Astuce !

Pour toute recherche dans LMDP, ouvrez ALPHABET : accès direct à 700 documents

langue maternelle * documents pédagogiques

Activités de langue française dans l’enseignement secondaire * Revue trimestrielle

 http://docpedagfrancais.be/ *  Écrivez-nous

Échange, recherche, formation

 

 

 

ACCUEIL
Ouvrir les numéros en ligne

ALPHABET

Index de tous les fichiers LMDP

COIN LECTURE

bibliographie, programmes, sites...

LIBRAIRIE

livres recensés depuis janvier 2001

ARCHIVES:

  86 articles parus dans LMDP

JULIBEL, le français actuel

Base de données initiée à la rédaction de LMDP

Julibel - recherche * Julibel - mode d'emploi

SOMMAIRE 

numéros parus depuis 1990

 

 

 

Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source

 

Numéro 143 * Décembre 2010

 

 

Sommaire

1. Petite approche descriptive du paragraphe, 3e degré et document pour l'enseignant, par Christian Thys 

Littérature, philosophie, médias: observation d'exemples

(Rousseau, Camus, Sartre, Flaubert, Bourdieu, Foucault, Lévi-Strauss, etc.)

 

2. Du schéma au texte explicatif

Recherche et création. Philippe Mathieu. 2e degré

3. Hérodote: Comment faire une momie ?  

Comprendre un texte documentaire. Passer de la lecture à la création. Propositions: Paul Verheggen, 1er degré

 

4.  Michel Erman, La politique du juronLe Monde,29 octobre 2010 

Pistes pour lire et débattre  2e et 3e degrés

 Édito

En question: les contenus ? Ou leur transmission ?

Les choix de formation continue des professeurs, les références dont ils font état ou qu'on peut repérer dans leurs pratiques, montrent que, pour beaucoup d'entre eux, leurs compétences relèvent essentiellement de leur connaissance des objets qu'ils enseignent. 

En revanche, ils semblent peu s'intéresser à ce qui concerne le sujet, les fonctionnement cognitifs, les pratiques culturelles des élèves. Les difficultés à "faire passer" les contenus sont souvent attribuées à l'inadaptation des programmes ou à celle des élèves à ces programmes et elles sont rarement rapportées aux démarches didactiques et pédagogiques adoptées. 

Monique Maquaire Le français aujourd'hui, 136, janvier 2002, p. 91. Formation et lectures des enseignants: des incidences sur les pratiques?

 

                      

Petite approche descriptive du paragraphe

Propositions de recherche, par Christian Thys   

:1.la dissertation en point de mire * 2. façons d'écrire: les moyens d'expression * 3. façons d'argumenter: les liens logiques * 4. du paragraphe introductif au paragraphe conclusif

Dans les lignes qui suivent, je m’essaye à identifier cet ensemble intermédiaire, relativement flou et extrêmement varié qui se situe  entre la phrase et le texte. Je considère ces réflexions  comme un avant-projet et invite tous ceux qui ont entrepris le même travail à  apporter suggestions ou corrections. Je laisse à d’autres le soin de tester les filtres de paragraphage automatique comme Spip! Il est également hautement probable que l’initiation à la présentation du texte fait partie de l’initiation à la dissertation.

« Dans un texte, les phrases se groupent en ensembles intermédiaires matérialisés par des paragraphes, des sections ou des chapitres. Ces ensembles intermédiaires sont également des textes dans la mesure où ils en possèdent toutes les propriétés. Le paragraphe représente la plus petite subdivision du texte et incarne généralement un microtexte.

Le microtexte comporte un nombre variable de phrases. Il peut n’en comporter qu’une seule et peut même se réduire à un syntagme ou à un mot. »

        J. Lerot, Précis de linguistique générale, Paris, Minuit, 1993, p.112.

Retenons de cette définition que le paragraphe en tant que microtexte sera structuré selon les règles souples qui régissent la typologie textuelle ou, mieux, la typologie de séquences textuelles. En ce qui concerne plus précisément le texte d’argumentation, on pourrait s’arrêter à une structuration prototypique   du type  problématisation, argumentation, résolution (partielle). Pour un texte informatif : information ancienne, objections ou rectifications, information nouvelle.  A notre avis ce sont  donc en premier les genres, puis les types, puis la position de chaque paragraphe au sein du texte  qui déterminent  l’agencement des contenus informatifs. Mais nous irons plus loin en proposant des exemples de liaisons logiques au sein des paragraphes.

  1. La dissertation en point de mire

sommaire 143 * début 'paragraphe'

Un site propose pour le texte argumentatif le principe mnémotechnique du type PAIR :  

Voir http://pagesperso-orange.fr/jmpetit/cours/arg11.htm

« Le paragraphe argumentatif doit faire intervenir quatre éléments, dans un ordre quelconque : Le rappel de la thèse, l'argument, l'exemple, le résumé du paragraphe.  

Présentation de la thèse, de l'idée générale (qui est présentée dans le texte entier)

Argument : expression de l'opinion ou du jugement  à faire passer dans ce paragraphe particulier et raisonnement qui soutient le jugement.

Illustration : exemple concret, citation, statistique, argument d'autorité, expérience vécue, preuve quelconque...

Résumé : Rappel de l'argument grâce à une phrase de résumé, qui achèvera ce paragraphe, et permettra de passer au paragraphe suivant. »

 Exemple

(P) L'atout principal de la télévision est sa grande diversité. (A) En effet, il est rare qu'il n'y ait rien de bien sur toutes les chaînes à la fois, et que l'on se trouve contraint d'éteindre son poste par manque de munitions... (I) Si l'on consulte les programmes de ce soir lundi 25 septembre 2000, il y a au moins deux films qui mériteraient d'être regardés. Sur M6 passe un bon policier avec Clint Eastwood -jeune !-, sur Canal Plus un film de Pedro Almodovar primé au festival de Cannes : Tout sur ma mère. Le téléspectateur exigeant y trouvera sans doute son bonheur, sans compter que sur TF1, le dernier épisode des Misérables ravira ceux qui ont eu la faiblesse de pas lire le somptueux roman de Victor Hugo.

(R) Hélas, une telle variété et un tel choix ne sont pas proposés tous les soirs.»

2. Façons d'écrire... : des moyens d'expression

sommaire 143 * début 'paragraphe'

La question de l’étudiant est sans doute celle-ci : Quand paragrapher ? Et le fait pour l’enseignant d’y insister  risque d’aboutir à un paragraphage massif. En revanche,  l’observation des débuts de paragraphes pourrait servir de  préalable à un essai de théorisation. Les étudiants seraient amenés à caractériser les expressions selon les nomenclatures tirées de leurs connaissances syntaxiques et morphologiques, mais plus encore de réfléchir sur les significations des expressions utilisées, éventuellement à l’aide d’un dictionnaire spécialisé. Le professeur introduira progressivement les termes techniques propres au chapitre grammatical de la  cohérence textuelle. Dans ces extraits, nous avons mis en évidence les expressions qui devraient faire l’objet d’une recherche et d’une explicitation. Ces mêmes extraits mettent, quelques cas exceptés, l’accent sur les séquences argumentatives.

1. Les indicateurs spatio-temporaux                      

Le XIXe siècle  a été le siècle des financiers. Semblable aux barons de la finance, Gustave Brasseur voyait grand, il ouvrit des succursales. Dynamique et résolument moderne, il menait, dans les journaux, des campagnes de publicité.  
   
     Cl. Francis et F. Gontier, Simone de Beauvoir, Paris, Perrin, 1985.

 2. Les créateurs d’univers ou les présentatifs

        2a    

Il était une fois un roi et une reine. Chaque jour ils se lamentaient : « Ah ! si seulement nous avions un enfant. » Mais d'enfant, point. Un jour que la reine était au bain, une grenouille bondit hors de l'eau et lui dit : « Ton vœu sera exaucé. Avant qu'une année soit passée, tu mettras au monde une fillette. »
   
     Perrault, La Belle au bois dormant.

       2b

Voici les principales mesures du texte:

Le "droit à l'erreur"

Nicolas Sarkozy a annoncé une "véritable révolution" du système d’orientation, qu’il juge "beaucoup trop rigide". Le président de la République a donc proposé l’instauration d’un droit à l’erreur, en mettant en place une orientation "progressive et surtout réversible". Pour ce faire, le président de la République souhaite l’instauration de stage pendant les vacances scolaires permettant soit d’acquérir les connaissances nécessaires pour changer de voie, soit de se remettre à niveau. Avec un objectif: que le redoublement, "qui est aujourd’hui la règle, devienne l’exception". Enfin, des efforts seront faits pour l’information des élèves et les stages en entreprises seront largement favorisés.  
        Le JDD.fr, Le nouveau lycée de Sarkozy, 13/10/2009.
     

3. L’introduction d’un nouveau thème  pour illustrer une thèse

Au niveau des électrons, la physique classique n’est plus valable et nous entrons dans le monde des incertitudes. La structure de la matière n’est plus définie par des lois déterministes, mais par des modèles de probabilité. Notre monde physique n’est pas une horloge, mais un chaos imprévisible. Toutes les théories déterministes fondées sur l’enchaînement nécessaire des causes et des conséquences sont progressivement remplacées par des calculs de probabilité.    

Denis Collin, La Matière et l’esprit, Paris, A. Colin, 2004

4. Une énumération de positions adoptées par  différentes références

Les Pythagoriciens affirmèrent les premiers que le monde était en son essence mathématique. Le travail de Pythagore sur la mesure, sur l’harmonie et en particulier sur les sons conduit à l’idée que les choses sont des nombres…

Platon propose, lui aussi, une construction mathématique du monde. Dans le Timée, inspiré des conceptions pythagoriciennes qui ont eu une si grande influence sur lui, il tente une explication de la genèse du cosmos.

      D. Collin, La Matière et l’esprit, Paris, A. Colin, 2004, p. 55  

5. Le sous-thème d’une description avec ses anaphoriques

5a  

 En toute saison, elle portait un mouchoir d’indienne fixé dans le dos par une épingle, un bonnet lui cachant les cheveux, des bas gris, un jupon rouge, et par-dessus sa camisole un tablier à bavette, comme les infirmières de l’hôpital.

Son visage était maigre et sa voix aigüe. A vingt-cinq ans, on lui en donnait quarante.

            Flaubert, Trois contes, Paris, Flammarion, 1965.

 

5b

Le sujet de cet essai est précisément ce rapport entre l’absurde et le suicide, la mesure exacte dans laquelle le suicide est une solution à l’absurde. On peut poser en principe que pour un homme qui ne triche pas, ce qu’il croit vrai doit régler son action. La croyance dans l’absurdité de l’existence doit donc commander sa conduite. C’est une curiosité légitime de se demander, clairement et sans faux pathétique, si une conclusion de cet ordre exige que l’on quitte au plus vite une condition incompréhensible. Je parle ici bien entendu, des hommes disposés à se mettre d’accord avec eux-mêmes.

Posé en termes clairs, ce problème peut paraître à la fois simple et insoluble. Mais…

         A. Camus, Le Mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, 1942.

 6. Les connecteurs logiques: contre = opposition; d’ailleurs = confirmation.   

6a

Contre (opposition) cette doxa, il faut, me semble-t-il se défendre en la soumettant à l’analyse et en essayant de comprendre les mécanismes selon lesquels elle est produite et imposée.

         P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.  

                6b                  

D’ailleurs (confirmation), les idées générales ne peuvent s’introduire dans l’esprit qu’à l’aide des mots, et l’entendement ne les saisit que par des propositions. C’est une des raisons pour quoi les animaux ne sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend.

        J.-J.. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.  

 

6c

 

Quoi qu’il en soit (rupture)  de ces origines, on voit du moins, au peu de soin qu’a pris la nature de rapprocher les hommes par des besoins mutuels, et de leur faciliter l’usage de la parole, combien elle a peu préparé leur sociabilité, et combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu’ils ont fait, pour en établir les liens.

          J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

 7. Marqueurs du point de vue, de position de la thèse ou marqueurs de  l’intention.  

7a

Posons donc ceci : le terrorisme contemporain, comme les millénarismes nazi ou communiste, c’est l’illimité par opposition aux limites des guerres entre Etats, illimité dans le temps et l’espace, illimité dans les cibles…

        Br. Chaoua, Le visage de Janus de la Terreur, Ed. Universitaires de Dijon, 2009.  

  7b

Pour appréhender les causes du terrorisme, il faut donc sortir du cadre trop limité des études disponibles sur ce phénomène.

        Ali Laïdi, Peur irrationnelle/Terrorisme rationnel, Ed. Universitaires de Dijon, 2009., p. 28.

 

8. Marqueurs d’intégration linéaire, d’énumération ou de séquence

Quand on regarde les sciences aujourd’hui avec un peu de recul, on ne peut qu’être frappé par la concomitance de plusieurs phénomènes qui apparaissent comme les indices d’une crise sérieuse.

Tout d’abord l’activité scientifique semble de plus en plus pilotée par ses applications techniques au point que celles-ci remplacent progressivement celle-là. L’exemple de la génétique est révélateur. (…)

En deuxième lieu, la coupure entre la science et la réflexion philosophique semble plus profonde que jamais. D’un côté, une science qui vulgarise une sorte de philosophie implicite ou explicite et souvent d’une grande pauvreté. De l’autre côté, une philosophie qui ne s’intéresse plus guère à la philosophie des sciences : Bachelard, Canguilhem, Vuillemin, où sont leurs héritiers ? (….)

         D. Collin, La matière et l’esprit, Paris, A. Colin, 2004.  

 

9. Procédés de synthèse

Les farces, qui dans les milieux populaires du XIXe siècle étaient les plaisanteries les plus appréciées et qui souvent n’étaient pas dépourvues d’une certaine brutalité, ne rencontrent plus beaucoup d’échos : inventer un scénario pour ridiculiser autrui aux yeux de tous suscite aujourd’hui davantage de réprobation que d’encouragement. Même les « farces et attrapes » tombent dans la désuétude et sont réservées aux enfants : le comique  exige de nos jours plus de discrétion  et de nouveautés ;  le temps n’est plus où l’on riait invariablement des mêmes plaisanteries, l’humour requiert le spontané, le « naturel ».

Cela étant, on observe depuis deux ou trois ans un regain des rassemblements costumés de jeunes, dans les rues et lycées, à l’occasion du Mardi gras.

        G. Lipovetsky, L’ère du vide, Paris, Folio Essais n° 121, p. 204-205.

 

10. Rupture des temps

Les Liancourtois ont remporté à Vanves une victoire précieuse qui leur permet de rester dans la course, à la septième place.

Le match débuta rapidement sous l’impulsion des joueurs de Vanves.

         (Courrier Picard)

11. Assertion  

11a

 C’est une évidence massive : jamais aucune société n’a autant que la nôtre lié son destin à celui du savoir, d’un certain genre de savoir, le savoir scientifique.

         D. Collin, La Matière et l’esprit, Paris, A. Colin, 2004.

11b

Il est donc certain que la pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir : c’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de moeurs et de vertu, avec cet avantage que nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix : c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant, ou à un vieillard infirme, sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs…

        J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

 

12. Interrogation

 Qu’est-ce qui fait que ces divers sens du mot matérialisme ont cependant un air de famille ? Est-ce la référence commune à un primat de la matière ? Mais il est alors nécessaire de définir ce qu’est la matière.

         Collin, La Matière et l’esprit, Paris, A. Colin, 2004, p. 84.

 

13. Citation  

13a

« Je vous donne… Médée toute méchante qu’elle est. »

C’est par cet incipit  que s’ouvre la dédicace à Médée, tragédie de Pierre Corneille publiée pour la première fois en 1639.

        J. Cherbuliez, Médée cosmopolite, Ed.. Universitaires de Dijon, 2009.  

13b          

  Dostoïevsky avait écrit : « Si Dieu n’existait pas, tout serait permis. »

        J.P. Sartre, L’Existentialisme est un humanisme. Paris, Nagel, 1946.

 

14. Principe et Exemple

Où il n'y a nul effet, il n'y a point de cause à chercher: mais ici l'effet est certain, la dépravation réelle, et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. Dira-t-on que c'est un malheur particulier à notre âge? Non, messieurs; les maux causés par notre vaine curiosité sont aussi vieux que le monde. L'élévation et l'abaissement journalier des eaux de l'océan n'ont été plus régulièrement assujettis au cours de l'astre qui nous éclaire durant la nuit que le sort des moeurs et de la probité au progrès des sciences et des arts. On a vu la vertu s'enfuir à mesure que leur lumière s'élevait sur notre horizon, et le même phénomène s'est observé dans tous les temps et dans tous les lieux.

        Voyez l'Egypte, cette première école de l'univers, ce climat si fertile sous un ciel d'airain, cette contrée célèbre, d'où Sésostris partit autrefois pour conquérir le monde. Elle devient la mère de la philosophie et des beaux-arts, et bientôt après, la conquête de Cambise, puis celle des Grecs, des Romains, des Arabes, et enfin des Turcs.  

        J.-J.. Rousseau, Discours sur les sciences et les Arts.  

 

15.Synthèse

 Mais franchissons la distance des lieux et des temps, et voyons ce qui s'est passé dans nos contrées et sous nos yeux; ou plutôt, écartons des peintures odieuses qui blesseraient notre délicatesse, et épargnons-nous la peine de répéter les mêmes choses sous d'autres noms. Ce n'est point en vain que j'évoquais les mânes de Fabricius; et qu'ai-je fait dire à ce grand homme, que je n'eusse pu mettre dans la bouche de Louis XII ou de Henri IV? Parmi nous, il est vrai, Socrate n'eût point bu la ciguë; mais il eût bu, dans une coupe encore plus amère, la raillerie insultante, et le mépris pire cent fois que la mort.

 Voilà comment le luxe, la dissolution et l'esclavage ont été de tout temps le châtiment des efforts orgueilleux que nous avons faits pour sortir de l'heureuse ignorance où la sagesse éternelle nous avait placés. Le voile épais dont elle a couvert toutes ses opérations semblait nous avertir assez qu'elle ne nous a point destinés à de vaines recherches. Mais est-il quelqu'une de ses leçons dont nous ayons su profiter, ou que nous ayons négligée impunément? Peuples, sachez donc une fois que la nature a voulu vous préserver de la science, comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant; que tous les secrets qu'elle vous cache sont autant de maux dont elle vous garantit, et que la peine que vous trouvez à vous instruire n'est pas le moindre de ses bienfaits. Les hommes sont pervers; ils seraient pires encore, s'ils avaient eu le malheur de naître savants.

        J.-J.. Rousseau, Discours sur les sciences et les Arts.  

 

http://un2sg4.unige.ch/athena/rousseau/jjr_sca.html 

3. Façons d'argumenter : les liens logiques

sommaire 143 * début 'paragraphe'

Outre les débuts de paragraphes, nous pouvons également tenter d’observer et de théoriser les liens logiques les plus fréquents qui relient les phrases au sein des corps de paragraphe.  

 Les relations logiques qui articulent le contenu d’un paragraphe sont, parmi les plus courantes :

 

- A est différent de B : antithèse

La révolution conservatrice aujourd’hui prend une forme inédite : il ne s’agit pas, comme en d’autres temps, d’invoquer un passé idéalisé, à travers l’exaltation de la terre et du sang, thèmes archaïques des vieilles mythologies agraires. Cette révolution conservatrice d’un type nouveau se réclame du progrès de la raison, de la science (….) pour justifier la restauration et tente ainsi de renvoyer dans l’archaïsme la pensée et l’action progressistes.

        P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.

- Sans doute A, mais B (concession + Correction/addition)  

L’indignation vertueuse qu’ils ont manifestée (Les journalistes face à une émission sur la télévision) est sans doute imputable, pour une part, à l’effet de la transcription qui fait disparaître, inévitablement, l’accompagnement non écrit de la parole, le ton, les gestes, la mimique, les sourires, c’est-à-dire tout ce qui, pour un spectateur de bonne foi, marque d’emblée la différence entre un discours animé par un souci de faire comprendre et de convaincre et le pamphlet polémique (….). Mais elle s’explique surtout par certaines des propriétés les plus typiques de la vision journalistique comme l’inclination à identifier le nouveau avec ce qu’on appelle des « révélations »…

        P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.       

 - Ou A ou B : alternative  

Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et ne tiendra aucun compte de l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent.

       Evangile selon saint Matthieu.     

         

- A concession  B pour renforcer A

L’Etat est une réalité ambiguë. On ne peut pas se contenter de dire que c’est un instrument au service des dominants. Sans doute, l’Etat n’est-il pas complètement neutre, complètement indépendant des dominants, mais il a une autonomie d’autant plus grande qu’il est plus ancien, qu’il est plus fort, qu’il a enregistré dans ses structures des conquêtes sociales plus importantes, etc.  

        P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.        

 - A, ensuite B (suite temporelle)

 Ce que nous voyons aux Etats - Unis et qui s’esquisse en Europe, c’est un processus d’involution. Quand on étudie la naissance de l’Etat dans les sociétés où l’Etat s’est constitué le plus tôt, comme la France et l’Angleterre, on observe d’abord une concentration de force physique et une concentration de force économique (…) Ensuite on a une concentration de capital culturel, puis une concentration d’autorité.  

        P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.                         

- A entraîne  B (consécutive/déductive)  

Dans un univers qui, comme le monde du journalisme, et surtout de la télévision, est dominé par la crainte panique d’être ennuyeux et par le souci de divertir à tout prix, la politique est vouée à apparaître comme un sujet ingrat (…). D’où la tendance qui s’observe partout, aux Etats-Unis autant qu’en Europe, à sacrifier de plus en plus l’éditorialiste à l’animateur-amuseur (…).  

        P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.  

- A ouvre les séquences a’, b’                         

            Je conçois dans l’espèce humaine deux sortes d’inégalité : l’une, que j’appelle naturelle ou physique, parce qu’elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence d’âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l’esprit, ou de l’âme ; l’autre, qu’on peut appeler inégalité morale ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte de convention, et qu’elle est établie, ou du moins autorisée par le consentement des hommes. Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres ; comme d’être plus riches, plus honorés, plus puissants qu’eux, ou même de s’en faire obéir.  

        J.-J.. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.  

- A propose un syllogisme (plus ou moins explicite) et rectifie  

Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point, et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins.  

        J.-J.. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.  

- Parce que A, B  

D’ailleurs, les idées générales ne peuvent s’introduire dans l’esprit qu’à l’aide des mots, et l’entendement ne les saisit que par des propositions. C’est une des raisons pour quoi les animaux ne sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend.  

        J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.  

- B confirme A  

On a parlé, non sans raison, du « babélisme » de la pensée moderne. De fait, les esprits n’ont jamais été si profondément, si cruellement divisés.  

        J. Maritain, Discours prononcé en 1947 devant la conférence générale de l’U.N.E.S.C.O.  

- B plus ou moins semblable à A  

Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice.  

        J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.  

- B réfute A (Opposition)  

On me dira que tout cela est fini aujourd’hui ou en train de s’achever ; que la parole du fou n’est plus de l’autre côté du partage ; qu’elle n’est plus nulle et non avenue  (…). Mais tant d’attention ne prouve pas que le vieux partage ne joue plus ; il suffit de songer à toute l’armature de savoir à travers laquelle nous déchiffrons cette parole ; il suffit de songer à tout le réseau d’institutions qui permet à quelqu’un – médecin, psychanalyste – d’écouter cette parole (…)  

         Michel Foucault, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971.          

L’ethnologie ne peut pas rester indifférente aux processus historiques et aux expressions les plus hautement conscientes des phénomènes sociaux. Mais, si elle leur porte la même attention passionnée que l’historien, c’est pour parvenir, par une sorte de marche régressive, à éliminer tout ce qu’ils doivent à l’événement et à la réflexion.  

        Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon.  

- B justifie (explique) A  

Il est aisé de voir que c’est dans ces changements successifs de la constitution humaine qu’il faut chercher la première origine des différences qui distinguent les hommes, lesquels d’un commun aveu sont naturellement aussi égaux entre eux que l’étaient les animaux de chaque espèce, avant que diverses causes physiques eussent introduit dans quelques-unes les variétés que nous y remarquons. En effet, il n’est pas concevable que ces premiers changements, par quelque moyen qu’ils soient arrivés, aient altéré tout à la fois et de la même manière tous les individus de l’espèce ; mais les uns s’étant perfectionnés ou détériorés, et ayant acquis diverses qualités bonnes ou mauvaises qui n’étaient point inhérentes à leur nature, les autres restèrent plus longtemps dans leur état originel ; et telle fut parmi les hommes la première source de l’inégalité, qu’il est plus aisé de démontrer ainsi en général que d’en assigner avec précision les véritables causes.  

J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Préface, http://fr.wikisource.org/wiki/Discours_sur_l’origine_et_les_fondements_de_l’inégalité_parmi_les_hommes/Préface

  - B s’ajoute à A (addition)  

Lorsque le chômage, comme aujourd’hui dans nombre de pays européens, atteint des taux très élevés et que la précarité affecte une partie importante de la population (…) , le travail devient une chose rare, désirable à n’importe quel prix, qui met les travailleurs à la merci des employeurs (…). La concurrence pour le travail se double d’une concurrence dans le travail, (…) qu’il faut garder, parfois à n’importe quel prix, contre le chantage au débauchage.  

        P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.    

-  B commente A  

Pour caractériser ce mode de domination (…), quelqu’un a proposé ici le concept à la fois pertinent et très expressif de flexploitation. Ce mot évoque bien cette gestion rationnelle de l’insécurité qui (…) brise les résistances et obtient l’obéissance et la soumission.  

        P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.

- B illustre A  

Mais les journalistes, qui invoquent les attentes du public pour justifier cette politique de la simplification démagogique (…), ne font que projeter sur lui leurs propres inclinations, leur propre vison ; notamment lorsque la peur d’ennuyer, donc de faire baisser l’audimat, les porte à donner la priorité du combat sur le débat (…).  

        P. Bourdieu, Contre-Feux, Paris, Raisons d’agir, 1998.    

- B explique A  (explication)  

Cette attention exclusive au « microcosme » politique, aux faits qui s’y déroulent et aux effets qui lui sont imputables tend à produire une coupure avec le point de vue du public (…). Coupure qui est considérablement renforcée et redoublée, chez les stars de télévision notamment, par la distance sociale associée au privilège économique et social. On sait en effet que, depuis les années soixante (…) les vedettes médiatiques ajoutent à des salaires extrêmement élevés (…) les cachets  souvent exorbitants associés à la participation à des talk shows, à des tournées de conférences,…   

4. Du paragraphe introductif au paragraphe conclusif

          

Nous passons maintenant à l’observation des caractères spécifiques propres aux paragraphes introductifs et conclusifs en nous servant d’un texte complet. Le paragraphe introductif est caractérisé par la haute fréquence des questions et des exemples destinés à justifier les raisons de l’article, en l’occurrence du pouvoir de la télévision. La dernière phrase de ce paragraphe introductif annonce le développement,   à savoir la fonction métaphysique de la télévision qui correspond au titre et au sous-titre.    

sommaire 143 * début 'paragraphe'

Nous reconnaissons que le sujet choisi est «bateau», mais que son approche sort des banalités et permet au lecteur de  réfléchir à l’apport spécifique de la télé-réalité. L’article  est tiré du n° 37 du mensuel Philosophie Magazine intitulé «La Télé nous rend-elle mauvais ?» (site web du mensuel : http://www.philomag.com/ )

 ABOLIR LE RÉEL ?  

EN NOUS ARRACHANT  A L’ORDINAIRE, LA TÉLÉVISION A CONQUIS UNE FONCTION MÉTAPHYSIQUE, ET DÉPLOIE À TRAVERS LA PETITE LUCARNE UNE PROMESSE D’INFINI QUI IGNORE LA MORT. 

Par Alexandre LACROIX, Philosophie Magazine, n°37, mars 2010

Le paragraphe introductif  

Mais au fait à quoi sert la télévision ? Pourquoi possède-t-elle un pouvoir quasi universel ? Pourquoi, en bas âge et alors qu’ils ne comprennent pas  les émissions, les enfants se laissent-ils captiver par elle ? Même les pays de tradition aniconique, les terres d’Islam supposées condamner le culte idolâtre des images, font leur miel du petit écran. La plupart des messages des islamistes sont diffusés via des chaînes de télévision comme la qatariote Al-Jazeera ; Oussama Ben Laden communique par des vidéos ; les attentats du 11 septembre ont mis la planète en état de choc parce qu’ils ont été retransmis sur tous les écrans, c’est un spectacle meurtrier prémédité. Les fanatiques islamistes utilisent la télévision ou la regardent : ainsi, elle a converti même les plus grands adversaires de l’image. Si la télévision s’est répandue sur toute la surface du globe, c’est qu’elle n’est pas un média ordinaire. Elle touche au plus profond de l’humain et remplit, ni plus ni moins,une fonction métaphysique.  

Ce microtexte introduit  la thèse centrale : La télévision est un moyen d’alléger le poids du réel, voire de l’abolir,  est déjà complexe. Il comporte une problématisation, une justification de cette problématisation, une exemplification et l’énoncé de la thèse centrale.  

Le corps du texte explicite la thèse : La télévision nous fascine parce qu’elle nous donne une illusion d’un au-delà du réel. Soit A parce que B.  

Rien ne pèse davantage à l’homme que le réel. Etre prisonnier de l’ici et maintenant, englué dans le quotidien, voilà qui procure des sensations d’étouffement. «Hélas! Que n’y a-t-il des voies célestes pour que nous puissions nous glisser dans un autre Etre, et dans un autre bonheur ? « demande le choeur des hommes, dans Ainsi parlait Zarathoustra, de Friedrich Nietzsche. Insatisfait de ce monde-ci, l’homme a besoin de s’en inventer d’autres, par le subterfuge de la religion, de l’ivresse ou de l’artifice. L’homme rêve de passer dans un «autre monde», ne supportant pas la spectacle de ses souffrances et de sa propre impuissance ici-bas. Cédant à cette tentation, il devient un «halluciné de l’arrière-monde», pour reprendre le mot de Zarathoustra. Après le déclin des religions en Occident, cette propension anthropologique à jeter son illusion au-delà du réel a trouvé un dérivatif dans les médias contemporains. «Télé-vision»; l’enjeu est bel et bien de voir ce qui n’est pas là, d’amener un au-delà dans le huis clos du foyer. Voilà de quoi soulager toutes les frustrations imposées par le réel : les enfants n’ont plus à affronter constamment l’autorité parentale ; les personnes âgées ou esseulées y gagnent une présence ; les veillées ne tournent plus autour des mêmes racontars éculés. La promesse de l’au-delà est une libération. D’ailleurs, cette fonction métaphysique n’est pas remplie seulement par les programmes télé, mais tout aussi bien par Internet, les jeux vidéo, l’I-phone - elle est commune à tous les écrans qui prolifèrent autour de nous. Dans les Carnets de Camus, avant l’arrivée des téléviseurs, on trouve cette description étrangement prémonitoire : «Dans les musées italiens, les petits écrans peints que le peintre tenait devant le visage des condamnés pour qu’ils ne voient pas l’échafaud. Le saut existentiel, c’est le petit écran.» Les écrans en tant qu’ils nous détournent du réel, nous masquent la finitude de notre condition et, du même coup, notre mort. C’est pour cela que nous ne pouvons plus nous en passer.  

Paragraphe conclusif  

Mais alors pourquoi protester contre un tel vecteur de liberté, un erzatz d’infini ? Le problème, comme le pointait déjà Zarathoustra, c’est que l’arrière-monde a tôt fait d’entrer en compétition avec le réel et qu’il finit par l’éclipser. vient un moment où, aveuglé par les visions de l’au-delà, on cesse d’être présent à sa propre existence et à ses semblables. Cette dynamique de la déréalisation, de la perte d’adhérence s’est logiquement achevée avec l’arrivée d’un nouveau concept, encore plus efficace que le précédent, celui de télé-réalité. la promesse de la télé-vision est en effet de donner à voir le lointain, mais elle n’en annule pas pour autant la distance et ne promet pas un réel de remplacement. C’est ce nouveau saut qu’accomplit explicitement la télé-réalité. Ce sont bien les histoires d’amour, d’ambition, les luttes que je vis que me montre désormais l’écran. Il m’offre une réalité de rechange, car j’ai perdu la mienne. De même que le fanatique peut sans problème tuer pour gagner une place d’élection dans l’au-delà, le spectateur, une fois coupé du réel, pourra assassiner pour entrer au royaume des images. Pour apparaître nimbé de lumière et de gloire dans ce paradis, tout est possible, y compris la violence. Exagération ? Peut-être... Mais l’explication sociologique des résultats troublants obtenus par l’expérience du «Jeu de la mort» n’est pas complète. On peut bien évidemment déplorer les forces de désagrégation à l’oeuvre dans la société, ou s’interroger sur la fragilisation des valeurs morales. Il n’en reste pas moins que la dimension métaphysique du problème doit être prise en compte. Si l’écran cache la mort, l’exécution devient un jeu d’enfant.  

Ce paragraphe conclusif comporte plusieurs mouvements. Il tire les conséquence d’une opposition entre B, la projection d’un au-delà au sens du réel. il ajoute un argument qui corrige la thèse précédente : non seulement la télévision déréalise, mais la téléréalité propose un réel de remplacement qui abolit la distance entre le spectateur et le spectacle. Et dès lors ouvre le spectacle à tous les excès, autre conséquence. Enfin, il revient au début du texte pour justifier la place du  point de vue métaphysique adopté au côté du point de vue sociologique pour tirer une conséquence ultime : la possibilité de mettre la mort en scène et en acte au bout d’un tel processus.

En définitive : la fascination pour l’écran entraîne le rêve d’un autre monde ; ce dernier en conflit avec le monde réel, mais par la téléréalité  pourvoit à une réalité de rechange; Un tel écran peut aboutir à tous les excès s’il finit par cacher la réalité de la finitude humaine.

Bibliographie

BESSONAT, Daniel. Le découpage en paragraphes, Pratiques, no 57, 1988, p. 81-105.

Le Point du FLE, Apprendre le français : www.lepointdufle.net/p/relationslogiques.htm

 Ch. Thys

sommaire 143 * début 'paragraphe'


Du schéma au texte explicatif 

Présentation : Philippe MATHIEU. * Deuxième degré (3e année)

objectifs et méthodologie * analyse de quelques exemples * fonctionnement du t.explicatif * du schéma au t. explicatif

 

NOTE *  Pour les besoins de l’article LMDP, je n’ai pu envisager une séquence complète et plus élaborée ; je me suis contenté de donner une "colonne vertébrale" de fonctionnement. La séquence complète est d’ailleurs en préparation.

Ph. M.

 

A. Objectifs :  

     L’étude et la pratique du texte (discours) explicatif ont été placées en classe de troisième parce qu’elles permettent une transition en douceur vers le texte (discours) argumentatif, qui fera l’objet d’une étude plus spécifique en quatrième.

        Avec le texte explicatif, les élèves quittent le domaine du texte narratif et du texte descriptif pour entrer dans le monde du logique. Cela permet, en corrélation avec les cours d’histoire et/ou de géographie et/ou de sciences, d’aborder la sphère des relations logiques  (cause, conséquence, but, condition et bien d’autres circonstances).

      On doit faire comprendre aux élèves que le texte explicatif peut se rencontrer partout, qu’il n’est pas l’apanage d’une catégorie particulière d’ouvrages. C’est la raison pour laquelle on propose aux élèves un panel de textes pouvant aller des extraits de manuels scolaires, en passant par des magazines, pour arriver à des ouvrages scientifiques.

 

B. Méthodologie :  

sommaire 143 * début t. explicatif

      La façon de procéder que j’ai privilégiée a pour fil rouge de sécuriser l’élève. Pour cela,  je me suis fixé deux principes de base à respecter :

1° Partir de la démarche inverse du titre, c’est-à-dire débuter par un corpus de textes explicatifs que je propose aux élèves ;

  2° Aborder des domaines auxquels les élèves sont confrontés en troisième afin de leur faire prendre conscience de l’utilité de la démarche, d’essayer de ne pas laisser d’élèves en rade (et de les démotiver). En consultant les enseignants d’autres disciplines, j’ai pu élaborer un corps de textes recouvrant histoire, géographie, voire sciences.

 J’ai commencé par la démarche d’analyses de textes explicatifs selon ce principe : lire les documents et être soumis à des questions sur ceux-ci. Le système du questionnement permet aux élèves de se retrouver face à une méthode qu’ils ont maintes fois expérimentée.

Ensuite, de ces différentes analyses, on dégage un mode de fonctionnement global des  textes concernés.

       Enfin, la dernière étape consiste à partir de cartes, de schémas, de graphiques pour les retranscrire dans un texte continu permettant une lecture de ces divers éléments. Cette ultime étape nécessite une maîtrise certaine des organisateurs de textes, de l’emploi des paragraphes. Il permet à l’élève d’apprendre à structurer sa pensée.

                

C. Analyse de textes explicatifs :  

 

Texte 1

Un orage s’accompagne d’éclairs et de tonnerre. L'éclair est la lueur causée par les décharges électriques qui se produisent dans les nuages. Le tonnerre, c'est le bruit que fait l'air en se dilattant au passages éclairs. Les ondes lumineuses voyagent dans l'air à 300.000 kms par seconde. Les ondes sonores parcourant dans l'air 331 mètres par seconde.

Texte 2

 

Un orage s’accompagne d’éclairs et de tonnerre. Mais pourquoi voyons-nous les éclairs avant d'entendre le tonnerre? Au cours d'un orage, il se produit des décharges électriques dans les nuages. Ces décharges créent des lignes lumineuses qui zèbrent l'atmosphère: ce sont les éclairs. Ils sont constitués de particules électriques qui se déplacent en lignes sinueuses à une vitesse de 300.000 kms par seconde.

Tout au long de leur trajectoire, les éclairs provoquentt un échauffement qui entraîne une expansion quasi instatanée de l'air. Cette expansion produit un bruit d’explosion : c’est le tonnerre.Dans l’air, les ondes sonores parcourent 331mètres par seconde. On aperçoit donc les éclairs avant d’entendre le tonnerre, parce que la lumière voyage bien plus vite que le son.

   Source : Sciences et Vie junior, octobre 2007  

    Questions :

a.      Dans quel texte trouve-t-on des indications sur la vitesse à laquelle voyagent respectivement le son et la lumière ?

b.        1° Dans quel texte établit-on une relation logique entre le moment où on aperçoit l’éclair et les vitesses respectives de la lumière et du son ?  

        2° Quel type de relation logique établit-on ?

        ° Quel(s) mot(s) du texte désignent ce lien logique ?

 

c.       1° Quel texte permet de comprendre pourquoi on voit l’éclair avant d’entendre le tonnerre ?

       2° Quelle explication donne-t-il pour expliquer ce phénomène ?

d.     Dans quelle intention chacun de ces textes 1 et 2 a-t-il été écrit ?  

 1° Quel texte permet de comprendre pourquoi on voit l’éclair avant d’entendre le tonnerre ?

  2° Quel type de relation logique établit-on ?

e.      Selon toi, lequel de ces textes présente une description ? Lequel présente une explication ?

 

Le but premier du texte explicatif est de faire comprendre une réalité présentant les causes, les conséquences ou l’enchaînement de causes et de conséquences caractérisant cette réalité.

     Le texte explicatif se compose essentiellement d’un questionnement suivi d’une réponse (Pourquoi ? Parce que)

     Les rapports de causalité sont souvent marqués par l’emploi de

                                 - subordonnants

                                 - coordonnants

                                 - de groupes prépositionnels

                                 - de moyens lexicaux  

     sommaire 143 * début t. explicatif

Texte 3

            Pourquoi devons-nous boire autant d’eau ?

          Après l’oxygène, l’eau est la substance la plus importante pour notre survie. Notre organisme a besoin d’absorber environ 2,5 litres d’eau par jour.

            L’eau et la nutrition

            L’eau est principalement importante dans le mécanisme de la nutrition parce qu’elle achemine les nutriments, ces substances nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. En effet, le transport des nutriments ne peut se faire que dans un solvant et, dans le corps humain, l’eau est le principal transporteur. L’eau sert aussi à évacuer les déchets de l’organisme.

            L’eau et la température corporelle

         L’eau intervient également dans la régulation de la chaleur corporelle. Chez les humains, il est d’une importance vitale que la température du corps demeure à un  niveau constant. Mais lorsqu’il fait très chaud, la température corporelle s’élève.

           Comme l’eau a la capacité de récupérer la chaleur, elle la transporte hors du corps par le mécanisme de la transpiration. C’est pourquoi il faut boire beaucoup d’eau quand on  a de la fièvre ou pendant les canicules.

           L’eau est à la base de processus biologiques essentiels à la survie. Ainsi, on peut survivre sans nourriture pendant 30 jours, mais on ne peut survivre que quelques jours  sans eau potable.

            Source : food-info-net

   

       Questions :

             a.      Dans quel but ce texte a-t-il été écrit ?

b.     1° Quel phénomène veut-on expliquer dans ce texte ?

2° Dans quelle partie du texte présente-t-on le phénomène expliqué ?

     Citer un extrait pour appuyer sa réponse.

c.      Relever les deux explications fournies dans ce texte pour expliquer l’importance de boire de l’eau.

d.     Relever dans ce texte court deux phrases contenant un subordonnant qui marque une cause et une phrase contenant un moyen lexical qui marque la conséquence.

e.      Résumer l’essentiel de l’explication donnée dans ce texte en écrivant deux phrases : une phrase interrogative commençant par pourquoi et une phrase affirmative contenant le subordonnant parce que.

f.       Comment peut-on qualifier le ton employé dans ce texte ? Justifier sa réponse.

g.      Relever un terme scientifique employé dans ce texte et en donner la définition.

   

Remarques :  1. Il est possible d’encore multiplier les textes explicatifs afin que le nombre d’extraits analysés permette de dégager un mode de fonctionnement encore plus évident.

                      2. Je suggère de travailler plutôt un thème ; cela évite la dispersion. Ici, dans cet article pour LMDP, j’ai privilégié des textes simples relevant de la science, car je les avais sous la main. Pourtant, pour cette année, en collaboration avec le professeur d’histoire, je vais choisir des textes explicatifs relatant l’expansion de Rome. On pourrait envisager un thème géographique parlant d’un pays à voir.

             

D. Mode de fonctionnement général des textes explicatifs :

sommaire 143 * début t. explicatif

      Le texte explicatif se doit d’être bien structuré afin d’assurer la clarté et la rigueur de l’explication.

      L’organisation et le contenu d’un texte explicatif comprend trois parties :

               - une partie de questionnement, dans laquelle on présente le phénomène constituant  le sujet de l’explication.             Cette partie est présentée sous forme d’une question ou d’une affirmation. Le phénomène peut se trouver au début d’un texte ou dans le titre ou dans le chapeau d’un article.

               - une partie explicative, où l’on présente les différentes parties de l’explication.

               - une partie conclusive, dans laquelle on résume ou évalue l’explication.

 

E. Passage du schéma au texte explicatif :

sommaire 143 * début t. explicatif

 

      Afin de rester dans le thème de l’eau, j’ai choisi de prendre le schéma du cycle de l’eau et de le transformer en texte explicatif.

     On aurait aussi bien pu le faire au niveau historique pour l’expansion de Rome en utilisant des cartes, des lignes du temps.

     Idem en géographie avec des cartes, des graphiques ombrothermiques.       

         

                                        Source : CNRS

 Proposition de texte explicatif :

                                          Pourquoi l’eau ne s’épuise-t-elle pas ?

 Dans nos régions grandes consommatrices d’eau, il est parfois difficile de comprendre que cet or blanc est toujours présent à la sortie de nos robinets.

Cela est dû à un phénomène cyclique . Sous l’action du soleil et de la chaleur, l’eau des océans, des rivières, mais aussi des sols et des plantes s’évapore dans l’atmosphère.

Ensuite, quand la température baisse, des nuages remplis de gouttes d’eau se forment par condensation dans le ciel et se déplacent au gré des vents. Les particules d’eau se regroupent entre elles, s’alourdissent et tombent sous forme de pluie, de neige.

L’eau tombée, soit s’évapore de nouveau, soit s’infiltre dans le sol pour former des nappes souterraines donnant naissance à des sources, soit ruisselle pour aller grossir les rivières qui vont dans les fleuves, qui se jettent eux-mêmes dans les océans.

En conclusion, l’eau s’inscrit dans un cycle répétitif et perpétuel. Cependant, une utilisation abusive fait en sorte qu’elle puisse insensiblement se raréfier.

sommaire 143 * début t. explicatif

 Autres articles de Philippe Mathieu dans LMDP

* Explorer le polar 2e degré Ouvrir

* Lecteur en liberté: "Moi, je prends le sens du texte à mon compte" ou encore "A l'encontre du lecteur passif", 2e degré Ouvrir

* Un poème de Claude Raucy chanté par J.-Cl. Watrin - Découvrir la structure d'un texte, son découpage en strophes - 1er degré Ouvrir

 

  

 

Comment faire une momie ?

 

Hérodote, Histoires, II, 86

 

Comprendre un texte documentaire - 1er degré

 

Propositions de Paul Verheggen

 

 

 

 

 

En guise de justificatif

Pour tout élève et pour mes élèves en particulier qui ont dans la tête une image désuète et stéréotypée du cours de français, " le texte documentaire n'est pas neutre pour le lecteur, affecté par les informations qu'il découvre. Ce dernier reste rarement dans une position de récepteur sans engager dans le même temps un dialogue avec le texte, dialogue qui le place inévitablement devant des blancs, des espaces qu'il investit à sa manière ou qu'il ressent comme des impasses. Le texte ne dit pas tout ! C'est un des effets des textes documentaires que de pousser le lecteur vers une recherche d'informations de plus en plus précises, vers une demande de clarifications. "

Anne Jorro, Le Lecteur interprète, PUF, 1999 

 

 

1. Le texte d'Hérodote

 

Voici un texte d'un célèbre historien grec, Hérodote, qui a vécu au 5e siècle avant Jésus-Christ.

" D'abord, à l'aide d'un fer recourbé, ils extraient le cerveau par les narines [...] Ensuite, avec une pierre tranchante, ils font une incision le long du flanc et retirent tous les intestins, qu'ils nettoient et purifient avec du vin de dattier et purifient une seconde fois avec des aromates broyés. Le foie, les poumons, l'estomac et les intestins étaient lavés et séchés. Le cœur n'était pas retiré du corps parce qu'il était considéré comme étant le centre de l'intelligence et des sens. Le défunt en avait besoin dans sa vie dans l'Au-delà.

 

Puis ils remplissent le ventre de myrrhe pure broyée, de cannelle et de tous autres aromates, à l'exception de l'encens et le recousent. Cela fait, ils salent le corps en le recouvrant de natron pendant septante jours [..]. 

 

 

Quand les septante jours sont écoulés, ils lavent le mort, enveloppent tout son corps de bandes taillées dans un tissu de Byssos (lin très fin), avec une couche de gomme [...]

 

Les parents en prennent alors livraison ; ils font faire un étui de bois à figure humaine ; dans cet étui, ils enferment le mort, et, inclus de la sorte, le gardent précieusement dans la chambre funéraire, où ils le placent debout contre le mur."

Hérodote, Histoires, II, 86

 

En savoir plus: http://fr.wikipedia.org/wiki/Momification .

2. Questionnaire : As-tu compris comment faire une momie?

somma!re 143 * début "momie"

 

1. Définitions

Relie par une flèche la définition avec le mot auquel elle se rapporte

Sel de sodium mélangé à de l'eau

Hérodote

Sève, résine, cire d'un arbre d'Amérique

Aromate

Célèbre historien grec

Canope

Substance végétale qui répand une odeur forte

Myrrhe

Vase [à tête humaine ou animale] conservant les organes d'un mort

Natron

2. Organes conservés

Quels sont les organes conservés dans des vases ?

Les organes conservés sont :

*

*

*

*

Le  .................. n'est pas enlevé, car ................................

3. Conservation du corps

Quelles sont les matières qui permettent au corps de se conserver longtemps?

 Les embaumeurs remplissent le corps de           * ........................

                                                                             * ........................

                                                                             * ........................

4. Après la mort      

Un prêtre vient prier. Il porte un masque de chacal. Voir illustration 2.

a. De quel dieu le prêtre porte-t-il le masque ? [Anubis]

b. Pourquoi avoir choisi ce dieu ? [C'est le dieu qui règne sur le séjour des morts.]

c. Explique la reproduction ci-dessous : le tribunal d'Osiris [Eléments de réponse sur

http://www.egyptologica.be/papyrus_ani/pa_planche3.htm ]

 

 

 

Papyrus d'Ani - planche 3

 

 

 

3. Comment procède Hérodote pour écrire ce texte ?

 

somma!re 143 * début "momie"

 

 

" D'abord, à l'aide d'un fer recourbé, ils extraient le cerveau par les narines [...] Ensuite, avec une pierre tranchante, ils font une incision le long du flanc et retirent tous les intestins, qu'ils nettoient et purifient avec du vin de dattier et purifient une seconde fois avec des aromates broyés. Le foie, les poumons, l'estomac et les intestins étaient lavés et séchés. Le cœur n'était pas retiré du corps parce qu'il était considéré comme étant le centre de l'intelligence et des sens. Le défunt en avait besoin dans sa vie dans l'Au-delà.  

Puis ils remplissent le ventre de myrrhe pure broyée, de cannelle et de tous autres aromates, à l'exception de l'encens et le recousent. Cela fait, ils salent le corps en le recouvrant de natron pendant septante jours [..]. 

Quand les septante jours sont écoulés, ils lavent le mort, enveloppent tout son corps de bandes taillées dans un tissu de Byssos (lin très fin), avec une couche de gomme [...]

Les parents en prennent alors livraison ; ils font faire un étui de bois à figure humaine ; dans cet étui, ils enferment le mort, et, inclus de la sorte, le gardent précieusement dans la chambre funéraire, où ils le placent debout contre le mur."

Relevons dans ce texte

* des précisions sur la chronologie des opérations 

(leur nature: adverbe? groupe nominal? subordonnée?)

 

* les manipulations successives

(verbes à quel temps? uniquement des verbes?)

 

* les outils pour ces manipulations

 

* les produits et les objets utilisés

 

* les parties du corps

 

Pour une conclusion...

 

Ce relevé nous aide à formuler quelques règles d'écriture du texte documentaire. Lesquelles ?

 

4. Prolongements...

somma!re 143 * début "momie"

 

Comment ça se fabrique ?

 

Recherche, observation, composition, présentation orale de textes prescriptifs (ex. notice de montage, marche à suivre, étapes de fabrication...).

 

Deux articles parus dans LMDP sur ce sujet:

* Chantal Al Charif, Comment ça se fabrique? A nouveau programme, nouveaux projets!

        Article paru dans le numéro 80 (mars 1995) Ouvrir

* Patrick François, Laissez brûler les petits papiers - Fabriquer du papier en classe. - 1er degré

        Article paru dans le numéro 117 (juin 2004) Ouvrir

somma!re 143 * début "momie"

 

 

La politique du juron, par Michel Erman, Le Monde, 29 octobre 2010

Pistes pour lire et débattre

[Variante méthodologique: ne distribuer que l'article - par "copié-collé" - puis "laisser venir" questions et réactions des élèves. Ça doit pouvoir marcher... si la classe est entraînée à la "créativité interrogative"]

 

A l'heure où le discours gouvernemental semble avoir peu de prise sur le réel en sorte que l'on assiste à une éclosion de tension et de violence sociales, on peut se demander si le verbe politique est toujours susceptible de se faire chair en instaurant du dialogue dans l'espace public. Ce scepticisme émane aussi de la fébrilité langagière des acteurs politiques. Depuis quelques mois, en effet, on entend des propos qui avec une apparente spontanéité, mais surtout un goût marqué pour l'hyperbole et l'invective, transgressent les normes habituelles du surmoi démocratique.  

en sorte que : relie une conséquence (tension, violence) à une cause (discours distant du réel)

Double opposition :

peu de prise sur le réel  vs  se faire chair

tension, violence vs dialogue

Ce scepticisme est une reprise (anaphore) de quelle expression ?

Quelles expressions décrivent et apprécient  le langage des acteurs politiques ?.

Pour le débat: ("peu de prise sur le réel..."): le pouvoir prend-il en compte les soucis de gens?

 

 

[2.] Florilège. En mai dernier, Martine Aubry se laissait aller à une comparaison, pour le moins audacieuse, en rapprochant Nicolas Sarkozy et Bernard Madoff ; Ségolène Royal renchérissait arguant que, de par son attitude, le président l'avait "bien cherché". En juin, Eva Joly était élégamment dépeinte comme une "vieille éthique" par Jean-Vincent Placé. En juillet, Nadine Morano et Xavier Bertrand ne craignaient pas l'amalgame en dénonçant les "méthodes fascistes" de Médiapart. En août, l'hebdomadaire Marianne qualifiait le président de la République de "voyou" et, dans la foulée, Edwy Plenel y allait de son oxymore "délinquant constitutionnel" sur France Inter. Plus récemment, à l'Assemblée nationale, une députée socialiste jugeait que le ministre du travail était menteur par nature, celui-ci répliquait en filant la comparaison avec le fascisme par le terme de "collabo". Puis on apprenait que Jean-Luc Mélenchon traitait, dans un documentaire, le journaliste David Pujadas de "larbin" et de "salaud", et Ségolène Royal vient de comparer le vote sur les retraites à un "système tyrannique". Et caetera.  

 

Compréhension:

florilège - renchérir - arguer - éthique [jeu très peu courtois d'homophonie avec étique !] - amalgame - oxymore - filer la comparaison - larbin...

 

 

Les mots et l'Histoire

fasciste - collabo - 

élégamment dépeinte comme une vieille éthique: quel procédé de style dans cette formule?

 

 

La presse d'opposition: 

Médiapart (novembre 2010 : accuse l'Elysée d'espionner ses journalistes)

Marianne (août 2010. J.-F. Kahn contre Sarkozy, "voyou de la République) V. Couverture)

[3.] Si les attaques verbales, les rodomontades, les répliques outrancières dues à la dignité offensée ne sont pas choses nouvelles en politique, les termes fréquemment employés aujourd'hui ont ceci de particulier qu'ils sont dénués du moindre trait d'esprit – lequel instaurerait une distance critique – comme de toute fonction argumentative. On s'envoie des mots à la figure mais on ne se parle pas.  

Compréhension:

rodomontade - outrancier - distance critique...

Ce qui est nouveau....

c'est quoi ? (Re-)formulez-le à votre manière..

Pour le débat:

Le langage musclé plait à certains, et peut séduire. Est-ce encore un échange ?

[4.] La prise de parole est, ainsi, réduite à un simple stimulus autocentré car on a plus affaire à des jurons qu'à de véritables injures. L'injure s'adresse à quelqu'un pour le déprécier, voire pour le faire réagir ; le juron est une forme stéréotypée d'invective qui exprime l'indignation et l'hostilité de celui qui la profère sur le mode de la décharge verbale. C'est, avant tout, une affirmation de soi qui incarne bien le tout-à-l'ego de l'individu contemporain privilégiant les affects, comme l'amour-propre et l'arrogance, sur la raison. Plus communément, on parlera de "gros mot", manière de rappeler que tout juron joue, comme le mot de Cambronne, avec l'obscène. Autrement dit avec le plaisir régressif qui consiste à employer un langage dégradé glissant du sens figuré au sens propre. A force d'excès, l'hyperbole rabaisse et corrompt la prise de parole politique.  

[5] A l'instar du père Ubu qui invectivait ses ennemis en les traitant de "soûlard", "bâtard", "cafard", bien des acteurs politiques usent volontiers d'une parole impulsive et imprécatoire : ces "facho", "minable" et autres "salaud" qu'on lit dans la presse, voire que l'on entend sur les bancs de l'Assemblée, tendent, par ricochet, à rendre l'adversaire illégitime. L'injure est souvent ad hominem, le juron, lui, est plutôt ad personam ; il se veut annihilant et semble insinuer : "je n'ai que mépris pour vous, je n'ai rien à vous dire, vous n'existez pas…" L'antonomase est sa figure de prédilection : au cours de la dernière campagne des régionales, Georges Frêche se défendait d'être "un Besson (…) un minable" et Daniel Cohn-Bendit ne pouvait s'empêcher de comparer le tribun de Septimanie à un "Mussolini".  

Compréhension:

stéréotypé - déprécier - tout-à-l'égo [quelle insinuation, vu la proximité avec tout-à-l'égout?] - arrogance - obscène - plaisir régressif  - annihiler .

 

 

Histoire, littérature...

le mot de Cambronne - le père Ubu - la Septimanie

 

 

 

Reformuler: 

Réécrivez "avec vos mots" la distinction entre juron et injure

(nous comparons les réécritures)

 

 

 

antonomase

(grec antonomasia, de anti, à la place de, et onoma, nom)

Figure de style consistant à remplacer un nom commun par un nom propre ou inversement. (Par exemple un Tartufe pour un hypocrite, ou l'empereur des Français pour Napoléon.) [Larousse en ligne]

 

 

[6] SECTARISME

Quels motifs, quelles passions servent de base à ces propos de plus en plus courants où le défoulement l'emporte sur le dire ? Même Michel Rocard s'y est livré en rapprochant implicitement du nazisme la politique du gouvernement en matière de délinquance des mineurs. S'agit-il d'un degré supplémentaire dans le relâchement de l'expression politique auquel on assiste depuis quelque temps ? S'agit-il, chez certains, d'un retour du refoulé gauchiste des années 1970 et de ses outrances verbales qui se substituaient aux arguments plus souvent que de raison ? A l'été 2008, le philosophe Alain Badiou avait créé la polémique en revendiquant le droit à l'injure politique : il avait comparé les socialistes entrés au gouvernement à des "rats". S'agit-il d'un réflexe langagier typique du populisme qui cherche à réduire les adversaires politiques au silence et se complaît dans la défiance généralisée envers toute forme d'argumentation ?  

 

[7.] Sans doute tout cela à la fois car il y a un dénominateur commun à ces diverses hypothèses : le sectarisme. Mais si la démocratie se mesure à la capacité de délibérer et non à celle de s'invectiver et d'ostraciser, si l'on tient que là se trouve l'essence du politique, comme le pensait Hannah Arendt, il faut alors considérer l'emploi de ce langage dégradé comme un signe de dépolitisation. On a, en définitive, affaire à du langage fichtrement privé, réactif et sans fioriture comme le sont les mots "vrais", et qui, indûment transposé dans l'espace public, ne produit aucune proposition et ne dit rien d'autre que sa propre corruption.  

Michel Erman, 

professeur de linguistique et de poétique à l'Université de Bourgogne  

sommaire 143 * début 'juron'

 

 

 

Alain Badiou: socialistes comparés à des rats... 

Lire cet article dans Le Monde du 24.07.2008

 

 

sectarisme

[secte: communauté fermée (d'après Le Robert)]

Le mot implique l'idée de rejet de l'autre, de refus du débat.

 

 

La question, au début: 

(...) on peut se demander si le verbe politique est toujours susceptible de se faire chair en instaurant du dialogue dans l'espace public. 

 

La réponse, en conclusion

(...) il faut alors considérer l'emploi de ce langage dégradé comme un signe de dépolitisation. 

 

 

Pour le débat

Evoquer des situations (vécues?) où «On s'envoie des mots à la figure mais on ne se parle pas.»  (§ 3, in fine)

 

sommaire 143 * début 'juron'

Bibliographie de Michel Erman

Le Bottin proustien. Qui est qui dans la Recherche? La Table ronde, 2010, 144 p.

La cruauté. Essai sur la passion du mal, PUF, 2009, 178 p.

Poétique du personnage de roman, Ellipses, 2006, 143 p.

Marcel Proust, Fayard, 1994, 286 p.

 

LMDP Langue maternelle - documents pédagogiques

Activités de langue française dans l’enseignement secondaire * Revue trimestrielle

 

Échange, recherche, formation

 

Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source.

 http://docpedagfrancais.be/Sitelmdp/ *  Écrivez-nous