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Article paru dans LMDP 111, décembre 2002 * Actualisé: septembre 2010 Mise à jour 08.2017
De
la lecture d’un roman à l’écriture d’une suite
Récit de Jean-Marie Lhote
De novembre 2000 à juin 2001
inviter un auteur * auteur et élèves: un projet partagé * le professeur conclut * Claude Raucy témoigne
Le doigt tendu et Un air tzigane sont publiés aux éditions MEMOR Bruxelles
Première étape
Inviter
un auteur en classe
Depuis
quelques années, il est de tradition dans notre école d’inviter un écrivain
dans les classes du cycle supérieur, toutes sections confondues. Notre collègue-écrivain,
Alain Bertrand, nous fait découvrir quelques titres ; puis, après une
concertation, nous contactons l’écrivain et fixons la rencontre. Que de bons
souvenirs à l’école depuis le passage des écrivains français Didier
Daeninckx, Meurtres pour mémoire,
et Gérard Delteil, La confiance règne !
Au
début de l’année scolaire 2000-2001, après un contact avec Christian
Libens, chargé par la Communauté française de Belgique de l’organisation
des rencontres écrivain-classes, nous invitons Claude Raucy, dont nos élèves
avaient lu, préalablement à la rencontre, Fous
pas le camp, Nicolas ! et Le
doigt tendu (Editions Memor,
2000).
Le
calendrier fixé comprend un temps de lecture relativement court (trois
semaines) et une préparation de la rencontre dans le cadre d’une relation
humanisante, qui ouvre à la liberté, à la vie de chacun. Nos élèves
se sont interrogés sur la portée de la trahison, sur le sens du pardon.
En
novembre 2000, la rencontre avec Claude Raucy portera essentiellement sur :
la
pratique du métier
les
conditions matérielles du travail créateur
les
techniques du récit
les
rapports entre les personnages, l’écriture, l’évocation des persécutions
nazies à l’encontre des Juifs.
C’est
au terme de cet échange fructueux que surgit la question d’un élève de 7e
profess. : Et si vous écriviez une suite au Doigt tendu ?
Cet
instant précis est le point de départ du travail de collaboration entre trois
classes de 5e, 6e, 7e, leurs professeurs de français et l’écrivain qui répond
par l’affirmative à la question, mais à la seule condition que les élèves
s’impliquent activement dans le travail de création.
Nos
élèves se piquent au jeu de l’élaboration d’un agenda : Claude Raucy
nous tracera des pistes de travail à nous répartir entre classes ; il
reviendra à l’école (les élèves s’en réjouissent !) ; nous
aurons à respecter des échéances, dont l’ultime, fixée en mai 2001, sera
l’envoi du premier manuscrit pour une lecture critique.
La
collaboration peut commencer. Tous les acteurs du projet sont prêts et
impatients !
Collaborer
à l’écriture d’une suite de roman
Le doigt tendu
mettait en présence Pierre, un jeune Juif de 13 ans dénoncé par son meilleur
ami, Jacques, alors qu’il se
cachait à Saint-Mard. Pierre fuira jusqu’à Paris où la rencontre
d’un étrange violoniste tzigane et l’amour de Rebecca le marqueront à
jamais. Va-t-il se venger de cette amitié trahie ?
Janvier 2001 –
Claude Raucy nous fait parvenir un synopsis :
Pierre, le héros trahi par le doigt tendu de
Jacques à Saint-Mard, est désormais un cinéaste mondialement connu.
Jacques
est juge, installé dans la région de Bastogne.
Pierre
et Jacques ne se sont pas revus depuis la fin de la guerre, en 1945 lorsqu’ils
se sont retrouvés confrontés à Saint-Mard.
Pierre
ne sait rien au sujet de Jacques qui, en revanche, connaît bien les œuvres de
Pierre.
Pierre
s’est remarié avec une jeune actrice ; si nous considérons que l'action
se déroule en 2001, il est âgé de 73 ans. Leur relation a débouché sur la
naissance d’un fils qui, en 2001, a 17 ans.
Le fils de Pierre commet un délit et Jacques devra
le juger, ce qui signifie que celui-ci se retrouvera devant le même problème
que Pierre 50 ans plus tôt.
Les
questions que nous envoie Claude Raucy porteront sur :
La
maison de Jacques, sa situation.
Le
fils de Pierre, l’école qu’il fréquente, son prénom.
Le
type de délit commis par le fils de Pierre pour attirer l’attention.
Les
personnages secondaires : filles, copains, parents ?
Dresser
un tableau précis du fils de Pierre : physique, idées, sentiments, études…
La
carrière cinématographique de Pierre et la carrière de Jacques : à évoquer
ou non ?
Le
titre : propositions…
Février 2001 – Les
classes concernées rencontrent M. le Juge de Paix de Bastogne et parcourent
l’itinéraire suivant : l’organigramme des tribunaux, la distinction
entre le civil et le pénal, le rôle de la Justice de Paix, la procédure pour
classer une affaire.
Mars 2001 – Claude Raucy nous fait parvenir le premier chapitre de la suite du Doigt tendu qui commence ainsi:
On
ne leur a pas mis les menottes. Le premier gendarme est au volant, impassible.
L’autre aide la maman d’Irina à rejoindre son mari dans la camionnette. On
dirait les invités d’une noce qui se font des politesses…
Nous
le lisons en classe et procédons à une synthèse des réactions qui ne
manquent pas de fuser.
Fin mars 2001 – Les élèves
chargés par Claude Raucy de la problématique des gens du voyage, Rom, Gitans,
Tziganes… rencontrent deux étudiants slovaques de l’Université de Nitra en
stage à l’ILES (école normale moyenne) Bastogne.
Les
recherches préalables (dans les multimédias) et le contenu de l’échange
porteront sur les Rom de Slovaquie, la ségrégation dont ils sont l’objet
dans ce pays, leurs mœurs très marginales par rapport aux Slovaques blancs,
la politique adoptée par les autorités de leur pays.
Une
séquence sera consacrée aux réfugiés dans la presse écrite – Les Rom expulsés sont de retour à Gand, Le Soir,
09.05.2000 – et la littérature – Il
n’est pas facile de vivre, de Christine Arnothy, Livre de Poche n.
2375.
Enfin,
l’écoute du CD de musiques tziganes Ierenc
Santa Y permettra aux élèves d’exprimer leurs impressions autour
d’une musique assez méconnue.
Cl.
Raucy désire approfondir ce qui concerne la procédure judiciaire en cas
d’interpellation par les policiers d’un jeune qui aurait emprunté
une voiture pour conduire sa copine aux Pays-Bas. Qu’en est-il si un chef dit
qu’il faut laisser tomber ?
Un
groupe cernera la façon dont les étrangers sont perçus à Bastogne (le
nomadisme vu par une population de commerçants et d’agriculteurs),
l’accueil d’une étrangère dans une école (direction, professeurs, élèves).
Un
groupe travaillera sur le monde du cinéma : comment sort un film, les prix
éventuels, la projection en province…
Quelques
élèves vont, appareil-photo à l’appui, faire des repérages sur les lieux
des refuges de la jeune fille (Irina), sur les itinéraires empruntés par les
personnages dans la ville de Bastogne.
Lire
une première ébauche du roman et formuler ses remarques
Début juin 2001
Quelques-uns
de nos élèves vont se livrer au travail de critique littéraire. Tout en étant
des amateurs, ceux-ci se montreront intransigeants et soucieux de justifier
leurs propres remarques. Pour mieux se rendre compte de l’état d’esprit du
projet, voici quelques réactions :
Le
livre se terminera-t-il comme cela ? Je suis un peu déçu… J’ai une
autre proposition de finale à vous faire…
A
propos de l’insertion des élèves dans le projet :
Kévin : Un certain
sentiment de fierté s’est emparé de moi au fur et à mesure que nous
avancions dans notre travail.
Olivier :
J’ai bien aimé chercher des idées pour faire une suite. C’est sympa.
Sur
la part réelle prise au projet par chacun d’eux :
Kévin : C’était
avant tout un travail d’équipe, une sorte de débat où chacun donnait son
avis.
En
ce qui concerne la part de participation à la réalisation de la suite au Doigt
tendu :
Quant
à une deuxième lecture d’Un air
tzigane, puisqu’ils en ont lu une première ébauche :
Kévin : Oui, c’est
obligé. On est quand même là pour voir le fruit de notre travail !
Olivier : Quand on lit
des livres comme ça, on ne s’embête pas, il y a tout le temps de l’action.
Le
point de départ incontournable pour qu’un projet comme celui-là réussisse,
c’est la rencontre avec l’écrivain, un face-à-face vrai, direct, où se créent
les liens privilégiés. Ici, cette rencontre fut un terrain fertile.
Dans
la relation écrivain-classes, il faut respecter le contrat de confiance :
si l’écrivain nous lance des pistes de travail, nous avons à lui répondre
en respectant les échéances. Dans le cas présent, les encouragements de Cl.
Raucy ont été précieux.
Quant
au rôle des professeurs, il ne se limite pas à superviser, à coter, à
obtenir un travail quantitatif. Ils se piquent au jeu, trouvent des activités
originales qu’ils rendent pédagogiques.
Notre bonheur d’enseignants s’est réalisé lorsque nous avons vu nos élèves se précipiter sur le premier manuscrit envoyé par Cl. Raucy. Nous n’avons pas dû prier nos élèves. Il s’agissait d’une lecture libre qu’ils ont dévorée sur-le-champ parce qu’il s’agissait aussi de leur roman !
L’auteur
témoigne :
Mais
ce que m’ont fait vivre ces jeunes amis de l’ICET, un beau jour que je les
rencontrais à Bastogne, je ne crois pas que ce soit si fréquent. J’ai même
l’impression que c’est un peu unique… Je me suis senti emprisonné par de
jeunes lecteurs qui voulaient absolument me pousser au travail et qui n’ont
reculé devant rien pour arriver à leurs fins ! Pour moi, l'agacement du début
est vite devenu une aventure passionnante. Les remercierai-je jamais assez, par
exemple, de m’avoir fait découvrir le monde des demandeurs d’asile et la
stupidité de certaines lois de mon pays ?
Relisant Un air tzigane,
je me dis que j’ai peut-être eu tort : quand on a écrit un livre que,
à tort ou à raison, on trouve réussi, on ne devrait jamais lui donner une
suite. Je considère donc que ce roman n’est pas la suite du Doigt tendu, mais simplement le fruit d’une collaboration
avec de jeunes lecteurs. Et il est la preuve que quand on n’obtient pas
grand-chose des jeunes, c’est qu’on ne leur demande pas grand-chose.
Claude
Raucy
Alain Bertrand, Jean-Marie Lhote (coordination des informations) & Michel Thiry.
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