.
Mai 2009
Alberto Manguel, La Bibliothèque, la nuit, Actes Sud, 2006, 335 p., 23€, trad.
de l’anglais par C. Le Bœuf
Nous lirons ce titre comme une métaphore: celle d'une lumière persistant au plus
creux de la ténèbre. Et cela est superbement illustré par l'image de
couverture.
La
bibliothèque est en effet l'espace à la fois sacré et familier où le lecteur...
éclairé trouve matière à voyager, hors de soi, vers des lieux, des temps, des
cultures, et surtout à l'intérieur de soi-même, parce que lire, c'est
s'identifier, se construire. «Tout lecteur est soit un voyageur qui fait une
pause ou quelqu'un qui rentre chez lui.» (p 282)..
Ainsi, le lecteur se fait artisan d'un monde, ce qu'exprime l'activité
apparemment bien prosaïque du "rangement" dans les rayons: subtile analogie
entre lire et créer!
On
n'imagine donc pas un monde sans bibliothèque! «Robinson Crusoé était le
fondateur - un fondateur malgré lui - d'une société nouvelle. Et Daniel Defoe,
son auteur, trouvait nécessaire qu'au début d'une société nouvelle il y eût des
livres.» (p. 199)
Juin 2009
Amin Maalouf, Le dérèglement du monde Grasset, 2009, 314 p., 18€.
Issu d'une famille libanaise de journalistes et d'intellectuels, l'auteur est
bien placé pour observer à la fois les pays d'islam et ce que nous appelons
globalement l'Occident.
Pour lui, le monde arabo-musulman souffre à la fois de ses dissensions -
conflits de pouvoir, affrontements religieux (chiites et sunites par exemple),
incapacité de se fédérer - mais aussi de la main-mise de pays occidentaux
colonisateurs, exploiteurs, imposant souvent leurs modèles de société, ce qui
suscita des rancoeurs menant à la violence terroriste: les identités meurtries
sont devenues des identités meurtrières! (cf p. 245).
D'où la méfiance des uns face à la rancoeur des autres.
Tel est le dérèglement du monde! Mais comment en sortir? L'auteur ose parier sur
la primauté de la culture et de l'échange. "Aujourd'hui, le rôle de la culture
est de fournir à nos contemporains les outils intellectuels et moraux qui leur
permettront de survivre - rien de moins." (p. 203).
Obama:
un signe d'espoir?
Qu'ils s'agisse des contrées où coexistent depuis des siècles des communautés
différentes, ou bien de celles qui accueillent, depuis quelques décennies, des
groupes importants d'immigrés, il est clair que la méfiance et l'incompréhension
se développent, au point de compromettre toutes les politiques d'intégration ou
même de simple cohabitation. Que de scrutins, que de débats sont aujourd'hui
plombés par ce dossier épineux, qui favorise les crispations identitaires et les
dérives xénophobes! Notamment en Europe, où l'on a vu certaines des sociétés les
plus tolérantes s'irriter, s'aigrir et se rigidifier. Mais l'on assiste dans le
même temps à des renversements surprenants dans la perception de l'autre, qui
révèlent des cheminements invisibles dans les esprits de nos contemporains -
l'exemple le plus révélateur et le plus spéculaire étant l'avènement de Barak
Obama.l (pp. 293-294)
Juillet-août 2009
Francis Lacassin, Mémoires, Sur les chemins qui marchent, Ed. du Rocher, 2006,
360 p., 21€.
Voilà un titre qui en dit apparemment bien peu sur le propos développé. Mais il
y a cette image, combien savoureuse, du chemin! Avec un guide avisé, nous voilà
devenus en effet explorateurs du monde, trop peu connu, de l'édition,
particulièrement de cette littérature dite populaire, souvent dédaignée par les
doctes.
Rien de tel que ce livre pour découvrir ou en savoir plus, beaucoup plus, sur la
saga des Fantomas, les reportages d'Albert Londres, les polars de Simenon, Léon
Malet, Gustave Le Rouge..., pour apprendre que Jack London, c'est bien davantage
que Croc-Blanc, pour évoquer la méfiance et le mépris à l'égard de la BD quand
celle-ci apparaît et se développe.
L'auteur sait de quoi il parle: il a rencontré des auteurs, les a publiés,
préfacés (pas moins de quelque 350 préfaces!). Des centaines et des centaines de
livres sont cités. On apprécie d'un bout à l'autre l'expert (il a piloté
Bouquins, 10/18...), et surtout l'amoureux. Qui ne manque pas de saluer, à
maintes reprises, la créativité langagière à l'oeuvre dans cette littérature en
marge.
F.
Lacassin se souvient...
Richesse de la non-conformité...
Ces colliers de perles naïves, au second degré, tenaient parfois du prodige,
elles ont charmé les grands poètes admiratifs de Fantômas. C'est son côté
antilittéraire, l'explosion du style, le dynamitage des conventions, le pied de
nez adressé aux "convenances", le saccage de l'art d'écrire.(p. 61)
BD
naguère malfaisante...
Les éducateurs et universitaires aujourd'hui consacrent à la bande dessinée des
thèses savantes et respectueuses. Naguère, ils se réunissaient en congrès pour
en dénoncer les méfaits. (p. 205)
Quand un ignare se croit expert...
La
démocratie, c'est le droit, pour une personne ignorant tout d'un métier, de dire
à celui qui le pratique depuis des années, comment il doit s'y prendre. (p. 218)
Quand je serai devant saint Pierre...
Aurai-je droit, après l'entracte, de poursuivre ma passion des livres? J'espère
que saint Pierre m'accordera l'une des chambres d'amis réservée au pécheurs qui
se sont rachetés par leur esprit de partage. Peut-être me dira-t-il: "Sois le
bienvenu. A partir de maintenant tu pourras lire tous les livres que tu voudras.
(p. 355).
L'aventure en bottes de sept lieues, de F. Lacassin (éd. du Rocher, 2007) est
une suite des Mémoires:
les aventuriers-écrivains (Exmelin, le P. Hue, R. L. Stevenson, V. Revillon. J.
London, A. Londres, É.Sauvy...)
Septembre 2009
William Marx, Vie du lettré, Ed. de Minuit, coll. Paradoxe, 2009, 244 p., 18€
Pour beaucoup, ce mot lettré connote un certain élitisme, une certaine distance
par rapport au commun des mortels: on se représente un sage à l'abri du banal et
de l'utilitaire. Oui, il y a un peu de ça chez le lettré. Mais s'il se met à
l'écart, c'est à coup sûr pour mieux observer, par mille détours de lecture
assidue, les rumeurs, les modes, les valeurs, les obsessions qui constituent
notre humaine condition. Il prend du recul pour être plus proche. Pour éveiller
notre propre lucidité, affiner notre esprit critique.
Sous la plume de W. Marx, le portrait du lettré n'a rien de rébarbatif: cet
universitaire sait à la fois être rigoureux et agréable, souvent avec un zeste
d'humour et de malice.
Pour le professeur de lettres, voilà un livre qui vaut vraiment le détour!
Octobre 2009
Alexandre Jollien, La construction de soi. Un usage de la philosophie, Seuil,
2006, 190 p. 15€
Depuis sa naissance en 1975, il souffre d'athétose, un handicap musculaire
rarissime auquel l'accoutumeront son courage, sa soif de savoir, son ouverture,
sa passion de communiquer.
A
24 ans, il reçoit le Prix Montyon de l'Académie française puis le Prix Mottard
de littérature et de philosophie pour son Éloge de la faiblesse. Après La métier
d'homme (2002), voici ce nouveau témoignage.
S'il fréquente les philosophes, c'est moins pour s'instruire que pour se
construire: c'est moins le savoir que la sagesse qu'il recherche. Mais il le
précise bien: "sagesse" n'est pas "repli"! Il milite pour la fraternité (v. p.
170), et il le montre bien en s'engageant pour l'insertion des handicapés. .
Son livre alterne les apostrophes à Dame Philosophie et les évocations de ses
maîtres à penser: Boèce, Épicure, Schopenhauer, Érasme, Spînoza ... et, pour
finir, Etty Hillesum, cette penseuse juive disparue à Auschwitz en 1943. «Ces
indéfectibles compagnons m'ont prêté main-forte dans les moments délicats» (p.
15).
A
l'écoute d'Alexandre Jollien
Même un fâcheux peut m'instruire...
Pour ma part, j'aimerais me risquer à considérer chaque individu que je côtoie
comme un maître en humanité. Car l'autre, en incarnant dans sa vie une manière
particulière d'être pleinement humain, peut me prêter des repères pour édifier
ma personne. Mais, tu me l'accorderas, très chère amie: ce n'est pas
nécessairement les grands de ce petit monde qui instruisent le mieux. Même un
fâcheux peut livrer sa leçon! (p. 15)
Se
délester de ses erreurs...
[Il évoque la disputaison médiévale...] Pour de tels esprits, la question
disputée, en exigeant de peser le pour et le contre des énoncés, participait de
la réappropriation de soi. Car enfin, on peut le jouet d'une hâte ou d'une
illusion qui incitent à penser faux. C'est précisément pour nous prémunir que tu
invites à considérer notre interlocuteur comme un compagnon qui nous déleste de
nos erreurs. (p. 18)
Mon bonheur de vivre...
Chère Etty [Hillesum], je m'étais promis de ne pas m'attarder sur la souffrance.
Plus que tout, je veux nourrir ma gratitude d'avoir le redoutable bonheur de
vivre. (p. 174-175)
Novembre 2009
Yves Michaud, Qu'est-ce que le mérite ? Ed. Bourin, 2009, 253 p. 22€
Nous risquons d'avoir tout faux si nous relions au mérite les salaires, les
primes, les bonus, les médailles......
Pire encore, si nous le rattachons au rang social, à la notoriété, voire au
bling bling!
Et
si on jugeait plutôt du mérite sur les valeurs d'humanité: tolérance, droiture,
solidarité, souci du faible...?
Combien de discours sur le mérite qui conduisent à classer au risque de mépriser
et d'exclure ?
Parler du mérite, c'est aussi prendre en compte les inégalités : ou bien on s'y
résigne, ou bien on lutte pour les corriger. Et ici l'école, les travailleurs
sociaux, les pouvoirs publics s'impliquent... ou se dérobent.
Philosophe très attentif aux problèmes sociaux, Y. Michaud nous aide à réfléchir
sur ce sujet du mérite. Lucide, il sait combien cela est complexe. Généreux, il
nous ouvre les voies de l'engagement.
Décembre 2009
Antoine Audouard, L'Arabe, Ed. de l'Olivier, 2009, 266 p., 19€
Il
travaille dans un chantier de terrassement. Pour le loger, Bernard, son
employeur, lui a trouvé un sous-sol dans un village qui évoquerait le pays de
Giono. Un nouveau venu discret, effacé, mais la Mamine, forte en gueule,
péremptoire, a bientôt fait, du haut de sa chaise roulante, de le décider : « il
a des cheveux comme des poils de couilles; c'est un arabe! »
Alors, bonjour la rumeur, l'exclusion, la suspicion!
Il
y a eu un meurtre dans le coin: c'est lui le meurtrier. Et Estevan, le gendarme,
et Bernard, et quelques amis, auront beau faire pour démontrer que non.
Vous lirez la suite et vous verrez jusqu'où peut aller la bêtise et la violence
du racisme au quotidien.
Un
roman en forme de pamphlet d'une écriture colorée, vigoureuse, qui donne matière
à réfléchir en ce temps de brassage des cultures.
Pierre Gibert, L'inconnue du commencement, Seuil, 2007, 230 p., 18€
C'est un paradoxe que l'homme soit curieux de savoir d'où viennent l'univers, la
vie, l'humanité, les peuples et les nations, les lignées... et qu'il bute sur la
difficulté d'appréhender les commencements. Commencements sans témoins, donc
insaisissables.!
Une impasse dont nous tentons de sortir, soit par des hypothèses, soit par des
récits: on suppose ou on raconte, faute de pouvoir décrire!
Et
ces récits d'origine, survenus après coup, reflètent telle ou telle vision du
monde ou de l'homme ou telle ou telle avancée scientifique à l'époque de leur
formation. A ce sujet, on retiendra l'intérêt de confronter dans la Genèse les
deux récits de la création: tous deux disent le vrai mais reflètent des
perceptions différentes du destin de l'homme.
A
retenir aussi les dérives dénoncées par l'auteur au sujet des récits sur
l'origine des nations marqués davantage d'idéologie que de rigueur : s'ils
suscitent la cohésion citoyenne, ils peuvent se pervertir en manipulation, rejet
de l'autre, rivalité meutrière.
Février 2010
Stéphane Giocanti, Une histoire politique de la littérature * De Victor Hugo à
Richard Millet, Flammarion, 2009, 334 p., 19€.
L’entreprise est monumentale ! Observer comment la littérature fait écho aux
événements politiques n’est pas chose facile : l’auteur distingue d’un côté les
planqués, les tours d’ivoire, les prudents…, de l’autre les prophètes, les
vaillants, les pamphlétaires… ; il y a aussi les courtisans, les sceptiques, les
fonctionnaires… ; au total seize catégories d’écrivains. Pas facile, dans bien
des cas de décider de l’appartenance à l’une ou l’autre d’entre elles. L’auteur
en convient souvent, évoquant ceux qui se protègent et s’engagent à la fois (p.
296). Il faut parfois être un lecteur averti pour s’y retrouver dans un tel
classement. Mais certains « ténors » sont bien identifiés : Hugo, Zola, Barrès,
Léon Bloy, Léon Daudet, Péguy, Albert Camus… et ceux-là sont plutôt du côté des
combatifs.
Un
travail d’érudit, foisonnant de citations mises en perspective ! On appréciera
aussi, çà et là, l’art du raccourci dans les portraits, les jugements, les
insinuations : les cirages de pompes n’ont point de chronologie (p. 38),
[Baudelaire] défenseur acharné du péché originel (p. 96) [Sartre] ne s’est
jamais rendu en Chine [communiste] ni à l’évidence (p. 142 - superbe zeugma !),
[Philippe Sollers] poseur perpétuel, accroché aux médias comme les moules au
rocher (p. 162). Même un certain omniprésident en prend quelque part pour son
grade ! (v. 50).
Mars 2010
Patrick Fauconnier, La fabrique des «meilleurs» Enquête sur une culture
d'exclusion Seuil, coll. L'histoire immédiate, 282 p., 2005, 20€
L'auteur observe une situation, selon lui typiquement française, mais qui peut
se vérifier ailleurs à des degrés divers. Si les meilleurs, et les plus nantis,
sont favorisés, c'est surtout à l'école que cela se fabrique, et aussi au-delà
de la scolarité obligatoire : peu de volonté politique en matière de formation
continue, manque d'intérêt du Pouvoir pour les actions citoyennes de promotion.
Pour ce qui concerne l'école, l'auteur s'en prend à ceux qui la veulent comme
une raffinerie qui sélectionne et élimine, au lieu de la voir comme une
pépinière qui a le souci de donner ses chances à chacun.
D'un côté, en schématisant, privilégier la transmission des savoirs théoriques;
de l'autre, développer les savoir-faire, susciter le désir d'apprendre et les
moyens d'y parvenir. D'un côté, plutôt Luc Ferry, Alain Finkielkraut...; de
l'autre, plutôt Philippe Meirieu, François Dubet....
L'enjeu est de taille: voulons-nous une école vraiment démocratique, ou une
école complice de l'inégalité, de l'iniquité? Complice de la violence sociale.
Spécialiste reconnu des civilisations américaines, l'auteur observe les échanges
entre les cultures européennes, surtout espagnoles et portugaises, et celles du
nouveau continent, notamment du Mexique et du Pérou.
Maintes illustrations en sont données: certains plafonds de la Galleria degli
Uffizi (1560-80) agrémentés de motifs indiens, l'intérêt des lecteurs de Mexico
pour l'empire ottoman, le retentissement d'Ovide au-delà de l'Atlantique, une
chronique du Nouveau Monde rédigée à Istanbul en 1580: une pincée d'exemples
parmi une multitude d'autres !
Ce
qui se passe il y a plus de quatre siècles est tout à fait pareil à ce qui se
produit encore aujourd'hui: les cultures se nourrissent l'une de l'autre en se
rencontrant.
Voilà qui prouve que les cultures ne constituent pas des espaces cloisonnés,
autosufffisants, et que l'ouverture l'emporte avantageusement sur le rejet.
Préfacé par Philippe Sollers, ce livre rassemble une trentaine d'articles parus
pour la plupart dans des revues italiennes entre 1954 et 1985.
De
Xénophon à Georges Perec, I. Calvino remémore son immense expérience de lecteur
sans frontières. Ce qui frappe le plus, ce sont les nombreux rapprochements -
parfois inattendus, toujours pertinents - entre auteurs, oeuvres ou personnages:
Diderot et Kundera (85), Beckett et Dickens (91), Jocaste et Hamlet (115), Mark
Twain et Buster Keaton (126), Hemingway et Stendhal, Queneau et Bouvard et
Pécuchet, etc., ou encore cette étrange prémonition du régime nazi dans Le Duel
de Tchekov.
De
telles mises en parallèle émoustillent nos méninges, nous donnent envie d'y
aller (re)voir de près, et surtout nous rappellent que la littérature, comme
l'art en général, est un vaste espace de dialogue entre écrivains, entre
artistes: il y a toujours des livres,.des oeuvres d'art "en deça et au-delà"; et
Montaigne l'avait déjà affirmé: nous ne faisons que nous entregloser. (III, 13)
Pensées sur la lecture avec Italo Calvino
*
Les classiques sont des livres qui, quand ils nous parviennent, portent en eux
la trace des lectures qui ont précédé la nôtre et traînent derrière eux la trace
qu'ils ont laissée dans la ou les cultures qu'ils ont traversées (ou, plus
simplement, dans le langage et les moeurs.) (9)
*
Un classique est un livre qui vient avant d'autres classiques; mais quiconque a
commencé par lire les autres et lit ensuite celui-là reconnaît aussitôt la place
de ce dernier dans la généalogie. (11)
*
Est classique ce qui tend à reléguer l'actualité au rang de rumeur de fond, sans
pour autant prétendre éteindre cette rumeur. (12)
*
... parce qu'il [Jérôme Cardan, qui influença Shakespeare] était un écrivain
poursuivant avec les mots quelque chose qui échappe aux mots. (57)
[C'est nous qui soulignons.]
Juin 2010
Eric Nataf, Moi, Abraham, Roman, Odile Jacob, 2010, 348 p. 19 €
C'est un roman, bien sûr ! N'empêche que la fiction semble bien n'être qu'un
prétexte et que le lecteur peut se sentir engagé à son tour dans la recherche du
jeune Abram, le futur Abraham , "père d'une multitude", une recherche qui
aboutira à la conviction monothéiste. Un peu comme si le lecteur devenait au fil
des pages l'Abraham du titre !
Le
cheminement du héros sera long, périlleux: il faut dès la naissance échapper à
la menace de mort, vivre dans l'ombre d'une caverne, se reclure dans
l'insécurité, et surtout rompre avec Térah, son père, fabricant et fournisseur
d'idoles, ces représentations sans vie qu'il finira par contester au point de
saccager l'atelier paternel ; puis ce sera l'exil pour échapper au tyran Nimrod.
Il
a alors quinze ans: son destin de "père des croyants" peut commencer à se
réaliser... La suite au chapitre 12 du livre de la Genèse !
On
apprécie le narrateur, mais aussi l'historien (il évoque l'Inquisition, la shoah
et autres génocides...) et surtout le sage (voir ci-contre quelques propos).
Pensées du mois avec Éric Nataf
Monothéisme, athéisme, laïcité...
Quant au monothéisme, il aurait peut-être pu ne jamais advenir. (...) L'athéisme
lui-même n'aurait alors pas pu se développer: ne s'est-il pas construit par la
négation de la croyance en un Dieu unique, dont il n'est d'une certaine manière
que la posture inverse? Et que dire de la laïcité et de ses têtes coupées, sorte
d'intégrisme sans Dieu? Ou de l'agnosticisme.
Ma
pauvre vie porte déjà en elle ces interrogations. Elle ne les résoudra pas. (p.
50)
Sujet, mais non soumis !
(...).ce qui explique le succès de mon entreprise: mon Dieu représentait un
potentiel pour l'humanité. L'homme pouvait redresser la tête, il était sujet de
Dieu, mais non soumis. Il disposait du libre arbitre. (p. 120)
Le
poids du non-dit !
(...) ce qu'il y a de magique dans l'éducation, l'important réside dans le
non-dit. (p. 170)
Foi, mauvaise foi...
La
foi ne se démontre pas. Elle est. De même d'ailleurs que la mauvaise foi. (p.
296)
Juillet-août 2010
Daniel Sibony, Les Sens du rire et de l'humour, Odile Jacob 2010, 236 p., 23€
De
bons textes sur l'humour et sur le rire, il n'en pleut pas! Il y a eu Kant
(quelques propos épars), Baudelaire dans L'essence du rire (rééd. 2008), Freud
dans Le Mot d'esprit et sa relation à l'inconscient (rééd. 1992), Bergson dans
Le Rire : Essai sur la signification du comique (rééd. 1993).
Et
en 2010, ce livre de D. Sibony, judicieusement mis sous un titre au pluriel, car
il s'agit, pour bien traiter du sujet, d'en varier les approches, d'y multiplier
les exemples. Ceux-ci vont du rire de Sara (Genèse, 18: vers 1800 ACN) à celui
que suscite aujourd'hui un Raymond Devos. Quant aux approches, elles tiennent de
la psychanalyse (rassurez-vous: c'est solide, mais rien de pédant!), de
l'analyse sociologique (interaction, connivence...) aussi bien que de
l'observation des moyens du comique dans le langage (on ne peut donc mieux
trouver, pour un professeur de français!).
C'est séduisant, car sous l'érudit, on découvre bien vite un homme ouvert à de
multiples horizons culturels, et l'envie vous prend d'aller lire d'autres
ouvrages de sa plume.
Septembre 2010
Pierre Sansot, Les gens de peu, PUF, 1991, rééd. 2009, 224 p. 10€
Sous le patronage de Péguy - Nous étions la piétaille. Nous n'avancions jamais
plus d'un pas à la fois - l'auteur nous invite à visiter les lieux et les objets
où se manifeste le vécu du petit peuple: la cuisine, le balcon, le terrain de
pétanque, le Tour de France, le camping, le pliant, le bal du 14 Juillet, et
bien d'autres...
On
peut vraiment parler d'une 'sociologie de proximité', de connivence, d'empathie,
mais évitant le piège du sentimentalisme. Cela n'a donc rien d'un discours
pédant et jargonnant.
Et
quelle virtuosité, quelle élégance d'écriture dans les tableaux: le bricoleur
(p. 57), le convive en liesse (p. 99). le footballeur des trottoirs (p. 141),
le bouliste (p. 160)...
Sous le beau titre La chanson des rues, le livre s'ouvre sur la créativité
langagière des gens de peu: une langue riche de sons et d'images où le vécu se
projette, Un régal pour la classe de français !
La
chanson des rues
Il
n'est pas étonnant que la linguistique se soit davantage intéressée à une
production écrite, souvent figée et de surcroît peu familière aux personnes
modestes plutôt qu'à l'échange d'une parole vivante. En effet, à prendre en
considération cette dernière, l'espérance d'une totale rigueur s'estompait, la
part de l'interprétation augmentait quand on voulait rendre compte du rythme, de
la charpente phonique, des exclamations, des différences d'intonation qui
ponctuent une conversation ou une altercation. (p. 34)
En
conséquence, chacun d'entre nous réinvente le langage dont il dispose et auquel
il a droit - et c'est bien cette inventivité perpétuelle qui qualifie
l'originalité d'un langage populaire.
Octobre 2010
Louis Pinto, Le café du commerce des penseurs : à propos de la doxa
intellectuelle Éd. du Croquant, coll. Savoir/agir, 2009, 150 p., 13€50
C'est Pierre Bourdieu, dont s'inspire nettement notre auteur, qui a créé ce
terme de 'doxosophe' pour désigner celui qui, se considérant comme maître à
penser, recourt à divers pouvoirs - presse et autres médias - qui l'accueillent
et le consacrent. Nous voilà proches du sens husserlien de 'doxa', où l'on est
plus dans la croyance que dans la certitude, dans la subjectivité que dans
l'objectivité, dans le particulier que dans l'universel..
Il
y a donc bien de quoi s'indigner, et de militer vigoureusement en faveur d'une
recherche guidée par l'éthique et la rigueur.
Comme le dit l'auteur, il s'agit, pour le philosophe, de bien savoir où il met
les pieds, s'il veut éviter le piège de l'allégeance et de la compromission.
Novembre 2010
Jean Cottraux, À chacun sa créativité * Einstein, Mozart, Picasso... et nous,
Odile Jacob, 2010, 304 p., 20€
C'est clair, à en croire le titre: personne n'est interdit de créativité !
Encore faut-il pour cela, insiste l'auteur, que chacun approfondisse la
connaissance de soi, c'est-à-dire de tous les possibles qui y sont latents, et
exploite, dans le vécu quotidien - rencontres, découvertes, réussites ou échecs
- mille occasions de s'adapter, de "créer".
Encore faut-il, aussi, être capable de voir au-delà de l'horizon de ses savoirs,
ce que J. Cottraux appelle le paradoxe de Dracula: «Apprenez donc la psychiatrie
(...) mais apprenez aussi à vous asseoir dessus pour innover.» (p. 30).
Encore faut-il - surtout, à notre opinion ! - la présence de mentorx pour guider
les Télémaque d'aujourd'hui. Des enseignants, par exemple, sachant voir plus
loin que le programme et que le manuel.
Décembre 2010
Anne Jorro, L'enseignant et l'évaluation. Des gestes évaluatifs en question, De
Boeck, coll. Pratiques pédagogiques, 2000, 188 p.
"Accueil, accompagnement, approche interactive, transaction interpersonnelle,
négociation, écoute, dialogue..." on pourrait poursuivre la liste de ces termes
qui révèlent au mieux l'intention de l'auteure: montrer que l'évaluation
requiert proximité, disponibilité, qu'elle est en définitive une éthique, et
qu'il dépend des "gestes évaluatifs" que les élèves soient plus ou moins
autonomes, plus ou moins captifs, plus ou moins investigateurs (p. 19).
C'est un ouvrage érudit, certes, mais fondé aussi sur une riche expérience
personnelle.
On
en retiendra certaines images savoureuses, par exemple celle du radar qui piège
le fautif (le professeur verbalisant, p. 79), celle de l'arpenteur et du
coryphée (l'élève qui recherche, tâtonne, au lieu de reproduire, l'élève qui
rappelle à l'ordre, répercute le sens, p. 99-100).
Le
redoublement (p. 83)
Les arguments avancés par les enseignants pour justifier la décision d'un
redoublement, dont ils soulignent le caractère positif pour l'élève, concernent
le manque de bases, le manque de travail, la nécessité d'une plus grande
maturité. (...)
De
fait, un fossé existe entre les intentions généreuses des enseignants et
l'attitude de l'élève, parfois bougonne, pour ne pas dire amère, tant il épouve
la sensation de faire du sur-place. Un sentiment d'amertume s'échappe alors de
ses propos: redoubler, c'est revenir à la case départ quand les autres passent.
L'annotation comme dialogue (p. 146)
Contrairement au jugement judiciaire où l'autorité de la chose clôt l'audience,
l'annotateur peut établir un mode relationnel plus interactif orientant l'élève,
faisant en sorte qu'il prolonge son propre travail et qu'il envisage un
réinvestissement sur l'objet annoté.
Alain Bentolila, Parle à ceux que tu n'aimes pas * Le Défi de Babel Odile Jacob, 2010, 230 pages, 19,90€
On
connaît le mythe de Babel qui signifie dispersion, séparation, mise à l'écart,
peur de l'autre... Il faut, dit l'auteur, relever défi de Babel, renouer et
entretenir le lien, la reconnaissance d'autrui, retrouver le "pouvoir de paix"
dont est inves tie la parole (p. 41). Linguiste, et surtout humaniste, il nous
rappelle l'importance d'une parole bien apprise, refusant toute indifférence à
l'Autre (p. 136). Faute de quoi on va tout droit vers la violence et vers la
soumission aux discours médiatiques.
Résistance et tolérance, tels sont donc les impératifs pour une vraie
citoyenneté (p. 214).
D'où l'importance de l'école, responsable au premier chef, mais celle-ci doit
pouvoir compter sur des parents partenaires. (p. 215). Or cela nous paraît bien
optimiste: quand l'école, en effet, veut engager les parents dans ce projet, ne
voit-on pas davantage ceux dont l'enfant est comme prédestiné à la réussite que
ceux des milieux marginalisés que l'indigence langagière tient à l'écart ? On
pourrait, malgré tout, parier pour l'utopie !
Février 2011
Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme, Actes Sud, 2010, 153 p., 18€
[recension
de Christian Thys]
Le
jeune philosophe Jérôme Ferrari obtient le prix roman France Televisions pour
Où j’ai laissé mon âme, 5 novembre 2010. Comme romancier, il n’en est pas à son
coup d’essai puisque, né en 1968, il inaugure sa carrière d’écrivain en 2003
avec Aleph Zero, aux édition Albiana (Ajaccio) qui avaient déjà fait paraître
son recueil de nouvelles Variétés de la mort. En 2007, il publie chez Actes Sud
Dans le secret, qui sera suivi de Balco Atlantico (2008) puis d'Un dieu un
animal (2009).
Nul doute que Où j’ai laissé mon âme figurera, pour sa réflexion sur la
violence, aux côtés des Bienveillantes de Littell, à la différence que Ferrari
a l’audace de nous transporter dans l’après-guerre d’une France aux prises
avec les mouvements de décolonisation sur fond de Guerre froide. Une période
mal aimée des lettres françaises qui s’étend de la chute de Dien bien Phu (mai
1954) aux accords d’Evian (18 mars 1962). Il n’est pas inutile de rappeler que
pour clôturer ce chapitre de l’histoire de France, De Gaulle eût à affronter les
réactions souvent violentes d’une majorité de pieds-noirs soutenue par une
partie de la population métropolitaine située politiquement à droite.
L’imposition de ses visées politiques contraignit le Général à renier certaines
de ses promesses tout en provoquant un malaise certain dans une armée placée
sous le commandement de chefs prestigieux (Challe, Jouhaud, Salan, Zeller).
Bien avant Jérôme Ferrari, des romanciers, souvent issus des combattants comme
Jean Lartéguy, Jacques Perrin, Paul Bonnecarrère, avaient évoqué les états d’âme
d’une armée enlisée dans des guerres perdues d’avance et tentant d’effacer par
l’héroïsme la défaite de juin 1940. Le film L’ennemi intime de Florent Emilio
Siri avec dans les rôles principaux Benoît Magimel et Albert Dupontel avait en
2007 largement illustré les difficultés d’un combat où des officiers français
idéalistes devaient progressivement abandonner leurs illusions d’une guerre
légitime et où leurs subordonnés algériens étaient partagés entre leur fidélité
à la France et les bonnes raisons de rejoindre les partisans du FLN. Cette
thématique hante la plupart des films de guerre récents.
Dans le roman de Ferrari, qui se passe en 1957, il s’agira aussi de camper des
personnages qui, solidaires, et après avoir résisté successivement aux geôles de
la Gestapo et aux rigueurs des camps viets, finissent par se transformer en
bourreaux, chargés comme dans toute guerre moderne de recueillir des
renseignements par l’imposition de la torture.
L’originalité du roman réside donc plutôt dans l’écriture de l’auteur qui oppose
deux voix narratives : la première, en narration directe, renvoie aux reproches
émanant du lieutenant Horace Andreanis, chargé des basses oeuvres, puis condamné
à mort pour avoir exécuté des prisonniers, mais en fin de compte amnistié par la
justice militaire. Et la seconde voix, celle de son supérieur, le capitaine
André Degorce, voix qui renvoie, elle, à une narration en troisième personne,
mais fortement impliquée dans les tropismes qu’éprouve ce dernier. Ceux-ci
nous révèlent des tentatives aussi vaines que naïves pour «humaniser» l’usage
de pratiques dégradantes exercées sur les prisonniers, malheureusement aussi
indispensables à la guerre que contraires aux principes de l’éthique militaire
pratiquée en chambre.
De leur complicité dans l’accomplissement de leurs tâches ignobles, aucun des
deux officiers ne sauvera son âme, même si le second croit lever ses scrupules
en reportant sans raison valable son mépris sur le premier. C’est d’ailleurs la
leçon de vie qui nous retiendra, précisément parce qu’elle dénonce combien
est fragile la fine pellicule de vertu que le capitaine voudrait conserver en
dépit des faits. Pour sa défense, Andreanis, le subordonné, invoque le cycle
infernal et incontournable des attentats et de leur répression, tout autant que
- on pouvait s’y attendre - son attachement sans faille aux ordres et à une
loyauté aussi indéfectible que touchante à son supérieur. Une leçon universelle
qui concerne toutes les armées du monde, car la guerre a ses exigences et la
raison d’Etat passe outre au sang souvent inutilement versé. Les valeurs
militaires dites d’autant plus nobles qu’elles sont attachées à la nation ou
au drapeau perdent de leur crédit et ne deviennent sur le terrain que de
pures abstractions aussi dérisoires que les breloques qui pendouillent sur la
poitrine des anciens combattants. Alors, il faut peut-être conclure que
l’Histoire elle-même est un piètre pédagogue, elle qui, ironiquement, replace
malgré eux les Français dans l’ombre des bourreaux gestapistes. Et l’étau des
regrets et des remords se referme implacablement sur la conscience des deux
hommes, car à moins d’émaner de brutes, les actions dégradantes ne cessent de
hanter ceux qui les ont infligées. La dégradation de la victime fait resurgir
dans le bourreau une violence primitive, celle de la haine que l’on se porte
suite à sa propre dégradation dans la pulsion de mort déchaînée. Et la
résistance de la victime, tout en suscitant une certaine admiration, ne fait
qu’attiser la haine de soi. Après cette expérience l’image du sur-moi est
irrécupérable.
On l’a dit, c’est un scénario connu qui revient de manière récursive à propos
de tous les conflits et qui laisse les mêmes traces chez tous les acteurs
poussés dans les mêmes impasses. Notons l’exception exemplaire du général
Jacques Pâris de Bollardière, résistant, meneur d’hommes, bardé de médailles
pour son courage, qui prit sans restrictions le parti des protestataires et
accepta de compromettre une brillante carrière :
«La guerre n’est qu’une dangereuse maladie d’une humanité infantile qui cherche
douloureusement sa voie. La torture, ce dialogue dans l’horreur, n’est que
l’envers affreux de la communication fraternelle. Elle dégrade celui qui
l’inflige plus encore que celui qui la subit. Céder à la violence et à la
torture, c’est, par impuissance à croire en l’homme, renoncer à construire un
monde plus humain. »
En devenant acteur de ces crimes qui ne peuvent être ni punis ni pardonnés, le
bourreau appartient alors à ces maudits condamnés et à ressasser sans fin
leur faute et à s’abriter derrière les excuses conventionnelles comme le
suggérait Arendt lors du procès Eichmann ?Ferrari laisse la réponse en suspens
jusqu’à ce qu’il fasse prononcer à un André Degorce, taraudé par ses scrupules,
cette prière adressée au Fils de Dieu :
«Pourquoi m’a-t-il (Jésus) laissé gâcher ainsi tout l’amour que je portais en
moi ? (...) Je suis un animal qui gémit si froid que je n’éprouve même plus la
douleur qui me fait gémir, et bien que je sache que j’ai perdu depuis longtemps
le droit de le prier, je le fais quand même. Je voudrais seulement qu’il me
permette de revenir, ne serait-ce qu’un instant, où j’ai laissé mon âme.»
On
imagine qu’un metteur en scène bien inspiré pourrait porter ce roman sur les
tréteaux avec une sobriété qui égalerait celle d’un huis clos de trois
personnages, les deux bourreaux et la victime, un troisième personnage
responsable du FLN, lui au moins optimiste et sans illusions quant au sort
qu’on lui réserve, mais porté par la vague du vaste mouvement de
décolonisation.
A un moment où Houellebecq avec le Goncourt donne le ton à la littérature
d’aujourd’hui, Ferrari, jeune professeur de philosophie et engagé dans la
foulée de la génération humaniste d’après-guerre, rejoint donc une nouvelle
génération de romanciers français et algériens, marqués par les événements
d’Afrique du Nord comme cet autre officier passé brillamment à la littérature,
Yasmina Khadra, lui-même héritier déclaré de Camus.
mars 2011
Marc Augé, Où est passé l'avenir ? Seuil.2011, coll. Essais, 131 p., 6,50€
Cela est dû principalement à l'essor prodigieux des moyens de communication:
nous en sommes arrivés à abolir quasiment le temps et la distance; les
événements les plus lointains nous sont connus presque aussitôt qu'ils se
produisent: "les catégories de temps et d'espace ne sont plus opérantes" (p.
15), "le présent est devenu hégémonique et ne laisse plus apparaître les
linéaments de possibles futurs" (p. 35).
Autre constat: en ce qui concerne l'accès au savoir, face à une élite restreinte
de détenteurs, se forme une masse croissante d'exclus. (v. p. 112).
D'où un double défi: retrouver la pensée du temps, redonner l'espoir aux exclus.
Telle est la mission de "résistance" dévolue à l'éducation: former des citoyens
ni uniformes ni grégaires, mais singuliers et solidaires, promouvoir les
relations humaines pour construire l'identité personnelle, qui "est le produit
d'une incessante négociation. (...), moins je suis seul, plus j'existe." (p.
75).
avril 2011
Marie-Rose Moro, Nos enfants demain. Pour une société multiculturelle, Odile
Jacob, 2010, 250 p., 21€
Quand l'auteure parle de métissage, d'intégration, de diversité culturelle,
c'est tout d'abord à la lumière de son propre vécu dans une famille espagnole
venue vivre en France, c'est grâce aussi à une spécialisation très poussée de
psychiatre et psychanalyste pour enfants et adolescents (elle enseigne à
Paris-Descartes), c'est surtout au travers de nombreux et variés contacts - à
Paris, à Kaboul et ailleurs... - avec des jeunes en difficulté d'insertion, et
qui sont relatés dans un style direct qui saisit la réalité sur le vif.
Elle nous rappelle une évidence: ces problèmes d'intégration sont de plus en
plus attestés, et "le mal-être des adolescents n'a pas de frontières" (p. 221).
Il est donc urgent d'en prendre conscience; il est indispensable -
particulièrement dans la sphère éducative - de "faire l'expérience du décentrage
et de se familiariser avec d'autres systèmes culturels" (p. 200).
Faute de quoi, c'est la peur, le repli sur soi, la violence, qui risquent de
l'emporter. Cessons donc de "voir la diversité comme un obstacle" (p. 11) !
mai 2011
Tzvetan TODOROV, La peur des barbares * Au-delà du choc des civilisations,
Robert Laffont, 2008, 300 p., 19€
"Avec les moyens de destruction dont nous disposons actuellement, leur
embrasement pourrait mettre en danger la survie de l'espèce humaine. C'est
pourquoi il est nécessaire de tout faire pour l'éviter. Telle est la raison
d'être du présent livre." (p. 24)
Tout faire ! A commencer par l'indispensable : percevoir la pluralité comme une
valeur, le métissage comme une dynamique d'enrichissement, le dialogue comme
l'unique voie vers la vérité et la justice. Pour l'illustrer, l'auteur étudie
quelques faits récents: l'attentat du 11 septembre, les caricatures de Mahomet,
le discours papal de Ratisbonne, la torture et la répression comme exercices du
pouvoir, la création, en France, d'un ministère de l'Identité nationale...
S'agissant d'ouverture culturelle, l'institution scolaire est directement
sollicitée: comme il serait profitable de "mettre les élèves en contact avec des
grandes oeuvres de diverses cultures mondiales, montrant par là que
l'épanouissement de l'esprit peut prendre les formes les plus variées" (v. p.
114).
Cette phrase de Voltaire, citée p. 253, nous interpelle encore en 2011: «Je ne
sais à laquelle de ces trois nations [Anglais, Français, Italiens] il faudrait
donner la préférence, mais heureux celui qui sait sentir leurs différents
mérites. »
juin 2011
Jean-Pierre Astolfi, L'école pour apprendre. L'élève face aux savoirs ESF, coll.
Pédagogies, (rééd. 2010), 206 p., 23€
Il
fallait le rappeler, et vigoureusement : l'école, c'est sans doute - un peu - le
maître qui enseigne ; c'est surtout l'élève qui apprend !.
Ça
veut dire, par exemple, que l'évaluation est moins un bilan qu'un projet ; ou
encore que les questions de l'élève importent plus que celles de l'enseignant ;
ou encore que l'acquisition des savoirs est moins une transmission qu'une
"transaction", c'est-à-dire une d'appropriation par des procédures différenciées
; ou encore qu'apprendre n'est pas ajouter ou cumuler des savoirs, mais les
relier, les mettre en réseau..
On
l'aura compris, l'auteur s'en prend aux partisans du cours magistral, eux qui
dénigrent le "pédagogisme". (Voir l'extrait ci-dessous). Il en impose par la
rigueur de ses analyses ; mais il sait aussi recourir à des images parlantes: le
mur, l'escalier, le jeu d'échecs, le saut en hauteur, l'effet Jivaro, le poisson
rouge... !
Voir avec les yeux de l'élève !
Experts en leur domaine, ils (les enseignants...) ne parviennent plus à le voir
avec les yeux de novice qu'est l'élève. Le savoir est pour eux déjà compacté,
mis dans une certaine "forme", sans qu'ils soient à même de percevoir que
celle-ci n'est compréhensible qu'à ceux qui savent déjà.
On
entend déjà la réplique des tenants de la tradition : que voulez-vous donc
alors, des maîtres ignorants, peut-être? Qui, ne sachant rien, ou pas trop,
puissent davantage rester à l'écoute de leurs élèves?
Là
n'est en aucun cas la question. La question, c'est d'allier à une compétence
disciplinaire - la plus solide possible, qui s'en plaindra ? - une décentration
suffisante, qui permette de comprendre les difficultés des élèves, de leur
propre point de vue. Les questions des élèves sont plus importantes que celles
des enseignants.
Op. cit., p. 52
Juillet-août 2011
Frédérique Aït-Touati, Contes de la Lune. Essai sur la fiction et la science
modernes, Gallimard, coll. NRF Essais, 2011, 206 p, 17,50€.
Voilà un livre qui fera date dans la réflexion sur les rapports - des rapports
très étroits ! - entre fiction et science. Enseignante à Oxford et à Science-Po,
docteure en littérature et en histoire des sciences, elle nous présente, sous ce
titre - ô combien poétique - Contes de la lune, une refonte de sa thèse en
Sorbonne Poétiques du discours cosmologique au XVIIe siècle.
Son propos ne manquera pas d'intéresser un enseignant de français lisant et
faisant lire de la SF ! Et gageons que cela intéressera encore plus tout
amoureux et tout expert de la recherche scientifique. C'est une évidence, en
effet, que la science nourrit la fiction, et que celle-ci inspire celle-là.
Jules Verne autant que Tintin ont chatouillé les méninges des scientifiques
d'aujourd'hui: c'est Michel Serres qui vous le dira !
Nous nous retrouvons ici au coeur de ce XVIIe siècle qui fut celui de Kepler et
de Huygens, mais aussi de Fontenelle (Entretiens sur la pluralité des mondes) et
de Cyrano de Bergerac (L'autre Monde ou les Çtats et Empires de la Lune).
C'est passionnant d'un bout à l'autre. Passionnant de découvrir combien la
fiction - même la plus libre - peut produire le savoir le plus rigoureux.
Septembre 2011
Robert Darnton, Apologie du livre – Demain, aujourd’hui, hier, Gallimard, nrf
essais, 2011, 216 p., 19€
Des rouleaux de l'Antiquité à l'e-book de demain, avec passages obligés par
Gutenberg et par la reconnaissance du droit d'auteur, la perspective est large,
et l'érudition, considérable ! Difficile, désormais, de parler du livre et de
son avenir en faisant l'impasse sur cet ouvrage.
On
en apprend, des choses: que le zapping ne date pas du 21e siècle (p. 25), que la
stabilité textuelle n’a jamais existé avant Internet (p. 97), que Google
pourrait bientôt en savoir plus sur nous que la CIA, le FBI et le fisc confondus
(p. 130), que le monde du savoir demeurera dans la galaxie Gutenberg – même si
cette galaxie connaît une expansion grâce à une nouvelle source d’énergie, le
livre numérique, qui viendra compléter la grande machine de Gutenberg, non s’y
substituer (p. 175).
Retenons, nous, enseignants, cette réflexion de l'auteur (p. 178) : de nos jours,
l'information pullule à la milliardième puissance... Mais l'information n'est
pas le savoir !
Au
fil des pages
Ce
que R. Darnton nomme zapping: c'est, de l'Antiquité à Gutenberg et au delà, la
pratique du recueil de citations pour "mettre en forme la nature du monde"; une
activité qui reflète la personne autant que la "saveur du temps". (p. 21 & 25)
[Ce butinage fécond n'a rien à voir avec le zapping improductif du
téléspectateur oisif et frivole.]
La
stabilité textuelle... Exemple: "L'édition la plus largement répandue de
l'Encyclopédie de Diderot, en France, au XVIIIe siècle, contenait des centaines
de pages qui n'existaient pas dans l'originale. Son éditeur était un prêtre qui
étoffa le texte d'extraits d'un sermon de son évêque afin d'obtenir la
protection de ce dernier." (p. 97)
La
numérisation des livres par Google. Vers 1990, on aurait pu numériser par une
alliance des bibliothèques. «Nous comprenons aujourd’hui que nous avons perdu une
grande occasion." Pour Google, "il s'agit essentiellement d'une question de
répartition des profits, non de défense de l'intérêt public". (p. 124-125)
retour début
Octobre 2011
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2011, 268 p., 18€
A
37 ans, nomade impénitent, il décide de faire halte pendant six mois dans une
isba en bordure du lac Baïkal, "le premier village à 120 km". Il ne sera pas
ermite - celui qui fuit le monde - mais "forestier" - celui qui se réconcilie
avec le monde. Une solitude qui sera fusion totale avec la nature au travers des
tâches de survie: couper du bois, pêcher l'omble dans les eaux gelées, se
protéger de l'ours... Une solitude meublée de lectures où il fréquente
Bachelard, Jankelevitch, Romain Gary..., écoutant tantôt la Callas, tantôt du
clavecin - qu'il préfère au piano parce qu'il "a les nerfs à fleur de peau".
Parfois aussi, des rencontres de Russes dans un parfum de cigares et de vodka.
Sa
cabane dans la taïga, c'est "le royaume de la simplification", le "laboratoire
de ses transformations", le lieu d'une "vie sobre et belle" - superbe couple
d'adjectifs ! Mais il ajoute que "la solitude, cela peut se recréer partout".
On
pourrait penser à Daniel Defoe, à Jack London. Mais ici, on dépasse largement le
niveau du pittoresque et du simple dépaysement. Nous voici dans le registre de
la connaissance de soi, de la contemplation, du dépassement du temps : une
expérience qui va désormais le nourrir, et que l'écriture rend durable.
Novembre 2011
Valérie Barry, Identifier des besoins d'apprentissage * Fondements,
méthodologie, étude de situations L'Harmattan, coll. Savoir et Formation, 2011, 196 p., 19€.
C'est un processus bien connu, dans la sphère de l'instruction et de
l'éducation: l'évaluation succède à la pratique pédagogique; et celle-ci succède
à l'identification des besoins d'apprentissage. Succède ou... devrait succéder !
Sur le terrain, en effet, on observe, assez souvent, que les pratiques
pédagogiques sont mises en place sans avoir suffisamment pris en compte les
besoins, les attentes, les potentialités des enseignés. «Il y a des programmes,
il y a des directives, il y a même des manuels où tout est prévu... On peut s'y
appuyer.» Conséquence : les dispositifs d'enseignement risquent de manquer
partiellement leur cible. Parfois, de façon irrémédiable.
V.
Barry développe un exposé très bien construit, maniant une terminologie et
certains concepts parfois assez peu familiers au praticien de la base. Elle
termine par l'analyse de deux situations (Sophie, 8 ans, trisomique ; et Léo,
ado agressif) : une observation d'une rigueur exemplaire !
A
la suite d'une bibliographie détaillée, on pourra parcourir un copieux
référentiel permettant de définir les besoins d'apprentissage: pas moins de 40
pages avec quelque 1600 items répartis en quatre champs: relationnel,
instrumental, cognitif, culturel !
Rigoureux, sûrement, voire austère. Mais en filigrane quelques idées-forces
auxquelles tout éducateur souscrit volontiers, telles que la nécessité d'une
action concertée, et surtout le pari d'éducabilité, illustré, p. 35, par ce
propos du peintre Friedensreich Hunderdtwasser: certains disent que les maisons
sont faites de murs. Je dis qu'elles sont faites de fenêtres !
Décembre 2011
Pierre Zaoui, La traversée des catastrophes - Philosophie pour le meilleur et
pour le pire Collection L'ordre philosophique, Seuil 2010, 378 p., 23€
Ce
livre, d'une écriture savante qui peut déconcerter le profane, se présente comme
un manuel de survie face à tout ce qui nous tombe dessus (ces deux formules
reviennent plusieurs fois): la maladie, la mort, la blessure amoureuse (eh oui :
Eros s'acoquine avec Thanatos !), la séparation, l'exclusion...
Qui dit "traversée" dit exercice de volonté, de lucidité, de prise en charge
personnelle, ce que l'auteur appelle vivre la vie dans la plus large tessiture
possible (p.367), ou encore : la capacité d'extraire de ses souffrances et de
ses cassures une puissance d'affirmation supérieure de la vie (p. 344).
Il
se déclare athée authentique, "ni désespéré, ni replet". Pour lui, être athée
signifie ne pouvoir écrire qu'à condition que ses textes ne survivent pas en
tant que doctrine (p. 52). Un athéisme respectable et respectueux, lucide et
critique, qui se plaît à célébrer, dans un chapitre émouvant (pp. 278 et sv.),
la sagesse des Psaumes illuminant la nuit de la Shoah.
P.
Zaoui se sent à l'aise - et très libre - avec les grands philosophes d'autrefois
(Parménide, Zénon, Épicure...) et d'aujourd'hui (Deleuze, Blanchot, Levinas...).
Il est aussi un passionné de littérature, citant volontiers Kafka, Beckett,
Pessoa, Dostoievski... C'est dire combien son propos est solide et humaniste.
Martine A. Pretceille L'éducation interculturelle Coll. Que-sais-je? 3e éd. mise
à jour, 2011, 128 p., 9 €.
Difficile de trouver aujourd'hui, dans nos écoles, des classes où tous les
élèves auraient les mêmes origines nationales, ethniques, culturelles,
religieuses !
Au
fait, cette diversité quasi générale est-elle concrètement prise en
considération par les communautés scolaires: enseignants, éducateurs,
médiateurs... voire par les élèves eux-mêmes? Des directives, des circulaires,
des formations, des échanges d'expériences sont disponibles, mais avec quels
effets sur le terrain?
Sur ce sujet de l'interculturalité, voici un ouvrage qui a le mérite d'être à la
fois bref, dense, sérieux, clair et très bien mis à jour.
L'idée-force est que toute culture est diverse, ouverte au métissage; sinon elle
tient du totalitarisme, du fascisme (v. p. 21-22); que "le concept d'interaction
- dialogue, écoute, échange - est central pour la définition de la culture et de
l'identité culturelle" (p. 57). D'où l'importance de l'apprentissage de la
décentration (v. p. 116).
Février 2012
François Laplantine, Je, nous et les autres Poche-Le Pommier, 2010, 160 p., 7€
L'auteur le déclare d'emblée et sans détour: il s'agit de malmener deux notions
- l'identité et la représentation - qui contribuent, selon lui, à l'effritement,
voire à la disparition de l'exercice critique de la pensée et de la créativité.
L'une et l'autre nous portent à rigidifier et à perpétuer nos perceptions des
choses, des personnes, des cultures, à nous établir à la fois dans la suffisance
qui est paresse intellectuelle (négligeant la complexité du réel) et dans la
peur qui est repli sur soi, rejet du différent.
C'est le refus de l'altérité, du métissage et du changement. Et la vanité du
chacun pour soi et du chacun chez soi peut aller jusqu'au drame : "de la
guéguerre paroissiale, on peut passer par degrés imperceptibles au génocide
(...). L'identité charrie de la mort." (53).
Ce
qui fonde la pensée de l'auteur, c'est sa longue pratique de l'anthropologie,
"pensée de la relation et non de la séparation, pour laquelle il n'existe jamais
rien d'intrinsèque, d'inhérent" (p. 63). C'est aussi la littérature (Kafka,
Beckett, Proust, Pessoa... et déjà Montaigne et Diderot), vaste entreprise de
mise à distance du réel et de l'immobile.
Précieux, ce petit livre ! Pour apprendre à mieux percevoir le je, le nous et
les autres.
Mars 2012
Jean-Louis Dessalles, Pascal Picq, Bernard Victorri, Les origines du langage Le
Pommier, coll. Universcience, 2010, 184 p., 9 €.
Pour étudier ce problème des origines du langage, il faut considérer une
évolution qui s'étend sur plusieurs millions d'années. Les modes de vie de nos
ancêtres - activités, habitat, nourriture... - se sont transformés. Et aussi
leur morphologie: "des modifications affectant à la fois le cerveau, la partie
supérieure du tronc et le pharynx ont pu se mettre en place et se retrouver
mobilisées dans la production d'un protolangage articulé" (67-68).
Celui-ci fut-il unique - sorte de langue mère d'où dérivent toutes les autres,
comme le prétend Meritt Ruhlen? Rien ne le prouve, mais sa reconstitution, quoi
qu'en dise ce linguiste, est aujourd'hui impossible (92).
A
l'origine, ce protolangage aurait eu, selon Dessalles, une fonction
"événementielle" de signalement (102); mais Victorri parle plutôt de fonction
"narrative" (p. 106), la narration étant information factuelle ("Signaler la
nouveauté est déjà systématique chez l'enfant préverbal": 132), mais aussi mise
à distance, ce qui ouvre l'espace du mythe, de l'interdit, et crée, par
l'échange, les structures sociales.
Les trois auteurs sont d'éminents spécialistes, mais leur érudition n'est ni
pesante ni pédante : c'est un grand art de dire les choses les plus complexes en
alliant rigueur, prudence et clarté.
retour début
Avril 2012
Hervé Kempf, L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie Seuil, La librairie
immédiate, 2011, 180 p., 14€
N'importe qui vous le dira: nous sommes en démocratie. Et c'est vrai que la
consultation populaire existe et fonctionne, que la voix des urnes confirme ou
infirme, que le droit de manifester s'exerce et peut peser sur les décisions,
que l'opinion s'exprime de diverses manières pour soutenir ou réprouver...
Et
pourtant ! Il faut y voir de plus près. Et constater que d'autres pouvoirs se
sont mis en place, qui contrarient le fonctionnement démocratique. Leur
stratégie: favoriser les lobbies des grandes entreprises. Leur force: avoir
souvent à leur tête des gens qui, préparés dans des Hantes Ecoles à la gestion
de l'Etat, se retrouvent "dans le privé" à la tête de puissantes sociétés.
Alors nous voilà dans un système habile de gratifications, de promotions, de
propagande. Pas étonnant que, soucieux d'avoir les mains libres, ces puissants
agissent sur les médias, tantôt pour les intimider, tantôt pour aliéner leur
public dans la superficialité. (Sur ce dernier point, cette phrase d'Al Gore,
citée p. 91 : "Les gens qui regardent la télévision ne participent pas à la
démocratie s'ils la regardent quatre à cinq heures par jour" !)
Comment sauver la démocratie de la menace oligarchique ? L'auteur se garde de
donner des recettes. Pour lui, l'essentiel, c'est de "se refuser à
l'indifférence"; et il cite, p. 136, une grande démocrate indienne, Arundhati
Roy: "Un monde différent ne peut être construit par des personnes
indifférentes."
Mai 2012
Alain Badiou, avec Nicolas Truong, Éloge de l'amour, Flammarion, Champs Essais,
106 p., 5€.
Cet opuscule est un redéploiement de l'entretien entre le philosophe et le
journaliste qui eut lieu durant le Festival d'Avignon le 14 juillet 2008 au
Théâtre des idées.
Le
fil conducteur, c'est le refus d'un amour qui serait sans obstacle : il faut
"réinventer le risque et l'aventure contre la sécurité et le confort" (19).
Meetic en prendra donc sérieusement pour son grade ! La rencontre initiale, qui
peut sembler tenir du hasard, amène les partenaires à partager le regard sur le
monde, à construire un projet, à inventer la durée. "Il y a bien sûr une extase
des commencements, mais un amour, c 'est avant tout une construction durable"
(40), "une lutte réussie contre la séparation" (91). L'auteur exclut toutefois
toute idée de transcendance - c'est son droit. Mais quand il affirme que le
christianisme substitue à l'amour combattant "un amour passif, dévot, courbé"
(p.71), cette opinion ne peut guère s'appuyer que sur quelques rares mystiques
doloristes et pudibonds qui s'offusquent de l'extase charnelle, telle qu'elle
est décrite dès le début de la Bible (Genèse 2, 23).
Ça
et là, au fil des pages, quelques brillantes références littéraires éclairent le
propos du livre : Marivaux ("On a le triomphe de l'amour, pas la durée", dit
l'auteur, p. 85)), Rimbaud ("L'amour est à réinventer"), Claudel (Partage de
midi, Le Soulier de satin), Mallarmé ("le hasard est enfin fixé"), les
surréalistes en liberté, Platon, Tristan et Isolde, le Cantique des Cantiques
("une des célébrations de l'amour les plus puissantes qui ait jamais été
écrite", p. 69)...
Un
livre intelligent et généreux, ni triste ni bégueule, à recommander chaudement à
ceux qui accompagnent les jeunes dans leurs projets de vie.
On
pouvait s'y attendre, au vu du titre: cet ouvrage très fouillé souligne le rôle
décisif joué par l'école dans ce problème de la diversité culturelle qui
concerne pratiquement tous les pays : en effet, "rares sont ceux qui peuvent
prétendre que leurs populations sont homogènes" (22).
On
ne s'étonnera donc pas que l'auteure australienne s'intéresse d'aussi près aux
projets conçus par les responsables de l'enseignement: il s'agit principalement
des programmes, mais ceux-ci ne doivent pas seulement viser des connaissances :
"L'accent est mis autant sur les aptitudes et les aptitudes éducatives que sur
la transmission du savoir" (120).
Il
s'agit aussi de "développer des pratiques nouvelles qui dépassent le cadre de la
classe et concernent les relations entre l'école, les parents et la communauté
locale" (p. 159).
Il
s'agit enfin de préparer les enseignants à intervenir dans un monde scolaire où
la diversité est devenue évidence : "La diversité croissante de la population
scolaire dans toutes les sociétés actuelles signifie qu'un jour ou l'autre, au
cours de sa carrière, tout enseignant se trouvera en présence d'élèves issus de
diverses origines ethniques et culturelles, dans son école et dans sa classe. Il
est donc de plus en plus important de leur inculquer, durant leur formation
initiale et leur perfectionnement professionnel, les connaissances théoriques et
pratiques nécessaires pour être à l'aise et efficaces face à des groupes
diversifiés d'élèves." (170)
Professeurs de langue d'enseignement, de langues étrangères, de sciences
humaines, ne manquez surtout pas la page 114 qui nous rappelle que la
littérature et les arts tiennent une place de choix dans la planification de la
diversité culturelle !
Livre téléchargeable
Juillet-août 2012
Lucien Jerphagnon, De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles,
Entretiens avec Christiane Rancé, Albin Michel, 2011, 261 p., 17,33€
L'auteur, éminent historien de la philosophie, décédé en 2011, nous livre ici
son testament sous la forme d'un dialogue ouvert aux grandes questions que
l'homme se pose depuis ses origines : la liberté, le progrès, l'éducation,
l'amour, la souffrance, la mort, l'éternité, Dieu...
Au
coeur de ces entretiens, l'exigence de vivre dans la curiosité et l'étonnement,
de penser par soi-même, d'échapper au fléau de pensée unique et uniforme (page
154, il cite à ce propos Jean-François Revel dans La Grande Parade :
"L'idéologie, c'est ce qui pense à votre place.")
Il
ne manque pas de rendre hommage à ses maîtres d'autrefois, de Socrate à Augustin
et passant par l'Ecclésiaste, et de son époque, Henri Bergson, Jean Orcibal,
Vladimir Jankelevitch, Paul Veyne, le cardinal Paul Poupart et bien d'autres qui
furent à la fois ses amis et ses inspirateurs. On ne s'étonnera donc pas du
fourmillement de citations qui émaillent sa conversation, et toujours bien à
propos.
Le
lecteur avisé attend évidemment le philosophe sur la question essentielle de
Dieu et de l'éternité ! La réponse est aussi courageuse que prudente.
"L'éternité, on la devine (...), on la pressent, (...); de l'éternité, on sait
tout juste ce que laisse entrevoir le temps qui passe" (248). Quant à la
question sur Dieu, notre philosophe s'en prend avec ironie et bon sens à "ces
incollables théologiens qui créent Dieu à leur image" (250). S'il est vain de
parler de Dieu, il est plus sage d'entendre Dieu nous parler. C'est pourquoi,
s'inspirant du récit des pèlerins d'Emmaüs (Luc 24), il conclut ainsi : "Si Dieu
ne peut être connu, Jésus peut être aimé." (258).
Le
travail du philosophe
Tout philosophe s'inscrit dans le temps pour parler de l'éternité; dans le fini
pour parler de l'infini; dans le contingent pour parler du nécessaire; dans le
partiel pour parler de la totalité; dans le particulier pour parler de
l'universel; dans le relatif pour parler de l'absolu. (Op. cit. p. 173)
Septembre 2012
Robert Rowland Smith, Petit déjeuner avec Socrate - Une philosophie de la vie
quotidienne Seuil, 2011, 280 p., 18€ (traduit de l'anglais par Sylvie Taussig)
Immortel Socrate ! Il n'en a pas fini de nous inspirer, de nous rappeler le
double impératif de toute philosophie : l'insatiable et rigoureux questionnement
sur le quotidien, fût-il le plus ordinaire et le plus banal («Une vie sans
examen ne vaut pas la peine d'être vécue», cité p. 16) et l'indispensable
connaissance et exploration de soi, immortalisée par le célébrissime Connais-toi
toi-même.
Va
donc pour ce questionnement sur notre quotidien, sur dix-huit situations, du
lever au coucher - et vice versa, de la journée la plus ordinaire de Monsieur ou
Madame Tout-le-monde : le boulot, la dispute, la visite chez le médecin, le
shopping, la lecture, la popote, le rapport sexuel, la fête, la télé, le rêve...
Pas de pitié pour les apparences, les illusions et les idées reçues ! Ainsi,
vous croyez être libre, vous ne l'êtes pas : le travail peut devenir de
l'aliénation (56), le client se croit indépendant mais tout peut le conditionner
(128), la gymnastique entretient la forme... la forme d'un être mortel (156), la
fête doit nous rapprocher mais pour un peu se pervertit en jeu de rivalité
(221). C'est agréablement écrit - et, il faut le préciser, très bien traduit.
Mais comme c'est lucide, parfois impitoyable !
Et
quelle érudition ! A tout moment, les plus grands noms de la philosophie sont
pertinemment convoqués à ce petit déjeuner, ainsi que de nombreux témoins -
parfois les plus inattendus : Brillat-Savarin, Machiavel, Georges Bataille,
Thérèse d'Avila, Ovide, François Mitterrand, Beethoven, Margaret Thatcher, Adolf
Hitler... Gageons que, quand il enseigna la philosophie à l'université
d'Oxford, cet auteur a dû séduire son auditoire.
Octobre 2012
Michel Serres, Éloge de la philosophie en langue française Champs - Flammarion,
1997, 280 p., 9€
"Qui habite, confortable, au sein d'une société close, classe, Église, école,
parti ou discipline, manque, oui, au moins de la moitié de l'expérience humaine.
(p. 14)" Voilà qui résume au mieux, sans doute, le propos de l'auteur : les
philosophes refusent l'allégeance, la conformité, la répétition, le
corporatisme. Il est d'ailleurs frappant de constater que leurs biographes
parlent, pour beaucoup d'entre eux, d'interdit, d'expulsion, de condamnation...
Serait-ce particulièrement vrai, s'agissant de la philosophie en langue
française, de Descartes à Deleuze, de Diderot à Bergson, de Rousseau à Péguy?
L'auteur s'attache à le prouver... Il ne franchit guère les frontières de
l'hexagone (à retenir pourtant sa particulière estime pour Leibniz, visionnaire
et prophète).
Le
philosophe est donc celui qui sort du cercle ! D'où les métaphores de la
"randonnée" (c'est le titre de la seconde partie - soit les deux tiers - du
livre), du cheminement, du réseau, de la cartographie, du labyrinthe, du virage
("les virages favorisent la visite" - 102). Le randonneur découvre la
complexité, "se débrouille dans l'imbroglio" (206) du local pour appréhender le
global. Pas étonnant qu'il s'intéresse à la construction d'algorithmes.
Il
faut aussi saluer le langage de Michel Serres : rigueur et érudition nécessitent
une lecture patiente, voire appliquée ; mais quelle profusion d'images, quelles
trouvailles de sons et de rythmes, quelle créativité de syntaxe et de lexique !
En voilà un qui est à cent lieues du triste jargon des pédants. Ça fait penser à
Rabelais.
Novembre 2012
Gilles Dowek, Ces préjugés qui nous encombrent, Manifestes, Le Pommier, 2012,
114 p., 10€
Grand prix d'Alembert des Lycéens (2000) pour La recherche exhaustive *, Grand
Prix de Philosophie de l'Académie Française (2007) pour Les Métamorphoses du
calcul (Le Pommier), l'auteur s'en prend à ces préjugés tenaces qui «encombrent
nos discours sur la science et sur la technique». Ces préjugés à l'encontre de
"la fonction productive" s'expliquent dans une hiérarchie sociale - les clercs,
les guerriers (entendez : les chefs), les artisans - qui remonte à plusieurs
millénaires.
La
technique, c'est évident, a amélioré nos existences. Pourtant, «l'adjectif
technique est presque exclusivement péjoratif» (54) : conseiller technique,
agent technique, résultat technique... et même lycée technique et I.U.T.
sous-entendent des tâches ou des formations qui ne ressortent pas aux fonctions
de commandement.
Qui dit technique dit calcul, formulation mathématique. Voilà qui horripile
certains maîtres es sciences humaines: notre champ de recherche, prétendent-ils,
est par nature rétif à la mathématisation ! A quoi l'auteur réplique : «plus un
phénomène est complexe, plus il est nécessaire de le mathématiser pour
l'appréhender" (71). Car mathématiser, ce n'est seulement dénombrer; c'est
démontrer, c'est expliquer.
Est-ce la faute à la technique si "les allumettes permettent à la fois de
chauffer les maisons et de jeter les hérétiques au bûcher" ? La réponse est
qu'un "supplément de puissance" doit s'accompagner d'un "supplément de sagesse,
afin que cette puissance soit utilisée pour faire le bien et non le mal : nous
sommes des homo technologicus, nous devons devenir des homos sapiens
technologicus" (110-111).
Un
ouvrage passionnant, finement argumenté, qui pourra énerver certains
mandarins... !* Vidéo de son intervention
Décembre 2012
Corinne Maier, Bonjour paresse * De l'art et de la nécessité d'en faire le moins
possible en entreprise, Michalon éd., 2004, 120 p; 12€..
Elle a bien raison de souligner certaines dérives du monde de l'entreprise : la
soumission à l'impératif du rendement aux dépens de la stabilité des emplois, la
médiocrité des relations entre les différents échelons de la hiérarchie et dans
la considération des personnes, les rémunérations des patrons : dividendes,
parachutes dorés...
Mais souvent, trop souvent, l'outrance des formules affaiblit l'argumentation :
il est commode de généraliser; plus difficile et exigeant est l'art de la nuance
! Epinglons, parmi bien d'autres, quelques avis péremptoires : "L'entreprise se
sert du droit du travail... pour contourner celui-ci (36). Le syndicaliste est
souvent un cinquantenaire désabusé... (47). L'entreprise est par essence le lieu
de l'exclusion (66). Le salariat est la figure moderne de l'esclavage (101)."
C'est encore plus gênant quand, à deux reprises, l'auteure décrit l'entreprise
totalitaire en citant le slogan concentrationnaire Arbeit macht frei (21-22) ou
en évoquant l'obéissance selon Goebbels (23). Cela tient du mauvais goût !
Corinne Maier pratique une écriture vive, agréable, créative. Quelques clins d'oeil
intertextuels remémorent Françoise Sagan, Pierre de Coubertin (l'important est
de participer), George Orwell (la novlangue), Shakespeare (To be or not to be),
le général De Gaulle (le tracassin), Cabu (le coaching), Pierre Dac (le Français
moyen), etc. Une légèreté de ton et un humour qui n'assoupissent vraiment pas le
lecteur.
Isabelle Causse-Mergui À
chaque enfant ses talents * Vaincre l'échec scolaire Education Le Pommier, 2012
(3e édition), 294 p., 22€
La
plus grande partie de ce livre (chapitres 1 à 4) est consacrée au récit détaillé
des rencontres de l'auteure avec des enfants et des adolescents - du cours
préparatoire au lycée - qu'elle a pu longuement observer et patiemment remettre
en confiance. Chaque récit est assorti de deux rubriques : Idées pour les
parents ("donner du sens", "inviter à rire", "exercer la curiosité", "réfléchir
avec l'enfant", "regagner la confiance", "apprendre par le jeu"...) et Pour
aller plus loin (la question du redoublement, l'évolution selon Piaget, le
regard de l'entourage, la gestion mentale selon La Garanderie...).
Quant au cinquième et dernier chapitre, Questions de parents, il vient bien à
propos pour lever des incertitudes et prévenir des erreurs: Pourquoi mon enfant
n'aime-t-il pas à apprendre ? Que dois-je faire pour les devoirs de mon enfant ?
Les grands parents peuvent-ils faire quelque chose ? Faut-il le faire travailler
sur ordinateur ?...
Le
lecteur - parent ou enseignant - sera sûrement interpellé par le parti-pris
d'optimisme qui traverse tout le livre: "Combien de fois, écrit l'auteure, ai-je
décontenancé des parents qui venaient de dresser un tableau sombre mettant en
scène les difficultés de leur fils, en leur demandant quelles étaient ses
qualités et dans quels domaines il réussissait ! (...) Tous souhaitent le
meilleur pour leur enfant. Mais tous oublient ce qu'il y a de bon en lui." (p.
220) Il s'agit donc de : "faire la part belle aux mille promesses que chaque
enfant recèle en lui et qui ne demandent qu'à éclore" (4e de couverture).
Février 2013
Hans Küng, Peut-on encore sauver l'Eglise? Seuil, 2012, 250 p., 21€
Formé à la Grégorienne, il est expert à Vatican II (1962-65) avec Joseph
Ratzinger, le futur Benoît XVI. La publication en 1971 de Infaillible? Une
interpellation, puis de Être chrétien, en 1979, entraîne le retrait de son
habilitation canonique à enseigner la théologie catholique à l'université de
Tübingen où il tenait ce poste depuis une vingtaine d'années.
Il
demeurera néanmoins inébranlablement fidèle à son Église, et s'il se montre
sévère, voire virulent envers elle, c'est, dit-il, par amour de l'Église et de
sa cause (238). Il ne s'agit donc ni de la quitter ni d'y créer un schisme
(32-33), mais de la refonder dans la foi en Jésus-Christ, l'unique Seigneur de
l'Église (173) : voilà, par parenthèse, un repère essentiel pour la démarche
oecuménique.
A
la question du titre, la réponse fondamentale est celle-ci : nous devons nous
tourner résolument vers les origines de l'Église, telles qu'elles sont attestées
dans le Nouveau Testament (170).
Il
attend de la hiérarchie - visant expressément la Curie romaine - qu'elle examine
au plus près l'histoire du christianisme, surtout à ses débuts, puis dans son
évolution, qu'elle prenne aussi en compte les mutations sociales, pour des
questions vitales telles que le mariage des prêtres (le célibat est une loi
monastique et médiévale), l'ordination des femmes (revoir saint Paul et les
évangiles!), l'intercommunion, la prédication par des laïcs ; il la conjure de
mener un dialogue sans méfiance avec les scientifiques pour ce qui concerne la
sexualité, la procréation, l'origine de la vie, l'évolution, la recherche
médicale, la sociologie...
L'essentiel serait sans doute, selon lui, l'écoute disponible de la parole libre
et responsable des communautés : ce qui aujourd'hui est vraiment dynamique dans
l'Église ne vit pas de proclamations "d'en haut, mais d'impulsions "d'en bas"
(170) ; ce serait aussi d'apprendre des autres religions et de mettre en valeur
les autres cultures dans une Église vraiment universelle (135).
Mars 2013
Christian Bobin, L'homme-joie Éd. L'Iconoclaste, 2012, 190 p., 17€
Ouvrir un livre "comme on pousse la porte d'un jardin abandonné" (4e couv.). Un
livre à la couleur du bleu du ciel : innocence, plénitude, lumière. Du début à
la fin, entre ce "bleu dans le matin fraîchi d'avril" (13) et cet incroyable
"bruit que peut faire un bouquet de fleurs dans une toute petite chambre" (179),
une série de découvertes, de souvenirs, d'évocations, où l'éclat de la forme
nous fait creuser la profondeur du sens.
Ceci, par exemple, pour la bien-aimée disparue : "l'insolence colorée des
fleurs, ce démenti jaune, blanc, rouge, bleu, rose au néant monocorde" (61-62).
Ou
encore, quand Blaise Pascal, après l'illumination du lundi soir 23 novembre
1654, presse la doublure de sa veste où se cache son Mémorial : "L'Éternel fait
un bruit de papier froissé" (95).
Et
ceci : le cheval "dans l'herbe haute noyée de boutons d'or. L'animal mangeait,
éclaboussé d'or et d'émeraude" (103).
Et
quelle audace de l'espérance quand il découvre des "trésors vivants" dans la
déchéance des malades d'Alzheimer : "Nous finirons tous en miettes mais ces
miettes sont en or et un ange, l'heure venue, travaillera, à partir d'elles, à
refaire le pain entier." (137)
Et
ainsi de suite au fil des pages - Maria la gitane, le mimosa à la fenêtre, la
Vita Nova de Dante, l'archet de Menuhin, le clavier de Glenn Gould, l'ode à la
plus que vive, les paraboles et le calvaire, le philosophe qui fait rire... -
chaque fois, un émerveillement ! Un foisonnement d'images, une transfiguration
du réel, qui font penser irrésistiblement au Cantique des Créatures.
Ou
peut-être à Rimbaud en bure franciscaine ?
Avril 2013
Abdennour Bidar, Un islam pour notre temps Coll. La couleur des idées, Seuil,
2004, 107 p., 13€.
Un
islam pour notre temps, ce sera à la fois par l'ouverture à la modernité et par
un engagement personnel libre.
Ouverture : "la référence au Coran n'est plus désormais la seule source de
réflexion, de valeurs et d'espoirs des musulmans' (12); "il faut accueillir la
modernité, et notamment ses valeurs humanistes (liberté, égalité, tolérance)"
(13). Celles-ci ne sont nullement contradictoires à l'idéal musulman de foi et
de fraternité.
Engagement personnel : c'est un point capital ! Être musulman ne doit pas tenir
à un conditionnement culturel mais résulter d'un choix libre et responsable,
répondant à un besoin spirituel profond, faute de quoi les pratiques, les rites,
les usages perdent de leur signification. "A travers ce principe fondamental,
écrit-il, j'essaie de donner un sens précis au célèbre verset coranique «Pas de
contrainte en religion» [II, 256], très souvent cité comme preuve que la liberté
existe en islam, mais qui reste une formule sans contenu." (60).
Quelles réponses aux questions fréquentes sur l'islam : le rôle du chef
religieux, la condition de la femme, le discours guerrier?
Le
chef religieux ne peut avoir qu'un rôle de conseiller. Se faire directeur de
conscience est une prise de pouvoir sans fondement dans le texte sacré. "Il est
temps de réaffirmer l'égalité entre croyants et d'abolir la domination des
imams." (64)
Des versets coraniques attestent explicitement la prééminence de l'homme sur la
femme... Il faut les replacer dans leur contexte culturel : "ce qui valait dans
les premières sociétés islamiques ne peut plus recevoir aujourd'hui la moindre
justification". (65)
Déclarer l'islam religion d'Etat, c'est du totalitarisme. "Le chef de l'Etat ne
peut pas légitimement être «Commandeur des croyants»" (72). "Toute démarche de
combat qui se réclamerait aujourd'hui de l'islam le ferait sans aucune
légitimité" (101).
mai 2013
Simon Leys, Le studio de l'inutilité. Essais Flammarion, 2012, 302 p., 20€
Quatre jeunes étudiants, un calligraphe, un historien, un philologue et Simon
Leys le philosophe, ont occupé, pendant deux ans, une cahute dans un bidonville
de Hong Kong, qu'ils ont appelée le studio de l'inutilité, soulignant par là que
"dans leur jeunesse et durant leur période de formation, les talents des hommes
vraiment supérieurs (et promis à un brillant avenir) doivent rester cachés" (p.
9).
Le
pluriel essais, accolé au titre, annonce la variété des domaines explorés : la
littérature (plus de la moitié de l'ouvrage), la Chine (et aussi le génocide
cambodgien), la mer. Et pour clore le parcours, son discours - plutôt
impertinent - de Docteur honoris causa de l'Université catholique de Louvain en
2005.
Michaux, Orwell, Chesterton, le Prince de Ligne, Segalen, Nabokov... C'est un
érudit et surtout un home de goût et de grande sagesse qui nous mène de
découverte en découverte : un amour de la littérature qui est vraiment
contagieux.
Des chapitres sur la Chine et le Cambodge, on retiendra particulièrement le
portrait de Liu Xiaobo, Prix Nobel de Paix en 2010, toujours en détention.
"Échappant à l'endoctrinement maoïste (...), il découvrit le principe qui allait
guider tout son itinéraire intellectuel : on doit penser par soi-même" (p. 167).
Que penser de la Chine d'aujourd'hui ? Oui, elle est devenue une superpuissance,
mais "une superpuissance amnésique (...) avec interdiction absolue de faire
l'histoire du maoïsme en action" (p. 218).
La
troisième partie, la mer, est introduite par une ébauche d'anthologie de
quelques écrivains "maritimes" : un peu vite bien fait, il faut le reconnaître.
Bien plus intéressante est l'évocation de Magellan et des naufragés de l'Aukland.
Inutilité, gratuite, intériorité : l'auteur y revient dans un chapitre sur la
leçon chinoise. Pour le calligraphe, le peintre, le musicien, "l'objet premier
de leur activité demeure la culture et le développement de leur vie intérieure"
(p. 192). Tel est finalement l'essentiel du message de ce Belge d'Australie !
juin 2013
Philippe Sellier, La Bible. Aux sources de la culture occidentale Seuil 2013,
coll. Points - Sagesses, 350 p., 8,50€
La
culture occidentale est nourrie abondamment de la Bible. Cette copieuse
littérature, de la Genèse à l'Apocalypse, a suscité une immense production d'oeuvres
d'art ; elle se reflète, également, dans quantité d'expressions courantes. On le
sait, bien sûr, mais un peu confusément : la diversité des personnages, des
événements et des lieux, les modes de vie, les genres textuels et les procédés
de réécriture, tout cela, pour le lecteur-lambda-et-de-bonne-volonté, peut
paraître confus et complexe.
C'est le grand mérite de cet ouvrage (publié en grand format en 2007 sous le
titre La Bible expliquée à ceux qui ne l'ont pas encore lue) de nous fournir une
"boîte à outils" idéale pour saisir de plus près combien la Bible marque de son
empreinte l'art et le langage. Et c'est un tour de force d'allier rigueur et
clarté dans l'exploration d'une longue histoire et d'une littérature multiforme
! Un copieux index nous permet d'aller voir de près comment tel fait, tel
personnage, telle coutume trouve des échos dans la peinture, le vitrail, la
poésie, le cinéma, la sculpture, la musique... comme dans les mots du quotidien
: il nous en donne ces centaines et ces centaines d'illustrations !
L'épilogue élargit la perspective au niveau des idées, des valeurs, de l'action
: il souligne combien une lecture éclairée de la Bible fait découvrir son
actualité : «La foi biblique est aujourd'hui présentée comme la religion de la
sortie du religieux à l'ancienne, comme la religion de l'avenir, dans la mesure
où elle est en harmonie avec le caractère laïque et pluraliste des sociétés
modernes, avec le principe de la liberté de l'individu, tout en maintenant une
haute exigence éthique, universelle («catholique») au sein d'une société de
débats.» (p. 330)
juillet-août 2013
Jean-Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin * Les battements du temps Éd. Les
liens qui Libèrent (France Inter), 440 p., 22,50€
«Nous sommes comme des nains assis sur les épaules des géants; pour cette
raison, nous sommes capables de voir plus de choses, et de voir plus loin
qu'eux.» «Si j'ai vu un petit mieux, c'est parce que je me tenais sur les
épaules des géants.» Ces deux citations liminaires (p. 9), l'une de Jean de
Salisbury, l'autre d'Isaac Newton, éclairent la démarche de l'auteur : observer,
avec Darwin pour guide, l'évolution de l'Univers qui nous entoure, les astres et
tout le vivant, plantes, animaux et humains.
En
réalité, l'enjeu est de taille ! Car aujourd'hui encore, l'évolution du cosmos
et vivant demeure vivement contestée dans certains cénacles où l'on prend à la
lettre le récit de la Genèse. On se souvient de John Thomas Scopes, dans le
Tennessee, en 1925, condamné pour avoir enseigné ay lycée la théorie darwinienne
! Près d'un siècle plus tard, il en est encore qui persistent à croire - et à
enseigner ! - que les êtres vivants ont été créés «sous leur forme actuelle» !
(v. p. 135.) On se souvient de la candidate républicaine Sarah Palin déclarant
en 1997 que «les hommes et les dinosaures vivaient en bonne entente sur la
Terre, il y a de cela 6000 ans» !
Ce
que nous enseigne Darwin, c'est que «l'événement de la création n'est pas ancré
dans le passé, mais projeté dans le futur.» (p. 176). Et les savants ne cessent,
à la suite de Darwin, de le prouver, de nous faire découvrir - et admirer - un
monde qui n'a rien d'immobile.
En
définitive, dans notre observation du vivant, le plus important est, à coup sûr,
de la transposer au plan de l'humain : la longue histoire de notre race nous a
fait découvrir que la vie est sacrée : «Lorsque nous aurons appris ce que c'est
qu'être humain, nous saurons ce que signifie être libre, et nous saurons que la
liberté est réellement le commencement de notre avenir commun.» (p. 416).
C'est donc un humaniste, autant qu'un scientifique, qui s'exprime ! Et qui cite
très souvent, en contrepoint, des philosophes, des poètes, des romanciers, tels
que Pascal Quignard, Luis Borges, Emmanuel Kant, Marcel Proust, Démocrite... Et
même Ésope, le fabuliste, qui parlait si bien d'évolution et de progrès dans sa
fable de la corneille assoiffée : plus de 1500 ans avant Darwin, le mythe
précédait le discours scientifique ! (v. 395)
Voir sur France Inter l'émission de J.-C. Ameisen, Sur les
épaules de Darwin ►
Déjà présentée dans LMDP 153 ►
septembre 2013
Élisa Brune, Pensées magiques * 50 passages buissonniers vers la liberté, Odile
Jacob, 2013, 160 p., 17,90€
Elle ne cesse de le répéter au fil des pages : pourquoi, diable, nous satisfaire
de la banalité et du ressassement quotidiens, alors qu'un zeste d'imagination,
de curiosité et d'audace - ce qu'elle appelle les passages buissonniers - peut
donner du relief et de la couleur à notre vie ? Cet exemple, parmi bien d'autres
: "Un professeur de français dont je me souviens avec gratitude a eu
l'intelligence de m'orienter vers des livres qui ne m'attiraient pas du tout. Je
n'ai eu que de bonnes surprises. " Et elle ajoute : "Depuis lors je ne dis
jamais non à une proposition incongrue." (76-77).
Pourquoi donc se figer dans le "tout prévu", dans le conformisme, alors que
l'inattendu peut nous épanouir? On a toujours fait comme ça, disons-nous, et
nous voilà enfermés dans la répétition, dans l'insignifiance.
Il
y a quelque outrance, parfois, dans le propos de l'auteure, surtout quand elle
exalte des choix frivoles qui feraient son bonheur...; mais qu'en sera-t-il du
bonheur d'un autre ? Une légèreté à mettre plutôt sur le compte d'un charmant
délire.
Le
style est vif, pétillant, agrémenté d'images et de formules frappantes :
L'univers est en expansion. Pourquoi pas nous ? (15) La vraie question qui se
pose n'est pas dans l'itinéraire mais dans son choix. (35) Combien de lapins
attendent leur tour, blottis dans le chapeau? (73-74) Je me suis promis (...) de
m'extirper de l'eau avant d'être cuite. (84) C'est la manie de trop décider sa
vie, souvent, qui la vide de sa substance. (110) Parmi les personnages qui
veillent en vous, lequel a pu prendre la parole ? (155)
Un
manuel de sagesse, désinvolte parfois, mais qui nous place devant le miroir.
Sous le badinage, la gravité.
octobre 2013
Jean-Claude Monod, Qu'est-ce qu'un chef en démocratie? Politiques du charisme
Seuil, 2012, coll. L'ordre philosophique, 315 p., 21€
Pour cerner la figure du détenteur du pouvoir politique, l'auteur propose
différentes images. Tout d'abord, inspiré par A. Kojève (La politique du
pouvoir, Gallimard, 2004), il distingue (p. 64) quatre figures : celle du Père
(selon la scolastique médiévale), celle du Maître (selon Hegel), celle du Chef
(selon Aristote), celle du Juge (selon Platon). Plus loin (p. 108 & sv), deux
images encore : celle du pasteur - le guide - (de Moïse à... J.-J. Rousseau),
celle du tisserand - le rassembleur - (prônée, par exemple, dans Le Politique de
Platon). Des images suggestives qui viennent bien à point pour éclairer le
développement théorique rigoureux.
A
quoi tient donc le charisme du père, du juge, du tisserand...? Comment se
déploie-t-il, pour le meilleur ? Ou pour le pire ? Quand et comment, par
exemple, le pasteur devient-il führer, duce ou timonier...?
Pour répondre à ces questions essentielles, l'auteur entreprend un vaste
parcours historique qui se clôt sur Lula et Obama, en passant par Napoléon, qui
a tout accompli trop vite (p. 272), Staline, à la bienveillante terreur (p. 72),
Hitler (la dictature comme purification..., p. 188), De Gaulle, Vaclav Havel,
Kennedy, Mitterrand... En égratignant au passage l'exhibo-cratie d'un récent
quinquennat.
Le
but du livre : former des citoyens éclairés, aptes à refuser la dépossession
démocratique (v. p. 304). Et il cite, bien à propos (p. 273), le grand résistant
et moraliste René Char : Je n'écrirai pas de poème d'acquiescement (Feuillets d'Hypnos,
Pléiade, 1983, 202.
novembre 2013
Michel Serres, Le temps des crises, Poche-Le Pommier, 2012, 112 p., 8€.
Il
est grand temps de prendre la mesure du changement accéléré de nos conditions de
vie. Quelques chiffres : la population rurale (agriculteurs et métiers associés)
est passée - en Europe occidentale - de 50% à 2% en un peu plus d'un siècle;
dans l'ensemble du globe, la population urbaine passe de 3% en 1900 à 14% en
2000, et avoisinera les 70 à 75% en 2030; quant à la mobilité des personnes,
elle a été multipliée par 1000 depuis 1800. Des connexions tissent par milliards
un réseau d'échange et d'informations.
Il
est grand temps d'en observer les menaces. Car, dans cette frénésie créative, on
a trop peu pris en compte ce que Michel Serres appelle.la Biogée, (eau, flore,
faune, atmosphère...) : menacé, "le monde se venge et nous menace" (22) ! "L'air
et l'eau, sans bouche ni langue, qui parlera en leur nom?" (58).
C'est aux scientifiques que s'impose la tâche de sauver la Biogée : "Seule la
science a l'intuition et le souci du long terme (...) j'espère que ce livre le
montre" (82). Et il égratigne au passage la politique-spectacle de certains
écologistes : "Combien de soi-disant écologistes politiques savent un minimum
d'écologie vraie ? Riant, je propose d'ouvrir de petits stages où, accroupis sur
l'herbe, ils apprendraient" (97).
Deux serments clôturent ce savoureux opuscule. "Je jure (...) de vouer mes
connaissances à l'égalité entre les hommes, à leur survie, à leur élévation et à
leur liberté." (101) Le second serment, à la troisième personne, concerne les
savants autorisés à parler au nom de la Biogée : ceux qui refusent d'être
inféodés à la religion, à l'armée, à l'économie : "laïques, ils jurent de ne
servir aucun intérêt militaire ni économique" (103).
décembre 2013
Philippe d’Iribarne, L’Islam devant la démocratie Gallimard, Le débat, 2013, 183
p., 19.90 €
L’auteur a souvent rencontré le monde musulman, au Maroc, en Jordanie, en Iran,
en Indonésie… ; il s’interroge, dans cet ouvrage, « sur l’accueil que les pays
musulmans réservent à la démocratie » (11).
L’Islam s’enracine dans la soumission au message du Coran : celui-ci, « venu de
Dieu », ne souffre pas la contradiction : « Par conséquent, pas de demi-mesure
entre la soumission et le refus (…) ; ceux qui veulent suivre une voie
intermédiaire : ceux-là sont vraiment incrédules » [v. Sourate IV, 150-151]
(49). Si le Coran présente Dieu comme « le miséricordieux » (c’est le
calligramme de la couverture), il précise que « cette miséricorde est réservée
aux seuls croyants (…) ; entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, il
existe un gouffre radical, seraient-ils père et fils ». [v. Sourate IX, 113-114]
(58-59)
Tout autre apparaît la Bible et surtout le message du Christ, offerts à la
liberté d’adhésion ou de rejet : l’auteur cite à ce propos des dizaines de
passages ! (147-157)
La
divergence est donc forte entre la Bible et le Coran. De même, entre la
Déclaration universelle des droits de l’homme et la Déclaration sur les droits
de l’homme en Islam. Pour celle-là « Toute personne a la liberté de pensée, de
conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion
(…) » ; pour celle-ci : « L’Islam est la religion de l’innéité. Aucune forme de
contrainte ne peut être exercée sur l’homme pour l’obliger à renoncer à sa
religion (…). »
On
l’a compris : si la souveraineté n’appartient qu’à Dieu, [v. Sourate XXXV, 13],
si c’est le Coran – « fait des mots mêmes de Dieu » - qui est la seule source de
certitude, si on ne peut penser que « conformément à l’intelligence divine »
(70), on ne voit pas comment l’Islam peut accepter la démocratie, qui se fonde
sur le pluralisme, le débat, le doute, la liberté de pensée.
« La vague actuelle de fondamentalisme mondialisé va-t-elle céder (…) devant des
formes nouvelles d’islams locaux susceptibles d’être ouverts au doute, à la
critique et au pluralisme ? Pour le moment, on ne les voit guère venir. » (180)
Uri Eisenzweig, Naissance littéraire du fascisme Seuil, La librairie du XXIe
siècle, 2013, 170 p. 19€
Recension par Cécile VOISSET-VEYSSEYRE, sur le site non.fiction.fr
14.42.2013
“Évitons d’abord tout malentendu : il n’y a pas eu qu’une seule naissance du
fascisme, car il n’a pas existé qu’un seul fascisme.” Ainsi s’ouvre le livre
d’Uri Eisenzweig, Naissance littéraire du fascisme, publié au Seuil dans la
collection de Maurice Olender, qui se risque à donner “le marqueur de tout
fascisme : une vision organique de la Nation”. Ce faisant, il met à profit les
travaux de l’historien Zeev Sternhell qui voit dans le nationalisme organique de
la France de l’affaire Dreyfus la naissance d’«un discours antisémite nouveau, à
rebours de l’argumentation traditionnelle».
Mais c’est pour refuser l’approche historiographique stricto sensu. Car
l’approche de ce livre est non pas historienne mais formelle; c’est une analyse
“centrée sur la question de la forme”. Aussi la question à laquelle répondre est
: comment des choix formels et littéraires entraînent-ils une transformation
idéologique ? La thèse du livre, reformulée tout au long d’une démonstration en
trois temps, est que le combat barrésien contre le récit comme forme privilégiée
du vrai conduit à poser l’existence d’une identité organique “immotivée”,
c’est-à-dire ne se légitimant par aucune discursivité narrative.
La
démonstration commence par une lecture détaillée des Déracinés de Maurice Barrès
(1897, commencé en 1895), cet anti-intellectualiste et anti-universaliste qui
inaugure un discours proto-fascisant par les implications formelles de son
entreprise littéraire ; car “ce curieux roman antiromanesque […] esquisse le
principe fondateur de l’antidreyfusisme à venir – et à travers lui, la matrice
fondatrice du discours fasciste”.
Cela nécessite de s’interroger sur un changement de paradigme dans la
littérature désormais discréditée comme roman – processus narratif renvoyant à
une réalité – par toute une génération ; en l’occurrence, il s’agit de lire un
Barrès anti-balzacien qui incarne l’antiroman par la mise en question
généralisée du réalisme narratif. De ce point de vue, il est facile de
déréaliser, c’est-à-dire de nier, Dreyfus en le réduisant à un personnage – à
une fiction − dont il importe finalement peu de savoir s’il est innocent ou non,
alors que s’affairent ses défenseurs pour prouver qu’il n’a pas trahi ;
s’inscrit déjà là le nouveau statut littéraire réservé au juif.
Contre Sternhell pour qui l’affaire représente le tournant dans l’engagement
d’un Barrès nationaliste et antisémite, Eisenzweig pose donc que c’est une
vision engendrée par la crise du roman qui explique ce fascisme naissant de la
plume barrésienne ; ainsi avons-nous affaire à une “conception de l’identité
authentique comme échappant à tout récit parce que physiquement, organiquement,
quasi biologiquement […], liée à la terre […]” ; ainsi s’entend par après le
discours antidreyfusard d’une vision organique, non narrative, de la société et
de l’identité nationales. Pour Barrès, le récit est un poison.
Le
deuxième temps de cette “lecture de l’émergence du discours fasciste à travers
la transformation fin de siècle des rapports entre récit et vérité” s’attache à
un dreyfusard de la première heure et au dernier véritable anarchiste que fut
Bernard Lazare, lequel comprit que l’antisémitisme est d’abord une production
narrative. Eisenzweig élucide les raisons de son silence à partir de 1898, autre
élément inquiétant quant à la naissance d’un fascisme à la française. Lazare
figure en effet le symétrique inverse de Barrès et partage avec lui les mêmes
prémisses : un “rejet commun du privilège narratif dans l’appréhension du vrai”.
Car pour lui, l’antisémitisme est une machine à récits ; le récit officiel de la
culpabilité de Dreyfus est de fait mensonger. Il était logique, attendu, que
cette attitude fût celle d’un anarchiste “et en particulier un de ceux qui
avaient participé à la jonction éphémère mais lumineuse entre le discours
anarchiste et la conception mallarméenne du langage, où la réalité est par
définition absente de ce qui prétend la représenter”.
Le
troisième temps de l’étude mène la lecture au Journal d’une femme de chambre du
dreyfusard Octave Mirbeau, publié en 1900 et en miroir de l’affaire. Là encore,
le roman s’organise autour d’une absence de progression ou d’intrigue narrative
; il raconte en effet l’errance circulaire d’une déracinée et renvoie l’image de
cet antisémitisme par la figure du jardinier – un enraciné – Joseph. Ainsi, le
texte de Mirbeau entre-t-il en résonance avec celui de Barrès, associant la
question juive à l’irruption du récit dans un univers qui en semblait
jusqu’alors dépourvu ; ainsi, la fiction constitutive de cet Autre se
dessine-t-elle dans le texte fascisant qu’au fond il dénonce.
Cette étude passionnante, pleine de ressources, se saisit de nombre d’arguments
et convoque nombre de références (avec un index rendant aisés les retours aux
auteurs) qui permettent le prolongement de la lecture. La référence à Buñuel,
qui transpose dans les années 1930 le roman de Mirbeau, tend en effet à en
élargir le champ historique – l’intérêt littéraire – en laissant finalement
entendre que l’attaque de la bourgeoisie par les ennemis du fascisme signifie
que ce dernier parle également pour cette même classe sociale.
En
résumé : Une étude passionnante d’analyse littéraire qui force à revoir nos
habitudes de penser la politique comme si l’histoire en était la seule mesure.
Uri Eisenzweig, professeur de littérature française, Rutgers Université, USA.
Recherches sur Nerval, Camus, le roman policier. A publié en 2001 Fictions de
l'anarchisme, Bourgois.
Fevrier 2014
Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi - Dépression et société Odile Jacob,
1998, 320 p. (texte 1-252; notes 253-320), 23€ [v. papier], 13,99€ [v.
numérique]
L'ensemble de cet ouvrage concerne plutôt un public d'experts - médecine
générale, neurologie, psychanalyse, pharmacologie.
Nous conseillerons cependant la lecture de quelques chapitres qui abordent deux
questions particulièrement préoccupantes pour les professionnels de l'éducation,
de l'aide sociale, de l'animation culturelle, de l'organisation des loisirs, des
relations humaines... : comment l'évolution de la société explique la fréquence
accrue de la dépression, et comment celle-ci est en lien étroit avec le
phénomène de l'addiction.
Le
monde de l'entreprise est conditionné par le primat du rendement, de la
flexibilité, de la concurrence, de la performance, autant de contraintes qui
engendrent l'angoisse : L'entreprise est l'antichambre de la dépression (199).
Une autre... antichambre : l'école. Elle est touchée par le principe - pervers -
de la réussite, de la sélection, du dépassement - se soi et du rival : les
exigences qui pèsent sur l'élève s'accroissent tandis qu'il assume lui-même la
responsabilité de ses échecs, ce qui ne va pas sans engendrer des formes de
stigmatisation personnelle (200).
Si
le lien est étroit entre dépression et addiction, c'est parce que le dépressif
se sent frustré, et finit par croire au confort par l'alcoolisme et la
toxicomanie. Le remplissage addictif apparaît comme l'autre face du vide
dépressif (143).
Au
fait, de quoi parle-t-on, s'agissant de dépression ? D'entrée de jeu, l'auteur
ne craint pas de le déclarer : hier comme aujourd'hui, les psychiatres ne savent
pas la définir (10) ! Et de le rappeler, plusieurs fois. La définir, ce serait
avoir vraiment prise sur elle. Alors, faute de pouvoir guérir, on soutient
(214), et le dialogue compte pour beaucoup : les proches du dépressif en savent
quelque chose.
mars 2014
Maurice Godelier, L'énigme du don, Champs essai, Flammarion, 2008, 315 p., 10€
L'auteur consacre presque la moitié de ce livre à Marcel Mauss (1872-1950), le
père de l'anthropologie française, dont il revisite les oeuvres, surtout le
célébrissime Essai sur le don (1923-1924).
Lui-même anthropologue (il a étudié, entre autres, les pratiques sociales des
Baruya de Nouvelle-Guinée), il observe, dans le don, don offert, don en retour,
ce qui donne à une ethnie son unité, son identité, sa permanence : une vie
sociale où l'échange et la transmission ont un fondement sacré. Et le sacré
distingue l'homme de l'animal : « les êtres humains sont tels qu'ils ne vivent
pas seulement en société comme les autres animaux sociaux, mais qu'ils
produisent de la société pour vivre » (239).
Produire de la société ! Qu'en est-il aujourd'hui, où le don est « coincé entre
deux puissances, celle du marché et celle de l'Etat ? » (12) L'auteur clôt son
ouvrage sur cette question. Dans la société du bizniz (comme prononcent les
Baruya...), le don n'est-il pas devenu simple rituel, simple convenance ? Quel
rôle tient-il dans le tissage social ? Maurice Godelier semble plutôt optimiste
: « Dans notre culture, le don continue à relever d'une éthique et d'une logique
qui ne sont pas celles du marché et du profit, et qui même s'y opposent, leur
résistent. » (291)
Avril 2014
José Morel Cinq-Mars, Du côté de chez soi. Défendre l'intime, défier la
transparence Seuil, coll. La couleur des idées, 2013, 230 p. 21€
On
l'aura remarqué : il y une petite musique proustienne dans ce titre, et l'auteur
de La recherche, "ce champion de l'introspection" (228), est effectivement
évoqué çà et là au fil des pages.
Mais pour l'auteure, psychanalyste bien connue, l'introspection n'est point
repli narcissique d'un "petit moi qui se prendrait pour le centre du monde "
(47) : l'intime dont elle parle est le lieu de la connaissance et de la
construction de soi, du développement d'une richesse personnelle qui résiste à
cette frivolité de l'exhibition - du plaisir d'être vu (que l'auteure appelle
"la pulsion scopique" - 57, ou "la transparence imposée" - 218) - et qui n'a
rien à voir avec l'authentique rencontre de l'autre. "Se fermer sur ses espaces
intérieurs, s'ouvrir à l'autre : deux temps dont il faut apprendre à réguler
l'alternance si l'on veut préserver et l'intime et les liens qui peuvent
l'accueillir" (148).
Le
livre se termine en soulignant l'importance du langage, par où l'intime se
construit et s'affirme : l'image, la métaphore, l'allusion, le débit, le
souffle, le jeu sur le son et sur le sens... sont autant d'affirmations de la
liberté intérieure ! "Aussi longtemps qu'on peut penser «non», même si on est
forcé de dire «oui», une part de soi échappe au pouvoir de l'autre et s'en
libère" (229).
Mai 2014
Relever les défis de l'Education nouvelle * 45 parcours d'avenir
Coordination : Odette et Michel Neumayer - Étiennette Vellas. Préface : Philippe
Meirieu. Éd. Chronique sociale 2009. 272 p. 16.90€
Ils et elles se sont engagés dans ce projet de rénovation et témoignent au nom
de ces nombreux enseignants et éducateurs dont l'action se fonde sur la
conviction du Tous capables ! De fieffés optimistes, par conséquent, qui osent
parier sur l'éducabilité de chacun.
Quels sont leurs atouts ?
Tout d'abord, chez beaucoup d'entre eux, l'influence décisive d'un milieu
familial et social ouvert au désir de justice, d'émancipation, de tolérance, de
respect des droits de chacun.... où se rejoignent et fraternisent celui qui
croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas.
La
pratique du travail en équipe favorise l'estime mutuelle, la collaboration,
l'ajustement et la réussite des pratiques pédagogiques. C'est à cent lieues du
chacun dans son coin ! «Je ne peux plus voir le métier d'enseignant comme un
travail solitaire.» (64)
L'élève au centre: vaste programme à cent lieues de la démagogie. Une parole
vraiment écoutée suscite la motivation : «Alors des projets très stimulants se
créent.» (172). La prise en compte des possibilités de chacun doit être
intensifiée : «les systèmes qui ont le moins d'échecs scolaires sont ceux qui
pratiquent l'hétérogénéité». (168)
En définitive, qui sont-ils, ces acteurs de l'éducation nouvelle ? Ph. Meirieu
répond : «Ils auraient pu se calfeutrer dans la 'belle souffrance' de ceux et
celles qui se vivent comme des victimes pour justifier leur immobilisme (...).
Ils ont, au contraire, tenté de résister. Résister à la fatalité : celle des
dons, celle des 'héritiers', celle de l'exclusion.» (8)
juin 2014
Sven Ortoli & Michel Eltchaninoff, Manuel de survie dans les dîners en ville,
Seuil, 2007, 148 p. 14€
S'agissant d'un opuscule concocté par deux philosophes, le lecteur futé se doute
bien qu'il ne s'agit pas de propos sur la bouffe, façon Jean-Pierre Coffe, mais
de considérations subtiles sur l'humaine condition égrenées au fil des étapes de
ce rituel mondain qu'est le dîner en ville.
Subtil - mais parfois féroce - le regard porté sur une tablée de fats, de
narcissiques, de pédants, de maniérés et de faux-culs ! C'est du La Bruyère pour
notre temps. C'est également une occasion de réviser Épicure, Voltaire,
Rousseau, Spinoza, Carl Schmitt, Heidegger, Régis Debray... Et nos deux compères
philosophes d'y entendent pour nous rappeler leur constante actualité !
C'est aussi du Montaigne, souvent évoqué : « L'homme ? " Il faut le mettre en
chemise", lui ôter ses prétentions : "c'est un subject merveilleusement vain,
divers, et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et
uniforme" » (p. 145).
Joli tableau d'une certaine société, où il est important de paraître !
septembre 2014
Jean PICQ, La liberté de religion dans la République - L'esprit de laïcité Odile
Jacob, mai 2014, 176 p., 18 €
Il
a fait SciencesPo et y enseigne l'histoire des rapports entre politique et
religion. Il est également licencié canonique en théologie et en philosophie ;
il a exercé de hautes fonctions dans les rouages de l'État (Cour des comptes,
Conseil constitutionnel...).
C'est dire qu'il en connaît un brin sur cette question : comment promouvoir une
laïcité « ouverte et plurielle », fondée à la fois sur le respect, qui reconnaît
l'apport positif des religions au débat public, et sur la retenue, c'est-à-dire
sur un double refus : du pouvoir religieux de s'insérer dans les affaires
politiques, et du pouvoir politique de s'insérer dans les affaires religieuses.
Spinoza, Emmanuel Levinas, Paul Ricoeur, Claude Lefort, Marcel Gauchet... : ces
penseurs ouverts au dialogue inspirent largement notre auteur, catholique
républicain.
Ce
livre est à recommander chaudement aux enseignants et aux éducateurs : ils sont
au premier rang pour former les jeunes à une laïcité tolérante, au refus du
rejet de l'autre et du repli sur soi. Il leur incombe d'être vigilants dans la
lutte contre les préjugés et les communautarismes !
Citons à ce propos Michel Serres : Le même nous obscurcit et l'autre nous
éclaire. Le même nous enterre et l'autre nous sauve. (L'art des pont. Homo
pontifex. éd. Le Pommier, 2006, p. 211) ; ou encore Christian de Chergé, moine
de Tibéhirine : Le respect est un regard vers le paysage de l'autre (cité par
J.-C. Guillebaud, Le commencement d'un monde, Seuil, 2008, p. 145).
octobre 2014
Fabrice Midal, La tendresse du monde * L'art d'être vulnérable, Flammarion,
2013, 194 p., 17€.
Critique d'art, professeur de philosophie, fondateur de l'École Occidentale de
Méditation, il a lu et relu tout Kafka, et découvre avec lui que "nos sociétés
modernes ne permettent plus à l'être humain de vivre librement. (...)
Devons-nous l'accepter ? Avec Kafka, il faut dire non, et qu'une autre vie est
possible" (55).
Une autre vie... où l'on ne glorifie pas les gros bras, mais où l'on reconnaît
et respecte la fragilité - "Il faut nous confronter à l'obscur" (79) - et où le
salut ne pourra venir que de la tendresse : cette "expansion de coeur qui vient
de notre propre vulnérabilité" (131) et nous porte vers la vulnérabilité de
l'autre. Telle serait la vraie sagesse, à cent lieues de cette philosophie
hautaine et lointaine "qui ronronne de colloque en colloque"... (71).
Le
Samaritain de l'évangile (Lc 10, 25-37), qui porte secours à la victime
abandonnée, "n'est pas l'homme sage, l'homme savant, mais le païen. L'homme de
rien." (63), Il trace, aujourd'hui encore, une route de salut.
novembre 2014
Frédéric SCHIFFTER, Le charme des penseurs tristes, essai. Flammarion, 2013, 162
p., 17 €
On
peut croire qu'il y aurait effectivement un charme particulier à fréquenter des
penseurs tristes, surtout ceux, parmi eux, qui suscitent chez le lecteur
l'émotion, la compassion, la pitié...
Mais détrompez-vous ! Ceux que notre philosophe appelle penseurs tristes ne
visent guère l'émotion ; leur discours est plutôt dans le registre du dédain, du
rejet, de la provocation, du scepticisme. Et aussi dans celui de l'ennui, du
désoeuvrement, du cafard.
Pas étonnant de rencontrer, dans cette catégorie, l'Ecclésiaste - "le prophète
de l'à-quoi-bon", La Rochefoucauld - "le plaisir de rabaisser", Mme Du Deffand,
"la marquise du cafard", de même que Cioran - "la métaphysique dévastée" et
quelques autres, moins connus du lecteur ordinaire, tels que : Roland Jaccard le
nihiliste, Albert Caraco qui "déteste la vie à en mourir", Nicolas Gómez Dávila,
réactionnaire écoeuré, Henri Roorda, pour qui "l'ennui, c'est toute [sa] vie",
etc.
Alors, à quoi tient, selon l'auteur, ce charme des penseurs tristes ? Ce serait
dû, prétend-il, à la qualité de leur écriture: "le réactionnaire n'a qu'une
idole : le style" (p. 135). Le brillant de la forme tiendrait-il surtout à la
mélancolie, "mère des muses" (p. 15) ? Vraiment, rien n'est moins sûr !
[Il vient de publier Dictionnaire chic de philosophie, Préface de Frédéric
Beigbeder, Ecriture, 286 pp., 23,95 €.]
Précisons que l'auteur se limite à la France dans l'analyse de ce qu'il appelle
le déclassement, ou la mobilité descendante. L'analyse est rigoureuse et
détaillée. Bornons-nous à ceci, qui illustre bien la situation : "Dans la France
des années 2000 et à l'âge de 40 ans, un fils de cadre supérieur sur quatre et
une fille sur trois sont employé(e)s ou exercent des emplois ouvriers." (43-44)
: emplois d'exécution, au lieu d'emplois d'encadrement.
Ce
déclassement - "l'angoisse d'avoir rompu l'histoire glorieuse ce la lignée"
(101) - est parfois à l'origine de drames : divorce, alcoolisme, tentatives de
suicide... Le sentiment de frustration, de dévalorisation, tient antre autres à
la dévalorisation des titres scolaires : "Pour mes parents, c'était clair : tu
travailles à l'école, tu as ton bac, tu vas à la fac (...) et tu réussiras dans
la vie (...). Finalement, eux, pas trop d'études et une belle place, moi un BTS
et rien de bien réjouissant." (96)
Le
déclassé tient à se démarquer de l'assisté : " J'aurais pu me laisser aller,
toucher le RMI (...), non, j'ai toujours eu le courage de me lever le matin et
d'aller bosser" (139). Dénoncer l'assisté : un thème cher à l'extrême-droite...
Mais, le déclassé adhérera-t-il pour autant au Front national ? L'auteur se
montre ici prudent et nuancé : "Plus qu'un vote d'adhésion aux idées du Front
national, le vote d'extrême droite serait l'occasion saisie par les électeurs
déclassés d'exprimer colère, désarroi, sentiment d'injustice et de frustration."
(149)
François JULLIEN, De l'intime. Loin du bruyant Amour, Grasset, 2013, 240 p., 19€
Comment parler de l'intime sans nous emporter ? "Repartons d'au ras de la
langue", répond l'auteur : distinguons donc ce qui est contenu au plus profond
d'un être - le dedans, et ce qui lie étroitement par ce qu'il y a de plus
profond - le dehors (23). Entre l'un et l'autre, le partage (ce mot revient des
dizaines de fois !), la connivence... Cette définition, notre auteur la creuse
au fil des pages : "On ne saurait être restreint, médiocre, quand on accède à
l'intime" (34). Ce qui compte, c'est "jusqu'où je suis capable d'aller, de me
livrer et de basculer de mon dehors dans ce dedans partagé" (116-117). "C'est en
m'ouvrant à la transcendance de l'Autre (...) que je suis moral" (133). Vous
avez dit 'transcendance' ? Serions-nous, ici, dans la perspective métaphysique
et spirituelle d'Emmanuel Levinas "où Dieu vient à l'idée" (1) ? Il nous semble
que non : Fr. Jullien veut s'en tenir à un discours d'humanité et de raison. Pas
au-delà !
Érudit et fin lettré, il nous propose en une bonne centaine de pages une
brillante exégèse sur ce sujet de l'intime : de la Chine à la Grèce (Homère,
Euripide, Socrate), saint Augustin, et surtout des auteurs plus proches de nous
: Montaigne, Rousseau, Stendhal, Madame de la Fayette... Reste à savoir, chez
ces auteurs, si la sincérité du texte reflète la réalité du vécu !
En
résumé, une belle leçon de sagesse ! Prenons donc garde : la vie s'étiole en
s'enfermant (cf. 136) !
(1) Emmanuel Levinas, Altérité et transcendance, LP, Biblio-essais , 2006, p.
29.
L'auteur l'affirme clairement d'entrée de jeu : "Le mythe judéo-chrétien ne me
prépara pas à penser les idées de Tout et d'infini. (...) C'est ma propre
intuition de philosophe qui, spontanément, provoquait mon éloignement, mon refus
de la voie monothéiste (p. 13)." C'est dans dans le réel, dans la Nature, et non
dans le mythe, que l'infini est à découvrir, dans les mondes innombrables, aussi
bien coexistants que successifs, dans un mouvement "qui ne peut avoir de fin",
comme le déclare Aristote (v. p. 160); ce qu'affirme également Pascal : "la
raison porte l'infini en elle" (143).
Au
fil des pages, Marcel Conche nous met à l'écoute des penseurs et chercheurs de
jadis - Platon, Aristote, Épicure... - et de naguère - Montaigne, Pascal,
Bergson... Une confrontation brillante, érudite, où il sait marquer nettement
l'assentiment comme la distance.
Autonomie, altérité. L'auteur souligne l'importance d'une recherche indépendante
: "Tout être humain est en droit auto-créateur, ayant en lui de quoi forger sa
propre interprétation de monde" (p. 147.) Cette liberté est, certes, essentielle
: "L'on peut, et même l'on doit, philosopher seul. Mais l'on ne peut être
heureux seul" (p. 154). Ouvre-t-il pour autant la porte à une altérité selon
Levinas, un cheminement pour explorer l'INFINI dans le visage de l'autre ?
(1) Altérité et transcendance, LP, Biblio-essais , 2006, p. 29
mars 2015
Jean-Yves TADIÉ, Le roman d'aventures, coll. Tel, Gallimard, rééd. 2013, 220 p.
8,90€.
Avant 1800, de l'Iliade à Robinson Crusoé, en passant par Héliodore et
Cervantès, le roman d'aventures est représenté par quelques oeuvres célèbres, et
toujours revisitées. Spécialiste de ce genre littéraire, l'auteur en retient
quatre grandes figures du 19e siècle : Alexandre Dumas, féru d'histoire et
brillant conteur, Jules Verne, ingénieur et géographe, maître du roman
d'anticipation, Robert Louis Stevenson, critique littéraire et essayiste avant
d'être romancier, Joseph Conrad, "psychologue, poète, philosophe, ou marin, ou
polonais", et qui fut tout cela,,, "en n'écrivant que des romans d'aventures" !
(149).
"Ce qui nous importe, déclare d'entrée de jeu J.-Y. Tadié, c'est l'esthétique du
genre (...) telle qu'elle s'incarne dans l'oeuvre de quatre grands artistes
(...) : l'aventure classique, l'aventure moderne, l'aventure poétique et
l'aventure métaphysique" (27-28). Et il revient sur cette idée, dans la
conclusion de son étude : "Le roman est un tissu de symboles, mais à condition
d'être lu d'abord comme un roman, de pouvoir même se contenter d'une lecture qui
reste au niveau du romanesque" (185).
Pas étonnant, donc, de voir chez ce critique une attention très minutieuse,
vigilante, éclairée, aux détours de l'écriture, un souci d'être "au ras du
texte" : à chaque page, en effet, des extraits bien choisis étayent ses
appréciations.
Peu d'observations, il est vrai, sur l'aventure... du lecteur de romans
d'aventures. Sans doute n'est-ce pas le propos de l'ouvrage... Mais le sujet
mérite d'être creusé ! Que se passe-t-il, qu'est-ce qui se construit chez le
lecteur de ce genre d'écrit : anticipation, identification, réminiscences,
empathie, tissage intertextuel...? L'enseignant de français, formateur de
lecteurs éclairés, est preneur pour en savoir plus dans ce domaine !
avril 2015
Patrick Willemarck, Nos savoirs à l'épreuve * Sous l'empreinte des médias, la
raison se perd Éd. Espace de liberté, 2014, 190 p. 15€
Comment demeurer libre dans une société où se déploie la pression des médias qui
"nous disent comment le monde doit être lu" (19), qui "dramatisent les problèmes
au lieu de les traiter" (24), qui valorisent l'imitation et la copie - "
l'aspirant singe, pas l'aspirant homme libre" (77), qui "observent - sur le web
- ce que nous publions, échangeons, achetons, vendons" (96) ?
Pour faire face, pour éviter que la raison ne se perde pas, s'impose la
nécessité d'une "école de la liberté", de l'initiative et non de la répétition,
du copier-coller. A ce sujet, l'auteur évoque pertinemment un recours
intelligent à Wikipedia : pas pour le lire, mais pour y... écrire (v. 77) .!
Ainsi se développera l'esprit critique du citoyen, disposé à "une approche
participative qui donne le pouvoir aux gens" (88) ; ainsi se formera ce qu'il
appelle élégamment "l'intelligence publique" (165, 180...)
Une citation de Kant (119) illustre bien le propos de l'ouvrage : Aie le courage
de te servir de ton propre entendement !
mai 2015
Jean Soler, Le sourire d'Homère Éd. De Fallois, 2014, 236 p., 18€
L'auteur est bien connu pour avoir analysé brillamment le message religieux de
la Bible, entre autres dans L'invention du monothéisme (2002) et Qui est Dieu?
(2002). Rien de commun, affirme-t-il, entre le Dieu des Hébreux - à la fois
maître et providence - et les dieux de l'Olympe," qui sont issus de
l'imagination des hommes" (117) : narrer leurs aventures, particulièrement chez
Homère, est un "jeu littéraire" (59) de création poétique et narrative qui tient
plus de l'extra-ordinaire que du sur-naturel (129). Jean Soler y voit "l'indice
d'une société assez clairvoyante pour prendre ses distances avec la religion"
(ibid.).
Les exploits guerriers sont constants dans l'Iliade et dans l'Odyssée. Et les
dieux n'y sont pas étrangers. Mais il n'y a rien de positif à attendre de la
guerre : "il n'existe pas pour Homère, de 'guerre sainte' ou de guerre juste'.
La guerre est toujours une calamité." (65). Ce n'est donc pas la violence -
hubris - mais la raison - logos - qui prévaut ! Tel est, pour la cité grecque,
le fondement de la démocratie "qui reconnaît à chaque individu une valeur
propre, le droit d'avoir des opinions personnelles et de les exprimer librement"
(182).
Homère nous propose une sagesse, une sérénité, un... sourire "qui colore le réel
d'irréalité, pour l'apprivoiser en le rendant plus attrayant ou moins difficile
à supporter" (231). Toujours actuel, donc !
juin 2015
Alain-Gérard SLAMA, La société d'indifférence Plon, 2009, rééd. éd. Perrin, 2010, coll. Tempus, 240 p., 8 €
La
démarche de l'auteur s'inspire largement de deux livres - deux manifestes "pour
une vigilance constamment en éveil" - "l'un en raison de sa passion pour la
liberté, l'autre en raison de son engagement pour la vérité" (14) : Le Coup
d'État permanent, de François Mitterrand, publié en 1964, et La Tragédie
algérienne, de Raymond Aron, paru en 1957, sous la couverture de «Tribune
libre». L'un dénonce l'exercice gaullien du pouvoir ; l'autre reconnaît
l'indépendance de la colonie comme la seule politique raisonnable.
Quand A.-G. Slama publie son livre, un "hyperprésident" - dont il taira le nom !
- détient le pouvoir en France depuis presque deux ans. Un pouvoir quasiment
autocratique qui tient beaucoup du spectacle, de l'exhibition du moi, souvent de
la provocation : le citoyen se fait spectateur, se sent peu engagé, devient
indifférent, alors que la politique du chef met en péril la cohésion sociale,
exacerbe les postures identitaires.
L'analyse est rigoureuse, intelligemment mise en perspective par le rappel
préalable des présidences antérieures, de Charles De Gaulle à Jacques Chirac.
De l'outrance, sans doute, notamment quand l'auteur trouve la laïcité menacée
par l'engagement du religieux dans le débat démocratique (*).
A
retenir, surtout, la conviction qu'un État prend sa force quand il sait susciter
la responsabilité des citoyens, quand ceux-ci, "de droite ou de gauche, se
découvrent encore capables d'élever la voix pour défendre les libertés" ( 217).
---
(*) « (...) s'appuyer sur les contenus convergents des différents cultes pour
faire avancer la tolérance ne peut qu'aggraver les divisions et les rejets. »
(142)
Décidément, l'auteur n'est pas tendre pour les politiciens ; et c'est à ceux qui
gouvernent la France qu'il s'en prend tout particulièrement.. "La politique est
pour eux un métier et non un dessein. L'objectif est de prendre le pouvoir et de
s'y maintenir." (16). Manquant de courage, d'audace, de créativité, leur seule
proposition est la normalité qui paralyse. L'obsession de l'équilibre induit une
discipline budgétaire - "la barbarie de l'austérité" (41) - qui aggrave la
détresse des populations et accroît la violence politique.
Nous voilà, dit-il, à Normaland, le pays de la normalité, où l'on préfère
l'attente à l'action : "surtout ne rien faire, surtout ne pas bouger pour ne
rien bousculer, surtout ne rien tenter pour ne prendre aucun risque." (95).
Comment en sortir ? Il faut retrouver "le rêve et la rage", "permettre à chacun
de pouvoir agir sur sa vie et non plus de subir" , et que la politique ne soit
plus "un jeu médiocre et intéressé, la conquête du pouvoir pour le pouvoir"
(109).
Le
rêve et la rage... ! La formule est jolie et généreuse (autant que la critique
est souvent simpliste et outrancière). Mais il est vrai qu'il est important et
urgent d'encourager l'audace, voire la prise de risque. Et que, dans ce but,
"l'éducation doit être repensée. Elle est aujourd'hui une machine à trier et à
recruter les élites". (135) Elle formera de bons citoyens... et de bons
dirigeants, si elle promeut et récompense la "pensée créative" (144) et le goût
de l'invention, du défi, de l'aventure, plutôt que la stérile copie du même.
août 2015
Hervé Kempf, Fin de l’Occident, Naissance du monde, Seuil, 2013, 152 p., 15€
Une évidence historique : pour l'Occident, c'est la fin d'une suprématie de
quelques siècles ! « Après avoir transformé le monde, les Occidentaux rentrent
dans le rang. » (31) Inde, Chine, Brésil... : les pays émergents rattrapent les
pays développés.
Autre évidence : Il faut en finir avec l'obsession d'une prospérité à tout prix,
parce que la croissance à un coût écologique : il faut donc « substituer une
culture de la solidarité et de l’entraide à une culture de l’individualisme et
de la compétition » (114), ce que l'auteur appelle "passer de néolithique au
biolithique : « vivre en accord avec les rythmes du vivant et les ressources de
la Terre » (137).
Voilà épinglée fortement la toute-puissance du capital ! Il importe d'
« écologiser l’économie » (99) en donnant plus d'importance aux cultures
vivrières qu'aux cultures d'exportation, de «libérer les chercheurs de la
tutelle du capital » (112), de dénoncer. une situation où 20% de la population -
les moins riches - détient 1% du revenu mondial (35).
Le
livre est un plaidoyer chaleureux - et richement documenté - contre le
gaspillage et le matérialisme, et aussi un appel à la tolérance, au respect de
la diversité des croyances. Ce qui invite au dialogue : « moins de biens, plus
de liens » (106) !
septembre 2015
Serge Gruzinski, L'histoire, pour quoi faire ? Fayard, 2014, 194 p., 18€
Largement inspiré par l'historien Pierre Chaunu et par le philosophe Peter
Sloterdijk, l'auteur plaide pour une approche globale de l'histoire. Il s'agit
de se dégager du repli sur l'histoire nationale dont on a pu mesurer les dérives
- la fascination du fascisme ! (55) - particulièrement dans la première moitié
de 20e siècle, mais aujourd'hui encore dans maints régimes totalitaires. À
l'heure de la mondialisation, de l'élargissement des horizons, de la
multiplication des échanges, des déplacements libres ou contraints de
populations, nul ne peut ignorer la culture, la mémoire, les aspirations de
l'autre. Paris, New York, Mexico, Berlin... : "chaque endroit, qu'on le veuille
ou non, renvoie renvoie à d'autres mondes et accueille des religions, des
mémoires et des modes de vie que rien ne préparait à une vie commune" (115).
Mais qu'en est-il, au fait, de l'enseignement de l'histoire, dans nos collèges
et dans nos lycées ? L'auteur cite notamment l'actuel programme de seconde qui
aborde la "notion plurielle de modernité" en expliquant que "ces modernités se
forgent au contact d'autres humanités et d'autres savoirs" (184). "Ce programme,
poursuit-il, témoigne des efforts méritoires de l'Éducation nationale pour
échapper aux vieux moule hexagonal" (ibid.).
Et
il illustre son propos en évoquant le travail de Laurent Guitton en classe de
seconde du lycée Jean-Rostand de Roubaix, cité multiculturelle et peu
favorisée... ; un travail qui aboutit à un spectacle, L'Aigle et le Dragon -
dont l'action se déroule aussi bien en Chine qu'en Amérique latine - monté dans
le cadre d'un apprentissage de l'histoire, où les lycéens, déclare leur
professeur, se sont montrés "capables par eux-mêmes d'accéder à une forme
d'écriture de l'histoire (...) en dépassant le roman national, insuffisant à lui
seul à donner du sens à leur parcours familial et social (...) afin de mieux les
préparer à leur futur rôle de citoyen du monde" (192).
Le
livre de S. Gruzinski, La pensée métisse, a été recensé deux fois sur le site
LMDP : voir cette page librairie, juillet-août 2007 & avril 2010
octobre 2015
Peter SLOTERDIJK, La folie de Dieu - Du combat des trois monothéismes
Fayard/Pluriel, 2012, 190 p., 8€. Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni
Gottes Eifer - tel est le titre original, paru en 2007 - cela peut signifier
aussi bien "le zèle de Dieu" que "le zèle pour Dieu". Et l'on se rend bien vite
compte que la seconde signification prévaut très nettement. Ce zèle monothéiste,
l'auteur nous en fait découvrir la vigueur, mais aussi les dérives, dans des
affrontements qui laissent des traces durables dans l'histoire de l'humanité.
C'est, tout d'abord, le monothéisme judaïque, qui s'affirme notamment dans la
libération de l'esclavage (l'extermination des premiers nés d'Égypte...) puis,
durant l'exil, dans le mépris des divinités étrangères. Apparaît ensuite le
monothéisme chrétien qui annonce le salut et la vérité en Jésus-Christ fils de
Dieu, non plus au seul peuple d'Israël, mais à toutes les nations, entendez : à
tout l'empire romain. Et au 7e siècle, c'est l'Islam qui, se réclamant du Dieu
unique et vrai, se définit dans un esprit de croissance et de conquête. Dans la
succession de ces trois monothéismes, esquissée ici très sommairement, l'auteur
souligne une certaine continuité : « Mohammed renouait avec l'exacerbation du
judaïsme postbabylonien qui se prolongea avec l'exacerbation zélatrice de Paul
et continua à développer ces principes dans le sens d'un militantisme intégral.
» (88).
Comment échapper à la folie de l'affrontement ? Une seule voie est ouverte, une
seule : déradicaliser l'alternative - le vrai, le faux - et accéder à la pensée
polyvalente (v. surtout 134-136). Pour y parvenir, le dialogue, bien sûr, mais
surtout le devoir d'altruisme « dans l'abandon du moi et dans le dévouement à
l'autre, grand ou petit. Dès lors, seul Dieu pourr[a] juger si un croyant lui
est plaisant » (149) ! La controverse dogmatique, aussi courtoise soit-elle, est
vaine et dérisoire, s'il n'y a pas d'engagement partagé dans l'altruisme. «
Qu'as-tu fait de ton frère ? » dit Dieu, aux premiers temps de l'humanité.
novembre 2015
François Dubet, La préférence pour l'inégalité - Comprendre la crise des
solidarités Coll. La république des idées, Seuil, 2014, 108 p., 11.80€
"
On peut se demander si le creusement des inégalités ne résulte pas de
l'affaiblissement des solidarités " (13). Le doigt est mis sur la plaie : cette
tendance au repli, au " refus de payer pour ceux qui ne le mériteraient pas "
(11). Aux yeux de l'auteur, parler de préférence pour l'inégalité n'est pas une
provocation. En effet, si les inégalités sont injustes (...) et " empêchent des
individus d'atteindre la vie qui leur semble bonne pour eux-mêmes " (74),
n'est-ce pas surtout par manque de solidarité, d'attention aux besoins d'autrui,
de volonté d'épanouir chacun selon ses possibilités ? Infirme ou valide, débile
ou surdoué... : " il s'agit moins de réduire les inégalités (...) que de
permettre à tous d'atteindre toutes les positions possibles en fonction d'un
mérite conçu comme la mise à l'épreuve de sa liberté ". (73)
Il
est donc urgent de recréer un imaginaire de la fraternité, de la solidarité, de
ne pas céder à la tentation du populisme qui est repli et exclusion, " rejet de
ceux qui ne sont pas semblables " (51).
Sont particulièrement interpellés les acteurs de l'enseignement et de
l'éducation : ils doivent refuser que l'école soit " une machine à produire des
inégalités " pour refonder l'école républicaine selon Jules Ferry " dans une
société où le mot « République » désigne plus qu'un régime politique : une
morale politique et une philosophie sociale " (58).
décembre 2015
Vincent Descombes, Les embarras de l'identité, NRF essais, Gallimard, 2013, 282
p., 21€
Ce
sont des expressions à la mode : revendiquer son identité, perte d'identité,
crise d'identité, reconnaissance de l'identité... Au fait, de quelles valeurs,
de quels rôles, de quels droits, de quels projets s'agit-il quand on parle
d'identité ? L'auteur remarque pertinemment que c'est précisément dans une
situation de crise d'identité que l'on perçoit le contenu de ce mot : "la crise
d'identité est avant tout une crise d'indécision" (120) : et il évoque ici le
célébrissime to be or not to be de Hamlet ! Dis-moi ce que tu décides, je te
dirai qui tu es... Et selon les situations, c'est tel ou tel rôle qui est joué.
L'identité serait donc plurielle, "à la façon d'une succession de rôles pour un
même acteur" (45).
C'est au cours de l'adolescence que l'individu construit son identité. L'auteur
cite à ce propos Louis Dumont : (s'ouvre alors) "une période de transition
marquée par l'inadaptation, l'irresponsabilité, voire la rébellion, qui peut
être longue et ne sera close qu'après la réadaptation du sujet à la société dans
un rôle par lui accepté". (133)
Dans la seconde partie de l'ouvrage, l'auteur passe de l'identité personnelle à
l'identité collective : on en retiendra surtout ses propos sur la place de
l'individu au sein du groupe, sur les manifestations nationales (fêtes,
commémorations, enseignement de l'histoire...) où "il ne s'agit pas de « lieux
de mémoire », mais de « lieux d'avenir », ou, si l'on préfère, de « lieux où
s'imaginer un avenir ». (227)
L'essai est abondamment étayé de références à des philosophes tels que
Wittgenstein, Dumont, Mauss, Locke, Erikson...; à des linguistes comme
Benveniste, Kristeva, Starobinski... Sont cités également, et bien à propos, des
textes littéraires signés Molière, Pascal, Voltaire, Proust, Rousseau,
Shakespeare, Plutarque... : des commentaires tout en finesse qui raviront le
professeur de lettres et de philo.
Heinz WISMANN, Penser entre les langues Albin Michel 2012, Rééd. Flammarion
2014, coll. Champs Essais, 310 p., 11 €
"Je suis convaincu que ce qui se joue entre les langues a lieu au niveau de la
syntaxe." (14) Nous voilà donc avertis ! Cette conviction éclaire tout
l'ouvrage. Le choix des mots, sans aucun doute, est éclairant ; mais plus encore
la construction syntaxique, qui tisse entre les mots une relation singulière et
qui, surtout, fait découvrir un auteur à travers le cheminement de sa pensée.
"Tout notre travail a été de montrer, à travers la syntaxe, qu'il y a bien là,
dans ces textes, un sujet qui parle." (139)
Le
chapitre intitulé Nietzsche et la culture française (103-152) nous fait
découvrir, précisément dans les détours de leurs langages, d'étonnantes parentés
entre le philosophe du Gai Savoir et Georges Bataille, tous deux "penseurs de la
brèche, du soupçon, du quelque chose qui cloche" (109) : une analyse subtile et
érudite où sont invoqués d'autres témoins, aussi bien Diogène, Épicure et
Héraclite, qu'Emmanuel Kant, Luther et Thomas d'Aquin. Et l'auteur entrevoit
même dans le lointain... mai 68 !
Nous retiendrons particulièrement les propos de l'auteur, professeur en
Sorbonne, fondateur de l'Ecole de Lille et directeur d'études à l'EHESS, sur la
mission et la responsabilité de l'enseignant : celui-ci ne peut se contenter de
transmettre des savoirs ; "le seul enseignement de valeur est celui qui se
trouve associé à la recherche que l'on poursuit soi-même." (134) Il insiste
souvent sur cette nécessité de "rendre incertaines les certitudes enseignées"
(205) : pour l'enseignant, pas de légitimité sans ce que l'auteur appelle
joliment "perplexité" ! Ce qu'il appelle, aussi, (p.292) le "désaisissement", en
citant Nietzsche : "la distance prise à l'égard des certitudes dont on a mesuré
la solidité." (Oeuvres, t. 1, Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement,
p. 195)
février 2016
Danièle BRUN, Une part de soi dans la vie des autres Odile Jacob, 2015, 160 p.,
22.90 €
C'est un bien joli titre ! Cette formule à deux versants - disons plutôt à deux
voix - se retrouve à peu près telle quelle maintes fois au fil des pages ; elle
rend compte de ce qui est au coeur de l'expérience de la psychanalyste, un
colloque intime, où l'un aussi bien que l'autre met en scène un vécu secret.
Le
secret de la psychanalyste, c'est surtout, semble-t-il, la mort subite de sa
fille à la fleur de l'âge suite à une rupture d'anévrisme. C'est un souvenir
douloureux qui sera ravivé quand elle recevra une patiente dont la fille,
soignée à temps, aura pu éviter la même fin. A la suite de cela, le rapport à la
mort deviendra comme une constante de sa réflexion : " L'abandon est là,
dit-elle, comme un lien indestructible. " (43)
Son propos sur l'écriture - quand elle évoque le célèbre Madame Bovary, c'est
moi - est étroitement lié à son propre travail d'analyse : rappelant les
diagnostics établis sur Emma par le médecin Charles Bovary, elle déclare : " On
voit bien quelle crédibilité le détour par la vie des autres apporte à la
personnalisation de l'écriture. " (76) N'avait-elle pas, d'ailleurs, déjà
déclaré, p. 33 : " La plume ne s'attache qu'à restituer un vécu " ?
Le
choix d'une profession... pour l'amour de l'écoute ! C'est la confidence que
nous fait Danièle Brun, page 87: " Devenir psychanalyste était pour moi au début
motivé par le plaisir d'entendre et d'écouter parler les autres. Comme le
faisait mon père. Lui aussi consacrait beaucoup de temps à ses clients, leur
donnant même la priorité sur d'autres activités de loisir. "
mars 2016
Linda Simon, Les rumeurs De Boeck, 2015, coll. Le point sur - Psychologie, 132
p., 14€
Si
l'enseignant de français se plonge dans la lecture de ce livre pour découvrir
une observation 'fine' - au ras du texte - des procédés d'expression propres à
l'écriture rumorale, il sera sans doute un peu déçu ; avec ses élèves, il aura
déjà pu relever ce que l'auteure signale, p. 59 : la fréquence du "on", du
"peut-être", du verbe au conditionnel. Et vraiment pas grand chose de plus à ce
sujet.
Mais il sera tout à fait comblé s'il veut saisir au plus près les situations -
époques de crise, le plus souvent - où se créent les rumeurs, les mécanismes de
leur création, de leur diffusion, de leur amplification, les canaux de leur
diffusion, les stratégies de prévention et de lutte, les outils de leur analyse
"en laboratoire ou sur le terrain". A ce point de vue, l'auteure nous propose un
outil de recherche et de réflexion tout à fait remarquable ; érudit, mais
nullement jargonnant ni dogmatique, abondamment illustré de faits authentiques,
établissant de subtiles distinctions entre des formes voisines ou des variantes
de la rumeur (légendes urbaines, faux souvenirs, croyances, gossips, rumeurs
sataniques ou rumeurs commerciales...).
Et
au terme du parcours, cette chercheuse aussi méthodique que méticuleuse fait
preuve d'une étonnante honnêteté et humilité intellectuelle en vous confiant
ceci : « une définition satisfaisante de la rumeur n'(a) pas été proposée dans
cet ouvrage. Il en existe de nombreuses. (...) Aucune d'entre elles ne fait
l'unanimité car elles présentent l'inconvénient de présenter la rumeur d'un
point de vue disciplinaire particulier, donc restreint. » (p. 104)
Chaque chapitre se clôture par un résumé, une bibliographie sélective, un
questionnaire. Voilà qui montre bien le souci didactique de clarté et de rigueur
de cette spécialiste des manipulations de la mémoire et des dérives sectaires.
avril 2016
Éric Maurin, La fabrique du conformisme Seuil, La république des idées, 2015,
120 p., 11.80 €
Conformisme : Il s'agit de bien comprendre ce mot ! Le Petit Robert distingue le
"Fait de se conformer aux normes, aux usages" et l'"Attitude passive d'une
personne qui se conforme aux idées et aux usages de son milieu.", cette seconde
acception étant considérée comme péjorative.
Essayons de voir de près ce qu'Éric Maurin, lui, entend par ce terme : "La vie
en société implique une constante dépendance des autres" (49) ; "nombre de nos
comportements et de nos choix s'inspirent directement de ceux des autres" (111)
; "l'individu contemporain ajuste continuellement ses comportements en fonction
des autres, afin de ne pas s'en trouver davantage éloigné" (113-114). En fait,
il ne s'agit ni de servitude, ni de dépossession : "On est passé d'un
conformisme contraint par la tradition à un conformisme d'adhésion, une
dépendance consentie aux règles (fluctuantes) observées par ceux qui nous
entourent". (115)
Et
pour le démontrer, l'auteur nous transporte, de chapitre en chapitre, dans le
monde du travail, des loisirs, de l'école, des quartiers : chaque fois en
soulignant l'importance du regard des autres, du temps des autres, du loisir des
autres, du jugement des autres, de la couleur des autres !
Le
chapitre sur l'école - le plus long - souligne l'importance des interventions en
faveur de l'intégration des élèves, notamment les plus en difficulté :
l'implication et l'information des parents (ceux-ci sont un levier politique !
71), le rôle capital du chef d'établissement (un acteur clé ! 78) et surtout les
interactions positives entre élèves (les plus fragiles soutenus par les mieux
intégrés (86). Pointons, au passage, la critique de ces redoublements
complètement inefficaces qui conduisent, dans une majorité de cas, au décrochage
définitif (82).
En
fait, le conformisme dont il s'agit est un facteur de cohésion, de stabilité, de
sécurité : "Le conformisme est souvent ce qui reste pour ne pas se retrouver
plus isolé encore." (115)
mai 2016
Chantal Delsol, Populisme. Les demeurés de l'histoire Ed. du Rocher, 2015, 270
p., 17,90€
Le
détour par la Grèce antique s'impose pour découvrir et comprendre le cadre de
pensée de ce que nous appelons aujourd'hui populisme. C'est à Athènes,
particulièrement, que l'on peut observer la divergence entre l'idiôtês [ιδιώτης],
davantage soucieux de son propre intérêt, et le démocrate - le koinos [κοινος] -
qui reconnaît la primauté du bien commun, au nom du logos, c'est-à-dire de la
vérité et de la justice... Nous dirions aujourd'hui "au nom de l'esprit des
Lumières".
D'un côté, donc, l'émancipation, la tolérance, l'ouverture, la reconnaissance de
l'altérité, le métissage... ; de l'autre. l'enracinement, le repli, la
vigilance aux frontières, le souci de maintenir son identité, la méfiance envers
l'étrange (les nouvelles pratiques culturelles et cultuelles) comme envers
l'étranger, que l'on répugne à assimiler : « l'idiôtês contemporain a, pour
ainsi dire, volontairement régressé (204) » : un demeuré de l'histoire !
Mais il faut le reconnaître : toute démocratie peut faillir à son idéal. « Les
populismes contemporains se déploient dans les déficits de la démocratie. Ils
obtiennent leur succès à la mesure de leur déception. » (59) Et c'est peut-être
en reconnaissant ces déficits qu'un débat peut avoir lieu : après tout, « les
milieux populaires peuvent émettre à l'encontre des élites des jugements sensés
dont il vaudrait mieux débattre plutôt que de les couvrir d'injures. » (122)
Chantal Delsol a le courage de proposer un tel débat !
Le
refuser, ce serait refuser le pluralisme, et donc le droit à la parole : « Une
démocratie qui lutte par le crachat et l'insulte contre des opinions contraires,
montre qu'elle manque à sa vocation de liberté. » (264)
juin 2016
Tzvetan Todorov, La littérature en péril Coll. Champs essais, rééd. 2014, 94 p.
6€
Né
en Bulgarie, il entreprend en 1956 des études littéraires à l'Université de
Sofia : un domaine de recherches où prévaut la conformité au credo soviétique.
En 1963, boursier en France ("pour un an"... ), il rencontre G. Genette, R.
Barthes, S. Doubrovsky, est docteur d'État en 1970, fonde la même année la
célèbre revue Poétique. Toutes ses recherches seront vouées à la littérature et
à l'histoire des idées.
La
littérature en péril est une profession de foi. C'est aussi un pamphlet, où il
s'en prend à un enseignement qui étudie "des théories autour des oeuvres plutôt
que les oeuvres elles-mêmes" (23). "Ce qui contribue au désintéressement
croissant à l'égard de la filière littéraire qui passe en quelques décennies de
33% à 10% des inscrits au bac général." (31)
Pour illustrer son propos - "la littérature est un discours sur le monde" (31)
-, il entreprend un long détour - plus du tiers de l'ouvrage - pour parcourir
l'histoire de la réflexion sur l'art, surtout sur la littérature : Aristote,
Platon, Horace, la Renaissance, l'époque des Lumières en Allemagne, que
relayeront en France B. Constant et G. de Staël, puis G. Flaubert et G. Sand...
Si
donc la littérature est en péril; c'est parce que, "à l'école, on n'apprend pas
de quoi parlent les oeuvres, mais de quoi parlent les critiques" (19). Bien sûr,
le sens des oeuvres pourra être éclairé par les perspectives historiques, par
des notions d'analyse structurale... "Cependant, en aucun cas l'étude de ces
moyens d'accès ne doit se substituer à celle du sens, qui est sa fin (23)."
Cette quête de sens est indispensable pour former à l'esprit critique, à la
connaissance de soi, à l'ouverture à autrui.
L'auteur le reconnaît : une bonne partie du monde enseignant partage cette
conviction et souscrit à cette déclaration de l'Association des professeurs de
lettres - citée p. 85 : « L'étude des lettres revient à étudier l'homme, son
rapport à lui-même et au monde et son rapport aux autres. » Cela va de soi...
mais il était bon de le rappeler.
juillet 2016
José MORAIS, Lire, écrire et être libre. De l'alphabétisation à la démocratie
Odile Jacob éd., 2016, 326 p., 25,90€
L'auteur, d'origine portugaise, a combattu la dictature de Salazar, avant
d'obtenir en Belgique, en 1969, le statut de réfugié politique. Psycholinguiste
réputé, démocrate convaincu, il souligne, dans cet ouvrage, l'importance
capitale de l'alphabétisation pour faire advenir et consolider une authentique
démocratie. Voilà qui interpelle donc les acteurs de la formation ! Et cela, dès
les tout premiers apprentissages : entrer en lecture, c'est aussi entrer en
relation. C'est particulièrement vrai, dit-il, dans "la lecture partagée, où
l'adulte suscite des interactions, provoque des échanges verbaux" - v. p. 76.
(Signalons au passage qu'il tacle sans ménagement et sans nuance les tenants de
la méthode de lecture dite globale... - v. p. 106).
Au
début du chapitre 3, Lettré et démocrate, il distingue trois niveaux de capacité
dans la personne du lettré : la maîtrise des habiletés de lire et d'écrire,
l'usage régulier et productif de ces habiletés, enfin "la liberté dans
l'expression publique de sa pensée, ce qui donne vie et chair à la démocratie" -
v. p. 153. Le lettré, dans ce cas, est pleinement un être social. L'être pensant
de Descartes élargit son horizon : je pense, donc je suis... en lien avec
l'autre - v. p. 211. Libre, et responsable.
Mais aussi, libre et tolérant ! À ce sujet, il interpelle l'école : "Elle ne
doit pas être aseptisée des différentes croyances, elle est le lieu par
excellence où toutes les croyances se confrontent sans violence (...), elle est
notre premier lieu collectif ou groupal, notre première expérience du commun". -
p. 240.
Il
ne se prive pas de dénoncer l'utilitarisme des dirigeants : "Dans l Union
européenne, l'esprit d'entreprise est une des huit compétences que les enfants
doivent acquérir. Ne figure pas dans la liste l'esprit de solidarité, de
coopération ou d'équité" - p. 294.
Voilà un franc parler, un parler vrai, qui décoiffe !
août 2016
Vincent Descombes, Le parler de soi
Gallimard, Folio Essais, 2014, 420 p., 9.20€
La
chronique "livre du mois" de LMDP a déjà présenté, du même auteur, Les embarras
de l'identité, publié en 2013 dans la même collection (déc. 2015).
Il
ne s'agit vraiment pas, dans ce parler de soi, de la parole narcissique,
autocomplaisante, du "moi de l'amour propre" (comme pourrait le laisser entendre
la une de couverture), mais du "moi au sens métaphysique, un sujet auquel on
attribue des opérations (de douter; de juger, d'imaginer, voire de se poser
comme sujet)" (26). Il s'agit du moi cartésien - Cogito, ergo sum - "où un
métaphysicien ose prendre la parole à la première personne" (51). Dire «je»,
c'est affirmer "le pouvoir de manifester une conscience de soi" (v. 133). Avec
Kant, Husserl, Merleau-Ponty, Ricoeur, Balibar, Wittgenstein et bien d'autres,
l'auteur entreprend une relecture du célèbre adage.
Face au je, comment saisir le tu et le lui ? En tirant le sens de ces mots de
notre usage du mot moi ! (v. 186) Ce que développe la seconde partie du livre
(186-294) intitulée "La première personne et les autres". C'est par le langage
que se crée et se développe l'expérience d'autrui "comme seconde première
personne" (201), comme alter ego. "Toute pensée est de forme dialogique" (214).
Et
c'est dans une autre première personne, un autre moi - pensant, parlant - que se
découvre la figure du lui (v. 248) : l'adage cartésien se relit à la troisième
personne.
La
dernière partie, Le sujet de la croyance, aborde la question "Dire ce que l'on
croit, est-ce parler de soi ?" (297) Le sujet est-il porte-parole, rapporteur ?
Ou bien joue-t-il pleinement son propre rôle ? (v. 339) L'auteur ouvre ici une
vive polémique avec d'autres philosophes du langage, Jocelyn Benoist, Elizabeth
Anscombe, George Edward Moore, Ludwig Wittgenstein, et autres. De ce long débat,
sans doute plus passionné que passionnant..., on retiendra surtout, à propos de
l'implication du moi dans sa parole, l'intéressante distinction entre trois
positions : celle du Logicien, celle du Pragmaticien, celle du Grammairien.
septembre 2016
François Noudelmann, Les airs de famille. Une philosophie des affinités Gallimard, 2012, 320 p., 19.50€
"Visibles et commentées, les ressemblances de famille restent toutefois
difficiles à définir " : on peut sans doute les mesurer, les dessiner... "mais
la ressemblance ne se limite pas à l'anatomie" (13).
Tout d'abord, cette expression même, airs de famille, n'est pas adéquate.
L'auteur évoque sa propre famille recomposée : "J'ai entendu régulièrement des
personnes extérieures commenter ma ressemblance avec un beau-père ou une
belle-soeur alors que nous n'avions aucun lien de sang. Ces méprises m'amusaient
et peut-être sont-elles à l'origine de mon intérêt pour les ressemblances de
famille" (17).
Ensuite, et surtout, le discours sur ce sujet s'enracine plus dans le secret de
l'imaginaire, de l'émotion, du désir, des préjugés, que dans la perception. Déjà
les Encyclopédistes (Malebranche, Diderot...) montraient que "les ressemblances
de famille résident plus dans l'oeil des regardeurs que dans les corps regardés"
(59).
Des chapitres II et III, La science des apparentements et Typologie des
ressemblances de familles, on retiendra le rôle décisif de Darwin dans
l'observation des lignées et surtout les dérives de la physiognomie, cette
soi-disant science fondée au 18e siècle par Johann Kaspar Lavater. "Détachée de
son ambition spirituelle, [la physiognomie] devient une galerie de portraits
livrée aux classifications sommaires et infamantes" (140) : s'il y a des têtes
d'homos, des têtes de tziganes, des têtes de juifs..., cela mène à Auschwitz.
Dans les chapitres IV et V, La diaspora des sosies et Philosophie des affinités,
l'auteur observe comment "se construisent des imaginaires de parenté naturelle"
(203) et "la comédie ordinaire que nous jouons pour correspondre aux rôles que
les autres attendent de nous" (220) : "j'essaie, précise-t-il, de suggérer que
les affinités sont une voie de sortie, une tangente hors du paradigme
généalogique qui est la grammaire majeures de nos apparentements" (284-285).
Nous découvrons un auteur pétillant d'intelligence et de finesse ! Et, tout
particulièrement, un lecteur éclairé qui nous fait réexplorer, entre autres, les
subtilités de la bulle proustienne, la violente saga des Rougon-Macquart, la
complexité ténébreuse des Affinités électives de Goethe.
octobre 2016
Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches ? Seuil,
Librairie du XXIe siècle, 2014,210p., 18€
Antiquité, Moyen Âge, Renaissance... nous avons tous en mémoire cette triade
bien établie, avec l'idée d'une césure claire de l'une à l'autre, dates à
l'appui. Et dès les premières pages, voilà que l'auteur - éminent connaisseur du
Moyen Âge - ébranle nos convictions : "Ce livre met en évidence les
caractéristiques majeures d'un long Moyen Âge occidental qui pourrait aller de
l'Antiquité tardive (du IIIe au VIIe siècle) jusqu'au milieu du XVIIIe siècle."
(9) Et il précise plus loin que "l'expression « Moyen Âge » ne semble pas avoir
été d'usage courant avant la fin du XVIIe siècle" (34), et que c'est Jules
Michelet (1798-1874) qui désignera par le terme « Renaissance » la période qui
suit le Moyen Âge. (v. 61)
Reste à démontrer son propos. Ce qu'il entreprend longuement en observant la
'continuité" et les "ruptures" (13), les innovations et les restaurations, dans
dans l'activité intellectuelle, les modes de vie, les techniques,
l'architecture, les arts, la religion, la littérature (le cas de Shakespeare !),
les voyages, les grandes découvertes, l'économie, les conflits, les pratiques
sociales, la centralisation du pouvoir... Sans négliger de signaler des
divergences importantes entre historiens, les uns célébrant, les autres mettant
en doute les progrès quand ils opposent Moyen Âge et Renaissance.
La
conclusion de cette analyse détaillée est sans équivoque : "à mes yeux, la
Renaissance (...) n'est en fait qu'une ultime sous-période d'un long Moyen Âge".
(187)
Dans le dernier chapitre, intitulé Périodisation et mondialisation, relevons
ceci, qui nous paraît capital pour la recherche historique, et plus largement
dans l'observation de la diversité culturelle : "Il y a deux étapes dans la
mondialisation : la première consiste en la communication, la mise en rapport de
régions et de civilisations qui s'ignoraient ; la seconde est un phénomène
d'absorption, de fusion. Jusqu'à aujourd'hui; l'humanité n'a connu que la
première de ces étapes". (191)
Une fusion sans heurt ?
novembre
2016
Alain Touraine, Nous, sujets humains, Seuil, La couleur des idées, 2015, 400 p.,
24 €
Nous, c'est-à-dire vous et moi, vous comme moi, de même condition, de même
dignité, de semblable et inestimable valeur... Sujets, mais point assujettis...
si, toutefois, nous parvenons à résister à ce que l'auteur appelle le pouvoir
total, qu'il définit comme le « pouvoir s'exerçant à la fois sur la production
et la distribution des richesses et sur la subjectivité des citoyens et leur
capacité d'action politique » (index, 386). Total... autant dire clairement
"autoritaire", tel que le sont « le capitalisme financier et les partis-Etats »
(v. 11).
Le
lecteur en est averti dès les premières lignes : le mot dignité sera utilisé à
maintes reprises. Cette « notion de dignité n'est ni matérielle, ni culturelle,
ni politique, elle est éthique » (15). Pas étonnant donc que soient évoqués à
maintes reprises les droits les plus fondamentaux : liberté, égalité, dignité
(v. 65). Le mépris des droits est particulièrement criant « dans le triomphe
des politiques identitaires qui détruit aussi bien la paix intérieure que la
concorde internationale » (111)..
Pour faire reconnaître et respecter ces droits fondamentaux, il faudra compter
davantage sur les citoyens, acteurs sociaux, que sur les responsables politiques
! L'acteur social, « combattant volontaire pour la liberté et l'égalité, n'est
pas un être doux et modéré ; il engage sa vie, mobilise ses forces pour lutter
contre la destruction du sujet dans les êtres humains. » (227-228) ! D'où la
nécessité de repenser l'éducation : « encourager la définition par les jeunes de
projets de vie personnels qui engagent à la fois leur vie sociale et leur propre
personnalité » (356) : tel est l'impératif pour l'institution scolaire si elle
veut réellement favoriser l'égalité des chances (v. 376) !
décembre 2016
Guy Prouin, Laïcité, une morale universelle
Editions de l'Æncre,
2015, 200p., 25€
On ne sera pas étonné de
l'importance que l'auteur accorde à l'enseignement et à l'éducation : un des
huit chapitres (77-117) y est entièrement consacré. Et
cette préoccupation s'exprime ailleurs à maintes reprises : "le refus de la
morale a vidé l'éducation de son sens" (11) ; "la capacité à évaluer le
niveau de confiance - qui lubrifie les échanges - s'apprend par l'éducation" (69) ; "les conditions pour
l'épanouissement des échanges n'existent et ne se perpétuent que par
l'éducation et l'enseignement" (185).
Il fonde à juste titre sur la
rationalité et sur l'universalité son exposé de la morale laïque (55 & sv). C'est au nom de la raison
que s'impose la pratique des vertus cardinales - courage, justice, prudence,
tempérance - "qui pérennisent l'échange". Échange ! Ce mot revient
sans cesse, car c'est précisément par la pratique des vertus cardinales que
se créent et se resserrent les liens et que prennent forme des initiatives
communes au nom de valeurs partagées. (v. 64-65) Et il insiste sur la
"promotion de modèles" auprès des minorités, de crainte que celles-ci "ne
s'enferment au mieux dans une culture clandestine ou au pire dans la
solitude" (133).
On approuvera sans réserve le
réquisitoire qu'il prononce dans le chapitre 2 contre cette morale de
l'argent (25-36 ) qui engendre la marginalisation
et
le mépris du faible, met à mal l'environnement. Et plus loin (119), il blâme "une conception
essentiellement mercantile" qui modèle les comportements amoureux.
Quelques réticences, pourtant,
sur le fond, quand il s'agit de la vie du couple...! L'auteur a-t-il bien
pesé ses mots quand il considère l'adultère avec indulgence, sous prétexte
que baser le mariage sur l'exclusivité sexuelle '"impose une forme de
dictature sur l'être humain" ? (144) [Cocus et cocues de tous les
pays, résignez-vous ! Et bonne continuation pour la petite famille !]
Un livre généreux, dans
l'ensemble, même si le propos estparfois un peu délayé, un peu
confus, et tient de la paraphrase.
Marc
Grassin (dir), L'entreprise : un lieu pour l'homme. Les fondamentaux en
question,
Chronique Sociale, 2015, 128 p., 14,50€
Disons d'emblée qu'on y trouve des analyses
et des propositions qui intéressent d'autres milieux d'action commune que
l'entreprise proprement dite. Le monde de l'enseignement et de l'éducation,
entre autres. C'est dire que ces pages, rédigées par une équipe d'experts,
peuvent souvent nous interpeller.
L'entreprise doit être tout autre chose que
le théâtre d'une civilité complaisante et polie qui ne mène à rien" (9) ; le
dialogue, la rencontre sont nécessaires, car "il n'y pas de rencontres
véritables qui ne soient une déstabilisation, un pas vers une reformulation de
soi, une redéfinition de ses comportements" (ibid.). C'est pour cette raison que
l'entreprise est "un défi humaniste" (26), un lieu où la capacité d'agir doit
être indissociable de la capacité de parler (v 39), un lieu où le temps pour
faire devient un temps pour être : c'est le titre du chapitre 4 ! (63)
Les auteurs n'éludent pas le problème de
la mobilité que vivent de nombreux acteurs de l'entreprise. "Le corollaire de
l'homme mobilisable n'est-il pas l'homme démobilisé, démotivé ?" (81) Comment y
faire face ? En renforçant l'intériorité "où sont logés nos racines, notre
culture, notre foi, nos croyances, nos peurs, nos convictions, nos souvenirs,
nos connaissances, nos émotions, nos pensées..." (87) : c'est en réintégrant
cette intériorité que "la mobilité ou le nomadisme n'est pas une errance" (88).
Le dernier chapitre - L'entreprise
communique, l'homme parle ! - revient sur ces 'fondamentaux" déjà souvent
évoqués : rencontre, dialogue, participation, responsabilité. Avec Montaigne
comme témoin (106) : « Nous ne sommes hommes, et nous ne tenons les uns aux
autres que par la parole. » Il faut donc rejeter cette logique, à la fois
violente et improductive, où "l'entreprise et ses protagonistes (...)
communiquent toujours plus, mais se parlent de moins en moins" (110).
février 2017
Philippe
Breton, Éloge de la parole;
Éd. La Découverte, 2003, 1992 p., 14.50€
"Si la parole mérite, pour le moins, un éloge, c'est
comme fondement d'un humanisme renouvelé."
Tels sont les derniers mots du livre (187). Et
cette conviction s'affirme constamment : "La parole est une
alternative à la violence du monde" (9).
Citant Novarina - il y a une lutte depuis toujours entre la parole
et les idoles - il assigne à la parole la mission de dénoncer les
fausses valeurs, les fausses promesses et toute forme de
désinformation ( v. 39).
C'est en effet "à la libre expression de la parole que s'en
prennent, toujours en premier lieu, les démagogues"
(52). Cette prise de parole
n'est pas une prise du pouvoir : elle exerce une force, à coup sûr,
mais "sans engendrer de domination" (62)
! De cette façon, "le pouvoir civilisateur de la parole tend à
remplacer la parole du pouvoir (160).
Et il s'impose, bien sûr, que la parole soit partagée. Et que la
parole de l'autre soit respectée ! Tel est l'enjeu de ce que
l'auteur appelle "la symétrie démocratique" (136).
D'où l'importance capitale de l'écoute et de l'empathie ! Et il cite
de nouveau Novarina : «La parole nous a été donnée non pour parler
mais pour entendre.» (180) D'où
l'importance de l'objectivation - c'est-à-dire de la distance prise
par rapport à ses propres émotions - et surtout de l'engagement : la
parole est... une parole donnée : "la parole engage celui qui
la tient" (183). D'où
l'importance de la symétrie, où "la parole de l'un vaut celle de
l'autre" (184). Et il
cite à ce sujet Levinas : «Même quand on parle à un esclave, on
parle à un égal.»
Signalons, pour terminer, cette forme de parole qui nous semble très
féconde, qui mérite un... éloge tout particulier : l'auteur
l'appelle "parole intérieure, parole silencieuse,
dialogue avec nous-mêmes" (78). Elle
prolonge et prépare le dialogue avec autrui, elle est
capitale dans la prise de décision.
Dans le brouhaha des échanges, l'intériorité pourrait devenir une
denrée rare...
mars 2017
Martine Joly, Introduction à l'analyse de l'image,
1993, Nathan, rééd.
Armand Colin, 2015, 160 p., 13.90€
Saluons cette réédition récente, enrichie de
nombreuses informations, notamment dans une riche bibliographie
commentée (11 pages !)
ainsi que dans l'index, et, plus spécialement, dans une réflexion
originale et clairvoyante sur cette "accélération de
l'information visuelle" due à l'image numérisée : "une profusion
d'images dont on ne sait pas toujours que faire"
(146).
De Lascaux à sa forme numérisée, l'image est le produit et le reflet
de notre histoire, de notre culture. Imitatrice, est-elle pour
autant fidèle ? Il faut évoquer ici cette "Querelle des images"
opposant pendant quatre siècles iconophiles et iconoclastes
(v. p. 14). Soi-disant fidèle au réel, elle
peut aussi bien être éducative et enrichissante que subtilement
manipulatrice.
D'où l'importance de l'éducation à l'analyse de l'image pour mieux
comprendre à la fois "ce qu'elle dit et surtout comment elle le dit
" (28) ! Sous le titre Objectifs et
méthodologie de l'analyse, s'appuyant surtout sur Roland Barthes
et sa célèbre Rhétorique de l'image, 1964, l'auteure
concentre en quelques pages décisives (48-52)
des orientations qui nous paraissent essentielles : un passage
obligé pour saisir la pertinence de l'ensemble de l' ouvrage !
Pour illustrer sa méthodologie, elle nous présente,
(pp. 60-69), une analyse de quatre tableaux: Usine
à Horta de Ebro, de Pablo Picasso (1909), Le souper à
Emmaüs, du Caravage (1601), La Vierge Marie, Sainte
Anne et l'enfant Jésus, de Léonard de Vinci (1501) La bataille de San
Romano, de Paolo Ucello (1456-1460). Et plus loin, après avoir
longuement (pp. 94-118) fait observer la
spécificité du langage de cette "image prototype"
(74) qu'est le message publicitaire, elle nous
fait découvrir les intentions et les procédés d'une double page de
pub pour Malboro Classics parue dans le Nouvel Obs' du 17 octobre
1991. Ces cinq exemples sont malheureusement en noir et blanc ! Mais c'est
brillant, c'est exemplaire !
On l'a compris : voilà un outil indispensable pour une lecture
avisée de l'image.
"J'ai décidé d'écrire ce livre sur l'optimisme de l'enfant parce que
c'est la première marche de l'éducation"'
(7) ; et un peu plus loin,
il définit l'objectif à atteindre : "savoir réfléchir de façon
optimiste plutôt que pessimiste peut être appris tout au long de
l'enfance." (8). Et cela
commence... dès la naissance ! D'où l'importance décisive de
l'optimisme parental, qu'il évoque par cette charmante citation de
l'acteur américain Robin Williams : "On naît avec une petite
étincelle de
Très tôt, le jeune enfant acquiert la confiance en
soi - et la conscience de soi - autant par l'attention qu'on lui
accorde que par l'éveil de sa curiosité, exprimée en de multiples
pourquoi ? Et notre auteur, à ce propos, interpelle l'enseignant
par cette remarque qui nous paraît capitale, et qui met sérieusement
en question nos pratiques pédagogiques : susciter le plaisir de la
découverte importe plus que faire retenir !
(v. 56)
Survient l'adolescence, avec les potentialités nouvelles du corps et
de l'esprit, et la liberté face aux menaces et aux risques : c'est
maintenant, pour ce futur adulte, le temps de l'optimisme à
risque, qui permet de "prendre des risques avec lucidité"
(75) dans la route vers l'autonomie et la
responsabilisation (v. 77).
"L'optimisme en famille, ça se travaille" : c'est le titre de la
troisième partie (159-194).
Pour étayer l'optimisme, quelques atouts : valeur de l'exemple,
confiance accordée, disponibilité, écoute bienveillante : Écoute
mes questions ! Écoute mes réponses ! ...
Ill en va à l'école comme en famille... L'élève
optimiste : ce titre attend encore un auteur, homme de
terrain, de préférence.
Frédéric Lenoir, La guérison du monde Fayard, 2012,
318 p., 11.20€
"La crise du
monde moderne a des racines lointaines" (11). Le
processus commence quand l'humanité passe du paléolithique au néolithique
: le nomade se fait sédentaire, construit des villages..."qui deviendront
cités, puis royaumes, empires et civilisations" (13).
Nous voilà donc interdépendants, mais davantage soumis aux mécanismes
technologiques et économiques que nourris et enrichis par le dialogue des
cultures : c'est l'avènement de l'homo economicus, du consommateur
livré à une logique marchande ! Et le risque de l'épuisement des
ressources apparaît de plus en plus sérieux. La frénésie de production
dégrade l'environnement, entraîne des crises climatiques : "Notre santé
(...) est en péril, c'est l'espèce humaine qui est elle-même en danger."
(101)
De plus, et à un rythme croissant depuis quelques décennies, l'information
est devenue globale et pressante : il nous est malaisé de la
contextualiser pour la comprendre, pour en saisir les enjeux. Et c'est une
source de peur, de passivité, de résignation, de conditionnement, voire de
manipulation des consciences.
Voilà pour les
symptomes. Pour y faire face, pour "réenchanter le monde", il faut renouer
le lien avec l'environnement, avec l'humanisme - justice,
solidarité, fraternité, avec soi-même (v. 119-120).
Et l'auteur de citer des témoins, groupes ou simples citoyens, au service
de la Terre : biodiversité, écologie... ; au service de l'humanité :
monnaies alternatives, commerce équitable, finance solidaire, non
violence, diplomatie de paix (San Egidio), Forum social mondial... ; au
service de la personne : favoriser le développement personnel, adopter de
nouveaux modes de vie par la modération et le dialogue, reconnaître les
valeurs universelles telles que vérité, justice, liberté, amour.., et tout
particulièrement la richesse de la connaissance de soi : "c'est par là que
l'homme se libérera du vice et du malheur' (198).
C'est du Socrate !
Ainsi passerons-nous "de la convoitise à la sobriété heureuse"
(269), "du découragement à
l'engagement" (273), de la
dépendance à l'émancipation (v. 285),
de l'extériorité à l'intériorité'(291).
juin 2017
Alain Corbain, Histoire du silence - De la
Renaissance à nos jours Albin Michel,
2016, 204 p. & 8 p. illustrations., 18.50€.
À une époque où
le tintamarre médiatique menace l'intériorité, il est
important et urgent de saluer la valeur du silence, "de réapprendre à
faire silence, c'est-à-dire à être soi" (12) !
Du silence des
lieux - la chambre, le sanctuaire ("La cathédrale est comme
du silence incrusté dans la pierre" - 28), le
monastère, la bibliothèque, et même la forteresse (cf, Julien Gracq, Le
Rivage des Syrtes, "Une oeuvre où se jouent toutes les nuances du
silence" - 31)... aux silences de la nature
- la brume, "grand plafond silencieux" (34), la
nuit, "où les bruits sont sertis dans le silence" - 38),
la forêt, le désert : 'une densité de silence qui incite à l'interprétation
spirituelle" - 44), la montagne et "son silence
solennel" - 48), la mer et "son silence qui vient
des profondeurs - 50), la forêt, "où le silence dort
sur le velours des mousses" Hugo - 53)... on n'en
finit pas - mais il faut y prêter une oreille attentive ! -
d'inventorier les murmures du silence.
Dans les
chapitres "quête, apprentissage du silence" (pp. 65-99)
épinglons cette remarque : "Bien des quêtes se sont déroulées hors de la
sphère du religieux" (81). Il suffirait d'évoquer
ici l'intérêt croissant pour ces "monastères du silence"
(81) que sont, par exemple, Qi Gong, Garef-Focusing, Pleine
Conscience...
L'auteur ne
manque pas de souligner l'ambivalence du silence : autant il peut
rapprocher et fusionner les coeurs - "les yeux des amoureux disent en
silence les seules paroles qui importent" (150) -,
autant il peut être rejet et mépris ; et il cite entre autres Thérèse
Desqueyroux, de Mauriac, "où l'incommunicabilité débouche sur le
crime" (158).
Un coup de coeur, enfin, pour le brillant interlude
(101-103) sur Joseph à Nazareth, "le patriarche du silence... : le
silence d'un coeur qui écoute" (101)
!
juillet-août 2017
Gilles Lipovetsky, De la légèreté Grasset, 2015,
340 p., 19€
Dieu sait si on parle, de la légèreté ! Chroniques de mode ou de santé,
slogans publicitaires, confidences de stars... Pour l'évoquer, il y a
pléthore de formes dans le langage courant : minceur, sobriété, fitness,
fun, cool, mini, micro, nano, maigre, feeling, oligo-éléments,
ligne pure, bien dans sa peau, Passez en mode facile
(Skoda), Réveillez la déesse qui est en vous!
(Vénus de Gillette), fabricant d'optimisme (Fiat), On se lève
tous pour Danette... On pourrait donc rêver d'un monde où le léger
peut tout pour réussir, pour "Alléger la vie" (c'est le titre du chapitre
1) !
Pour le corps, l'idéal serait d'une part la minceur, la finesse
(l'obsession des "kilos de trop"), et d'autre part la glisse, ces
pratiques où l'on défie la pesanteur (ski nautique, deltaplane, surf,
planche à voile...) : être donc, à la fois, Narcisse et Icare
(v. p. 105) ! Mais le fléau de l'obésité est là, qui
fait des ravages et qui persiste... (v. 108).
La légèreté, on l'observe aussi dans la mode "pout le spectacle et le
regard des autres" (178...).
"L'obsession du vêtement, cependant, s'est affaiblie, celle du corps
s'accroît" (197).
Dans l'art également, comme dans l'architecture, comme dans le design,
l'expression vise la simplicité : en peinture, "le reflet est plus
important que la scène représentée" (211),
le trait s'épure. Pour la maison, pour le mobilier, on privilégie les
formes élémentaires, fonctionnelles. Et de nouveaux matériaux - acier,
bois, béton armé, verre, pvc... - permettent de réduire la massivité
(v. p. 246).
Le chapitre 7, Sommes-nous cool ? analyse ce phénomène amplifié
vers 1960 "dans l'effervescence de la contre-culture(...) où les
mouvements contestataires exaltent une liberté subjective totale (...),
une existence délivrée des lourdeurs du social" (289).
Frivolité, butinage, inconstance, zapping, rupture... le fidélité en prend
un coup.
Liberté, égalité, légèreté, tel est le titre du dernier chapitre
qui observe cette citoyenneté light (318) qui
semble prévaloir, ce qui n'efface ni l'inégalité des fortunes, ni les
ravages des addictions... : "une légèreté-volatilité (qui) accable parce
que rien ne dure" (364).
septembre 2017
Roger-Pol Droit,
La tolérance expliquée à tous, Seuil, 2016, 96 p., 8€.
Notre société est de plus en plus
métissée. Les différences se côtoient : il faut trouver les moyens
de ne pas les transformer en conflits. C'est dire que la tolérance est
indispensable !
Voilà un petit livre qui vient
bien à point pour proposer des raisons d'agir et des lignes de conduite ;
et cela est rédigé sous la forme d'un dialogue adulte-ado agréable amical et
enjoué, mais solidement construit : un outil de première valeur pour cette formation
à la citoyenneté qui va prendre cours dans nos écoles.
La tolérance exige, de la part de chacun; un travail sur
lui-même, une réflexion sur sa propre place par rapport à celle des autres
(v. 31) qui doit aller de pair avec cette
ouverture au débat, à l'échange, où se partagent expériences vécues et
propositions pour agir ensemble (v. 75).
Autrement dit, "la tolérance est faite d'une multitude d'attitudes, de
compromis, de choix et de décisions qui s'inventent au cas par cas, jour
après jour" (82). "C''est une invention à la
fois très simple et toujours incertaine. Elle se construit peu à peu, et
c'est toujours à recommencer. Comme la vie, finalement. "
(91).
*
La bibliographie comprend les grands classiques - Pierre Bayle, John Locke
et Voltaire - ainsi qu'un recueil de textes, La tolérance,
commentés par Julie Saada-Gendron (Flammarion, 1999), et d'autre part
quelques études contemporaines, dont celle de Michael Walzer,
Traité sur la tolérance (Gallimard 1998), "un des
livres les plus intéressants d'aujourd'hui sur la question" précise
Roger-Pol Droit (86).
octobre 2017
Jean-Claude Soulages (dir.),
L'analyse de discours Sa
place dans les sciences du langage et de la communication * Hommage à
Patrick Charaudeau (coll. Rivages linguistiques
Presses
universitaires de Rennes (PUR), 2015, 150 p., 14 €
Co-auteur,
avec D. Maingueneau, de l'excellent Dictionnaire d'analyse du Discours,
Seuil, 2002, P. Charaudeau, fondateur du CAD (Centre d'analyse du
discours), se voit offrir en hommage ce livre auquel ont collaboré
d'éminents spécialistes du langage et de la communication.
C'est dire
que l'on trouvera ici un aperçu actualisé des champs, des méthodes et des
orientations de la recherche dans ce domaine ; ce qui constitue une
précieuse ressource pour la formation des enseignants du secondaire.
Pour terminer,
un blâme et un regret. Le blâme : bonnet d'âne pour le relecteur qui
laisse en rade quelques lourdes bévues orthographiques ! Le regret : les
auteurs observent l'émergence de l'AT - analyse textuelle - à partir des
années 70 [v. pp.19-21]. Ignoreraient-ils que les
Cahiers d'analyse textuelle des romanistes liégeois (Etienne, Remacle,
Delbouille, Grisay et al.) datent des années 59-67 ? Voir A. Lerond (Paris
Nanterre) dans Persée.
►
Né en 1937 de parents émigrés juifs qui mourront en déportation, il
échappe en 1944 à une rafle de la Gestapo, il sera pris en charge et placé
comme garçon de ferme sous le nom de Jean Laborde. "N'ayant pas le droit
d'aller à l'école, (...) je me réfugiais dans la rêverie que mes lectures
alimentaient" (7). Lire, pour lui, ce sera
rencontrer ces héros dont on a besoin "pour se remettre à vivre"
(v. 11) : Rémy, de Sans Famille, Oliver
Twist, Tarzan, Batman... et aussi ces deux médecins-écrivains - réels, ceux-là ! :
Cronin et Slaughter... - qui l'enchantent, lui, futur et réputé
neuropsychiatre.
Le héros sait
dire "non" à la mort, à la dictature, au conformisme" (v.
48). Mais il peut aussi se laisser pervertir ! "Planteur de haine
et pourvoyeur du pire" (v. 4e couv.),
il nous pervertit à son tour par quelques slogans ou refrains qui
nous donnent un sentiment de force et d'appartenance : "en route
pour la pensée totalitaire !" (51).
Le résistant,
alors, se tient dans l'ombre (59),
refuse le discours dominant fondé sur une pensée binaire où l'appartenance
à un clan implique l'ignorance - et le rejet - de ce tout ce qui
n'appartient pas à ce clan (v. 113).
Et cela mène au drame, car "c'est ainsi que parlent les génocidaires"
( 117). C'est ainsi qu'est
totalement nié le sentiment moral, nourri de "l'épanouissante découverte
de l'Autre" (123).
L'auteur
évoque
ensuite à maintes reprises le fonctionnement de la pensée totalitaire
dans l'Allemagne nazie, les Pays de l'Est, le Cambodge
communiste, où "l'ordre règne quand l'individu n'a ni le désir ni la
possibilité de s'exprimer" ( 160) : "Quand le je est fragile, le
on sert de prothèse" ! (170)
Alors, le
langage totalitaire s'impose, à l'abri de toute discussion"
(191).
"J'ai changé de héros, écrit-il dans les toutes dernières lignes : j'ai
préféré aimer les aventuriers du quotidien que sont les médecins et les
écrivains (...) Mes héros ont transfiguré le deuil de mon enfance en
lancinant désir de bonheur." (230).
Décembre 2017
Jérôme Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ? Le récit au fondement de la culture et de l'identité,
Retz, 2010, 112 p., 15€
Une des premières notions mises en évidence par l'auteur est celle depéripétie:
"une histoire commence lorsqu'apparaît une sorte de brèche dans l'ordre des
choses auquel nous nous attendons"(19)
; alors, le motintrigueretrouve
son sens premier - le lecteur est... intrigué !
Alors, aussi, le récit se fait miroir ou écho de notre vécu, et,
paradoxalement, nous construit, nous permet de nous connaître, car "si notre
Moi était parfaitement transparent, nous n'aurions pas à le raconter"(57).
Ilsouligne
à ce propos l'intérêt du récit autobiographique, où "les expériences sont
filtrées par la langue pour devenir desévénements
verbalisés"(66).*.Et
il ajoute : "La construction de la personnalité ne semble pouvoir se faire
sans cette capacité de raconter"(77).
Le chapitre 4,Finalement,
pourquoi des récits,tente de
répondre à la question du titre : quelle dynamique et quels enjeux dans
l'exercice de cet art profondément populaire ?
"La dynamique ne se déclenche que lorsqu'apparaît une rupture dans la
banalité : il faut alors y faire face, la maîtriser..."(79).
Et c'est là, précisément, que résident les enjeux : "Les histoires font que
ce qui est inattendu nous semble moins surprenant, moins inquiétant : elles
domestiquent l'inattendu... '(ibid.):
"nous avons besoin de cette domestication pour maintenir sa cohérence à la
culture dans laquelle nous vivons"(80).
Et notre auteur évoque, à ce sujet, les recherches de Victor Turner, Merlin
Donald, Levi-Strauss, Vladimir Propp et autres...., qui ont observé comment
les pratiques narratives ont contribué, depuis l'aube du néolithique, au
développement du cerveau humain.
*Citation
empruntée à Dan Slobin,Verbalized
events, 2000, p. 107.
PS. - Le
chapitre 2,Récit de justice
et récit littéraire,répond
sans doute moins directement à la question du titre. On en retiendra surtout
cet excellent parallèle entre deux formes et deux scènes de récit(v.
p. ex. 44 & sv.).
Voir dansCafé
pédagogiqueune notice sur
l'auteur décédé en 2016 à l'âge de 100 ans.►
Vincent Leary, Qu'est-ce qui nous fait vivre ? Payot, coll. Rivages, 2015, 320 p., 20 €, trad. de l'anglais par
Françoise Bouillot
La question peut étonner ! Elle est capitale, nous déclare l'auteur, ce
brillant psychothérapeute qui quitte la région londonienne pour aller
vivre en Écosse, isolé pendant deux ans, attelé à la rédaction de ce
livre. Au départ de sa réflexion, ceci, qui lui paraît évident : nous
sommes des créatures d''habitude, voire de routine, vivant dans la
répétition, recourant à la mémoire pour perpétuer une façon d'exister.
Il serait bon d'échapper à ce mode de vie, qu'il appelle l'Acte
I, et d'entrer dans l'Acte II "qui suit l'arc dramatique du
changement jusqu'à l'Acte III, où s'établit le nouvel état
normal, le nouveau petit monde" (11). D'où les
deux grandes parties du livre, Rester le même
(35-170), Changer (173-270),
suivies de Danser déjà (271-310),
titre - ô combien métaphorique - d'une sérénité et d'une maîtrise
retrouvées.
Ce travail sur soi, cette mise en mots de son vécu pour préparer le
changement, sera favorisée par la pratique de l'écriture : "En écrivant
mes arguments, en utilisant cet accessoire qu'est l'ordinateur posé sur
ce bureau, je peux soutenir et développer ces pensées sur un temps bien
plus long que je ne pourrais le faire sans aide" (87).
Beau témoignage sur le rôle de l'écriture comme moyen de construire la
personnalité ! Il reconnaît aussi, comme aide au changement ce "terrain
commun" que sont les réseaux sociaux : "nous avons désormais des
communautés de désir" (131). Voilà qui surprendra
les pourfendeurs de facebook... !
Jolie et révélatrice du changement survenu (la capacité de vaincre la
routine !), cette scène du T-shirt, tombé par hasard de l'armoire ;
"Après un instant de blocage, l'ancien a cédé la place au nouveau
; je l'ai relancé à sa place avant d'aller faire le thé et les toasts."
(196). Autrement dit : j'arrive "au point où le
délibéré devient habituel" (254).
Ainsi donc, ce qui était habitude a cessé d'être servitude, parce que
vécue avec cette présence d'esprit et cette créativité retrouvées qui
éliminent l'automatisme et la dépendance. "Tout dépend de qui tient les
rênes. L'Automatique qui forme l'essentiel de nous a besoin de guidance
et de direction." (312).
septembre 2018
Guy Haarscher, Comme un loup dans la bergerie Les Libertés d'expression au risque du
politiquement correct
Éd. du Cerf, 2016, 200 p., 19€
Philosophe et juriste, il a enseigné à l'ULB, à la Faculté de Droit et à la
Faculté de Philosophie et Lettres dont il fut le Doyen de 1997 à 2000. Il a
créé en 2016 un MOOC "Développer la pensée critique" et est
actuellement professeur au :Collège d'Europe. Son livre Philosophie des
droits de l'homme publié en 1987, plusieurs
fois réédité et révisé, est sans doute le plus connu du grand public :
dernière parution au Cerf en 2015..
L'année suivante, paraît cet ouvrage sur les libertés d'expression qu'on peut considérer comme illustration du
précédent : il y analyse: en effet des affaires survenues ces
dernières décennies - insultes, blasphèmes, ,propos
racistes,
homophobes, islamophobes, antisémites... - examinées par des
Cours compétentes, telles que la Cour suprême des États-Unis, la Cour
européenne des droits de l'homme (instituée par la Convention européenne de
l'homme). Citons par exemple : le projet - inabouti - de monter à
Genève, en 1993, Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète
(26...), le film Le Concile d'amour de Werner Schröter projeté
à Innsbrück en 1985 (49...), les tracts racistes
du suprématiste Beauharnais à Charlottesville dans l'Illinois en 1952
(91...), les thèses négationnistes de Roger
Garaudy dans Les Mythes fondateurs de la politique israélienne publié
en1995. (105...)...
La deuxième partie,
Les avatars de la querelle du créationnisme (123-176),
intéressera certainement davantage les responsables de l'éducation
confrontés souvent confrontés à cette croyance fondée sur une fâcheuse
lecture littéraliste de Genèse 1, qui n'est nullement une
chronologie, mais un décalque des mythes chaldéens ! C'est surtout
chez les tenants du Dessein Intelligent que l'on débusque la
stratégie du loup dans la bergerie : présenter comme science ce qui
ne relève pas de la science, et prétendre être attentif à la
controverse, Ce qui est une imposture, ou plutôt une "ignorance criante"
(174) que dénoncera fermement le juge Jones, de
la Cour suprême des États-Unis. '"C'est son honneur, dit Guy Haarscher, de
ne pas s'être laissé piéger par ce langage apparemment ouvert (...) et
d'avoir compris à quel point il s'agissait d'une manipulation."
(197).
octobre 2018
Alexandre Moatti, Islam et science : Antagonismes contemporains
PUF 2017, 181 p. & bibliogr., 14 €
Elles sont rares, les écoles sans
élèves musulmans. Ceux-ci y sont même parfois majoritaires. On peut
s'interroger sur la façon dont le "monde scolaire" - professeurs,
élèves, parents d'élèves, relations et pratiques pédagogiques... - prend en compte cette présence : quels échanges entre les
cultures, quelles questions et quelles réponses sur les références
idéologiques et religieuses, et, tout particulièrement, sur la perception même
du savoir et de la recherche, nourrie du doute, du questionnement, de la
vérification... et disposée au débat.
Le livre d'Alexandre Moatti vient bien à point pour
observer le concept de science dans le Coran et dans le monde musulman :
"Quel décalage avec la pensée occidentale
?" (1-15) ? Il analyse
successivement les discours académiques, les discours radicaux dans
l'espace numérique; et termine en soulignant la nécessité et l'urgence
d'un échange où la rationalité prime sur les idées reçues et les
préjugés.
Discours académiques. Tariq Ramadam (univ. de Genève, Oxford) :
"...si
le musulman doit s'intéresser à la science, c'est parce qu'elle
nourrit la foi, (mais) l'esprit n'est pas le seul chemin d'accès à la
connaissance : le canal le plus moderne serait celui du cœur."
(19) * Sayyid Qutb :
sa doctrine, critique virulente de la modernité, inspire les Frères
musulmans. "Le Coran (...) est au-dessus de toute théorie et se passe
d'hypothèses (...) ; les théories scientifiques se rattachent à l'état
d'ignorance antéislamique." (36)
René Guénon - devenu Cheikh al-Wahîd Yahya
(philosophe français) : "La notion même de vérité en sciences n'existe
pas (...) puisque la Vérité n'est pas accessible à l'esprit humain."
(48) Hossein Nasr (univ.
de Georgetown, Washington) en appelle à "un retour de la religion
contre la science moderne" (88),
parce que "l'Occident s'est concentré sur l'étude de l'aspect
quantitatif des choses" (70).
Ziauddin Sardar, "est un des représentants les plus marquants
d'un discours postmoderne et relativiste portant sur la science et
appliqué à l'islam" (77).
En opposition à la neutralité émotionnelle et à la rationalité, il
déclare que "l'implication émotionnelle est fondamentale pour une
science qui nous élève socialement et spirituellement"
(83). La fondation Templeton
- où interviennent "des scientifiques croyants de toutes religions
(...) trouve un large écho chez les scientifiques musulmans"
(94). Un de leurs représentants,
l'Iranien Mehdi Golshani, affirme : "Seuls les scientifiques croyants
seraient à même de faire de la science." (103)
Discours numériques radicaux (sur Internet).
Bornons-nous aux titres... qui sont explicites ! "Le caractère
scientifique miraculeux du Coran (115) , Le
créationnisme prosélyte (131), Du révisionnisme
historique à la théorie du complot" (141).
Le primat de la rationalité. L'intérêt pour la
science favorise "le discernement, la capacité de doute et de
questionnement" (181).
"C'est cette capacité de questionnement (...) que doit prendre en
considération l'islam d'aujourd'hui, dès aujourd'hui.'
(182)
novembre 2018
Marion Mari-Bouazid, Les pouvoirs
de la tolérance,
Odile Jacob, 2015, 210 p., 20 €
Deux citations de Gandhi - l'expert en tolérance -
encadrent l'ouvrage : Je n'aime pas le mot tolérance, mais je n'en
trouve pas de meilleur (7).
La vie est un mystère qu'il faut vivre, et non un
problème à résoudre. (193)
C'est vrai que ce mot tolérance est interprété
souvent comme une faiblesse, une démission; une perte. L'auteure nous
démontre qu'il n'en est rien ! Et comme elle se présente, d'entrée de
jeu, comme "psychologue et également boxeuse" (23),
on comprend vite que cette démonstration soit
subtile; délicate, tout en nuances, mais aussi vigoureuse, voire
impérative ! Elle se déroule en quatre parties.
Qu'est-ce que la tolérance ? commence par le commentaire de
situations typiques : mon voisin de palier ne range pas sa poubelle ;
mon collègue me coupe sans cesse la parole ; ma belle-mère me sermonne
sur ma façon de tenir ma maison, etc. Et c'est assorti de conseils
judicieux... Celui-ci, par exemple : "accroître votre capacité de se
mettre à la place de l'autre et à comprendre les fondements de son
comportement" (66).
Pourquoi être tolérant ? Retenons quelques réponses avisées :
"elle est susceptible de transformer notre être en profondeur"
.73) ; être donneur de
leçons gâche toutes les chances de parvenir à la tolérance
(97).
Quand être tolérant ? L'auteure considère à ce propos quatre
variables importantes : le degré de préjudice, le degré d'atteinte au
sens moral, le degré de conscience de nuire, et surtout "l'évaluation de
ce que je peux et ne peux pas changer" (118).
Comment être tolérant ? Tout d'abord en évitant quatre "ennemis
de la tolérance" : le perfectionnisme, l'adhésion sans regard critique
aux normes sociales, l'adoption de jugements extrêmes, la résolution des
différends par le conflit (141-142). Autrement dit
: savoir lâcher prise pour gravir les trois échelons de la tolérance :
la tolérance-capacité à supporter (149, la
tolérance-indulgence (179), la
tolérance-acceptation (193). Ce qui se fera au
prix d'un patient travail sur soi, en pleine conscience. Sûrement pas au
prix d'une emprise sur l'autre !
décembre 2018
Annabelle Allouch, La Société du concours L'empire des
classements scolaires,Seuil, 2017. 128 p.,
11.80 €
Dès les premières pages, l'auteure évoque Pierre Bourdieu et Jean-Claude
Passeron qui, en 1964, dénonçaient le concours comme une forme radicale de
sélection (Les Héritiers. Les étudiants et la culture, éd. de
Minuit).
"La société produite par le concours est profondément
inégalitaire", affirme-t-elle (10) et elle reviendra
souvent sur cette inégalité, créée, entretenue, cultivée par les hautes
écoles de la République, telles que l'ENA, Polytechnique, Sciences Po...
où les frais d'inscription, de résidence, de plus en plus élevés,
dissuadent les moins favorisés, "rendent les filières socialement plus
fermées". (45).
Le chapitre 2, Tous fous de concours ? est illustré par le portrait
de trois "bêtes à concours": Frédéric (Sciences Po, 25 ans), Jeanne (HEC,
27 ans) et Fabrice (Sciences Po, 21 ans) :.trois profils exemplaires,
trois logiques : corporatiste + distancié, méritocratique + hédoniste,
logique du signal + stratégique (77). Et l'auteure
conclut : "Devenir une bête à concours, c'est avant tout reproduire
un rapport dominant et désirable à soi-même et à autrui, qui valorise la
mesure scolaire et la compétition au-dessus de tout." (78)
Que faire pour tenter d'en finir avec une inégalité criante qui exclut de
jeunes citoyens, pourtant doués et prometteurs ? L'auteure propose - ose
proposer ! - "que l'impartialité et l'objectivité relèvent de la
réalité plutôt que d'une mise en scène" (105). Dans la société actuelle,
à juste titre plus
attentive à la créativité qu'à l'érudition, il est urgent,
souligne-t-elle, de valoriser la
recherche, l'initiative personnelle, de "réduire le nombre des cours magistraux et
d'augmenter celui des travaux dirigés". (103).
Tenter d'en finir... Difficile dans un pays où les élites veillent à leurs privilèges !
Éloi Laurent, Nos mythologies économiques,
Coll
Babel, Éd. Les liens qui libèrent (Actes Sud), 2016, 104 p., 6,90 €
Nosmythologies ! Le choix du possessif ne semble pas fortuit. Le
citoyen lambda, en effet, ne risque-t-il pas de faire siennes ces mythologies
qui envahissent bruyamment le débat public ? L'auteur, professeur à Sciences Po
et à Stanford, démontrera que ces théories sont en réalité des mystifications
qui "détournent l'attention des citoyens des véritables enjeux dont ils
devraient se soucier et débattre" (102)
La
mythologie néolibérale (15-51) -
Elle induit une pratique économique et sociale qui privilégie la
production et la capitalisation plutôt que la répartition et la
redistribution. Et cela, avec des subventions de l'État alimentées par... vous et
moi, citoyens contribuables ! Un modèle économique marchand qui crée et fait
perdurer les inégalités,
qui délaisse trop souvent les priorités de l'éducation, de la santé, du logement,
de l'environnement !
(v. 42)
La
mythologie social-xénophobe (53-74)
- Les extrêmes droites s'arc-boutent à la fois sur l'angoisse identitaire et sur
l'attachement à leur modèle social "qui attirerait les misérables du monde
entier" (54). Chiffres à l'appui,
l'auteur démontre qu'en France "les flux migratoires
sont à un point historiquement bas (...) et que, ramenée à la population, la proportion terrifiante de ces envahisseurs (...) atteint 0,4%"
(58) ! Mais, souligne-t-il, n'oublions pas
que l'intégration est un impératif pour que la diversité
devienne une richesse (v. 74)..
La mythologie
écolo-sceptique (75-100) - Citons
quelques en-têtes "Ces crises sont exagérées..." "Les marchés sont la
véritable solution." "L'écologie est l'ennemie de l'emploi" Etc. Et l'auteur
de préciser : La crise se traduit - déjà - par une dégradation de l'hospitalité
de la planète (v. 80). Le discours
sceptique veut préserver le statu quo économique (v. 82).
La crise impose des décisions démocratiques conscientes, et non des
automatismes économiques miraculeux (v. 87).
Les éco-activités créent - et créeront - davantage d'emplois que le reste de
l'économie. (v. 93). Enfin,
s'inspirant de Laudato si' du pape François : "C'est une transition
social-écologique qu'il faut inventer" (99).
Vivement, que les éducateurs s'engagent dans ce combat !
février 2019
Didier Fassin, Punir * Une passion contemporaine, Seuil,
2017, 210 p., (dont 50 p. Notes et Références), 17 €
Professeur de sciences
sociales à l'I.A.S. de Princeton et directeur d'études à l''EHESS, il rappelle,
à la fin de son livre, le projet de sa recherche : « Jeter les bases
d'une réflexion critique sur la place et le sens de la punition dans les
sociétés contemporaines (158) ; dire comment à la fois
réformer le châtiment et faire reculer le crime (158) ;
repenser l'ordre social non plus seulement dans le langage idéal de la
philosophie et du droit, mais aussi et surtout dans la réalité inconfortable de
l'inégalité sociale et de la violence politique. » (160)
Vaste chantier qu'il aborde sous ces trois titres : Qu'est-ce
que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ? Et en conclusion :
Repenser le châtiment.
En France, de 1955 à 2016, la population carcérale passe de 20 000 à 70 000
détenus : une croissance qui n'est pas due - comme on pourrait le croire - à une
augmentation de la criminalité. Et cela n'est pas propre à l'hexagone :
« Le nombre de détenus dans le
monde dépasse aujourd'hui dix millions, dont près d'un quart aux États-Unis. »
(85).
Ce phénomène est à la fois
culturel et politique : les citoyens sont moins tolérants pour ce qui trouble
leur existence (agressions, incivilités...) ; les élites et le Pouvoir
renforcent les inquiétudes des citoyens. Ainsi prend forme un "populisme pénal"
(12). Punir - infliger une peine (de poena,
souffrance) l'emporte sur l'intention de "réformer le criminel", et smoins
encore de
s'en prendre aux causes de la criminalité.
Y aurait-il une propension au crime plus grande dans les classes sociales
défavorisées, dans les milieux issus de l'immigration ? Il faut analyser de plus
près cette relative inattention des juristes à l'égard des inégalités dans la
distribution des châtiments ! (v. 118) Et
l'auteur, de citer Marcel Mauss, qui oppose [en 1925] « la criminalité violente contre
les personnes, celle des classes et des populations arriérées, et la criminalité
douce contre les biens des classes commerçantes et des populations urbaines et
policées. » (120) Et de citer plus
loin ce
détenu, Français d'origine marocaine, interpellé pour possession et cession
de cannabis, condamné à trois ans de prison ferme (c'était sa première affaire
en justice) : « Moi, j'ai fait de mal à personne. Alors, quand je vois Sarkozy
qui profite de l'argent d'une vieille femme sénile ou Cahuzac aves ses millions
qu'il doit au fisc... et eux sont libres ! »
Quand l'alourdissement des peines accroît les inégalités... ! « À rebours du
populisme pénal triomphant, cette enquête propose une salutaire révision des
présupposés qui nourrissent la passion de punir et invite à repenser la place du
châtiment dans le monde contemporain. » (4e de couv.)
mars 2019
Pascal Chabot,
Exister, résister. Ce qui dépend de nous PUF, 2017, 239 p., 18 €
Nous vivons dans un tourbillon de forces qui nous ébranlent. Et qui nous
isolent. Pire encore, quand elles nous rendent grégaires. Un réseau de plus en
plus dense d'informations et de conditionnements tend à s'imposer, favorisé par
la financiarisation, la robotisation, l'expansion du numérique, "la gouvernementalité algorithmique" (105), la prise de
pouvoir par les multinationales, le monopole croissant de quelques citadelles :
qui, en effet, ne connaît Gafam - Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft - qui
façonne notre profil et nous
transforme en likers, en consommateurs ?
Tel est le système, qui décide de tout !
Mais "est-il normal que l'être humain soit ainsi conditionné, que son moi soit
le reflet de ce que son environnement lui impose ?" (73) Comment produire une réflexion sensée, rester debout,
se sentir autonome et créateur, vivre à la fois
l'existence et la résistance ? Comment "faire face aux ultraforces" (c'est le
titre de la deuxième partie) ? Quelle puissance, quelle arme leur opposer?"
Peut-être
en allant voir du côté de l'humain" (159), en précisant,
au-delà du moi soumis au système, ce qu'est le soi et "sa capacité d'exister en
résistant" (172). Résister, donc, en préférant
au réseau des moi sociaux
la quête d'un soi plus libre (v. 175)
! Et découvrir alors la saveur d'exister, qui est "le seul vrai œcuménisme"
(180) ! L'esprit peut alors se dégager des "certitudes assurées"
(194), des opinions dominantes, pour s'aventurer dans une
recherche personnelle, dégagée de la doxa officielle.
Et voilà qui favorise la découverte et l'estime :de l'autre, la fraternité et la
tolérance : " L'individu semble n'avoir trouvé ce territoire intime du soi que
pour l'aimer davantage chez l'autre.' (206)
En définitive, tout cela... dépend de nous !
Avril 2019
Martine
Menès,L'enfant
et le savoir. D'où vient le désir d'apprendre,
Éd. du Seuil, 170 p., 2012, 170 p., 7€50
?
Un homme apprend
continuellement » : l'exergue est de Blaise Pascal, ce génie toujours en
quête de savoirs. Telle sera la thèse de ce livre : pas d'apprentissage, sans le
désir d'apprendre ! Pas d'apprentissage sans la possibilité de penser,
d'interroger, de critiquer, de vérifier. « Ce rapport au savoir
est singulier, différent pour chacun. Il se construit, s'enracine dans
l'histoire précoce du sujet. » (23)
Et
l'auteure entreprend d'observer la naissance et la croissance de ce désir durant
la période qui précède la scolarité, insistant à juste titre sur la découverte
par l'enfant de la propre identité de son "moi", dans le cercle familial. Très
tôt - avant 2 ans - l'enfant va passer de la seule satisfaction du besoin à un
'intérêt croissant pour les échanges et pour les expériences. Ensuite, il en
viendra à élaborer des théories explicatives à partir de ses observations : «
C'est la naissance du sujet désirant ! » (48)
Vers 3-4 ans, commence
l'avalanche des pourquoi, des comment, des c'est quoi ça, des comment ça
s'appelle ! Du même coup, il va découvrir « la limite du savoir chez l'autre »
(74). Vers 5 ans, « l'enfant s'est suffisamment émancipé à
l'égard de ses parents pour pouvoir s'intéresser à autre chose qu'à
eux seuls » (84).
Le développement des
savoirs - qui va de pair avec le développement du langage - s'intensifiera à
l'école, spécialement dans l'interaction avec les autres (v. 140).
Et aussi dans le bain de lecture ! Et aussi dans le jeu, qui est « une
façon d'apprendre par soi-même» (150).
Et aussi dans le dessin : « Un enfant qui dessine, c'est d'abord un enfant qui
apprend à voir. » (151)
Heureux
élèves, si leur maître leur transmet d'abord son intérêt pour le sujet qu'il traite !
S'il favorise le questionnement et l'échange. S'il tient un propos ouvert,
pas un discours magistral ! S'il leur communique le désir - son propre
désir - de savoir ! (160)
mai 2019
David
Graeber, La démocratie aux marges Flammarion, Champs essais, 2018, 126 p. 7 €. Préface :
Alain Caillé. Traduction de l'anglais : Philippe Chanial.
Militant anarchiste, l'auteur s'en prend à cette vulgate
hyperdominante affirmant que la démocratie est due aux Grecs de
l'Antiquité et a prospéré grâce à la culture occidentale. Il n'en est
rien ! « La démocratie ne naît et ne vit en réalité que dans les marges
du pouvoir : elle est indissociable de l'anarchie. » (v. 4e de couv.). Ce que l'on appelle
"démocratie représentative" ne serait en réalité que la mise en œuvre de
l'appareil d'État plutôt qu'un mode d'auto-organisation collectif
(v. 17) qui
serait en dehors des
"structures de domination systématique" (22)..
On se méprend, donc, sur la perception du mot démocratie : ou
bien on construit une histoire commençant par la Grève antique ; ou bien
on décrit des procédures de décision égalitaires qui, à Athènes, furent
appelées "démocratiques". (v. 47). Nuance !
L''émergence de l'idéal démocratique au début du 19e siècle - en France,
en Angleterre et aux États-Unis - est liée, certes, à l'élargissement du
droit de vote. Et il semble bien, en Europe, que la guerre
d'indépendances menée par la Grèce contre l'empire ottoman dans les
années 1820, ait suscité un nouveau regard sur Athènes : « En changeant
de cadre de référence, de Thucydide à Hérodote (les Guerres
médiques...!) l 'image d'Athènes ne pouvait que s'en trouver
améliorée. » (61)
Cette émergence tiendrait aussi à des traditions ou à des
pratiques sociales (échange, occupation des sols...). L'auteur cite par
exemple les Iroquois (qui auraient influencé le droit nord-américain),
les Malgaches, les Africains (dont les "fétiches" régulaient
le commerce avec les Européens), les Chinois et leur sagesse confucéenne... : autant de « traditions
comme actes de refondation permanente » (87).
Qui sera étonné par la conclusion de l'ouvrage : « L'impossible
mariage de la démocratie et de l'État » ? (105) Et
par ce couplet chaleureux célébrant le zapatisme au pays des mayas ? (109)
Beaucoup, cependant, souscriront sans doute au mot
de la fin : « C'est sur notre capacité d'action en tant que citoyen » que repose l'avènement d'une démocratie digne de ce nom.
(117)
Juin 2019
Guy Debord,
La société du spectacle
Gallimard, coll. Folio essais, 2018, 212 p., 6.90 € - [Cinq éditions :
1967, 1971, 1992, 1996, 2018]
Principal animateur de l'Internationale situationniste
fondée en 1957, il en publie le manifeste dix ans plus tard dans La société
du spectacle (qui sera comme la bible de Mai 68), puis en 1973, sous le
même titre, dans un long métrage
d'images détournées dont le commentaire off est
entièrement composé d'extraits du livre. Celui-ci se présente comme une suite de
221 "thèses" réparties en 9 chapitres. (nos références,
ci-dessous, reportent au numéro de la thèse).
Le spectacle, pour l'auteur, c'est "l'affirmation de l'apparence"
(10). "Un spectacle où la marchandise se contemple elle-même dans un
monde qu'elle a créé" (53). Voilà déclarée, sans ambages, l'idée maîtresse de son ouvrage :
dans une société marchande de citoyens consommateurs, le paraître prime sur
l'être, la conformité sur la liberté, la quantité sur la qualité, la soumission
sur l'autonomie. Est bannie, donc, toute parole autre que celle du pouvoir
(v.23) ! Un point de vue visiblement hérité de Karl
Marx.
Le chapitre 4, Le prolétariat comme sujet et comme représentation - qui
occupe à lui seul le tiers de l'ouvrage - est une érudite analyse du
"développement des forces productives (qui) a fait éclater les anciens rapports
de production" (73). Cette économie du développement est
devenue le projet-clé et la puissance de la bourgeoisie, tandis que "le
prolétariat ne peut être lui-même le pouvoir qu'en devenant la classe de la
conscience". (88). Tel
est le mot d'ordre qui devrait s'imposer à "l'immense majorité des
travailleurs qui ont perdu tout pouvoir sur l'emploi de leur vie"
(114). Une prise de conscience qui engage une "force pratique"
pour "une
tâche de longue haleine", "dans un cheminement obscur et difficile"
(203
Juillet-août 2019
Marcel Otte, L'audace de Sapiens *
Comment l'humanité s'est constituée Odile Jacob, 2018, 248 p. & Réf. bibl. (7 p.).
[Introduction - Audace et évolution humaine] * Se
déplacer - L'aventure migrante * Se redresser - Vers un nouvel
équilibre anatomique * Changer le monde - Outils et actions *
Transformer la vie - Le défi alimentaire * S'abriter -
D'autres modes de protection * Créer des contacts - L'extension
des réseaux * Déléguer la mise à mort - Un autre rapport à
l'existence * Solidariser chacun - Le renforcement des liens
sociaux * Bâtir un système de valeurs - À la recherche d'un idéal
commun * Vaincre le doute - Le perfectionnement de la pensée
* Rêver - .La puissance des mythes * Émouvoir - La
création artistique [Conclusion, Destinée de l'humanité]
Nous tenions à retranscrire ces titres et sous-titres : rien de tel, en
effet, que de les parcourir, pour saisir la mouvement de la pensée et la
perspective résolument philosophique de l'auteur : ce qu'illustrent bien
les extraits ci-dessous.
Audace : « l'homme se définit par les défis qu'il surmonte.»
(27). Passage à la bipédie... Se déplacer
sur des territoires redoutables : « Seule la pensée a pu imaginer un tel
changement. » (49). Changer le monde : le matériau
et l'outil... : « Si simples qu'il puissent être, les
premiers gestes de transformation entrent déjà dans l'ordre
métaphysique. (78). Nourriture.. : « Les
rapports à la nature ne sont jamais loin de ceux entretenus par l'esprit
humain dans la prise de conscience progressive de sa singularité.
(107) S'abriter... : «
On peut "lire" la pensée qu'une société se fait d'elle-même à travers
ses aménagements spatiaux. » (103)
Réseaux -
Cet exemple, parmi d'autres :: « Le style de Chauvet se
retrouve à l'identique en pleine Roumanie. » (153)
Déléguer la mise à mort...: Par la
maîtrise balistique, s'établit « une sorte de délégation de la mort à la
pensée. » (159) Liens
sociaux... : la solidarité «passe par la sacralisation de la
conscience partagée... » (176)
Idéal commun : Se dépasser, « tendre vers le
sublime » (187). «Toujours,
l'action de l'audace cherchera à dépasser les réalisations antérieures.
(188) Vaincre le doute. L'audace, encore !
« Elle combat l'angoisse issue de l'activité de la conscience »
(204) Rêver. Le mythe s'impose, tout comme
l'écriture ou les coutumes, dès qu'une société existe.
(v. 187) Émouvoir : « L'homme s'agite
devant son destin naturel, il le combat, le défie et en crée un
nouveau.(...) Il n'existe pas d'humanité sans art. »
(221)
Destinée de l'homme : L'audace encore ! «
Comprendre la préhistoire des civilisations revient à comprendre la
nature de l'homme. » (...) Oser forger son destin spirituel : c'est le
seul champ où s'exercent les valeurs de Sapiens !
(v. 241)
Septembre 2019
Jacques ELLUL L'illusion politique
La Table ronde, 2018, rééd. 322 p & notes - Première publication 1965
chez Laffont, - revue et augmentée, Le Livre de Poche 1977
Ce célèbre pasteur protestant suisse, spécialiste de la pensée marxiste,
nous livre ici d'intéressantes mais parfois désabusées considérations
sur la politique. Jusqu'au 18e siècle, rappelle-t-il, elle ne concernait
et n'engageait qu'un nombre réduit d'individus
(v.39), mais aujourd'hui « il peut y avoir
désintérêt et en même temps surévaluation du politique »
(63). Les décisions du
politicien,; en fait, tiennent à la pression de l'actualité plutôt qu'à
sa liberté d'initiative (v.78) .
Et c'est ben là que se trouve l'illusion !
Chez lui; le goût du pouvoir suffit...que le pays soit
communiste ou capitaliste (v 206).
Dans ce cas, pas étonnant que compte bien peu sa « valeur morale »
(244). Le risque du citoyen
lambda : subir : « l'autonomie du politique à l'égard de la
morale et des valeurs » (266).
Et ce serait désastreux !
Il s'agit bien, au contraire, de mettre en
place une démocratie qui se veut « par les citoyens »
((307) Et l'auteur de
préciser : « « La démocratie, aujourd'hui, ne plus être que
volonté, conquête , création. » (id)
Octobre 2019
René Depestre, Bonsoir
tendresse, autobiographie
Préface de Marc Augé, avant -propos de Jean-Luc Bonniol,
Odile Jacob, 210 p., 2018, 23 €.
Cette œuvre, qui inaugure la collection Citoyens de
monde, est précisément celle d'un universaliste
profondément attaché à Haïti, sa terre natale, qui professe et
proclame ardemment sa négritude. Né à Jacmel en 1926, il obtient le
Renaudot en 1988 pour son roman Hadriana dans tous mes rêves,
où affleure cette mémoire du « travail servile de la plantation
coloniale, qui imprègne l'imaginaire haïtien » (31).
Il a à peine vingt ans quand il fonde, avec quelques autres jeunes,
marqués par la largeur d'esprit de témoins tels que Ernest Hemingway,
André Breton, Jean-Paul Sartre, Aimé Césaire et - bien sûr - ...Arthur
Rimbaud, la revue La Ruche (qui sera bientôt La
nouvelle Ruche), un organe libertaire qui contribuera beaucoup à
la victoire des classes moyenne de son pays. Il y reviendra en 1957 à
la suite de divers séjours en Hongrie, à Prague, à Paris (les
Lettres en Sorbonne, puis Sciences Po), au Canada, à
Cuba......
Sa sympathie pour le marxisme est évidente. Tempérée, cependant par
l'accent mis davantage sur la fraternité, que sur le dirigisme (qui se
pervertit en dictature policière). La fraternité, donc ! D'où son
penchant vers la... tendresse. Et son aversion pour le «
hold-up de sens » (68) effectué par la régime
soviétique !
Homme de culture, ce René Depestre ! « Non pas de façon
froidement livresque, mais tout près des chaudes splendeurs de la vie.
» (78) Comme son grand ami et
modèle, Pablo Neruda !
Tendresse rime avec mollesse ? Nullement, écrit-il !
Elle est aussi fermeté, qui ne peut que refuser « les contraintes de
haine et de sang que les tribus, les ethnies, les temples
intégristes ou fondamentalistes en armes, les sectes et chapelles
indigénistes, bref le carnaval des communautaristes de toutes
sortes infligent ces temps-ci aux relations humaines. »
(201)
Le titre peut surprendre. Et même être compris comme
un oxymore par tel ou tel lecteur qui se représenterait la sagesse
comme ascétique, austère, voire sévère, peu encline à la tolérance,
à la bonne humeur et moins encore à l'espièglerie. L'auteur répond :
«Pourquoi s'obstiner à associer la sagesse à une maîtrise
sourcilleuse, à une orthopédie féroce, à une accablante
perfection ? Un policlinique
(comme il l'écrit dans ce plaisant néologisme), ne saurait en aucun cas
tenir lieu de maison de correction, de redressement.
(212)
Et il s'explique : «Je préfère le terme
"policlinique" dont l'étymologie grecque polis désigne la
ville, donc un lieu ouvert à tous. (14, note).
Ouvert ! Voilà le mot lâché ; qui souligne
l'absolue nécessité d'un large éventail de relations (philosophes,
écrivains, amis proches...), au seuil des misères de chacun.
Et question "misères", précisément, l'auteur sait - dans sa chair -
de quoi il nous entretient : d'une part un handicap profond - l'athétose,
dont il parle dans son premier ouvrage, Eloge de la faiblesse,
paru en 1998) ; d'autre part une forte addiction - qui tient sans
doute du voyeurisme érotique... et dont il se dégagera "vers une
complète déprise de soi"
(17)
où il découvre que « la
blessure est l'endroit où la lumière entre en vous
(41)
» comme l'écrit Rûmi, le poète persan.
Une découverte
due à des personnes rencontrées, « boute-en-train de la sagesse pour
nous dérider un peu et nous apprendre à nous lâcher carrément.»
(77) Mais cette route vers la
guérison peut être longue : « La grande santé tient du marathon plus
que du sprint ! » (97)
Important et décisif, donc, l'amour mutuel qui
se manifeste dans ces relations, et amène à l'acceptation de soi
et à l'ouverture, au partage. (v. 210)
«J'ai eu la chance de faire l'expérience de ces mains
tendues, écrit-il ! » (215)
Superbe conclusion !
Décembre 2019
Richard Étienne, Serge Ragano & Laurent
Talbot (dir.), Peut-on encore parler de méthodes pédagogiques ?
L'Harmattan, coll. Pratiques en formation, 2019,
206 p. plus Bibliogr.. et Sitogr.., 31 p., 26 €.
Cet ouvrage publie l'intervention d'une vingtaine
d'auteurs, soit théoriciens de la pédagogie, soit doctorants, soit
acteurs de terrain. Dès les premières pages, cette déclaration, qui
sonne un peu comme un aveu (ou comme une critique ?) : «
méthode, démarche, procédé, modèle..., : il existe une
incompréhension, voire une méconnaissance, du ou des sens que revêtent
ces formes. » (19).
Il s'agirait donc d'entreprendre un travail sur le
langage, c'est-à-dire de trouver les termes univoques,
communicables, accessibles aux étudiants comme aux praticiens
(v. 48) ;
il s'agirait surtout d'apprendre à observer attentivement ces
interactions avec les élèves, qui permettent d'ajuster et réajuster
constamment les comportements pédagogiques (v.70), voire
parfois d'improviser.
Appelons cela, non pas une méthode mais une « une hybridation des
démarches »
(131)
qui autorise l'enseignant à suivre « une logique
professionnelle plutôt qu'une logique bureaucratique »
(141), d'avoir donc une « marge de
manœuvre » (142) dans la
transposition didactique des directives, face à « l'environnement de la
classe »
(150).
Ainsi, par conséquent, enseigner, c'est plus un cheminement qu'un
chemin, comme dit le poète Machado (163)
: no hay camino, se hace camino al andar ! On pourrait alors, écrit
Richard Étienne, « invalider
ce terme de "méthode", au sens de voie unique, étroite, balisée et
excluant l'inventivité » (164).
N'est-ce pas, ici, la réponse audacieuse et lucide à la question posée
dans le titre ?
L'allure du texte, dans l'ensemble, est un peu pédante,
un peu froide, un peu guindée.. Il y manque sûrement ce côté
cordial d'une réflexion sur l'aspect relationnel enseignant-élève.
C'est-à-dire sur une sorte de complicité qui se crée et se développe entre celui qui sait et celui
qui grandit, né pour devenir un adulte libre et critique.
Janvier 2020
Le tournant éthique en didactique de la
littérature
Numéro 58 deRepères, coordonné
par Brigitte Louichon et Marion Sauvaire. ENS (Éc. normale supérieure de Lyon),
178 p., 22 €.
Une dizaine de chercheurs ou chercheuses, tous universitaires
(Montpellier, Toulouse, Genève...) ont collaboré à ce numéro 58 deRepèresconsacré
à un domaine trop peu visité : l'éthique dans le traitement de la littérature.
Hommage à eux et à elles d'aborder ce thème délicat ! Un domaine où est en jeu
un des objectifs essentiels de l'éducation : « former des citoyens capables de
s'inscrire dans des débats empathiques et raisonnables »(8),
ce qui enjoint aux enseignants de littérature de « renouer avec la question des
valeurs, non plus comme données à priori, mais comme postulations »(19).
Une tâche difficile, parfois, mais indispensable : apprendre aux
élèves à gérer la complexité textuelle « au-delà de l'empathie »(25)et
de la subjectivité, et à se distancier des diverses "voix" de l'écriture , ce
qui leur permettra de construire leur propre identité(v.
31). À ce sujet, on trouvera quelques pistes
intéressantes dans le site éditorial Litt&Valeurs de l'Université de Grenoble(v.
45).
Il est bon de distinguer deux approches de la morale :
l'une qui énonce les devoirs et les règles, l'autre « à vocation
émancipatrice, qui cherche à développer la réflexion pour favoriser un
commun partageable respectueux de l'altérité et de la pluralité »
(93). Bref, pour passer progressivement d'une
communauté de jeunes lecteurs éclairés à une communauté de citoyens ouverts et
tolérants ! Et les auteurs citent ici (136)
le poème de Jean-Pierre Siméon Fraternité tiré de Sans
Frontière fixe (éd, Cheyne 2004)
qui se termine par cette strophe : Arrachez les drapeaux /
qu'il soient la nappe immense / sur la table des hommes.
Alors l'école pourra devenir «un rempart contre le fondamentalisme et toute forme de dogmatisme»,
( 137) un lieu d'ouverture
et dé tolérance.
Février 2020
Edwy Plenel, La valeur de
l'information, suivi de Combat pour une presse libre
Don Quichotte Éditions, collection Points, 230 p., 7 €.
Mediapart : "un média à part" (c'est le titre de
l'introduction) ! Créé en 2008 "dans l'incrédulité générale"
(12), ce journal s'inspire de cette
célèbre repartie de Gauguin : J'aime mieux être un misérable qu'un
plagiaire. Avec ses 140.000 abonnés, sa version anglaise et espagnole, ce
journal exclusivement numérique « s'est imposé par la qualité,
l'originalité et la diversité de ses contenus »
(13). Résolument indépendante du Pouvoir étatique
(elle a refusé toute subvention d'argent public -
voir p; 74 ! ) - et du marché commercial) l'équipe de rédaction d''Edwy Plenel affirme, haut et fort, que « la
défaite du journalisme annonce toujours le recul de la liberté »
(21). Avant tout, le respect de la parole libre, fût-elle dissidente ou dérangeante ! Et de rappeler à ce
propos, entre autres exemples, le rôle décisif de ce journal dans
l'affaire des comptes en Suisse de Jérôme Cahuzac. L'essentiel de la
mission d'un journaliste : la quête la vérité, la quête du sens, «hors
des sentiers battus et loin des idées reçues »
(52).
Le logo de Mediapart est un crieur de rue, « ce
petit bonhomme, gamin des rues criant les nouvelles »
(99), un logo semblable à celui de
celui de l'éditeur François Maspero, lors de la guerre d'Algérie : un
éditeur disposé à énoncer, comme Charles Péguy, « des vérités
dérangeantes et dissonantes » (100).
Une belle lignée de "francs et courageux parleurs" !
Mediapart, un média à part. Entendez aussi : un media
participatif ; c'est la clé de cette troisième syllabe. Un média qui a
son club des lecteurs en accès libre et gratuit. Aucun site
d'information francophone n'offre une telle participation, dans une
culture de libre expression »
(89).
Une réussite à contre-courant ! (v.
p 109)
Un livre écrit sans doute rapidement. Avec de fréquentes
reformulations. Mais quel enthousiasme !
Mars 2020
Pierre Taïgu Turlur,
La saveur de la lune * Vivre les koans du ch'an aujourd'hui.
Albin Michel;, 2019, 178 p., 15 €
Il faut, tout d'abord, définir ces deux termes : le
koan et le chan. Le chan - ou ch'an - c'est,
ni plus ni moins, la spiritualité bouddhique, où certains ne voient plutôt
qu'une idéologie, voire une esthétique, une sereine et pacifique « bouddhieuserie » (22). Ce
terme n'apparaît guère dans le livre, mais sous-tend tout le
développement.
Le koan, mot japonais, c'est une sorte
d'apologue assez bref (10 à 20 lignes), paradoxal et déroutant
pour l'occidental que nous sommes, « nous dépouillant de nos réflexes
habituels » (14) et d'une
rationalité qui vise le concret et le rentable.
La sagesse, dit l'auteur, originaire des Hauts de
France, moine bouddhiste,
professeur de français et de philosophie à Osaka, ce serait donc d'être
soi, de renoncer à vouloir "étiqueter le monde". plutôt que d'en
apprécier le mouvement vivant et constamment recommencé, de s'arrêter,
d'arrêter la course à la pensée, au profit (v.
26). Alors, on relâche l'effort inutile,
on se détend, on goûte à ce que la vie déploie et présente. Et
il n'y a, dans une telle conduite, « ni passivité ni engourdissement. »
(45) : c'est ce que
l'auteur appelle une "réceptivité active" (47),
à l'image de ce Bouddha qui, en guise de sermon,« saisit une fleur et
la fait tourner entre ses doigts ! » (84)
C'est alors qu'il évoque l'image de la lune, qui représente « l'éveil
primordial, l'illumination ultime » (86), et il cite ce koan de Dongshan
Langjie : être un blanc héron dérobé par la claire lune. Se
confondre dans l'étreinte ! (ibid.)
La culture bouddhique est donc une culture de
détachement, d'amour désintéressé, mais aussi de malicieux humour
empreint de délicatesse (v. 103-104).
Voilà comment on devient « intime avec soi-même »
(133), lâchant toute espèce de
sécurité. Retenons bien ce conseil, qui termine l'ouvrage : « que ce
soit le cerf-volant qui vous fasse voler » ! (175)
avril 2020
Olivier Houdé, Apprendre à résister *
Pour l'école, contre la terreur éd. Le Pommier, coll. Manifeste, 140 p.,
13 €
Le dessin sous le titre est suggestif : c'est quasiment du
François Rabelais, décrivant Panurge dans Quart Livre ...Ou presque ! Un troupeau de moutons d'un ton gris
terne qui peut connoter l'indistinction, l'insignifiance, s'en va, tête
baissée, vers la gauche ; mais l'un d'entre eux - un seul ! - choisit
d'aller vers la droite : son pelage d'un vert intense le distingue
nettement, et son regard est déterminé : car lui, il résiste ! Ni
grégaire, ni moutonnier, il échappe à la disparation.
Le message est clair : être soi-même, autonome, éclairé
et motivé dans ses choix. « Inhiber ses propres impulsions, intuitions,
pulsions et autres stéréotypes, »
(17) c'est ainsi qu'on apprend à
résister ! Et c'est à partir de notre cerveau - du lobe préfrontal,
précisément, que cela se déclenche ; ce que l'auteur appelle « la
résistance cognitive »
(25), exercée dès la prime enfance,
et qui nous permet de construire notre connaissance et notre
compréhension du monde et d'échapper ainsi à la "démocratie des
crédules" : un enjeu considérable ! L'auteur évoque ici Michel Serres,
Hubert Reeves, Gérald Bronner et, bien sûr, Montaigne.... : ses
maîtres à penser
(82 & sv).
C'est grâce à l'imagerie médicale et à la chronométrie
mentale qu'Olivier Houdé, instituteur de formation (École normale
St-Thomas, Bruxelles), et son équipe
de chercheurs du laboratoire LaPsyDé, ont pu observer finement,
dans les neurones du cerveau humain, ces phénomènes d'inhibition, de
résistance, de résilience, pour reprendre le terme popularisé par Boris
Cyrulnik.
Éduquer, c'est surtout apprendre à résister à toutes ces
formes de simplisme ou de confusion, qui aboutissent à la
radicalisation, « à la fureur sacrée, au goût du pouvoir, aux excès
technologiques » ( v.124).
Et l'auteur termine, malicieusement, en se demandant si
les experts de l'Education nationale envisagent de mettre bientôt
en place des programmes de « résistance cognitive »"
(135) ! Joli appel du pied !
mai 2020
Philippe Moreau Defarges, Une histoire
mondiale de la paix éd. Odile Jacob, 2020, 226 p. 22,90 €
Nous le dirons familièrement : nous saluons chez Philippe
Moreau Defarges une "grosse pointure" de la diplomatie et de
l'enseignement. Il a en effet codirigé le fameux rapport Ramsès de l'IFRI
(Institut français des relations internationales), Un monde sans
boussoles (septembre 2019), ol a enseigné à Caen; à la Sorbonne; à
Sciences Po.. et a été l'invité de France Inter et de France Culture...
Comment définir la paix, telle qu'elle est à notre
époque, sinon selon l'inspiration de cette SDN. fondée en 1918 à
l'initiative du Président Wilson : « une paix sans vainqueurs ni
vaincus, qui ne dure qu'en constituant une couche de collaborateurs
dévoués » (31) ! Une "grande
paix" interétatique, impériale, en quelque sorte, romaine,
carolingienne, justinienne, germanique, états-unienne..., qui n'exclut pourtant pas
l'extension de ses territoires, avec pillage des vaincus
(v. 41).
De plus en plus, de nos jours, les États, grands ou
petits, en viennent à « se couler dans un moule juridico-institutionnel
s'appliquant à tous » (84)
et où la pression de l'opinion commune devient d'ailleurs décisive. Mais
les situations., locales ou générales, résistent à l'analyse, et
l'auteur le reconnaît : « Toute explication, simple succession de mots,
de phrases, ne peut s'approprier l'inépuisable complexité du réel. »
(133).
Á la complexité, s'ajoute la redoutable possibilité du
"délire", car « en histoire, arrive toujours le moment fatal où les
lames de fond se trouvent prises dans les folies individuelles...
» (150). Et de citer, à ce sujet,
la conférence de l'été 1933 à Londres avec le chancelier Adolf Hitler,
l'attentat contre les Twin Towers, le 11 septembre 2001.
Aujourd'hui, s'impose à chaque État la pression
croissante de l'extérieur notamment pour l'écologie, le droit à la l'eau
et à la nourriture, le climat...Quoi qu'il prétende, nul État ne peut
décider seul ! (v. p 199)
Retenons ces deux questions, vers la toute dernière page
: Que signifie être humain ? L'apprenti sorcier peut-il un jour être
sage ? (204)
juin 2020
Dominique Eberlin, Á chacun sa façon
d'être et d'apprendre
C''est une évidence, et c'est décisif pour toute la
vie : l'homme, à tout moment, et dès les premiers jours de son
existence, est en état d'apprentissage. En témoignent ces
pourquoiet ces comment égrenés obstinément par l'enfant en bas âge, pressant d'une
réponse immédiate papa, maman et autres proches. Et c'est ainsi qu'il va
« se construire, s'inscrire dans une société, grandir dans une culture,
développer sa réflexion. »
(9 et 11)..
Devenu écolier, ensuite élève, il va bientôt prendre
conscience de son « fonctionnement mental » (15);
c'est à dire de ce qui, chez lui, facilite et oriente les
apprentissages. L'auteure distingue ici quatre profils ou tendances ou
paramètres : reproduire la réalité, représenter la réalité,
conceptualiser la réalité, interpréter la réalité (37
& 39),
à quoi correspondraient, précise-t-elle plus loin, quatre type de forces
: « force de résistance, force de minutie, force de généralisation,
force de créativité
(90-91), autrement dit, quatre
enjeux différents chez l''apprenant : « connaître l'utilité, savoir
comment faire, rechercher la logique, se demander comment faire
autrement »
(45).
Ce qui va déterminer, pour l'adulte de demain, sa
perception du monde et sa relation à l'environnement
(v. 53).
Bien connaître ces stratégies mentales importera
également pour l'enseignant : il y découvrira à la fois la connaissance
de soi-même et les cheminements pour aller à la rencontre de l'autre
(v. 71) : " passeur
d'information ", il s'adaptera, souhaitons-le vivement, à cette
diversité de profils ...pour passer efficacement le relais
(v. 87) !
Un petit livre, mais clair et engagé. C'est à
l'honneur de l'auteure et de cette maison d'édition.
juillet 2020
Étienne Klein,
Matière à contredire, Essai de philo-physique
Flammarion, Champ
sciences, 2019, 166 p., 7 €
Cet opuscule, un grand livre ! On en retiendra surtout
que les équations les plus sophistiquées, en matière de
temporalité, de causalité, de force... telles qu'elles s'appuient sur
les recherches les plus avancées de la physique - théorie de la
relativité, théorie quantique... - ne parviennent pas à épuiser le
mystère et la complexité du réel. Le réel résiste ! Celui-ci
échapperait-il à la définition, à l'exhaustivité ? De plus l'idée que
s'en fait le physicien est bien différente de celle du philosophe. Deux
langages, deux intentions, deux auditoires ! Et il ne faudrait pas
que le fossé se creuse entre les uns et les autres.
Si l'auteur plaide pour la reconnaissance et le respect
des méthodes et des langages du physicien, il souhaite vivement au
contraire l'échange enrichissant avec le philosophe. Car tout savoir,
qu'il soit celui du philosophe, qu'il soit celui du physicien. tout
savoir est estimable. La diversité est une richesse. Et surtout
l'échange.
Sur France Culture, tous les samedis matins (11h-12h),
Étienne Klein dirige La conversation scientifique, une émission
exemplaire d'ouverture et d'enthousiasme. Voir et écouter https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique
Il a déjà publié une trentaine d'ouvrages. Ami des grands philosophes
(Bergson, Kant, Jankeleviytch... et Montaigne, bien sûr) et des
scientifiques (Einstein, Niels Bohr, Engert, Solovine...), son écriture
est habile et parfois joliment fleurie : même l'humour est
souvent présent, avec l'un ou l'autre jeu sur les mots. Un érudit
brillant, sans nul doute. Mais quelle largeur de vue !
août 2020
Serge Stoléru, Le Psychanalyste portable
Une nouvelle approche de la connaissance de soi
Odile Jacob 2020, 250 p., 23.90 €
« Cette nouvelle approche repose sur une nouvelle forme
d'entretien psychologique que nous appelons entretien semi-structuré
multiregistres conduit par un professionnel qui y a été formé »
(11).
Voilà donc, d'entrée de jeu, une précision importante
: on demeure dans le cadre de la stricte discipline freudienne,
particulièrement des "registres" bien connus que sont les affects, les
peurs, les désirs, les associations d'idées, etc... mais le rôle du
patient est nettement reconsidéré : c'est lui qui, par l'écriture, se
constitue acteur, évitant la dépendance vis-à-vis de la thérapie »
(27) ! Ici, perce clairement la pensée de
Spinoza : « C'est par la raison que l'on se rend maître de ses affects.
» (58)
!
C'est donc par le recours à l'écriture que le patient va
construire un miroir de lui-même, un objet distancié. Et l'auteur, de
citer Boris Cyrulnik : " Quand un auteur couche son monde intime sur le
papier, il en fait un objet extérieur à lui-même qu'il peut ainsi mieux
observer " (cité, p. 169)..
Deux versions - très détaillées - du mode d'emploi constituent les
annexes 3 et 4 pour ce travail d'écriture, l'une pour les adultes et les
adolescents, l'autre pour les enfants ou pré-adolescents (6-12
ans). Il est utile de rappeler que, pour ceux-ci, l'accord des parents
est requis (195).
septembre 2020
Serge Marti, Une Planète à sauver. Six
défis pour 2050
Odile Jacob, 2020, 240 p., 21.90 €
Les "effondristes", comme l'auteur les appelle
(10), auraient-ils donc raison,
convaincus d'une disparition programmée de notre planète ? Et c'est vrai
: de plus en plus, nous avons mal la Terre (12),
nous qui redoutons tantôt les canicules fréquentes, tantôt
les cyclones et autres tourmentes, tantôt la fonte i du
Groenland, des glaciers et la montée des eaux, tantôt la disparition
d'espèces végétales ou animales, tantôt la diminution des ressources en
eau et en aliments..., et qui appartenons donc - depuis peu - à la
génération Greta.
Ce livre s'appuie sur une série de minutieuses recherches
menées durant une trentaine d'années sur les menaces, mais aussi sur la
"belle aventure ' (20) de
sauver notre milieu de vie. Mais pour cela, il s'agit de relever
impérativement six défis !
1. Conjurer le dérèglement climatique
(45 & sv). "Notre planète brûle et
nous regardons ailleurs', disait Jacques Chirac le2.09.2002. La COP21 de
2015 à Paris, l'action du GIEC l'emporteront-elles, face au
climato-scepticisme façon Trump ou Bolsonaro ?
2. Sanctuariser la forêt et la biodiversité
(77 & sv) : une façon "d'honorer la
terre", dit Pierre Rahbit. La déforestation : crime contre la nature !
Il faut reboiser la plante : cela se passe autant en Chine (la
Grande Muraille verte) qu'au sud du Sahel 54 pays engagés !).
3. Contenir surpopulation et migrations.
(99) Le malthusianisme est mis en
cause .. nous serons presque 10 milliards en 2050 ; une menace,
surtout dans l'hémisphère Sud. Situation complexe, délicate : quelle
politique acceptable pour gérer natalité et flux migratoires ?
4. Économiser l'or bleu (125). L'eau renversée est
difficile à récupérer (proverbe chinois) Et ce trésor est à la fois ou
gaspillé, ou rare (850 millions de Teiiens privés d'eau potable) et cela
crée des conflits. On déssalera l'eau de mer, on utilisera la
pluviométrie ?
5. Promouvoir nouvelle agriculture et petits paysans
(145). L'agriculture industrielle à outrance est
une impasse. Et les pesticides tuent. La solution : à la fois
l'agriculture biologique et l'agriculture en communautés paysannes,
comme lutte contre la paupérisation.
6. Préserver la mer, autre terre nourricière. (172). Dénonçons la
surpêche illégale par des navires-usines : ils réduisent la faune
marine, appauvrissent les pêcheurs côtiers. Et quid de ces 300 millions
de tonnes de plastique voguant en mer ?
Appât du gain, culte du chacun pour soi et de la
croissance sas fin : des modes de vie périmés ! L'heure est à la
conscientisation, à la prise de responsabilité de chaque citoyen.
Son mari, Jean, faisait l'ascension du Mont Blanc...
Soudain, la chute mortelle dans une crevasse. Son corps ne sera pas
retrouvé. Pour la jeune veuve, c'est le drame dans toute sa violence.
Commence le long cheminement du deuil pour cette diplômée
de sciences Po : elle quitte Paris pour demeurer à Varengeville-sur-mer,
au pays de Caux,
dans une maison isolée au bord de la mer : c'est son bien nommé "Chêne
de Mambré", tel le nom de ce haut lieu du désert et des origines du
monde judéo-chrétien, qui
reçut la visite de l'Ineffable. Une demeure où elle s'aménagera un
oratoire devenu à son tour son haut lieu de l'intimité. Le lieu d'un
silence qui n'exclut pas la tendresse pour ses trois enfants et quelques
amies. «Car, affirme-t-elle, nous avons besoin les uns des autres pour nous offrir la vie
les uns aux autres. »
(29)
Un silence qui génère la joie.
Une joie qui reconstruit : «Plus j'avance en eaux profondes dans le
désert de Mambré, dit-elle, plus je fais de ma solitude une plénitude.»
(133)
Elle tient un journal personnel durant toutes ces années
de ce reconstruction de soi... « J'écris, précise-t-elle, mais ce n'est
pas le travail de la langue qui m'intéresse, c'est ce travail du
silence. » (93) ... .
novembre 2020
François Gemenne, Pierre Verbeeren,
Au-delà des frontières Pour une justice migratoire
Centre d'action laïque, 2018, 218 p. 10 €.
La compétence des auteurs est reconnue au niveau
international, l'un d'eux enseigne à Sciences Po Paris, dirige à l'Université de Liège l'Observatoire
Hugo, centre de recherches consacré aux migrations et à l'environnement,
le second, directeur général de Médecins de Monde, est maître de
conférences à l'Université catholique de Louvain. Ce livre concerne
principalement la Belgique, mais dans la problématique générale de
l'Europe, de l'Afrique et du Moyen Orient.
Parmi les dix pistes proposées, la création d'une
voie sûre et légale pour saper cette économie des passeurs « devenue
aujourd'hui le troisième trafic illégal le plus rentable du monde
» (19) : un décompte macabre, insupportable... Que l'on songe à ce
seul record : 40000 noyés en Méditerranée. Est recommandée, ensuite, la
lutte contre la violence à l'égard des migrants, et à ce sujet, il
faut dénoncer les idéologies populistes et souverainistes qui favorisent
des dispositions administratives de plus en plus restrictives.
Nommer un Procureur spécial (idéalement de compétence
européenne) contre le racisme, est la troisième piste. Et ici, est
critiquée fortement la position de ces responsables politiques suscitant
un climat d'hostilité aux migrants « dans l'espoir de succès électoraux
» (48). Même un ministre démocrate serait conditionné par ces propos
d'exclusion et de repli que tiendrait un membre nationaliste de son
équipe : les compromis honteux, ça existe... Remettre en question les
frontières, « espaces de contrôle et d'inclusion » (51), cette piste
tient un peu de l'utopie ; une aide transnationale aux économies en voie
de développement existe, et ce serait déjà une amorce... Des ambassades
compétentes en matière d'asile (6e piste) seraient un cadre bien plus
efficace pour garantir le respect des droits d'un demandeur. La piste 6,
une agence européenne de l'asile, serait dans la logique des accords de
Dublin (demeurés sans effet !) : des accords sur les quotas mettraient
fin aux coups de frein de gouvernements populistes...
Il y a peu à dire sur la piste 7 : écarter les migrations
du portefeuille de l'Intérieur. En cause, les ministres, « qui ont passé
des années à mal nommer les migrations ». Populisme pas mort ! Voir
ci-dessus. Des structures sociales rendues à leur vocation première
(piste 8); voilà ce qui nous a paru à la fois le plus généreux et le
plus réaliste : la Belgique est riche en mouvements associatifs et peut
développer des réseaux efficaces. Dans la piste 9, la fin de la logique
de la "moindre éligibilité", on dénonce ici cette inflation de contrôles, de
chasse à l'abus, que les théoriciens nomment less eligibility
(108) : "moindre droit à l'éligibilité", en quelque sorte....
(1) La piste
10, enfin, s'en prend à cet enfermement des enfants, une pratique
contraire à la Déclaration de droits humains, destructrice à vie de leur
psychisme !
Un livre au franc parler, généreux, richement documenté,
d'une écriture agréable.
Décembre 2020
Christian Ingrao,
Les urgences d'un historien,
Conversation avec Philippe
Petit
Cerf,
éd. 132 p., 12€
Deux plumes pour un livre. Celle (en
italique) de Philippe Petit, ce libraire de la CFDT devenu en
1980 détenteur d'un doctorat sur Sartre, puis co-auteur de la
série Entretiens : une bonne trentaine d'ouvrages, sans compter
diverses émissions sur France Culture et ailleurs.
Et celle de
l'historien, directeur de l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP).
«Un jour, raconte-t-il, j'appris que la SS recrutait de jeunes
intellectuels pour les prendre à son service.»
(21) Pour cet ado de 15 ans, déjà ouvert à
l'histoire de cette triste époque, c'est le déclencheur d'une brillante
carrière, et il est reconnu aujourd'hui mondialement comme un expert
inégalé de l'extermination par le nazisme.
Ce qui l'intéressera, ce sont moins
les méthodes et les statistiques de ce drame que la recherche minutieuse
des motivations : que se passe-t-il dans le cœur et dans l'esprit de
l'assassin, quelle idéologie est très précisément à la source du drame ?
Pour l'historien, cette question est primordiale : il ne peut «
s'interdire d'embrasser ces émotions et ces frissons qui pourraient, un
jour, nous conduire à la destruction au lieu de nous sauver. »
(79).
Chez les les inspirateurs,
il cite des Allemands, des Anglais, des Français... Parmi
ceux -ci :
Robert Brasillach !
Il termine en annonçant qu'il va
bientôt préparer une édition critique du Mein Kampf d'Adolf Hitler, ce
qui l'engagera à de nombreuses recherches. « Cela va constituer un
nouveau changement pour le casanier que je suis », nous dit-il !
(126)
Une édition qui fera date dans le monde éditorial
!
Dans le remue-ménage des choses, il est temps, comme dit Montaigne, de
"s'arrêter et rasseoir en soi", "de se réserver une arrière-boutique
toute nôtre (...), en laquelle nous établissions notre vraie liberté"
(Essais, p. 116 et 416). Et voilà défini l'otium
studieux où d'épanouit la pensée désintéressée à laquelle nous
devons, comme le dira Paul Valéry en 1945, "la discipline de
l'esprit" (cité p. 40), la préférence pour une
pensée "méditante à la poursuite du sens qui domine dans tout ce qui
est", selon la jolie formule de Heidegger. Au contraire de la
pensée calculante, utile. Et c'est d'ailleurs l'utilité
paradoxale de l'œuvre d'art, de nous faire accéder à une sphère où cette
utilité-là n'a pas cours (51). Un tel idéal nous
vient de Grèce, relayé par des Romains comme Horace, Cicéron, Sénèque,
Hadrien, Marc-Aurèle... mais où le "loisir de divertissement finit par
prendre le pas sur le loisir studieux... (v. 66).
Vient le Moyen Âge, où "l'Église règne sur la conscience
morale et intellectuelle des contemporains", affirme notre auteur....
qui précise peu après que cette époque sera "une lente reconquête de l'otium"
(67). Le tableau est
surprenant, de cette prétendue mainmise sur les personnes par l'Église,
qui prêche l'examen des consciences, la direction des consciences.
Réducteur, car il néglige la richesse d'une pensée libre aussi bien au
sein même de l'Église : des savants en recherche comme Bonaventure,
Thomas, Duns Scot et beaucoup d'autres, qu'en dehors d'elle, comme ces
obscurs au franc parler du Roman de Renart ou de la Sotie, largement
répandue.
La "politique l'esprit " se développe à partir de François Ier, avec
Guillaume Budé et ses deux amis Érasme et Thomas More. Les Sociétés de
Pensées se constituent, reprenant cette pensée libre et désintéressée de
l'otium, qui aboutira à la Révolution ! Des Académies, des Bibliothèques
se créent. Mais à partir de cette époque, il faut constater - et
déplorer - que l'auteur s'en tienne au seul territoire franco-français:
brillamment sans doute... mais, il ne s'en tiendra qu'à Condorcet,
Francois Guizot, Jules Ferry, et autres promoteurs du libéralisme
culturel au profit de l'enseignement primaire et secondaire qui avait
jusqu'alors favorisé davantage les objectifs scientifiques et
mathématiques...
Mai 68 n'est pas loin, et son aspiration à ouvrir l'esprit et le
cœur à la jouissance artistique. Arts, arts appliqués, histoire de l'art,
décoration, musique, dessin... sont désormais des options courantes dans nos
écoles...
et qui sont bien propres, d'ailleurs, à nous faire pratiquer... l'otium
studieux !
Quelles sont, précisément, « ces sphères quifaçonnent
l'ensemble de nos actions » ? (8)
Elles sont annoncées clairement : le travail,
tout d'abord, (revenus, charges, honneurs), puis la
consommation (santé, éducation, sécurité), l'engagement
(société, famille), la connaissance (découvrir, transformer), enfin la
citoyenneté : autant d'espaces de vie où s'exercent nos capacités et
notre liberté, celle-ci étant guidée par le sens de la réalité et de
l'altérité.
Observons quelques remarques...
*Le respect des droits et des protections
garantit la paix sociale (v.24).
*Développer
les savoir-faire de chaque enfant, rendre attractive la carrière de
professeur... assurent à chacun le droit d'exister
(v. 49).
*
« Déployer les expériences de l'altérité et de la reconnaissance
mutuelle. » (61)
* « L'exercice de la raison pratique et le développement de
la raison critique sont au cœur de la liberté de penser, décisive pour
toute connaissance. » (v 77)
*Agir "en commun" en multipliant les contacts : c'est le moyen
d'infléchir des politiques ! (v. 92)
De tels propos, isolés de leurs contextes, peuvent parfois ressembler à
des vœux pieux... Détrompons-nous ! L'auteure s'appuie sur des sources,
des chiffres, des témoignages très fiables !
Sa générosité, sa compétence, sa clairvoyance méritent l'éloge ! Car,
fallût-il monter au créneau, elle nous engage. Sereinement.
mars 2021
Johann Chapoutot, Libres d'obéir Le
management, du nazisme à aujourd'hui, Gallimard 2020, Essais, 142
p., 16 €
Le prologue,
d'une vingtaine de pages, est largement consacré à ce haut
fonctionnaire nazi, Herbert Backe, né dans la Russie des Tsars, revenu
en Allemagne en 1918, auteur en 1931 d'une brochure Paysan allemand,
réveille-toi qui prône ni plus ni moins, en les affamant,
l'extermination de quelque trente millions de citoyens russes. Il se
suicide dans sa cellule en 1947. Et il ne sera plus cité une seule fois
dans les pages suivantes !
Il serait faux
de prétendre que le management a des origines nazies (il lui
préexiste), mais des élites du nazisme ont amplifié la propagande pour
une conception de ce management : exalter une forme de service et de
travail accompli dans la liberté d'initiative, voire dans la joie (Kraft
durch Freude). La notion d'État, création du droit romain tardif,
n'existait pas chez les Germains des origines : cet État multiplie les
règles, étouffe les initiatives, nuit au renforcement et à la
perpétuation de la race : celle-ci assurera sa valeur et, pour cela, ne
craindra ni le gazage, ni l'euthanasie, ni les camps de l'extermination
: autant d'entreprises, autant de management, autant de sollicitations
de l'initiative.
Et dans les
campagnes de la Wehrmacht, cette initiative est capitale : ce que les
chefs de premier rang décident et ordonnent, c'est aux chefs de second
rang de l' accomplir dans un choix libre des moyens : la « liberté...
d'obéir », en somme ! Bel oxymore !
La
loi d'amnistie de 1949 réhabilite 800.000 nazis..., parmi eux, Reinhard
Höhn, ancien général, qui appliquera à l'entreprise et à
l'administration cette procédure de délégation de responsabilité où le
subordonné serait valorisé : notre auteur lui consacre plus d'un tiers
de son ouvrage. conférencier brillant et auteur prolifique, récoltant un
énorme succès,... Mais en 1966 vient la déchéance, suite à la traque et
à l'inculpation des anciens criminels de guerre nazis ordonnée par le
Parquet de Ludwigsburg. Par ailleurs, venus de Suisse et des États-Unis,
d' autres modèles de management commencent à s'imposer, beaucoup moins
rigides, beaucoup moins bureaucratiques, humanistes et personnalistes,
non aliénés.
Accompagner la construction des connaissances chez le
jeune enfant
Chronique sociale, Lyon, 2020, 120 p., 14 €
Un charmant petit livre qui plaira beaucoup aux mamans soucieuses de
faire grandir leurs enfants en âge - et surtout en sagesse.
Beaucoup d'éducateurs le répètent avec raison : à tout moment de sa vie
et dès sa prime enfance, l'être humain développe ses connaissances ! Et
notre petit Robin, héros du livre, multiplie ses capacités et, sans le
formuler comme un adulte accompli, expérimente, ni plus ni moins; les
grandes lois de la physique, petit Archimède ou petit Einstein; « C'est
vital de jouer, déclarent-elles, comme l'air est vital pour
respirer. » (7) Les activités de Robin vont l'amener à multiplier
diverses expérimentations sur différents objets, et à formuler, à sa
façon, les hypothèse, les inductions et les déductions. Ce qu'elles
nomment" la physique naïve des nourrissons" (13). Un exemple bien
simple : sur son cheval de bois, Robin découvre l'inertie,
l'équilibre, l'accélération, le balancement, le freinage...,, et maman
lui apprendra progressivement à utiliser les mots précis pour l'exprimer
: le langage, également se développe par le jeu des essais et des
erreurs, en multipliant et diversifiant les situations et les
bricolages.
Petit
Robin, de cette façon, deviendra grand !
mai 2021
François Taddei, Apprendre au XXIe
siècle, Calmann Lévy, 2018, 371 pages, 19.90 €,
Une fois n'est pas coutume... mais c'est très éclairant : voici un large
extrait qui révèle l'orientation du livre et l'enthousiasme de l'auteur.
Il se souvient, lui jeune polytechnicien :
« Vers l'an 2000, est fondée la nouvelle filière d'application médicale.
Je postule (...). Les chercheurs qui accueillent sont disponibles et
enthousiasmants. Nous les bombardons de questions, et ils ont parfois le
cran d'avouer leur ignorance : « Nous n'avons pas la réponse à cette
question, mais nous avons besoin de jeunes gens comme vous pour nous
aider, un jour, éventuellement à la trouver. » Et voilà que ces savants
nous ouvrent les bras pour que nous nous engagions dans la recherche. En
m'engageant dans cette voie, j'ai dû cesser de penser en ingénieur et
apprendre à penser en chercheur. » ( 71-72)
Mais attention ! L'intime conviction de ce chercheur concerne tout
l'éventail des apprentissages, et cela commence, affirmera-t-il à plusieurs
reprises, dès la prime enfance où jaillissent les "pourquoi" et les
"comment" de tout esprit éveillé.
Trois termes résument le propos de l'auteur, qui a fondé et qui dirige
le CRI (Centre de Recherche Interdisciplinaire) et son école doctorale :
le questionnement permanent né de la
θαυμασια
façon Aristote (s'étonner-admirer), l'interdisciplinarité
qui dépasse les cloisonnements, le
partage
du savoir constamment remis en question.
Il s'appuiera au passage sur les initiatives de Maria
Montessori, de Célestin Freinet et d'Ovide Decroly, ces novateurs de 20e
siècle. (201-204). Il
soulignera surtout les mouvements actuels tels que
Les Savanturiers
ou
La Main à la Pâte,
où des enfants et des ados sont formés à vivre l'ouverture d'esprit
ainsi que l'empathie envers toute personne en apprentissage permanent.
juin 2021
Michel Le Bris,
Pour l'amour des livres, Grasset, 2019, 263 p., 19 €
Auteur d"une cinquantaine de livres, animateur et
fondateur de
l'émission Étonnants voyageurs,festival
international de littérature organisé
annuellement à Saint-Malo depuis1990),
il a publié en 1977 L'homme aux semelles de vent, souvent
réédité, et dont le propos est largement repris dans ce livre paru
récemment.
« Le livre, notre seule demeure, notre miroir
aussi, affirme-t-il» (14) : en effet, au fil de nos lectures, dans le
secret de notre espace intime, voire dans notre subconscient, se
construisent nos représentations et nos projets, nos adhésions et nos
refus, nos certitudes et nos doutes : nous y construisons souvent notre
propre image !
Et peut aussi se construire - quelle richesse ! - une
communauté de lecteurs où le partage nourrit et renforce l'amitié, la
curiosité, l'esprit critique : et il cite Michel Tournier (55) : il n'y
a d'amitié que dans le partage d'admirations communes.
Même un adolescent le découvre, et en vient à voir dans
l'écriture un espace de découverte en liberté, comme le prouvent les fréquents
"concours de nouvelles" dans les lycées comme dans les collèges. (v. 70)
La liberté, précisément ! C'est cela que redoutent les
pouvoirs forts : et l'auteur cite Heinrich Heine : Là où on brûle les
livres, on finit par brûler des hommes (179). Et c'est vrai pour toute
production artistique : à Palmyre et ailleurs, on détruit les
manifestations du génie créateur de l'être humain (259).
Et l'annexe de cet ouvrage, signée par près de 100
écrivains, le déclare fermement : «Il n'est pas de pacte citoyen qui
"tienne" s'il ne se nourrit pas (... ) de cette idée de soi et des
autres, portée par des milliers d'œuvres qui forment une culture (261).»
septembre 2021
Jean-Marc Pélorson &
al., L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche de
Cervantes, Gallimard, 2005, 284
p., env. 10 € (occas.)
1990... Agrégé d'espagnol, Doyen de la Faculté
des Lettres de Poitiers puis émérite l'année suivante, il va s'atteler,
avec Claude Alaigre et Nadine Ly, à la rédaction de cet ouvrage
qui paraîtra après une quinzaine d'années de recherches de
haut niveau dans un domaine réputé quasiment inépuisable. Ce
trio d'experts va explorer principalement l'état de la société
et l'état de laangue quand Michel Cervantes publie Don
Quichotte de la Manche en1617.
Société - Si ce personnage collectionne passionnément les
romans de chevalerie, c'est, en vérité, pour s'en détacher : la
chevalerie lui apparaît en effet rigide, sclérosée, conservatrice
: il
sera, lui, le chevalier sans arme, faisant disparaître de sa panoplie
toute marque distinctive d'une appartenance sociale
("des armes blanches", dira-t-il... !), et il sera
aussi le chevalier
errant, vagabondant, chevauché sur Rossinante, accompagné par Sancho Panza, ce paysan naïf.. L'errance,
mais aussi le rêve, seront pour lui, sera à la
fois un cheminement de dépossession et d'enrichissement, de
liberté.
Langue - Cervantes puise dans l'usage
populaire quantité de mots qu'il réhabilite, en transforme
d'autres, crée des figures et des tournures, et cela va donner
aux auteurs à venir beaucoup plus d'autonomie : la langue sera
désormais une large espace de franc parler de créativité, d'imagination et
d'influence. Dans le monde des lettrés, et dès le second quart
du 17e siècle, il sera fréquemment évoqué, célébré et cité.
Un dossier volumineux de presque 80 pages
rassemble les témoignages et les avis de spécialistes de cette
œuvre monumentale ainsi que de nombreux artistes, écrivains,;
philosophes ou historiens. Parmi eux, Claude Lévy-Strauss,
Gérard Genette et bien d'autres, Français ou étrangers.
Un livre de qualité pour aborder un livre
essentiel !
octobre 2021
Hubert Reeves, La
fureur de vivre,
Seuil, 2020, ill., env. 140 p. 17€
Tapez Hubert Reeves dans la ligne de recherche de Google
: vous êtes aussitôt à la première de couverture de cet ouvrage,
«Une sorte de diaporama de nos origines», précise l'auteur. En effet, les
illustrations représentent près d'une page sur deux (dont la numération
comporte d'ailleurs quelques "blancs"...). Un enfant apparaît - deux ou
trois ans, sans doute - regard apeuré, insistant, voire un peu
méfiant, vers le lecteur : aurait-il déjà entrevu les fragilités de ce
monde ? Sur sa tempe, heureusement, le baiser apaisant du papy :
l'auteur lui-même!
«Tout aspire et s'efforce à l'existence (...) et à son
plus grand essor possible» : il cite ici Schopenhauer (Le Monde comme
volonté...), comme fureur pour se perpétuer, renchérit l'astrophysicien
qui décrit - image à l'appui -
l'impressionnante migration des sternes ! (18) Le vivant se distingue de
l'inerte, et il l'expliquera, ici à partir du
jet d'eau du lac Léman à Genève (47), plus loin à partir de son propre
aquarium (50) !
Nous ne savons presque rien de l'émergence de la Vie sur
Terre, avoue-t-il, sinon - et cela est essentiel - que l'on passe de
lois physiques sur les atomes à une autre législation : la contrainte
de persister dans le temps de génération en génération. (51) Et cela se
passe il y a près de quatre milliards d"années.
Mais quelle évolution, ensuite ! Des fougères aux
conifères puis aux plantes à fleurs puis - quel saut ! - aux
microorganismes, puis aux animaux puis à l'humain : l'être qui prend
conscience de soi, qui se sent à la fois créateur mais aussi protecteur et
responsable de son habitat. Surtout quand cet habitat est menacé :
déforestation, espèces menacées, réchauffement, pollution, tornades...
Vous avez compris ce regard intense de l'enfant en
couverture !
novembre 2021
Jean Birnbaum, Le courage de la nuance,
Seuil, 2021, 137 p. 14 €
Représentez-vous la scène... ou le texte ! Deux groupes de polémistes s'affrontent,
tous deux de niveau très cultivé ou du genre "café du commerce", peu
importe. Les points de vue divergent et s'affrontent, le ton monte, au risque
de l'empoignade. Et la tentation est forte, de part et d'autre, de
verser dans la généralisation.
Mais survient parfois l'inattendu ! Car il s'en trouve un, peut-être
davantage, pour contrecarrer ces jugements qui ne voient en face que
perversité, injustice, inexactitude. « Je dois reconnaître dans ce
système de pensée ou d'action, déclare-t-il, une part de vérité. » Et il
s'explique. C'est bien cela, le courage de la nuance. Un courage qui est
aussi honnêteté,, respect, ouverture, Et l'auteur de ce livre de le
montrer chez beaucoup d'écrivains ou philosophes récents. En tête,
évidemment, Albert Camus : «Nous étouffons parmi des gens qui
pensent absolument raison, » écrivait-il ! Puis sont commentés
longuement d'autres illustres témoins de notre époque ; Bernanos,
Hannah Arendt, Raymond Aron, George Orwell... Et de dénoncer
particulièrement des réseaux sociaux, « où le débat est remplacé par le
combat » (11).
« C"est précisément dans les périodes de montée aux
extrêmes [...] qu'il faut protéger l'espace d'une frontalité
honnête, le seul qui permet véritablement de penser. » (53)
Un livre d'un noble humanisme, et d'une abondante
érudition !
Aux slogans faciles, préférons la vérité exigeante !
décembre 2021
Jacques TASSIN,
Penser comme un arbre,Odile Jacob, essais, 2020, 150 p. 11.99€
Nous irons au bois...
« Les arbres façonnent le monde à leur mesure.
(...). Nous n'échappons pas à leur emprise. Se redécouvrir en analysant
l'ascendance [...] des arbres sur nous-mêmes, tel est l'objet de ce
livre », déclare l'auteur dès les premières lignes (9). L'homme, donc,
demeure au centre, mais l'arbre lui inspire "quelques figures" (ibid.) :
« notre corps, mais aussi quelques formes de notre pensée en témoignent
» (10). Notre corps, car nous héritons de primates arboricoles dont la
morphologie évolue par adaptation : extension des membres,
passage du regard - et de l'œil - vers le haut au regard vers l'avant,
pouce opposable,
etc. Notre pensée, bien sûr : notre classement des objets ou des
concepts n'est-il pas, souvent, par "arborescence", ce n'est pas
fortuit : et l'ordinateur "copie" nos structures mentales ! Voilà pour le
physiologique et le notionnel..
Pour le psychologique, l'émotionnel, l'affectif, aussi !
Ce détail, par exemple : vivre en face d'arbres réduit la consommation
d'antalgiques, et l'auteur le prouve (v 22). Voir l'arbre, seul ou
groupé, - même dans Paris, "la plus grande forêt de France", m'a dit
autrefois un touriste intelligent - c'est s'accoutumer avec plaisir à
l'étendue, au calme et au repos. !
Et l'écologie intervient. Pour deux raisons, entre autres :
l'arbre puise autant d'eau qu'il n'en produit par évaporation :
équilibre assuré, qui nous interpelle, nous, si facilement gaspilleurs !
Le bois est souvent choisi comme matériau de construction : les
maisons sont alors bien plus légères et avec un air plus sain.
C'est un brillant expert, cet auteur ! Chercheur au Cirad, sociologue, botaniste,
économiste, moraliste..., il bouscule parfois nos idées et nos pratiques !
janvier 2020
Elsa Grangier, RÊVER GRAND, Ces enfants qui s'engagent pour la planète,
Seuil, 2020, 138 p., 17 €
Ce titre en Arial brun foncé, corps 60, légèrement incurvé comme un
horizon, Elsa, réalisatrice de cinéma, l'aura peut-être voulu, elle qui
a filmé et soutenu cette épopée sensationnelle du Lobby de Roissy qui
nous mène d'un CM2 de province au Parlement européen de Strasbourg !
Grande, très grande aventure, en effet !
"Où l'horizon de chacun s'élargit !"
Printemps 2018. C'est assez courant à cette époque : l'invitation à
participer à un concours international... Celle-ci par exemple :Vous
réaliserez une planche de bd sur le thème de la protection de la nature.
Tel est le challenge. Anaîs Willocq, institutrice au CM2 de zone ZEP à
Poissy, en parle à ses élèves... Les voilà aussitôt séduits : Nous
relèverons le défi ! Et ils remportent le premier prix, ces marginalisés
de l'Éducation nationale. Ça les mènera, eux et quelques ados du
Portugal, de Pologne, d'Allemagne, d'Italie, de Grèce... jusqu'au
Parlement européen de Strasbourg, ce 27 novembre.2019 où ils présentent,
ni plus moins, le projet de Déclaration des droits de la planète et du
vivant, qu'ils ont rédigée avec l'appui de quelques juristes.
Une année seulement pour atteindre ce résultat : trouver des parrainages
(l'astrophysicien Hubert Reeves, le ministre Nicolas Hulot, l'ancien
Président François Hollande, la députée européenne Karima Delli et bien
d'autres), se faire épauler par les médias, multiplier leurs propres
recherches sur ce sujet important et complexe, et surtout soumettre aux
députés européens ce manifeste sur l'environnement qu'ils ont rédigé,
aidés par des juristes. Leur détermination est entière ! Et sachez-le
bien : cela n'a pas nui à leurs résultats scolaires, nullement !
Une saga rédigée avec enthousiasme et bonne humeur, à recommander au
personnel de l'éducation : vous voyez pourquoi...
février 2022
Denis Kambouchner, Quelque chose dans
la tête
Nous avons
perdu la culture de la mémoire : avons-nous gagné celle du jugement ?
Flammarion, 2019, 140 p , 16 €.
« La culture du jugement ! » L'essentiel est
peut-être là : qu'il faut - dès l'enfance - développer la curiosité :
pourquoi ceci pourquoi cela... C'est Aristote, notre maître à penser,
qui l'avait déclaré : L'étonnement est à l'origine de toute science !
Heureux, donc, le petit enfant ou la petite fille, puis les écoliers ou
les écolières,
puis les élèves, les adultes, qui multiplient les questions;. et vive la classe si
elle devient ce lieu de dialogue où se construit le savoir.
Mais pas seulement un savoir "reçu", mais vérifiable et
vérifié (autrement dit un savoir conforté et confirmé par le jugement) :
la "culture du jugement". Merci à l'auteur de le souligner, dès la
première de couverture !
Le savoir se construit... mais, précision importante,
"une connaissance fait système avec d'autres connaissances", (p.
48). ce qui s'appelle une connaissance élaborée qui demeure ouverte à
toute autre connaissance, et qui constitue un "réseau" dans notre
cerveau. (13)
Ce qui intéressera surtout le monde de l'éducation et de
l'enseignement; c'est la seconde partie, intitulée Vous avez dit transmettre ? Retenons quelques propos et propositions : il évoque
l'indifférence résignée (94) aux savoirs scolaires chez plusieurs
élèves, mais la cause n'en serait-elle pas le discours pédagogique tenu
en haut lieu (il parle même d'une "aphasie" dans certains discours sur
la finalité de l'enseignement !) (95) et il ose citer ici Jean
Piaget : Tout ce qu'on apprend à l'élève, on l'empêche de l'inventer ou
de le découvrir (117) et le sociologue Jean-Pierre Terrail : Pour
enseigner mieux, enseigner moins (120) et même Petite Poucette de Michel
Serres.
Une façon habile de rappeler que c'est l'élève qui est au
centre - avec ses légitimes ambitions - et pas les programmes !
Mars 2022
Charles Percy SNOW, Les deux
cultures [1959], suivi de L'état de siège [1968]
Les Belles Lettres, coll. Le goût des idées, 2021,
200 p., 13,90 €
L'introduction - 60 pages ! - signée Stefan Collini,
précède les 2 œuvres, respectivement 96 et 32 pages
Pour maints lecteurs nés bon nombre d'années après ces
deux conférences, l'introduction est bien utile :t nous en retiendrons
quelques détails importants. Par exemple l'appartenance de l'auteur au
monde industriel, sa "fibre" sociale sa conviction de l'importance
de la science comme facteur du progrès, et son souci - dans l'édition
définitive - de répondre. aux nombreuses controverses.
La science, donc, est importante : Snow le souligne dès
l'entrée des Deux cultures, regrettant l'appauvrissement des
intellectuels littéraires qui sous-estiment son utilité : sinon,
précise-t-il, " c'est le déclin " ! D'où l'importance de
l'enseignement, aussi bien sous sa forme littéraire que sous sa forme
scientifique et du bas âge à l'âge adulte. Car nos capacités mentales
tiennent leur développement et leur exercice aussi bien à la science
qu'aux lettres : " La division de notre culture nous rend obtus " (166) !
Et il cite l'exemple de Dostoievsky.
Snow tient un tout autre langage dans L',État de Siège
! La course aux armements est sûrement la cause du malaise mondial :
rivalités, méfiance, endoctrinement... pèsent lourdement, le fossé
s'élargit entre pays riches et pays pauvres, et la population mondiale
ne cesse de s'accroître, au risque évident de famines !
D'où son ardent plaidoyer pour l'ouverture et la
solidarité !
avril 2022
Eva-Marie GOLDER, Un temps
pour apprendre Un espace pour penser,
éd Retz, 2021, 300 p., 19 €.
L'auteure, docteur en psychologie et psychanalyste, élève
de Françoise Dolto, consacre l'essentiel de son livre à un parcours
chronologique : de la période du berceau aux années de lycée. Et,
d'entrée de jeu, cette affirmation forte : « l'élève est,un bébé qui a
grandi (...) le goût de l'apprentissage existe dès le berceau » (27).
Elle souligne le rôle, distinct et complémentaire, de chaque parent : le
bébé se construit par leurs paroles, dans la :découverte de son milieu de
vie : d'où l'importance de cette précision : « on ne confie pas cette tâche aux écrans :
cela ne marche pas ! » (65) Vient la période de la crèche et du chagrin
à la séparation .. mais l'auteur souligne bien que, «quand les
mamans ont tourné le dos, le petits se calment » (68).
Dés l'entrée en maternelle apparaît l'écart, parfois très
large, entre les compétences langagières des bambins : certains
balbutient, certains entament des débats, des récits. En même temps dans
la bulle familiale, commence à se poser le problème de l'autorité. nous
ne commenterons pas la réponse de notre auteure : « L'autorité parentale
est d'abord une discipline envers soi-même ! »
Le plus souvent, entrer dans dans le primaire est perçu par le jeune
comme une promotion. Des notions fondamentales vont se mettre en place :
le code, l'abstraction, la déduction... « Apprendre est alors
«comprendre le cheminement par lequel on arrive à résoudre un problème
et non apprendre le résultat par cœur !» (136).
La suite du livre est aussi passionnante. Vous la lirez
volontiers : cet ouvrage - coté 21013 C - est accessible
gratuitement à "tout citoyen" comme le dit le règlement de la
Bibliothèque Espace 27 septembre
Boulevard Léopold II 44
B-1080 BRUXELLES
/413.20.28 ou bien le site Internet
mai 2022
Serge Boimare, L'enfant et la peur
d'apprendre, Dunod, 2019, 3e éd., 170 p,
20.19€
Il est diplômé instituteur en 1965. À sa demande expresse, il
veut travailler dans une classe difficile : retards scolaires importants,
bagarres fréquentes, écoute médiocre, rejet, chez la plupart, d'apprendre la
lecture comme accès au sens et à l'autonomie.
La décision est surprenante !
Un détail important, cependant : il tient à lire régulièrement
des Contes des frères Grimm à ce groupe turbulent... et cela calme ces gamins,
qui en viennent bientôt à s'identifier aux personnages du récit et à penser,
à s'ouvrir peu à peu à l'opinion d'autrui . Ce qu'il appellera "le nourrissage
culturel" fonctionne donc ! Même réaction lors de la découverte de Jules
Vernes où s'exerce ce mécanisme d'identification et, mieux encore, une dynamique
de projet, d'ouverture. On s'ouvre, dans la Bible, aux grands récits des
origines, au prophète Daniel commentant le célèbre rêve du roi Balthazar... Même
démarche dans les littératures grecque et latine, où ces jeunes vivent
avec Castor et Pollux puis avec Héraclès dans ses douze travaux.... Le prescrit
du programme est respecté : écriture quotidienne, opérations de mathématique
L'empathie est réelle, et l'auteur en parle avec pudeur. Le
pronostic favorable vis-à-vis de chacun : telle est la force qui le guide.
juin 2022
Florence Millot,
Favoriser la
confiance en soi de son enfant, Hatier, 2019, 130 p.,
10,75 €
Cette fois, il ne s'agit pas d'apprentissage à
proprement parler, mais d'affrontement aux risques liés à toutes
sortes de situations : température, secousses, animaux, équilibre, maîtrise du geste, de sa position,
notion de distance, de poids, de nature des choses... : le domaine à
explorer est vaste !
Apprendre à s'affronter au risque, cela souligne
particulièrement l'importance du regard attentif sur le comportement
de l'enfant : on ne peut guider un apprenant que si on mesure
la personnalité et les possibilités de ce jeune qui entre dans
l'existence et qui découvre progressivement ses propres atouts et
ses propres limites.
Ce qui signifie que deux êtres humains
interagissent : celui qui se forme et celui qui forme : deux
univers de représentation de soi et de représentation du monde qui
ne sont pas identiques : former un individu singulier n'est pas
former un clone de soi-même, un identique à soi : il faut «
apprivoiser voix intérieures. et les mettre à distance », écrit
finement l'auteur" (p. 34). Un regard "attentif", donc, mais non
"possesseur" ! Dans ce livre bien sage et généreux, c'est le fil
conducteur. Un regard, donc, mais pas la domination de l'un et la
dépendance de l'autre.Dans ce livre bien sage et généreux, c'est le
fil conducteur. Un regard, donc, mais pas la domination de l'un et
la dépendance de l'autre.
Le livre se termine par quelques fiches pratiques
sous forme de jeux, de boites à outils, de sujets de dessin et de "rituels" (le rituel
contre la peur, par exemple...).
Les auteurs...
Michel Adam, Essai sur la bêtise
2004
Frédérique Aït-Touati, Contes de la Lune. Essai sur la fiction et la science
modernes
2011
Annabelle Allouch, La Société du concours L'empire des
classements scolaires
2018
Amossy Ruth , L'argumentation dans le discours
2008
L.
Andries, G. Denis, A. Gipper, F. Lotterie & al., Le partage des savoirs *
XVIIIe-XIXe siècles
2003
Jean-Pierre Astolfi L'école pour apprendre. L'élève face aux savoirs
2011
Stéphane Audeguy, Petit éloge de la douceur
2007
Antoine Audouard, L'Arabe [le racisme ordinaire]
2009
Alain Badiou, avec Nicolas Truong, Éloge de l'amour
2012
Michel Barlow, L’évaluation scolaire, mythes et réalités
2003
Valérie Barry, Identifier des besoins d'apprentissage * Fondements,
méthodologie, étude de situations
2011
François Bégaudeau, Entre les murs [un prof "résistant" dans un collège..]
2006
Charles Bernet & Pierre Rézeau, On va le dire comme ça. Dictionnaire des
expressions quotidiennes
2008
Alain Bentolila, Parle à ceux que tu n'aimes pas * Le Défi de Babel
2011
Jean Birnbaum, Le courage de la nuance, Seuil, 2021, 137 p. 14 €
2021
Bruno Blanckeman, Les fictions singulières, étude sur le roman français
contemporain
2002
Serge
Boimare, L'enfant et la peur d'apprendre,
2022
Alain Braconnier, L'enfant
optimiste * En famille et à l'école
2017
Philippe Breton, La parole manipulée
2003
Philippe Breton, Eloge de la parole
2017
Bernadette Bricout (dir.), Le regard d'Orphée - Les mythes littéraires de
l'Occident
2001
Danièle BRUN, Une part de soi dans la vie des autres
2016
Élisa Brune, Pensées magiques * 50 passages buissonniers vers la liberté
2013
Jérôme Bruner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ? Le récit
au fondement de la culture et de l'identité
2017
Dominique Bucheton & Jean-Charles Chabanne, Parler et écrire pour penser,
apprendre et se construire - L'écrit et l'oral réflexifs
2006
Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques
2010
Jean-Claude Carrière, Fragilité
2009
Anne Cauquelin, L'Exposition de Soi : du journal intime aux webcams
2004
Isabelle Causse-Mergui, À chaque enfant ses talents * Vaincre l'échec scolaire
2012
Pascal Chabot,
Exister, résister. Ce qui dépend de nous
2019
Gaétane Chapelle & Étienne Bourgeois (dir.), Apprendre et faire apprendre
2006
Johann Chapoutot, Libres d'obéir, Le
management, du nazisme à aujourd'hui,
2021
Chistiane Chaulet-Achour (dir), Les 1001 nuits et l'imaginaire du XXe siècle
2005
Marcel CONCHE, Philosopher à l'infini
2015
Alain Corbain, Histoire du silence - De la
Renaissance à nos jours
2017
Marie-Anne Couderc, Bécassine inconnue
2001
Jean Cottraux, À chacun sa créativité * Einstein, Mozart, Picasso... et nous
2010
Alain Créhange, Le pornithorynque est un salopare, Dictionnaire de
mots-valises
2004
Boris Cyrulnik, Ivres paradis, bonheurs héroïques
2017
Robert Darnton, Apologie du livre – Demain, aujourd’hui, hier,
2011
Guy Debord, La société du spectacle
2019
Régis Debray, Le feu sacré - Fonctions du religieux
2003
Régis Debray, Le moment fraternité
2009
Régis Debray & Claude Geffré, Avec ou sans Dieu? * Le philosophe et le
théologien
2007
Régis Debray, Allons aux faits, Croyances historiques, réalités religieuses
2018
Chantal Delsol, Populisme. Les demeurés de l'histoire
2016
René Depestre, Bonsoir
tendresse, autobiographie
2019
Vincent Descombes, Les embarras de l'identité
2015
Vincent Descombes, Le parler de soi
2016
Jean-Louis Dessalles, Pascal Picq, Bernard Victorri, Les origines du langage
2012
Gilles Dowek, Ces préjugés qui nous encombrent,
2012
François Dosse, Le Pari biographique - Écrire une vie
2006
Roger-Pol Droit, La compagnie des philosophes
2008
Roger-Pol Droit, La tolérance expliquée à tous
2017
François Dubet, Le déclin de l'institution
2002
François Dubet, L'école des chances. Qu'est-ce qu'une école juste ?
2005
François Dubet, La préférence pour l'inégalité - Comprendre la crise des
solidarités
2015
Dominique Eberlin, Á chacun sa façon
d'être et d'apprendre
2020
Alain Ehrenberg, La fatigue d'être soi - Dépression et société
2014
Uri Eisenzweig, Naissance littéraire du fascisme
2014
Jacques ELLUL L'illusion politique
2019
Richard Étienne, Serge Ragano,Laurent
Talbot (dir.), Peut-on encore parler de méthodes pédagogiques ?
2019
Didier Fassin,Punir * Une passion contemporaine
2019
Patrick Fauconnier, La fabrique des «meilleurs» Enquête sur une culture
d'exclusion
2010
Jérôme Ferrari, Où j'ai laissé mon âme
2011
Luc Ferry, Apprendre à vivre. Traité de philosophie à l'usage des jeunes
générations
2006
Alain Finkielkraut, L'imparfait du présent
2002
Stuart Firenstein, Les Continents de l'Ignorance
2018
Chantal Foucrier, Les Réécritures littéraires des discours scientifiques
2006
Marc Fumaroli, Exercices de lecture - De Rabelais à Paul Valéry
2006
Lise Gauvin, La fabrique de la langue
2004
François Gemenne, Pierre Verbeeren,
Au-delà des frontières Pour une justice migratoire Centre
d'action laïque
2020
Laurent Gervereau, Histoire du visuel au XXe siècle
2003
Pierre Gibert, L'inconnue du commencement
2010
Stéphane Giocanti, Une histoire politique de la littérature * De Victor Hugo à
Richard Millet
2010
Maurice Godelier, L'énigme du don
2014
Christian Godin, Petit lexique de la bêtise actuelle * Exégèse des lieux communs
d'aujourd'hui
2007
Elsa Grangier,
Rêver Grand, Ces enfants qui
s'engagent pour la planète, Seuil, 2020, 138 p., 17
€
2012
David
Graeber, La démocratie aux marges
2019
Serge Gruzinski, La pensée métisse
2007 & 2010
Serge Gruzinski, L'histoire, pour quoi faire ?
2015
Maurice Godelier, L'énigme du don
2014
Eva-Marie GOLDER, Un temps
pour apprendre Un espace pour penser, éd Retz, 2021, 300 p., 19 €.
2022
Marc Grassin (dir.), L'entreprise : un lieu
pour l'homme. Les fondamentaux en question
2017
Philippe Guibert et Alain Mergier, Le descenseur social. Enquête sur les milieux
populaires
2007
Jean-Claude Guillebaud, Le goût de l'avenir
2006
Jean-Claude Guillebaud, Le commencement d'un monde. Vers une modernité métisse
2009
Philippe Hamon, Imageries [Image et littérature...]
2001
Guy HaarscherComme un loup dans la bergerie Les Libertés d'expression au risque du
politiquement correct
2018
Nathalie Heinich, Comment peut-on être écrivain?
2001
Olivier Houdé, Apprendre à résister *
Pour l'école, contre la terreur,
2020
Christine Inglis, Planifier la diversité culturelle
2012
Christian Ingrao,
Les urgences d'un historien,
Conversation avec Philippe
Petit
2020
Philippe d’Iribarne, L’Islam devant la démocratie
2013
Michel Jarrety (dir.), Propositions pour les enseignements littéraires
2001
Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires
2002
Lucien Jerphagnon, De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles,
Entretiens avec Christiane Rancé
2012
Alain Joannès, Communiquer par l'image, Utiliser la dimension visuelle pour
valoriser sa communication
2005
Alexandre Jollien, La construction de soi. Un usage de la philosophie
2009
Alexandre Jollien, Sagesse espiègle
2019
Martine Joly,Introduction à l'analyse de l'image
2017
Anne Jorro, L'enseignant et l'évaluation. Des gestes évaluatifs en question
2010
François Jost, Comprendre la télévision
2005
François Jost, La Télévision du quotidien. Entre réalité et fiction
2005
Pierre Jourde et Eric Naulleau, Le Jourde & Naulleau. Précis de littérature
du XXIe siècle
2004
Charlotte Jousseaume, Le Silence est
ma joie
2020
François JULLIEN, De l'intime. Loin du bruyant Amour
2014
Denis Kambouchner, Quelque chose dans
la tête
2022
Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète
2007
Hervé Kempf, L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie
2012
Hervé Kempf, Fin de l’Occident, Naissance du monde
2015
Étienne Klein,
Matière à contredire, Essai de philo-physique
2020
Naomi Klein, No Logo, la tyrannie des marques
2001
Victor Klemperer, Lti, [Lingua tertii imperii] La langue du IIIe Reich
2005
Christian Krumb, L'âge d'or du tableau noir
2004
Hans Küng, Peut-on encore sauver l'Église
2013
Francis Lacassin, Mémoires, Sur les chemins qui marchent,
2009
François Laplantine et Alexis Nouss, Métissages. De Arcimboldo à Zombi
2002
François Laplantine, Je, nous et les autres
2012
Éloi Laurent, Nos mythologies économiques
2019
Vincent Leary, Qu'est-ce qui nous fait vivre ?
2018
Michel Le Bris, Pour l'amour des livres
2021
Sandrine Lefranc, Politiques du pardon
2003
Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches ?
2016
Thierry Legay et Laurent Raval, 500 jeux avec les mots
2005
Philippe Lemoine, La nouvelle origine: la France, matrice d'une autre modernité?
2007
Frédéric Lenoir,La guérison du monde
2017
Simon Leys, Le studio de l'inutilité. Essais
2013
Gilles Lipovetsky, De la légèreté
2017
Carlos Liscano, L'impunité des bourreaux : l'affaire Gelman
2007
Marcel V. Locquin, Quelle langue parlaient nos ancêtres préhistoriques?
2002
Amin Maalouf, Le dérèglement du monde
2009
Daniel Marcelli, Avoir la rage. Du besoin de
créer à l'envie de détruire
2018
Corinne Maier, Bonjour paresse * De l'art et de la nécessité d'en faire le moins
possible en entreprise
2012
Geert Mak, Voyage d'un Européen à travers le XXe siècle
2007
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