Le son et le sens dans les titres de la presse
écrite
Attirer l'attention du lecteur, susciter son désir de lire,
autant par la justesse de l'information que par le jeu de l'écriture,
telle est la fonction "apéritive"d'un
titre de la presse écrite,« prédiction
du texte, promesse d'un manque à combler, »comme
le précise J.-P. Goldenstein.(.Le
français dans le monde, 186, p. 96)
Dans un
article précédent
(décembre 2017), intitulé
Quand des couples peu assortis font bon ménage, nous avions tenté de
montrer comment,
dans un titre, l'association de mots de sens opposé est un
moyen de surprendre le lecteur, de lui faire découvrir un événement, un
personnage, sous un angle original. Bref, de susciter son désir d'en savoir
plus.
Ici; nous observerons un autre jeu d'écriture propre à susciter cette
envie de lire :
créer des équivalences de sons (homophones,
paronymes, allitérations, rimes) ou de rythmes, qui renforcent
des équivalences de sens(similitudes ou oppositions).
Un jeu qui
prend souvent l'allure d'un critique cinglante !
À bon entendeur, salut !
Ouvrons le journal....
... et observons
Lionel Froissart, Libération
07.07.2007,
portrait de Lewis Hamilton, 22 ans :
A fond
la gomme et la com
« En un trimestre, le
pilote britannique de l'écurie McLaren est passé d'espoir à superstar de la
Formule 1. Sa vista technique épate, et sa personnalité séduit. »
Deux termes familiers, et de même
sonorité
- allitération gomme, com -
soulignent les deux qualités du pilote : technique, séduction ; mais
aussi le lien étroit entre le sport (gomme) et la publicité (com).
À fond : pour le champion
comme pour son sponsor... la performance et le profit !
Clémentine Gaillot, Libération,
10.05.2017,
succès, en France, de la mode africaine :
Mode : l’Afrique, filon à fric
« Elle a le vent en
poupe... Mais à quel prix ? »
Allitération et homophonie dans
"filon" et [afrik]"- d'un registre populaire, qui épingle la bonne affaire
des créateurs afrodescendants. Même distance critique, même jeu sur le son
dans
ELF, La
pompe Afrique
titre de la comédie de Nicolas Lambert (2005) avec référence à Jarry
(la pompe à phynance).
Bakchich
du 08.10.2010 dénonce le passage de 60 à 62 ans pour le départ en retraite
:
Les seniors saignés
La proximité - et la gradation
- de sens (seniors > saignés = faibles > affaiblis) est
renforcée par le jeu sur le son (commutation).
Petit Robert
:Fig.Affaiblir,
épuiser (qqn) en retirant ses ressources.« Il
vousafallu de l'argent
[…]vous avez
saigné
vos sœurs » (Balzac).
Bruno Rieth, Marianne, 01.05.2014 :
le Maire de Toronto, Rob Ford, est de nouveau mis à l’honneur dans les
journaux pour ses problèmes d’addictions
Rob Ford à nouveau pris la main dans le crack
Remarquons l'antiphrase "mis à
l'honneur"...
Réemploi d'une tournure
connue. Le jeu sur la rime (et sur la connotation négative de krack)
déconsidère le "héros". Même procédé dans
Barroso pris la main dans le Sachs
ancien président de la CE, il est embauché par Sachs, une sulfureuse banque
d’affaires... Soupçons de collusion entre finance et politique..
Eric
Emptaz, titre de l'édito du
Canard enchaîné, 22.04.2015 :
EUROPE, TERRE D'ÉCUEIL
(800 migrants noyés non loin des côtes de la Sicile)
Jeu d'antonymie par commutation
[a] > [e]. Placer Europe, au début du titre, épingle l'impuissance. Dans
le même numéro, cette manchette :
Sommet
européen d'urgence à Bruxelles
L'Europe rame, les migrants
coulent.
Jean-François Jourdain, La Libre Belgique,
27.08.2009 :
Une claque au lieu du déclic
Hockey - Championnat d'Europe. Belgique-Angleterre
: 2-8
Son et sens : même jeu ! Repris à la Une télé une semaine plus tard
:
Anderlecht-Standard
: déclic ou des claques ?
déclic: Ce qui provoque une réaction intellectuelle, psychologique ;
moment où elle se fait (Larousse)
Libération annonce, le 10.07.2002, la sortie en copie neuve du film
Le Dictateur « Tourné en 1939-1940, incroyablement prophétique » :
De rire et de Führer
La fiction a amusé ; mais la
réalité : fini de rire ! Deux mots pour une chronique. Entrevoir le
monstre à travers le comique gestuel, ce fut le génie de Charlie Chaplin.
François Reynaert, Nouvel Obs',
05.11.2011
Carlton de Lille :
Scandales sexuels, «une affaire qui met beaucoup de beau linge
dans de sales draps,» remarque FR !
VÉREUX IMPORTANT PERSONS
* "véreux" pour "very."
déconsidère totalement ces notables, connote leur déchéance (le fruit va
tomber de l'arbre...)
* les
capitales, choisies par dérision, mettent en relief la réalité sordide
* "beau linge" "sales draps" : opposition honorabilité vs
honneur perdu
Isabelle Hanne, Libération,
05.04.2018.
Après la fusillade au lycée de Parkland le 14.02.2018 (17 tués, 15
blessés),
800.000 personnes, à Washington, dénoncent la NRA, lobby pro-armes.
États-Unis : la jeunesse larmes au poing
L'antonymie larmes
vs l'arme
- fragilité vs violence - est mise en évidence par l'homophonie
Même jeu, mais les contextes sont bien différents... :
Heurs et heurts (en politique) * Les
taux s'envolent, l'étau se
resserre * Défaite chez Royal,
des fêtes ailleurs * Hamilton
crack, Rosberg
craque.
L'Avenir sport, 03.04.2018.
Bruges-Genk, 1-0.
Un neuf de Pâques pour les Brugeois
Ils ont maintenant neuf points d'avance.
Mardi de Pâques... après la chasse aux œufs
offerte aux enfants... Qu'il soit en chocolat ou résultat sportif,
[
œ̃nœ̃f
], c'est agréable
!
Équivalence de sens (plaisir) et de son. Bien joué !
Prolongements
* Chaque élève recherche
des titres de la presse avec jeu sur le son et le sens... et soumet ses
observations à l'appréciation du groupe.
* Relater très
brièvement l'un ou l'autre événement marquant de la semaine écoulée, et voir
comment créer un titre donnant envie de lire...
*
« Ce jeu du son et du sens, c'est comme en poésie ?
»
Cette question va sûrement se poser !
Le journaliste, le poète : même procédé ? Oui... avec nuances ! Même intention ?
Non !
L'un, par ce jeu, met en relief une information, et souvent une opinion :
c'est le registre de la conformité et du débat.
L'autre, en recourant à ce même jeu
(en mettant l'accent sur son propre message), exprime une l'impression, et souvent une émotion : c'est le
registre de la subjectivité.
Chaque mois, depuis janvier
2001, la rubrique livre du mois de la page
lecture
de LMDP présente des ouvrages qui
nous paraissent utiles à la formation initiale et continue des enseignants.
Pour certains, nous avons
exprimé des réserves, voire notre désaccord : chaque fois en toute liberté et
dans le respect de nos lecteurs. Plus de 200 livres, à ce jour, figurent à la
page
librairie de LMDP : les recensions sont par ordre de
date, suivies de la liste de tous les auteurs par ordre alphabétique.
avril 2018
mai 2018
juin 2018
Edgar Morin
Connaissance Ignorance Mystère
Fayard, 2017, 180 p., 17€
Ce toujours alerte nonagénaire, auteur d'une soixantaine
de livres, docteur honoris causa de vingt-quatre universités, n'en finit
pas de nous étonner ! Quelle frénésie et quel bonheur de découvrir et de
partager la connaissance !
Connaître/ignorer... Ce thème, Stuart Firenstein le développait
en 2014, à propos des sciences dures, dans Les continents de
l'ignorance (présenté il y a peu dans les
Brèves
de LMDP). Le revoici, développé dans ce livre d' E. Morin, cette
fois en abordant aussi le champ des sciences humaines : "Tel est le sens
de ma présente aventure : patrouiller aux confins de la connaissance
pour appréhender et ressentir l'inséparabilité connaissance-ignorance-mystère" (25).
Nous appelons réalité ce qui est mesurable, quantifiable, ce qui résiste
à nos désirs. La réalité nous semble évidente, familière, mais notre
affectivité, notre imaginaire, nos préjugés, nos peurs... et aussi les
divergences des hypothèses sur les origines et sur le devenir du monde,
tout cela nous amène parfois à trouver cette réalité "faiblement
consistante, étrange, voire inconnue" (33).
Effrayante, même, car "l'histoire humaine n'est pas seulement celle de
la naissance et de l'épanouissement des civilisations, mais aussi celle
de leur mort" (57).
Le 7e et avant-dernier chapitre, Le cerveau et l'esprit
(pp.. 111-153), est de loin le plus long. L'auteur
y rappelle, en d'autres termes, ce qu'affirmait déjà S. Firenstein : "Le
cerveau et l'esprit, qui sont l'un dans l'autre, ont chacun un langage
incompréhensible pour l'autre ; le langage du cerveau est
électrochimique, le langage de l'esprit est celui des mots et des
phrases." Mystère! Mystère, également, celui de notre inconscient,
celui de cette machine autorégulée qu'est notre organisme, celui de
notre propre identité (v. 121) !
Et que sera l'avenir de l'humanité ? Désastre ou promesse ? Homo demens
ou homo sapiens ? "Notre conscience nous enseigne que l'avenir de
l'humanité dépend aussi de l'avenir de la conscience."
('167)
Bruno Tertrais
La revanche de l'histoire
Comment le passé change le monde
Odile Jacob, 2017, 138 p., 18.90€
L'auteur a
beaucoup voyagé, rencontré des responsables politiques, comme membre de
l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, employé au ministère de la Défense,
Directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique. Il a
suivi à la RAND
Corporation une formation intitulée The Use of History in Public
Policy. "J'ai pu ainsi comprendre, déclare-t-il, à quel point le
passé pèse dans les rapports de force internationaux"
(121). D'où l'orientation de son livre : "voir le passé
(...) d'une part comme une explication, d'autre part comme une
inspiration, un repoussoir ou un fardeau" (24).
Un danger important - et il vise ici particulièrement la Russie et la
Chine, mais aussi l'Irak, la Syrie, la Roumanie... : "jouer de la
carte nationaliste pour garantir le maintien au pouvoir
(45)" en inventant et mythifiant le passé. "Un peuple qui
retrouve sa fierté est souvent aussi une nation dont les dirigeants font
tout pour qu'elle s'adonne aux délices de l'exaltation du passé afin
qu'elle ne regarde pas trop le présent" (ibid).
Les références historiques attisent les passions. Par exemple, en Inde
et au Pakistan, la revendication du Cachemire ; au Kosovo, les
monastères serbes ; au Cambodge, le temple de Preha Vihear... Plus près
de nous : quid de la réédition de Mein Kampf ? Assortie d'un
commentaire historique, elle constituerait "une utile alternative à sa
lecture sur Internet sur quelque site révisionniste" (60).
Le long chapitre 4, Un tour du monde des fantômes du passé, nous
transporte de l'Asie à la Russie - "Poutine, joueur d'histoire"
( 81), aux Balkans, à l'Union européenne - "le retour du refoulé"
(94). Mais pas un mot de l'Amérique !
Le bon usage du passé (chapitre 5) préconise la "sagesse de
l'oubli" (108), la "connaissance du regard de
l'Autre" (111). Et conclut avec
Pierre Hasner : "L'alliance rare, fragile et conflictuelle de la
modération et de la passion est une attitude possible face à la revanche
de l'Histoire" (119).
Philippe Pujol
Mon cousin le fasciste
Seuil 2017, 130 p., 15€
Yvan Benedetti est bel et bien le cousin de l'auteur, de dix ans son
aîné. Entre eux, une sincère amitié, une même ardeur dans l'engagement...
mais dans des voies combien différentes !
Yvan préside un groupuscule pétainiste et raciste, l'Oeuvre
française (ce qui lui vaut
d'être exclu du FN par Marine Le Pen en 2011), fréquente
assidûment Robert Faurisson, pape du négationnisme, Hervé Ryssen, pape
de l'antisémitisme, et autres intellos de la droite extrême.
Philippe Pujol, détenteur, en
2014, du
Prix Albert-Londres pour son reportage sur les quartiers shit
de Marseille, nous livre ici un aperçu du monde fréquenté par "le
cousin".
D'abord, quelques scènes typiques de son vécu :: la rencontre secrète
étroitement surveillée, à Paris, de Ryssen "avec les bolchs, les gudards,
le Betar et les flics sur le dos" (7 : voyez wiki...!)
; le rassemblement de nostalgiques de Salan et de l'OAS affrontant les
forces de l'ordre ; le pèlerinage de nostalgiques de Pétain à l'île
d'Yeu : "De Gaulle, c'était un général de merde" (73)
; la marche nocturne - cinquante-deux kilomètres au pas militaire - de
nostalgiques du franquisme vers la Valle de los Caidos près de Madrid
("les plus gros fachos d'Europe sont sur la photo, s'amusait Yvan,
content de s'y trouver" (87).
L'auteur revient ensuite plus longuement - sous le titre "La période
nous est très favorable" (101) - sur quelques
réflexions éparses dans les récits : "Des intellectuels eux-mêmes, dont
les plus médiatiques, ont permis l'émergence puis le durcissement d'une
nouvelle révolution conservatrice." et ne craint pas de mettre en cause
Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Éric Zemmour ! (ibid.)
Et aussi Nadine Morano : la France, "pays de race blanche"
(103) ! Et surtout la démission des journalistes :
"C'est l'avènement du reportage-pizza, commandé par une rédaction en
chef selon les idées reçues du moment, le sujet est fabriqué puis servi
pour générer de la satisfaction. Donner aux gens ce qu'il veulent savoir
plutôt que ce qu'ils doivent savoir.'" (107)
« est
un média qui vous propose une vision neutre, humaniste et progressiste sur
l'actualité avec des journalistes provenant de tous les horizons
républicains. Nous nous inspirons des médias traditionnels français
qui sont une référence en matière d’humour. ».
Peu d'informations et beaucoup
d'ironie. Quelques exemples :
[Discrimination] Un restaurant
chinois
accusé de n'employer que des Chinois
21.03.2018
Macron souhaite une meilleure traçabilité des produits sur le marché
électoraliste 05.03.2018
« La plupart
des noirs sont africains » : le nouveau dérapage de Jean-Marie Le Pen.
05.03.2018
Journal fondé en 2014 par Vincent Flibustier. Deux procès,
intentés en 2016 par Christine Boutin, puis par Sudpresse, lui gagnent des
lecteurs (la plainte de Sudpresse sera déclarée irrecevable par le tribunal
de Bruxelles.) Il s'imposera comme un des organes satiriques les plus
provocateurs de langue française. Quelques exemples :
Manifestation de
Néanderthaliens contre le grand grand remplacement par une espèce d’humains
venus d’Afrique
Heudebert de la Biscotte, 03.05.2018
Carte blanche d’un CRS :
« Si on arrête des Black Blocs, on risque d'arrêter un collègue »
... publié
par Pierre Jourde, écrivain et professeur d'université. En préparation.
Voici ce que
Pierre Jourde
écrivait, le 15 mars 2018, dans le Nouvel Obs', sur son blog Confiture de
culture :
À rebours est un cas à part dans l'œuvre de Huysmans. C'est
encore, par certains aspects, un roman naturaliste (un étude de cas clinique : une
névrose, comme chez Zola) mais aussi un adieu au naturalisme, une quête d'autre
chose. L'autre chose, ce sera le catholicisme, quelques années plus tard..
(...) A reboursest
un roman encyclopédique, où Huysmans déverse une érudition débordante, parfois
de fraîche date. Il y a des pages ou des chapitres entiers consacrés aux auteurs
latins classiques, à la littérature latine tardive, à la littérature française
de la fin du XIXe siècle, à la peinture, à la littérature catholique du XIXe
siècle, aux parfums, aux fleurs exotiques, aux pierres précieuses, aux liqueurs,
au maquillage, à la reliure et à l’impression.►
Langage corporel et pouvoir : Sarkozy, Hollande, Macron
Arnaud Benedetti,
professeur associé en histoire de la communication à la Sorbonne :
« Et si tout se jouait dans le corps ? Ou du moins si le corps était le chaînon
ultime qui rassurait les peuples, soit le supplément d'âme qui venait consacrer
une légitimité ? » Ainsi commence son article paru dans le Huffingtonpost
du 23.03.2018.
Trois chefs d'État, trois styles :
(...) Avec Sarkozy, tout est mouvement, fugacité, courses, tics moult fois
moqués. Une sur-réactivité que le "casse-toi pauv' con" met en mots : phrases
courtes, injonctives, interpellatives et émotionnelles. Etc.
(...) Hollande, lui, écrit corporellement une histoire toute différente, une
histoire empêchée, entravée par "un je ne sais quoi et presque rien" de
maladroit, de malhabile, de "gauche" : gestes et débit vocal hésitants, position
des bras empesée. Ce corps est a-tonique. Etc.
(...) Macron est épiphanique : il réconcilie les contraires. Il est tout à la
fois l'animal à sang chaud et à sang froid. Une alternance qui en dit long
quelque part sur sa volonté de maîtriser, sans doute plus que ses prédécesseurs,
le "body-language". Etc.
►
Arnaud Benedetti est l'auteur de La fin de la com, 2017,
éd. du Cerf, 96 p.
Jacques Dubois,
Les romanciers du réel, de Balzac à Simenon
Vient de paraître, aux éditions du Seuil, la réédition de cet essai de Jacques
Dubois paru en 2000..Professeur à l'université de Liège, spécialiste de Proust,
de Stendhal, de la sociologie de la littérature, il a participé avec Benoît
Denis à la publication de Simenon dans la Bibliothèque de la Pléiade (2003). Il
a fondé la collection Espace Nord, aux éditions Labor.
Recension dans Cahiers naturalistes
(signée Jean-Pierre Leduc-Adine):
(...) «
Jacques
Dubois nous permet toujours d’atteindre, au-delà des principes méthodologiques,
la singularité de chacun de ces écrivains.» (...)►