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JULIBEL, le français d'aujourd'hui

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SOMMAIRE 

numéros parus depuis 1990

 

 

Publiés en version "papier" de septembre 1993 à mars 2004, les numéros 074 à 116 de la revue pédagogique LMDP seront progressivement mis en ligne.

Une cinquantaine d'articles parus dans cette série sont déjà sur notre site Internet : voir la page sommaire (titres en couleur rouge) ou la page archives. * Suivre cette mise en ligne

 

Numéro 117 - Juin 2004

 

Sommaire

1. Parcours sur le récit mythique et le héros épique - 2e degré        

2.  Laissez brûler les petits papiers - Fabriquer du papier en classe. - 1er degré                               

3.  Science-fiction: Les secrets de L’ultime Secret, de Bernard Werber - 3e degré  

4. Biographies imaginaires - 2e degré                                     

5. Vivent les PME, petites machines à écrire - 1er degré             

6. Rimbaud en filigrane dans un poème à l'improviste de Jean-Bernard Pouy - 3e degré      

 

En guise d'édito

Une théorie du texte... ou une pratique de l’écriture ?

L'étude d'un texte littéraire (...) devient souvent prétexte pour les élèves à l'acquisition du vocabulaire critique et des instruments d'analyse. Dès lors (...), ils vont se contenter face à un texte de mettre en application ce nouveau savoir chèrement acquis et de s'arrêter au repérage des procédés d'écriture.

La perspective de devoir réécrire le texte renverse cette hiérarchie et redonne sens à l'étude de la littérature. Pour écrire un pastiche, les élèves doivent se plonger plus intimement dans le texte, en repérer les procédés d'écriture, s'interroger sur leurs effets, se demander pourquoi ils fonctionnent dans le texte de l'auteur et non dans le leur. (...) A partir de cet exercice, on peut penser qu'ils comprennent l'intérêt d'une lecture approfondie du texte, d'une connaissance intime de celui-ci.

Thierry Pauvert, Le français aujourd'hui, 144 (01.04), p. 82.

 

Parcours sur le récit mythique et le héros épique

 

Deuxième degré

Récit de Magali Decamps, H.E.Na.C., dép. pédag., Malonne

 

           

Ces deux parcours, intrinsèquement liés, sont le fruit d’expériences menées à l’Institut Saint-Dominique à Schaerbeek (en 3e année de l’enseignement général) en 1999 et à l’H.E.Na.C (3e année du régendat français) en 2002. Ils résultent d’une alchimie entre des sources diverses (documents de collègues, notamment) et le Circuits futés du 2e degré [Guide méthodologique français – 2e degré, Ed. Licap, 1998.], lequel document fut d’une aide précieuse lors de l’élaboration de cette démarche méthodologique.

            Ces parcours permettront aux élèves du deuxième degré de s’interroger sur la notion de « mythe », d’en percevoir les multiples facettes et d’apprivoiser ce terme tellement polysémique.

            Après la présentation des objectifs, le premier parcours nous emmène à la découverte du mythe, et plus particulièrement du mythe de création, du mythe moderne et du mythe épique. Le second parcours, qui prolonge le premier, approfondit le mythe épique en abordant le mythe arthurien et le héros chevaleresque.

 

Objectifs du parcours :

Lire

Identifier le genre du récit mythique parmi d’autres textes narratifs et le définir.

Définir les diverses catégories de récits mythiques et pouvoir en réaliser une analyse détaillée.

Repérer les éléments d’intertextualité mythique dans le foisonnement textuel.

Définir la notion de héros et de héros mythique.

Analyser le modèle héroïque.

Repérer les éléments mythiques à travers divers supports (livres, films…).

Écrire

Etre capable d’écrire un mythe en respectant une catégorie précise.

Pouvoir réécrire certains passages d’un récit épique.

Parler

L’élève sera capable de communiquer ses idées concernant l’analyse de textes, l’élaboration d’une définition, le partage de remarques, la présentation de divers supports en rapport avec le mythe et le héros épique.

 

Écouter

L’élève sera capable d’écouter les idées communiquées par les autres élèves de la classe lors des diverses étapes du parcours.

Il pourra en outre dégager des éléments mythiques lors d’écoute de certains médias (CD, film…).

 

 

Parcours I : Le récit épique

 

Séquence 1 - A la découverte du mythe

Bain de textes

1. Proposer aux élèves divers supports représentant un mythe : images, chansons, extraits de récits, BD… [Ce bain de textes mélange les différents types de mythes : Prométhée, Marilyn Monroe, mythe de l’automobile, mythe de Carmen…]

2. Demander de repérer le point commun entre les documents : le mythe. Les élèves peuvent ensuite essayer de le définir :

 

Ce sont des images, des personnages qui font partie des références culturelles ou des patrimoines imaginaires. Ces images ont une force d’impact, car elles réussissent à toucher quelque chose de très profond qui concerne nos besoins, nos peurs, nos questions. Toutes ces images relèvent du mythe. (définition plus générale, plus littéraire)

3. Ensuite, il importe de vérifier les hypothèses avancées par la classe dans l’activité suivante qui porte sur une définition plus scientifique.

 

Mythes : définition scientifique et catégories

     1. Pour étayer les définitions des élèves, le professeur peut utiliser un intermédiaire : un texte de référence, comme par exemple un extrait du dictionnaire, qui permet d’approcher le sens de ce terme dans toute sa complexité et sa scientificité [ Extrait du Petit Robert.]

     2. Les élèves repèrent alors quels sont les différents sens attribués au mot mythe ? (notion de polysémie) :

1.    Récit fabuleux mettant en scène des êtres incarnant des forces de la nature, du génie (bien/mal) ou de la condition humaine.

Ex. : mythes des religions primitives, mythe grec…

Par extension : Représentation de faits ou de personnages dont l’existence historique est réelle ou admise, mais qui ont été déformés par l’imagination collective.

2.    Invention sans rapport avec la réalité.

3.    Expression d’une idée, d’une théorie au moyen d’un récit poétique. (mythe de la caverne de Platon).

4.    Représentation de l’état de l’humanité (passé/futur).

5.    Image simplifiée que des groupes humains se forment au sujet d’un individu ou d’un fait et qui jouent un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation. (mythe de la lourdeur allemande, de la voiture, de la star…)

3. Ils identifient ensuite quelles sont les significations qui sont concernées par les documents du bain de textes ? Ils se rendent alors compte que la notion de mythe est vraiment polysémique et qu’il n’est pas évident de s’y retrouver dans ce foisonnement de sens.

4. L’enseignant leur demande alors de les classer en trois catégories : mythe de création (mythe des origines du monde, d’une communauté ; aussi appelé mythe religieux), mythe épique (mettant en scène des dieux ou demi-dieux de la mythologie dite « classique ») et mythe moderne (figures issues de la littérature, de l’histoire, de la société… et déformées par l’imagination collective).

 

Recherche de mythes

A ce stade-ci plusieurs activités de réinvestissement seraient pertinentes. En voici deux :

            - En feuilletant le journal :[M. LITS et P.YERLES, Le mythe. Vade-mecum du professeur de français, Bruxelles, Didier Hatier, 1989, p. 49. (Coll. Séquences)]

 

On peut demander aux élèves d’apporter un journal quotidien et les inviter à retrouver un maximum de références mythologiques explicites. Cela permettra d’organiser ce matériau, d’éveiller l’emploi du lexique mythologique et de recourir à une documentation appropriée pour découvrir le mythe auquel il est fait référence, ainsi que la catégorie à laquelle il appartient.

            - Les lambeaux-énigmes :

 

On peut demander aux élèves d’évoquer à tour de rôle un mythe qui leur reste en mémoire. Cette évocation sera brève, allusive et fera référence à la classification. Par exemple : Je me rappelle l’histoire d’un homme qui se noya en se contemplant dans son reflet… [Ibidem, p.42]

Ainsi, les élèves se remémorent les différents mythes de notre patrimoine culturel et peuvent identifier la catégorie dont il fait partie.

 

Séquence 2 - Approfondissement du mythe de création

         Découverte de la création du monde chez les Vikings

1.   Activation des connaissances sur les Vikings et sur la manière dont ce peuple explique l’origine du monde.

2.    Lecture du mythe de création.

 

Analyse du texte

            Au préalable, après la lecture du texte et après la synthèse sur les mythes de création, l’élève pourra relever les caractéristiques de ce type de texte :

-                     Un récit dont l’auteur est inconnu ;

-                     Un récit traditionnel propre à un peuple en particulier

-                     Un récit transmis de génération en génération

-       Un récit qui se déroule dans un passé lointain, mais que le récit a pour fonction de maintenir présent, car il garantit les bases culturelles d’un peuple

-                     Les personnages sont immuables car les divinités sont des dieux-créateurs

-       Un récit imaginaire mais qui traduit la pensée d’un peuple (au niveau de l’origine). L’imaginaire est la façon dont un peuple envisage de répondre aux grandes questions de la création (cosmogonie, théogonie, …).

 

Travaux de groupes sur un corpus de mythes de création

            Par groupes, les élèves vont analyser de la même manière un mythe de création dont ils présenteront le résultat devant la classe après l’avoir lu et présenté de façon plus synthétisée [ IDEM.]

 

Séquence 3 - Approche du mythe moderne : Don Juan

 

Qu’est-ce qu’un don Juan ?

Le professeur peut demander aux élèves ce que signifie être un Don Juan : séducteur sans scrupule dans le langage courant. Il prendra en compte les différentes représentations des élèves par rapport à ce personnage.

 

Découverte et aspect mythique du personnage.

Afin de découvrir qui est Don Juan et en quoi ce personnage est mythique, le professeur lira les deux extraits [Ch. BAUDELAIRE, Don Juan aux enfers, in Les Fleurs du mal, 1857 et MOLIERE, Dom Juan ou le Festin de pierre, Acte III, scène 2, 1665.]

Le professeur demandera en quoi ce personnage constitue un mythe moderne. Il s’agit d’un personnage qui incarne le séducteur libertin et dépourvu de morale (thème universel qui a marqué notre société occidentale) et qui fut repris par différents auteurs et qui est maintenant entré dans le langage de tous les jours.

 

Ecriture du portrait de Dom Juan

                Sur base des informations découvertes lors de l’analyse du personnage, les élèves réaliseront le portrait moral de Don Juan en une dizaine de lignes.

Cet exercice pourrait, en plus du réinvestissement sémantique et lexical, servir de premier jet à l’élaboration du portrait en général.

N.B. : Cet exercice pourrait également se focaliser sur d’autres héros modernes comme Don Quichotte, Tintin, certains poètes (Baudelaire), peintres (Van Gogh), figures historiques ( Napoléon…)

 

Séquence 4 - Un mythe épique : le Minotaure

 

Qui se cache derrière la figure d’Astérion ?

 

1.            Lecture de La demeure d’Astérion, de Borgès.

A quel personnage de la mythologie, ce texte fait-il référence ? Qui en connaît l’histoire ?

2.                                    Lecture du texte d’origine  [Thésée – Le Minotaure – Ariane, in Légendes de la mythologie grecque et romaine, Université des annales, 1910-1911.]

 

 

Notion d’intertextualité et analyse comparative

1.                                    Le texte auquel on fait référence : mythe du Minotaure : hypotexte

Le texte actuel : La Demeure d’Astérion : hypertexte

Ici, l’auteur a transposé un mythe moderne, ce qui suppose évidemment un texte existant. On touche ainsi au phénomène de l’intertextualité, c’est-à-dire, un ensemble de relations existant entre un texte (hypotexte) et un ou plusieurs textes (hypertexte) avec lesquels le lecteur établit des rapprochements. Ce procédé montre qu’un texte n’est jamais produit « ex nihilo ». Quand on écrit, on puise toujours dans les textes des auteurs précédents…

2.   Analyse comparative selon les critères de focalisation, enfermement, héros et description physique.

Ces différences mettent en évidence les changements dus à cette transposition. Mais pourquoi transposer des mythes anciens ? Les mythes ne sont pas des histoires comme les autres. Ils abordent des thèmes fondamentaux pour l’homme, très importants pour l’humanité, mais ceci de manière imagée.

 

D’autres labyrinthes

            Nous demanderons aux élèves de présenter d’autres supports qui portent sur le labyrinthe afin de réinvestir cette structuration de l’espace. Avec le Minotaure, il est devenu une figure mythique de l’enfermement.

            Ainsi, on pourrait présenter un extrait du Procès, de Kafka ou encore : Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, des labyrinthes naturels comme des grottes, les labyrinthes des pyramides, des grandes villes, des jardins…

 

 

 

Parcours II : Approche du héros chevaleresque à travers le mythe arthurien

 

Séquence 1 - Représentation et tentative de définition du héros

 

Collecte des représentations et premier essai de définition

 

Chaque élève reçoit des documents divers incarnant différentes représentations du héros. Dans l’espace de la feuille laissée libre, l’élève exprime sa propre définition du héros en répondant aux trois questions suivantes :

1)    Un héros pour moi, c’est …

2)    Mes héros se nomment …

3)    Je trouve mes héros dans…

 

Critères de distinction : grille

 

Homme

Femme

Fictionnel

Réel

Exemple

 

 

 

 

 

Caractéristiques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette analyse et mise en commun aboutissent à des définitions du héros et des essais de typologie. Cette procédure permet de réfléchir sur des questions comme : Héros célèbre ou anonyme ; héros ou anti-héros ; héros réel ou fictionnel …

 

Séquence 2 - Un héros particulier : le chevalier

 

Définition du chevalier dans ses actualisations contemporaines

Cette fois, les élèves reçoivent un éventail de textes mettant en scène un seul type de héros : le chevalier. Il vaut mieux présenter des documents extraits de genres variés : littérature de jeunesse, BD, cinéma… pour accentuer encore davantage l’importance de ce type de héros dans le monde contemporain en dehors de la littérature « élitiste » proprement dite.

 

Grille d’observation du héros

1/ Les élèves, éventuellement répartis par groupes, formulent d’abord des hypothèses sur l’origine des documents : auteur, époque, genre de texte, le destinataire… Quels sont les indices en leur possession pour répondre à ces questions ? Cela permet d’aborder le paratexte  et d’élaborer des hypothèses sur le contenu et aussi la situation de communication, la fonction du texte…

2/ Les textes identifiés, les élèves les comparent pour identifier les caractéristiques du héros. Cette grille fait apparaître un type de héros : le chevalier médiéval.

3/ A partir de cette grille, les élèves sont capables de définir ce qu’est le héros chevaleresque.

 Séquence 3 - Découverte du mythe arthurien

 

Découverte d’un roman et/ou vision d’un film

On aura au préalable lancé les élèves dans la lecture d’un roman :

-          L’Enchanteur, de BARJAVEL ou Le Roi Arthur, de MORPURGO

-          Excalibur, de BOORMAN.

Ainsi, Barjavel centre davantage son récit sur certains personnages comme Merlin, Lancelot, Guenièvre et Arthur. Ce roman est surtout conseillé aux élèves plus avancés dans leur parcours de lecture ( 470 p.)

A l’inverse, Morpurgo permet de prendre connaissance de l’ensemble du mythe en 230 p. et présente l’avantage du choix de la subjectivité puisque Arthur conte sa propre histoire à un adolescent d’aujourd’hui. Les aventures de celui-ci enchâssent le récit du roi. Un peu comme le parcours qui tente d’articuler le présent et le passé, les discours contemporains et la littérature médiévale (mise en abyme).

Structuration de la lecture et/ou du film

Tout au long de la lecture, le P. peut prévoir en classe des moments d’interactions consacrés à la clarification des chapitres (explication, réalisation d’un arbre progressif des personnages), à l’expression des impressions de lecture.

La projection du film est suivie par un temps d’échange consacré à l’appréciation personnelle du film notamment en comparaison avec le livre. Les élèves sont maintenant aptes à contextualiser les extraits proposés dans la suite du cours.

 

Découverte et application du modèle héroïque.

 

A partir des divers personnages abordés dans la lecture et le film, les élèves seront capables de dégager une structure commune aux histoires des héros chevaleresques ainsi que les caractéristiques de ce type de personnages. Ils pourront ainsi appliquer ce modèle à Arthur, Lancelot et Perceval et faire le lien avec la notion de mythe et ici de mythe arthurien.

Un prolongement serait possible : application de ce modèle à d’autres héros : ex. Harry Potter.

 

 Séquence 4 - Amour courtois et héros chevaleresque

 

Traitement d’un même épisode

Sur base d’un extrait de Chrétien de Troyes et de Servais [Chrétien de TROYES, Romans de la table ronde, « Lancelot, le Chevalier à la charrette », trad. J.-P. FOUCHER, Gallimard, 1970.  SERVAIS, Pour l’amour de Guenièvre, Helyode, Bruxelles, 1992, pp. 32-35.] les élèves comparent le traitement d’un même épisode : la relation entre Lancelot et Guenièvre et leur première nuit d’amour.

 

Comparaison

Les élèves repèrent les similitudes et les différences (éléments absents ou modifiés) dans le traitement des faits, des personnages et de leurs relations ainsi que le langage utilisé.

Une récurrence apparaît : une relation d’amour unit le héros à une femme difficilement accessible et motive sa quête. On pourra à ce stade repérer les éléments de l’amour courtois et vérifier s’il s’agit à proprement parler de cet amour dans les extraits analysés. On pourra également travailler le phénomène de l’intertextualité.

 

 

Prolongement possible à travers la lecture de Fanfan ou du moins à travers des extraits du roman.

 

Séquence 5 - Perceval ou le conte du Graal

 

Lecture d’un extrait du conte du Graal

Il s’agit de l’extrait relatant le cortège du Graal [Chrétien de Troyes, Le conte du Graal ou le roman de Perceval, Le livre de poche, 1990, pp. 234-247]

 

Analyse de l’extrait sur base de questions/réponses

Cette analyse permet de montrer l’évolution du chevalier médiéval qui ne se bat pas seulement pour son honneur, une dame, mais également pour découvrir des connaissances (quête spirituelle).

 

Imagine que Perceval ait posé les bonnes questions, que se serait-il passé ? A toi de jouer…

 sommaire & édito 117

Un projet pluridisciplinaire en 2e P FOBA

 FOBA :  Deuxième année professionnelle, formation de base [français, expression et communication, travaux d’habitat]

 

Laissez brûler les p’tits papiers !

 

Récit : Patrick François, ISJ, Saint-Hubert

 

Echos d’un débat entre élèves...

 

- ...et si on faisait plutôt des activités et une exposition sur le thème du papier ?

-  Pourquoi ? Ça n’intéresserait personne !

- Surtout à l’époque de l’Internet, des ordinateurs, des imprimantes...

-  Pourtant, mon père, à Redu, il en fabrique, du papier !

- ???

- Comment, ça ? Et pourquoi ?

Redu, village du livre, non loin de Saint-Hubert. Voir le site http://www.redu.info ]

- Parce que c’est beau, tiens !

*

On vous passe les détails de cette discussion dans une classe à la recherche d’un premier projet en deuxième professionnelle formation de base.

Depuis dix ans, maintenant, la pratique, dans cette classe, est d’organiser les cours autour d’une série de projets pluridisciplinaires. Histoire de donner du sens aux apprentissages et de faire évoluer les élèves d’une façon réfléchie, créative, passionnante, et dans laquelle ils sont réellement impliqués : un projet, ça s’invente, ça se programme, ça se mûrit, ça projette l’élève dans ce futur qu’il a souvent du mal à organiser.

 

Donc, fabriquer du papier

D’abord, se renseigner sur la technique ! Le papa en question, papetier à ses heures, est venu nous montrer le comment et le pourquoi.

Se procurer, ensuite, le matériel nécessaire, en fabriquer une partie (des tamis en bois) après s’être informés sur la façon de faire.

Et puis, d’autres idées sont venues : contacter des fabricants de papier, leur demander des échantillons. Pour cela, leur téléphoner, leur envoyer, des fax. Autant d’apprentissages de l’expression et de la communication : ces gens-là, on ne leur parle pas comme entre nous... !

En même temps, nous tentions nos premières préparations de pâte à papier, et nous levions nos premières feuilles à la cuve (Si, c’est comme ça qu’on dit, dans le métier !).

Sensibilisés par le tri sélectif en tous genres et par le recyclage, nous avions décidé de faire de la pâte à papier à partir de récupération des papiers usagés de la classe.

Ensuite, est venu le temps des incrustations : feuilles d’arbres, morceaux de végétaux : c’est joli le papier artisanal !

 

Qu’est-ce qu’on ferait, avec notre papier ?

 

Et si on s’essayait à la calligraphie ?

C’est si beau, ces lettres tracées à la plume ballon, comme jadis, avec des encres en flacons !

- Je connais un magasin à Libramont, Monsieur !

Visite, choix des papiers, des plumes, des porte-plume, des encres. Et puis s’exercer. Puis encore s’exercer. Et encore !

- Zut ! ça fait des grosses taches ! Zut, ma plume coule ! Zut, j’ai fait une faute... et pas moyen d’effacer ! Si on avait su !

Mais on a tenu bon !

Et on s’est fait la main. Et on a appris à tracer les pleins (en descendant la plume) et les déliés (en montant).

Et on a pris plaisir à former de belles lettres, à écrire de jolis mots, à calligraphier de longues phrases, à disposer le tout délicatement, pour que cela flatte l’œil.

On a appris de beaux gestes, en douceur. On a découvert les enjolivements (ces petits dessins pour orner un bas de page). On a appris à écrire calmement, en silence, ou sur un fond de musique douce.

 

Et aussi à faire attention : pas moyen, en effet, d’effacer les erreurs ! Il est bon, mon brouillon, Monsieur ?

Si bien que nous avons écrit toutes nos cartes de vœux sur notre papier artisanal, avec de l’encre vert sapin, ou rouge Noël, ou dorée.

Et après, des proverbes, des maximes.

Ce n’est pas pour nous vanter, mais... Hein, Monsieur !

*

Les fabricants de papier qui nous ont répondu (non, pas tous, malgré les promesses ; c’est aussi un apprentissage : ce n’est parce qu’on écrit qu’on reçoit une réponse...) nous ont envoyé de beaux échantillons.

Surtout les papiers japonais : de vrais tissus, doux au toucher. Au passage, précisément, on s’est rendu compte qu’un texte, c’est un tissage de mots, un textile de mots, de signes, un... tissu !

C’est marrant, Monsieur...

Avec ces papiers japonais, l’idée nous est venue de faire de l’origami : des pliages de papiers.

Bien mieux que la cocotte, le bateau ou l’avion (encore que nous ayons appris à en réaliser qui ont une fameuse trajectoire de vol !) : des cygnes, des oiseaux imaginaires, des chiots.

Là aussi, il en a fallu, du soin, de la patience, de l’attention ! Enfin, au début. Parce que, dès qu’on a eu la main...

*

Après deux mois d’essais (à raison de quatre périodes par semaine), de pliages, de bains de pâte à papier, de pleins et de déliés, nous étions fin prêts pour proposer nos apprentissages à d’autres élèves, d’autres classes.

A la mi-janvier, notre expo-atelier était au point.

Il a fallu inviter les autres classes, puis s’exercer à expliquer, à répondre aux questions des visiteurs.

Et finalement, le grand jour est arrivé : montrer son savoir, son savoir-faire, son savoir-être. Mieux que « montrer » : inviter les autres élèves à marcher dans nos pas, à partager notre plaisir du papier.

 

 

Après avoir préparé la pâte à partir des feuilles de brouillon de la classe, Marvin explique comment on lève une feuille de papier recyclé à la cuve.

 

  

 

Caroline montre à un élève de 6e primaire la façon de tenir la plume pour tracer de belles lettres... sans faire de pâté ! 

  

Et c’est pas pour nous vanter, mais qu’est-ce qu’on était fiers, devant les autres !

Hein, Monsieur !

 sommaire & édito 117

Science-fiction

Les secrets de  L’ultime secret, deBernard Werber

            Christian Thys, Pr. hon. Dép. péd. Haute Ecole Léonard de Vinci

 

Il lest généralement admis que la science-fiction est un territoire apprécié par les élèves actuels  et un fort incitant à la lecture. Or ce genre place le lecteur devant des informations scientifiques dont la véracité ou la fiction ne sont  pas immédiatement vérifiables.

L’ambition  de cet article est d’abord d’attirer l’attention des enseignants des classes terminales sur l’intérêt d’une  lecture  du livre de Werber qui pourrait associer leurs collègues scientifiques ; ensuite de leur donner les informations  indispensables à une prise de distance critique. [Voir le site de Werber, http://werber.imaginet.fr.]

 

Brainstorms

Disons-le sans détour, Werber n’est pas  écrivain élégant, il ne mérite pas de figurer parmi les orfèvres du verbe. Je  situerais  son style au niveau du français standard. Mais son propos est ailleurs. Force est de reconnaître qu’il suscite l’intérêt au point de devenir un véritable phénomène éditorial : 5 millions d’exemplaires au rythme d’environ un roman par an, sans compter le succès de foule de ses conférences. En fait, journaliste scientifique, il a trouvé un lieu d’expression privilégié dans la science-fiction, laquelle, il faut le reconnaître, est moins sensible aux questions de style que d’autres genres. Cette faiblesse du style, il la revendique : « Pour faciliter le travail du lecteur, je fais des phrases courtes, simples, claires. La richesse doit provenir de l’histoire et de ses personnages. 

Je serais tenté de dire, en corrigeant légèrement l’auteur, que la richesse provient de la documentation.

Je n’hésite pourtant pas à soutenir que la science-fiction est un genre ingrat, moins facilement renouvelable qu’on ne le pense, où l’inspiration géniale peut facilement verser dans le scénario le plus lamentable ; le meilleur de ses productions consistant peut-être dans la capacité du genre à renouveler les mythes fondateurs, à  anticiper le futur et à vulgariser la science. 

Renouveler les mythes fondateurs

La relecture des mythes est une source d’inspiration constante pour les auteurs, mais il faut  souligner qu’elle se fait aujourd’hui dans un contexte radicalement différent de l’inspiration originelle, car les Terriens savent désormais qu’ils sont propulsés dans l’espace à bord d’un vaisseau en dépendance directe de l’énergie solaire  qui a mis des millénaires pour produire et entretenir la vie. Pour illustrer ce retour aux mythes dans une perspective futuriste, je citerais parmi beaucoup d’autres le classique 2001, Odyssée de l’espace (et de l’espèce) d’Arthur Clark [ Ancien, mais objet de toutes les attentions philosophiques de M. Weyembergh (ULB) qui conclut son article « Temps et mé­moire dans L’Odyssée de l’Espace d’A. Clarke : « Elle (la science-fiction) joue d’une certaine manière, à un niveau plus accessible et plus populaire, le rôle de la gnose et des philoso­phies de l’histoire de jadis. » dans Philosophie et science-fiction, Vrin 2000, p.13 à 41. ] dont le titre renvoie évidemment au  premier roman de voyage et d’aventures de la tradi­tion occidentale; mais aussi, plus récent et plus disposé à rencontrer les exigences d’un public actuel avide d’effets spéciaux, Alien, d’A. Dean Foster, qui dans son premier épisode rappelle à la fois  la peur ancestrale de l’Autre et   la présence d’une sorte de  Minotaure spatial qui autrefois fut la terreur des navigateurs ; j’alignerais encore Sphere, du scénariste M. Crichton, aventure sous-marine dans laquelle on peut retrouver, avec un peu de bonne volonté, une allusion au personnage mythologique de la Méduse réincarné dans une dangereuse créature. Je retiendrais surtout Tolkien, porté par le succès de la célèbre trilogie cinématographique qui apporte à la fantasy une contribution qui fera date, et plonge de la manière la plus érudite qui soit dans un patchwork de mythologie chrétienne et de mythologie païenne. Un véritable défi pour les érudits.

werber / 2

Imaginer des scénarios pour le futur

La fragilité des civilisations et même de la vie est à l’origine des scénarios catastrophes les plus spectaculaires parmi lesquels on retiendra les possibilités de manipulation du cerveau par les réalités virtuelles dans Total Recall, le clonage appliqué à l’humanité dans Blade Runner, le retour à la barbarie après épuisement des ressources pétrolières dans la saga des Mad Max du scénariste Georges Miller, les menaces que font peser les aérolithes dans Armageddon de Michael Bay. Et j’en passe, et  peut-être même de meilleurs, car le genre est d’une belle prolixité et inonde les écrans à un rythme soutenu. Mais dans ce que certains appellent la philofiction, et avec Total Recall, Blade Runner et Minority Re­port, Philip K. Dick se taille une place d’excellence ; il fut l’un des observateurs les plus perspicaces des mœurs américaines  et de leurs conséquences fatales.

Vulgariser la science

 Quant à Werber, avec L ‘Ultime secret, il nous lance dans l’exploration du dernier continent inconnu, celui du cerveau. Il  s’inspire de diverses expérimentations  faites dans le cadre des neurosciences, expérimentations qui ont permis d’éclairer d’un jour nouveau les processus familiers de conceptualisation, de mémorisation et d’imagination. Ce que je propose dans la suite de cet article, c’est de dégager dans le flot des informations scientifiques ou pseudo-scientifiques qui, en un beau désordre, tissent la trame du roman, celles qui ont un fondement sérieux et qui servent d’extrapolation. Je pense, en effet, qu’il n’est pas vain de répondre à la question qui vient automatiquement à l’esprit du lecteur de science-fiction : qu’est-ce qui est vrai, possible, vraisemblable, pur fruit de l’imagination ? et c’est pour répondre à ces questions que je commenterai point par point les différentes séquences que j’ai retenues pour leurs informations.

Fiction initiale : Psychologie  et évolution du cerveau

Au départ, le roman de Werber prend l’allure d’une enquête policière. Le spécialiste des échecs, Samuel Fincher  est trouvé mort dans sa villa du Cap d’Antibes suite à un excès de plaisir dont la nature reste équivoque. Or apparemment rien ne permettait de penser que la vie de Fincher était menacée. Par ailleurs, ce person­nage  sort du commun : il cumule les qualités d’anticipation de son homologue Bobby Fisher avec les compétences d’un neuropsychiatre de pointe  à la mesure d’Antonio Damasio.

 

Robert James Fischer est un joueur d’échecs célèbre dans les années 70. Il obtint le titre de champion du monde (1972) en battant Boris Spassky. En 1975, il refusa de jouer contre Anatoly Karpov et perdit son titre.    

 Antonio R. Damasio dirige le département de neurologie de l’Univ. de l’Iowa est connu pour L’Erreur de Descartes, 1995, Le Sentiment même de soi, 2001, Spinoza avait raison, 2003.

Au même titre que  le président Félix Faure, Fincher, qui en connaît un brin sur les  limites du corps humain, serait-il donc mort du plaisir d’amour ? L’incertitude subsiste. Le lecteur se doute que s’il en était vraiment ainsi le roman prendrait la tournure d’un  fait divers un peu scabreux de la une d’Ici-Paris. Mais  un mystère plane au-dessus du docteur Fincher qui est devenu un as des échecs en trois mois, et  sur Nata­cha Anderson, sa compagne (j’allais dire Pamela Anderson) qui, bien que top model, dissimule un passé trouble de victime de la drogue. A cela s’ajoute que le docteur dirige un hôpital psychiatrique aux méthodes révolutionnaires et parfois excentriques. Bref, de quoi attirer  la curiosité de deux journalistes scientifiques aux  abois, Lucrèce Nemrod (dieu de la chasse) et Isidore Katzenberg, un chercheur solitaire  inventeur de « l’arbre des possibles de l’humanité ». Le lecteur retrouvera donc dans ce roman les héros de la publication précédente de Werber, Le Père de nos pères. Ces doubles de l’auteur fonctionnent vis-à-vis du lecteur un peu comme des pédagogues : ils analysent et expliquent les motivations des protagonistes. Les nombreux  rebondissements qui émaillent leur recherche sont comme  il se doit chez l’auteur des Fourmis prétextes à digressions savantes sur les performances du docteur, ses motivations, ses méthodes, et plus généralement sur les possibilités du cerveau humain. C’est ainsi que de fil en aiguille on en arrive au centre du roman, la vision globale que Werber   tente de donner de l’articulation entre les motivations humaines et la chimie du cerveau, entre le psychologique et le neurophysiologique. C’est donc là qu’un dévoilement de ses sources s’impose, une enquête sur l’enquête. Dévoilement auquel l’auteur semble lui-même inciter le lecteur en le guidant par divers indices. Suivons-le dans ce sens.

Werber associe  une variante de la bien-connue pyramide de A. Maslow à  la théorie tri-unitaire du cerveau  de Mac Lean.  Ce dernier  a, dans les années 70, avancé l’idée que le  cerveau s’est développé par couches successives pour répondre aux besoins de l’évolution. Ces couches, étagées du tronc cérébral au cortex, commandent des besoins spécifiques eux-mêmes hiérarchisés.

*          Le premier, dit  reptilien, le cerveau de surie, commande les besoins élémentaires : arrêter la douleur, stopper la peur, se nourrir, se reproduire, être à l’abri.

*          Le second, le cerveau des mammifères commande les émotions (système limbique), la colère, le devoir, la sexualité. Il possède une mémoire.

*          Le troisième, le cortex cérébral, le cerveau typiquement humain commande les motivations et les activités supérieures.

La question, sérieuse, que pose le roman est celle de la motivation dominante. Et c’est ici, évidemment, que le roman rejoint l’heureuse for­mule de M. Weyembergh, que je résume : la science-fiction joue au niveau accessible le rôle des philosophies de l’histoire de jadis. Et la ré­ponse, discutable sans doute, tient en cette formule lapidaire : le progrès de l’humanité tient au plaisir de la connaissance et à la connaissance du plaisir. Il faudra examiner ce que cette formule recouvre et comment elle est déclinée par le récit.

Fiction B : Neurobiologie  et informatique

Avec le personnage de Jean-Louis Martin, un des patients les plus malheureux du docteur, l’auteur confronte le lecteur au  cas extrême d’une conscience quasiment privée de rapports avec le monde extérieur. Il s’agit d’un cas dit de Locked-In Syndrome. Mais Fincher le sauve de sa désespérante solitude en connectant son cerveau  au système expert d’un ordinateur.

Werber, qui déclare indirectement ses sources sur le sujet, extrapole à un degré de perfection inconnu  de nos jours les travaux de  Philip Kennedy et Roy Bakay. Ces deux neurophysiologistes de l’université d’Emory à Atlanta réalisèrent plusieurs expériences d’implants dans le cortex de personnes souffrant de paralysie complète.  Leur système a ouvert à ces patients l’accès par la pensée à certaines fonctions d’un ordinateur, tel que le déplacement du curseur sur l’écran. La réussite de l’expérience signifie que la pensée pourrait contrôler un ordinateur et dialoguer avec la machine.

 

Les LIS sont les patients qui possèdent encore une parfaite conscience de soi, mais dont les systèmes périphériques en contact avec le monde extérieur sont totalement ou partiellement détruits par des lésions au niveau de la partie antérieure du tronc cérébral à proximité de celle qui provoque le coma. Selon les cas, ils conservent le contact avec l’un ou l’autre des sens . Leur sort est tel qu’on surnomme leur pathologie, le syndrome de l’emmuré vivant. Dans le roman, Jean-Louis Martin a été victime d’un accident d’automobile et reste en contact avec le monde extérieur au moyen d’un œil unique. A. Damasio décrivant un cas de LIS, ajoute dans Le Sentiment même de soi, p. 310 et suiv. : «Le patient en peut ni froncer les sourcils, ni regarder de côté, ni remuer les lèvres, ni tirer la langue, ni bouger aucun de ses membres, le cou, les bras ou les jambes. Cligner des paupières et bouger les yeux sur un axe vertical sont les seuls gestes volontaires qu’il peut encore effectuer.» Les médecins établissent avec le patient un code d’urgence en lui demandant de lever les yeux pour signifier oui et de les baisser pour dire non. Les lésions à l’origine du LIS se trouvent dans la partie antérieure du tronc cérébral. Werber est sur ce point en totale conformité avec le neurologue. Les remerciements qui suivent l’intrigue font référence à Jean-Dominique Bauby, un patient atteint du LIS qui a remis à Werber le Grand Prix des lectrices de Elle en 1993.

 L'outil mis au point par  les deux neurophysiologistes capte les signaux émis par les neurones.  En sortie, une puce intervient pour prendre en charge les données du système : en fonction du signal reçu, elle détermine notamment les neurones connectés avant de mettre en relation l'idée émise (le fait déplacer le curseur sur la droite par exemple) avec la fonction informatique adéquate. Cette phase de modélisation terminée, le composant peut alors interpréter les ordres du cerveau. 

 

Ainsi le malade de Fincher a-t-il la possibilité d’augmenter ses capacités cérébrales notamment en surfant sur le Net et reprend goût à la vie en trouvant de quoi alimenter ses besoins intellectuels. On retrouve donc dans la fiction  l’illustration de la thèse-clef du roman : l’association entre plaisir et connaissance. Or au cours de ses investigations sur le Net, Jean-Louis Martin prend connaissance d’une expérience qui va intéresser son médecin au plus haut point et inverser le rapport entre plaisir de la connaissance  et connaissance du plaisir.

Fiction C : Neuroanatomie et motivation

Le docteur Fincher, emporté par  les résultats obtenus avec son cobaye humain et par une curiosité malsaine pour ce qu’il croit être L’Ultime secret de la nature humaine, se rend en URSS . C’est là, en effet, qu’on a régulièrement recours aux lobotomies pour «soigner» les drogués. Mais la demande du docteur est inverse : il demande à ses collègues de stimuler artificiellement les zones du plaisir. A son retour, ultra-dopé, et sans trop se rendre compte des dangers qu’il court, il conçoit un mécanisme qui permet à son patient de le stimuler quand bon  lui semble. C’est ainsi qu’il entre dans une spirale funeste qui associe nirvana mental et progrès accélérés dans les stratégies du jeu d’échecs.

L’expérience de conditionnement dont il s’agit est déjà ancienne. Elle a été effectuée par J. Olds [J. Olds, « Self-stimulation of the brain », Science, 17, 1958. ] et son équipe. J.-P. Changeux en fait mention dans son livre l’Homme de vérité . [ O. Jacob, 2002, p.69 et suiv. ] Cette expérience consiste à mettre en évidence l’autostimulation du cerveau par le cerveau et la stimulation du circuit dit de la récompense.

L’expérience est faite sur un rat libre de ses mouvements. On implante dans les régions du  cerveau qui déterminent une sensation agréable des électrodes qui lui permettent de se stimuler lui-même en appuyant sur une pédale. La suite de l’expérience est assez prévisible. Le rat, en quelque sorte drogué par le plaisir obtenu, devient dépendant du plaisir éprouvé et réitère le geste jusqu’à en mourir. Les stimuli électriques ont donc les mêmes effets que des drogues qui stimulent la libération de dopamine dans une partie du cerveau appelée nucleus accumbens.  Ce noyau intervient en liaison avec les émotions et avec le contrôle moteur : « Le nucleus accumbens sert en quelque sorte d’interface entre la motivation et l’action : il joue un rôle crucial en détectant la dopamine libérée et en réglant ainsi le contact sélectif du cerveau avec le monde extérieur. »   [Id.,ibid. ] Accédant à une partie profonde du cerveau, les stimulations électriques très ciblées  autant que  les drogues  agissent sur les  contrôles du système de la motivation.

En ce qui concerne les drogues, l’explication de leur pénétration provient du fait qu’elles ont une structure chimique très semblable à celle des neurotransmetteurs et  trompent facilement leurs récepteurs. Suite à un usage répété, elles provoquent des changements adaptatifs dans les circuits qui finalement ne peuvent plus fonctionner sans elles. Inversement, en l’absence de ces stimulations, apparaît le syndrome du manque aussi bien que  la perte de contrôle du système de motivation. L’association des deux se traduit par la demande réitérée de stimulations pour compenser la souffrance résultant du besoin. La libération de dopamine s’observe également dans les activités sportives ou les passions du jeu (Fincher est tenté d’affronter les spécialistes des échecs, mais aussi les ordinateurs les plus performants, par défi et par jeu). Changeux, en s’appuyant sur un article de M.-J. Keopp publié dans Nature en 1998, précise à propos des joueurs qui manipulent les bandits manchots : «Lorsque le sujet gagne de l’argent, une libération de dopamine s’observerait dans le corps strié (qui inclut le nucleus accumbens) ainsi qu’une activation des neurones du cerveau moyen et du cortex frontal (dorso-latéral et orbital). N’en est-il pas de même avec la recherche du plaisir de la connaissance et la recherche scientifique en général?»  [ J.-P. Changeux, op.cit., p. 74. ] Changeux invite donc à généraliser ce constat à d’autres comportements qu’à la prise de drogues.  Cette idée est relayée par Werber.

Fiction D : Neurochirurgie

Natacha Anderson, la compagne de Fincher, a dans le passé tâté de la drogue, ce qui semble coutumier du milieu de la mode qu’elle fréquente. Pour qu’elle s’en libère, sa mère, d’origine russe, a effectué une opération de mutilation des centres du plaisir. Cette opération ne l’a pas empêchée d’exercer son métier de top model mais l’a  privée de toute émotion.

Cette séquence est loin d’être anodine. Il faut observer que dans le couple Fincher-Anderson Werber saisit deux moments importants des expériences en neurochirurgie. Il s’est trouvé que dans les années 1950 des chirurgiens téméraires,  [Parmi eux, le docteur Ewen Cameron qui, en pleine guerre froide, a opéré des lavages de cerveau avec l’encouragement et le financement de la CIA.] ,accédant parfois au Nobel, ont tenté d’obtenir par la lobotomie des succès pour discipliner de patients atteints de maladies mentales mal connues. D’autres ont fait usage de psychotropes dans les mêmes conditions. L’allusion aux expériences faites sur le cerveau en URSS pour  soigner les drogués – et qui est avérée- ne devrait pas masquer le fait que des Américains et des Canadiens se sont livrés aux mêmes pratiques, parfois même avec des capitaux issus des services secrets. Les résultats furent catastrophiques et  réprouvés sur le plan éthique. [Des lois protègent depuis les sujets de la recherche biomédicale.

Le second moment auquel Werber fait allusion –  l’excitation d’une partie du cerveau par des stimulations électriques à haute fréquence - a  démontré une certaine efficacité dans les cas de la maladie de Parkinson et contre les troubles obsessionnels compulsifs. Cette méthode est utilisée, sans complications et sans destructions cérébrales définitives. 

 

Résolution de la fiction : Hubris

 

Qui a donc tué le docteur Fincher ? Pour le dé­tail, je renvoie au roman. En fait, ce qui a tué Fincher, c’est que dans la découverte du prin­cipe de la connaissance du plaisir et du plaisir de la connaissance, il a outrepassé les bornes humai­nes comme Icare ou comme Ulysse aux prises avec les sirènes.  Grisé par sa victoire et par la certitude de pouvoir rendre sa compagne à la jouissance, il a cumulé les paradis naturels et les paradis artificiels, la stimulation érotique et la stimulation électrique, ce qui lui fut fatal. Il n’a donc pas tenu compte des sages conseils d’Epicure sous les auspices de qui sa recherche était placée.

 

Conclusions critiques

 

Pour trouver plaisir à lire Werber, il faut passer outre les détails rocambolesques qui plongent l’enquête dans l’invraisemblable – ou, comme on voudra, dans l’humour et la parodie de la b.d.

 Il y a du Ponson du Terrail dans Werber ! Il faut passer outre la psychologie sommaire des personnages, qui sont plutôt des faire-valoir de papier pour des digressions encyclopédiques qui sont le pendant de l’encyclopédie fourre-tout que l’auteur a publiée sous le titre d’Encyclopédie du savoir relatif et absolu, et dans laquelle il a consigné par ordre alphabétique toutes sortes d’anecdotes plus ou moins scientifiques et parfois assez cocasses.

Dans d’autres cas, comme ce qui précède le prouve, il touche juste. Et ma tâche fut de le  mettre en évidence. Sa formule lapidaire  : «La pensée est électrique et chimique comme la lumière est corpusculaire et ondulatoire» vient  actualiser la célèbre formule de Rimbaud sur l’alchimie du verbe. C’est là que Werber donne matière à réflexion philosophique et rejoint les thèses des neurosciences. On lui reprochera de transférer sans nuances à l’homme une expérience qui vaut pour les rats et les souris ; on lui reprochera encore le paradoxe d’un savant qui, malgré ses qualités, se conduit comme un étourdi. Evidemment, trop de pouvoir scientifique peut enivrer et la tentation de la drogue, qu’elle émane de stimulations artificielles ou du cerveau lui-même, est  au cœur du roman. Les exemples de cette dérive ne manquent pas et les savants fous sont légions dans la science-fiction, et malheureusement ailleurs, comme le prouve de manière dramatique le cas du docteur Cameron .

Qu’espérer ? Que la curiosité omnidirectionnelle de Werber soit communicative et suscite des vo­cations dans les neurosciences. Quant à savoir si Werber est un Pic de la Mirandole ou un subtil  prestidigitateur, l’ensemble de son œuvre y répondra.

Ch. Thys

Bibliographie

J.-P. Changeux, L’homme de vérité, O. Jacob, 2002.

A. Damasio, L’erreur de Descartes, O. Jacob, 2001.

Le Sentiment même de soi, O. Jacob, 2002.

Spinoza avait raison, O. Jacob, 2003.

Christian de Duve, A l’écoute du vivant, O. Jacob, 2002.

F. Lotstra, Neuroanatomie et aspects fonctionnels du système nerveux, vol. 2, Publications de l’ULB, 2004.

Site Doctissimo : http://www.doctissimo.fr/html/sante/mag  2003

Werber B., L’Ultime secret, Livre de Poche, 15398, 2001.


sommaire & édito 117

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Biographies imaginaires

Chantal Al Charif –Corbiau

et les étudiants de 3°A du département pédagogique H.E.Na.C. Malonne

Deuxième degré

 

 

Un public de 3e professionnelle mécanique nombreux – 23 garçons - qui d’entrée de jeu vous dit :

 

«Il faut être fou pour être prof de français. Il faut retenir beaucoup de choses, écrire beaucoup. Enfin c’est votre choix.»

«Moi, rien que lire une question au tableau, ça me prend la tête.»

«C’est chiant, car tu dois tout le temps écrire quand t’es prof ;  et t’as un salaire de rien du tout.»

Entendre cette parole. Ne pas la moraliser. Mesurer l’écart. Un monde autre, âpre.

                  

Donner à lire aux étudiants ces représentations du métier.

 

S’approcher avec des lectures à voix haute comme Hoquet sur glace de Jean-Bernard Pouy (Hors-série de la revue Phosphore, juillet-août 1998). Ces deux extraits, par exemple :

 

Et Monsieur Félix, il avait toutes les raisons de se les bouffer. Il avait tout essayé, la clef dans le dos, il m’avait fait boire à l’envers, tout le bataclan, les exercices de respiration, tout. Aucun résultat. Oups. On lui avait dit que peut-être il faudrait me faire peur. Mais comment réussir à foutre la trouille à un gaillard de 1,85 m, bardé comme un rôti, qui passe son temps à bastonner, la crosse à la main, des mecs au moins aussi féroces que lui ? Mission impossible. Les éléphants qui couinent en voyant des souris,  il n’y a que dans les dessins animés qu’on voit ça. (...)

Alors Monsieur Félix me regardait d’un sale œil, vérifiant, montre en main la régularité de mes tressautements, et se demandait à quelle sauce il allait me bouffer. Tabarnac ! Quand, aussi calme que le monstre de Tasmanie, il passait devant moi, il me balançait un de ces apartés vachards comme quoi le désastre annoncé de toute une saison, c’était de ma faute, et qu’il faudrait bien que je le paie, ce gâchis. 

 

Entendre après la lecture :

«L’est branché, l’mec.» 

«Moi, je croyais que les histoires, c’était seulement avec des petites fleurs et des princesses.»

S’approprier dans les deux sens un autre langage.

S’approprier aussi ces capacités dont parle le Programme : Dans «différentes pratiques d’écriture se centrant sur soi, pratiquer l’écriture autobiographique de manières diverses» et proposer – imposer - d’écrire ce qu’on rêverait d’être comme personne célèbre en 2050.

Être - intérieurement - stupéfaite de la violence qui se dégage des esquisses : ils souhaitent devenir braqueurs, bandits, riches terroristes. Quelle image leur propose-t-on, qu’ils nous renvoient sans ménagement ?

 

Accepter leur parole provocante et décider de corriger seulement la forme.

 

«Vous êtes tellement célèbre que le dictionnaire vous consacre un article. Ecrivez cet article.»

 

 

1Pour préparer le travail : échange oral, lecture. Paroles en désordre. Puis bain de modèles divers tels que :

Martin Luther King - Pasteur baptiste noir américain (1929 – 1968). Il lutta pour l’intégration des Noirs dans la société américaine en prêchant la non-violence. Prix Nobel de la Paix en 1964. Assassiné le 4 avril 1968. - Dictionnaire Robert.

Faire rechercher des notices de leur choix (sportif, chanteur, homme politique...).

 

On repère les caractéristiques du genre  telles que :

la typographie, la brièveté de l’écrit et des phrases, les dates et leur place dans l’article, l’utilisation des temps verbaux, l’objectivité (on ne prend parti ni pour ni contre)…

 

2Deuxième étape : écriture d’une notice biographique selon le modèle (ci-dessus) ou d’après ce modèle proposé par les normaliens de l’H.E.Na.C. :

Le très célèbre..., né à..., mort à... a eu une vie quelque peu mouvementée (ou particulière, ou hors du commun). Il a vécu dans... Dans ses débuts, il était... Malgré... Par la suite, il est devenu... Car... A la fin de sa vie...

Correction des écrits par les étudiants suivant la grille qu’ils ont élaborée :

Critères d’évaluation :

 

Nom, prénom – Date de naissance – Lieu 

Au moins trois évènements 

Présentation chronologique

Propreté - Lisibilité  

Points

2

1,5

1

0,5

 

3.  On pourrait prévoir aussi des exercices de structuration : ponctuation, emploi des temps verbaux, connecteurs (temporels : d’abord, auparavant, puis... ; logiques : étant donné, pourtant...), mise en forme par traitement de texte (retraits, gras, police de caractère...)

 

Production finale :

*                                 HANKE Jeff

Né à Libramont le 23 octobre 1987.

Expulsé de l’armée pour avoir provoqué une émeute générale en 2010.

Assassin de Jacques Chirac, de Georges Bush, de nombreux civils et enfants en 2020.

Détenteur de nombreuses armes nucléaires et de destruction massive.

Destructeur de la Basilique de Saint-Hubert, de la Maison Blanche et du siège de l’ONU.
Encore recherché à ce jour.

**                               Le très célèbre Jean-Philippe SCHULZ, né à Libramont le 8 mars 1989, vécut à Saint-Hubert.

Dans ses débuts,il fut champion de catch pendant trois ans.

Par la suite, il fut recherché par la police pour le meurtre de sa femme.

A la fin de sa vie, il fit un attentat à la bombe contre l’ISJ à Saint-Hubert.

Il n’a jamais été retrouvé.

***                  FRANCOIS DUIFFA

Est né le 11 novembre 2000.

A organisé le plus grand rassemblement de tuning en Belgique en 2020.

A offert une coupe d’un prix incroyable.

Est décédé le premier janvier 2049 après un tuning.

 

4.         Avec les étudiants, futur[e]s enseignant[e]s...        

 

Leurs premières réactions :

A leur âge, j’aurais mis des conneries pareilles.

 

Envisager des prolongements possibles, par exemple, dans Le moustique, Télépro, Phosphore..., rechercher des notices sur des vedettes – showbiz, sport, rock... – et voir comment c’est construit, comment c’est apprécié positivement ou négativement.

 

Si les biographies sont imaginaires, ils peuvent dire ce qu’ils ne seront sûrement pas. On pourrait mettre en parallèle ces biographies tout à fait fictives avec leur projet de vie future.

 

Est-ce qu’à leur âge, à 15 ans, on pense à d’autres valeurs que celles-là ? C’est la société qui veut ça. On est inconsciemment influencés.

 

Comme leur parole est non censurée, ils en profitent et on tombe dans des extrêmes. Et pourquoi cette outrance ? Besoin de s’affirmer – et peut-être même de provoquer - en pratiquant un ‘fantastique du violent, du décibel’ ?

 

On pourrait entamer avec les élèves une discussion sur le fait que les attentats sont punis. On parle longtemps dans les médias des attentats « réussis », on parle peu des tentatives d’attentats déjoués. 

 

Futur[e]s enseignant[e]s, comment se comportera-t-on devant leur écriture qui est – inévitablement - projection de soi, dévoilement de soi, et souvent sans qu’ils s’en rendent compte ? Comment échanger avec eux sur leur production textuelle de façon efficace : de façon à diversifier et affiner leurs capacités d’expression ?

 

Écrire ensemble sera peut-être une solution efficace : un atelier où l’on tire parti des savoirs scripturaires de chacun, des expériences de chacun, des aspirations de chacun...

 

 

 Quant à moi, tourne dans ma tête cette citation d’Alain Bentolila :

 

La vraie question, la seule qui doit nous mobiliser, est de savoir comment distribuer de manière plus équitable le pouvoir linguistique afin que certains ne soient pas exclus de la communauté de parole, de lecture et d’écriture. Ce n’est donc pas d’élégance ni de normes dont je me préoccupe, mais de la nécessité de transmettre à l’Autre sa pensée de la façon la plus juste et la plus précise, et d’ouvrir en retour son intelligence à la pensée de l’autre avec autant de bienveillance que d’exigence. C’est sans doute à long terme le moyen le plus honorable et le plus sûr de rompre l’infernale succession de poussées de violence devant lesquelles toute réponse ponctuelle est vaine.

 

Le propre de l’homme : parler,  lire, écrire,  Plon 2000, p.213.  

 

 sommaire & édito 117

Vivent les PME : petites machines à écrire

 

Articles parus dans LMDP (105, juin 2001 ; 106, septembre 2001 ; 117, juin 2004)

mis en ligne

 

sommaire & édito 117

 

Écriture sous contraintes : Rimbaud en filigrane

 

Poème à l’improviste signé Jean-Bernard Pouy  * France-Culture, Les Décraqués, 12 février 2004

 

 

Inutile, sans doute, de présenter ces émissions de Françoise Treussard et Bertrand Jérôme, Les Décraqués – en semaine, Les Papous dans la tête – le dimanche, où des écrivains s’exercent à des activités d’écriture sous contraintes, aussi diverses que divertissantes.

 

[ Voir dans LMDP les numéros 73 (juin 1993), 77 (juin 1994), 99 (décembre 1999), 110 (septembre 2002).]

 

Ce jeudi 12 février 2004, voici les contraintes d’écriture imposées à Jean-Bernard Pouy :

1.  Écrire un récit

2.  ... sous forme de poème

3.  ... en y plaçant les mots suivants (choisis par Hélène Delavaux) :

Troufion – pelle – rhododendron – falbala – illumination – délivrer – fatigue – authentifier – autoroute - lampion – plumage

Trois contraintes, donc... Et l’auteur en ajoutera une quatrième ! Dont nous reparlerons. Mais lisons tout d’abord ce poème composé à l’improviste et auquel Jean-Bernard Pouy ajoutera un titre

A l’improviste, vraiment ? Pour rassurer quelques collègues sceptiques, nous avons questionné Françoise Treussard, animatrice de l’émission. Elle répond (e-mail du 25.03.04, 10.14) : Oui, c'est vrai, l'auteur ne dispose que d'une petite demi-heure pour écrire !

Le dormeur de l’A7

Mais que faisait-il là, dans les rhododendrons,

Ronflant face à l’azur et ivre de fatigue,

Comme un polder batave ayant rompu la digue,

Et comme Arthur avant les Illuminations ?

C’est qu’il était plutôt rond comme un’queue de pelle,

Ce gamin, ce benêt, ce pioupiou, ce troufion,

Authentifié bidasse, bronzé comme un lampion,

Ce soldat trop heureux de s’être fait la belle.

Il reposait tranquille tout près de l’autoroute,

Ayant jeté au loin, n’étant plus de gala,

Ses guêtres délivrées comme des falbalas,

Il dormait sans plumage et n’avait plus de doute.

 

Récit, poème, onze mots imposés présents dans le texte : le contrat est honoré.

Le poème (trois quatrains – chacun formant une seule phrase, vers alexandrins, rimes croisées) est un récit dont le héros est un soldat (pioupiou, troufion, bidasse, soldat, guêtres), jeune (gamin, benêt), qui s’est enivré (rond comme un’queue de pelle), heureux d’avoir déserté (de s’être fait la belle, ayant jeté au loin [...] ses guêtres délivrées...), et qui dort – épuisé sans doute par une longue escapade – (ronflant, ivre de fatigue, reposait tranquille, dormait sans plumage).

Les mots imposés s’intègrent aisément dans la construction narrative : description et actions du héros, ou éléments du décor...

*

Mais disons-le franchement : observer le texte de cette façon serait vraiment le fait d’un lecteur mal-voyant, inattentif à ce qui se trouve habilement tissé en filigrane : la souvenance et la trace de Rimbaud, ses mots, sa vie, son univers de pensée !

Voici donc la quatrième contrainte ! Mettre en arrière-plan l’écriture et la figure d’un autre. Comment le déclic s’est-il opéré chez Jean-Bernard Pouy, sommé d’écrire en trente minutes ?

Un mot, dans la liste imposée par Hélène Delavaux, semble bien constituer le déclencheur et l’organisateur du poème : le titre d’une œuvre capitale d’Arthur Rimbaud, titre qui va illuminer la mise en texte, le mécanisme intertextuel. Illuminations, certes, mais aussi, sans doute, activant les ‘neurones’ de Jean-Bernard Pouy, les mots troufion, délivrer ; peut-être aussi fatigue.

Dès le titre, trois textes de Rimbaud sont remémorés :

* Le dormeur du val et son jeune soldat ‘endormi’, immobile [ronflant face à l’azur, dormait, reposait tranquille],

* Le bateau ivre [ivre (...), comme un polder batave (...), digue : la comparaison évoque le milieu marin... ; rond comme un’queue de pelle],

* Le troisième, Illuminations, est simplement mentionné : ce mot métaphoriserait -il le bonheur de la liberté reconquise par notre ‘troufion’... ?

* Un quatrième texte, Ma Bohème, apparaît aussi en filigrane : faire la belle / je m’en allais ; face à l’azur / bronzé / sous le ciel ; jeter ses guêtres / mes souliers blessés...

Voilà pour les titres.

Quant au Rimbaud vagabond, pacifiste, rebelle, Jean-Bernard Pouy le fait découvrir par allusions (rompre la digue, faire la belle, jeter ses guêtres, délivrer [les guêtres : métonymie de la rigueur militaire : ‘Ça te tient les jambes !’ ; ‘Ça te fait marcher droit’ !].

*

Lire ou écrire : des liens avec d’autres textes...

La lecture : un cheminement d'un lieu à un autre, d'un auteur à un autre, d'un repli à un autre repli de l'inconscient du lecteur... (D’après J. Bellemin-Noël, op. cit. infra) Plaisir du lecteur de tisser sa lecture dans la trame du déjà écrit, de se trouver en terrain balisé !

Quant à l’écriture, nourrie de nos propres formes de langage, elle se nourrit aussi de formes lues, entendues, mises en mémoire, remaniées le plus souvent de façon inconsciente.

Parfois, le texte se calque plus formellement sur tel autre, censé appartenir à un fonds commun de savoirs textuels : c’est le jeu de l’allusion. Voir, page suivante, les ressorts de ce jeu. 

*

Pour en savoir plus sur l’intertextualité :

Gérard Genette, Palimpsestes – La littérature au second degré, Seuil, 1982.

Tiphaine Samoyault, L’intertextualité – Mémoire de la littérature, Nathan, 2001.

Pierre-Marc de Biasi, article « Intertextualité », Encyclopaedia Universalis, 1989.

Sophie RABAU, L'intertextualité. Un essai anthologique. Flammarion, GF-Corpus/Lettres, 2002.

J. Bellemin-Noël, Plaisirs du vampire, PUF, coll. Ecriture, 220 p., 2001 [Lire c'est toujours entrelire. De l'intertextualité à l'interlecture. Gautier, Gracq, Giono...]

 

Le dormeur du val

C'est un trou de verdure, où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme:
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine.
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 Octobre 1870       

 

 

Ma bohème

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal;
Oh! là! là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques,
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur!

Septembre 1870

 

Sous sa forme la plus explicite et la plus littérale, l’intertextualité est la pratique traditionnelle de la citation (avec guillemets, avec ou sans référence précise) ; sous une forme moins explicite et moins canonique, celle du plagiat (chez Lautréamont, par exemple) qui est un emprunt non déclaré, mais encore littéral ; sous une forme encore moins explicite et moins littérale, celle de l’allusion, c’est-à-dire d’un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d’un rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions, autrement non recevable.

G. Genette, op. cit., p. 8.

 

Auteurs en filigrane

Le jeu de l’allusion

 

Retrouvez l'auteur pastiché

(sur le pastiche : cliquez sur " pastiche " dans la page alphabet de LMDP)

 

Baudelaire, L’invitation au voyage (3 occurrences) 
 

César, De Bello gallico  

 

Corneille, Le Cid (2 occurrences)   
 

Hemingway  
 

Henri IV  
 

Houdar de la Motte, Fables nouvelles  
 

Hugo, La Légende des Siècles  
 

Eugène Ionesco  

 

Malherbe, Consolation à Du Périer  
 

 Marivaux
 

Molière, Tartuffe
 

Napoléon Ier  

  

Marcel Proust  
 

Renaud  
 

Shéhérazade  

 

Steve Spielberg  

 

Charles Trenet   
 

* Cachez cette cinq que je ne saurais voir. Emission satirique "L'oreille en coin", France Inter, 1.12.1985 (à propos de TV5).
* 
Et rose elle a vécu beaucoup plus que les roses. Paris Match, 03.08.2000, p. 65. Reportage sur les 100 ans d'Élisabeth II  
Marée noire à l'île d'Yeu: l'oil était dans la tombe et regardait Pétain. Le Canard enchaîné, 22.12.99, p. 1.   
* 
Luxe, calme et volupté, pour les plus fortunés de ses clients. FR2, JT de 20h, 23.04.2001. Reportage sur la reprise des vols de Concorde en été 2001 par British Airways, qui soigne le confort de ses passagers.  
Nouveau look. Xavière qui a changé de coiffure: "Paris vaut bien une mèche!" Le Canard enchaîné, 12.01.2000, p. 1. (Xavière Tibéri, épouse du maire de Paris, candidat pour sa réélection).
*  Ô rail, ô désespoir! FR2, fin du JT de 20h, 04.07.2001. Rappel du titre principal: perturbations à la SNCF, image d'une gare paralysée...; texte sous l'image   
 Les comptes des 1001 lits La Libre Belgique, 09.02.2002, p. 29. A propos d’émissions sur Arte traitant de l'infidélité conjugale.  
* Luxe, crise et nouveautés
 Libération, newsletter du 04.10.2002. Salon de l'auto 2002 à Paris, titre de la rubrique   
* Luxe, calme et canidés 
La Libre Bis, 07.09.2002, page II. Titre d’un reportage sur un hôtel de luxe pour chiens, près de Jodoigne (Belgique). Avec ce surtitre :Wouf! Le premier hôtel de luxe belge pour chiens a ouvert ses portes en juin. Le bilan est déjà très positif   
* Les partis de l'arc-en-ciel ne sont rien d'autres que des acteurs d'une mauvaise pièce: Jeu de l'amour et du bazar 
[Applaudissements]. Enfin, le bazar, ça, c'est sûr! Mais, pour le reste, que reste-t-il de leurs amours? [Rires]. RTBF, journal parlé. 30.11.2002. Mons, Congrès du CDH :  A. Antoine juge le gouvernement arc-en-ciel.   
* Corneille, le kid 
RTBF, journal parlé, 13h, 30.11.2002. Présentation d'un article sur le chanteur d'origine rwandaise. Influencé par le R'n'B, «Parce qu'on vient de loin» est le premier CD d'un jeune chanteur d'origine rwandaise.   
* La cantatrice chaude 
Libération, 02.10.2002. Titre d'un article d’Eric Dahan sur Jessye Norman.  
* Le vieil homme est amer 
La Libre Belgique, 05.06.2003, p. 6. Titre de l’article de R. Planchar : Dans l'affaire du Village N° 1, Jean Wauters, septuagénaire, est suspecté de malversations.   
* Veni, vidi, Rossi 
La Libre Belgique, 22.09.2003, p. XV. Titre de l’article de J.-M. Van Rode. Chronique omnisport: Victoire de Valentino Rossi au G P motocycliste du Brésil.
C'est la terre qui prend l'homme Newsletter de Sciences et Avenir, 25.09.2003. Annonce d'un article sur l'histoire de l'alimentation. Au Néolithique, entre 5200 et 4500 ans avant notre ère, les habitants des Iles Britanniques ont changé leur régime alimentaire
* A l'ombre des pinceaux en fleurs Divers médias francophones, 2003. Exposition de peintures à Paris sur le thème des fleurs 
* Pas sauvé, le soldat Flahaut 
La Libre Belgique, 11.03.2004, p. 2. André Flahaut, ministre belge de la défense, vivement critiqué...   
L'ennui naquit, un jour, de l'uniforme ôté.
 Jeux de 20 Heures, FR 3, 26 mars 1982 : Michel Dénériaz, artiste de variétés, raconte la mésaventure d’un gendarme en service surpris en train de se baigner dans une rivière 
 Quarante paires d'yeux de bouillon qui vous contemplent, c'est quarante siècles de pot-au-feu égyptien qui vous regardent du haut de leurs pyramides de viande et de légumes pharaoniques.  
Pierre Dac, Les Pensées, 1972

 

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