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Article paru dans le numéro 70 (septembre 1992) de LMDP * Mise à jour 08.2017

© LMDP * Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source

Pour une pédagogie active et fonctionnelle :

le réel et la fiction

Classe de 1re accueil

Récit de Pascale Geulette, ISM, Couvin (Belgique)

[En Belgique, la 1re B, ou 1re accueil, est une classe de remise à niveau au début du secondaire pour élèves en retard dans les apprentissages de base, ou provenant d’un pays non francophone...]

En annexe, textes de S. Martin et de T. Todorov sur le conte

1. Le champ du réel: la région et le pays

Lorsqu’ils ont quitté l’enseignement primaire, mes élèves étaient en situation d’échec. Par conséquent, je considère que ma tâche prioritaire est:

* mettre en œuvre des moyens tels qu’ils retrouvent le goût de se rendre à l’école,

* susciter une certaine curiosité culturelle et intellectuelle.

Mon objectif est donc de donner à ces jeunes une ouverture d’esprit, en leur permettant d’agir concrètement et en vivant de nombreuses expériences, en dehors de l’école. Cette rencontre du jeune avec la vie est l’occasion pour eux de communiquer oralement ou par écrit, de chercher, de résoudre...

Exemples:

* Ecrire une lettre (une par quinzaine en moyenne): situation fonctionnelle qui met l’élève dans la nécessité de consulter le dictionnaire, des outils d’orthographe grammaticale. La mise en projet sous-tend l’apprentissage des normes, indispensable pour la réussite de l’échange verbal.

* Téléphoner; apprendre à se présenter, à questionner ou à répondre, à prendre congé.

* Rechercher des informations, dans la pratique de l’enquête.

Dans la perspective où mon enseignement se veut ouvert sur la vie, des visites très diversifiées s’imposent:

* Exposition sur les champignons des bois à Oignies (exploitation aux cours de sciences, français, dessin).

* La brasserie et la fromagerie Trappistes de Chimay.

* Afin d’illustrer au mieux mon cours sur la préhistoire, nous n’avons pas hésité à nous rendre à Bruxelles, au musée de l’Institut Royal des sciences naturelles. L’exposition gigantesque présentait treize dinosaures robotisés qui ont ravi les petits comme les grands. (Sur place, un élève photographiait, un autre prenait des notes...).

De retour en classe, un panneau-photos a été exposé dans la cour de l’école: ils aiment à faire part de leurs expériences.

* Le musée du Malgré-Tout à Treignes nous a fait découvrir l’Homme de Chancelade, cet Homme de Cro-Magnon qui vivait il y a environ 14.000 ans.

* Le musée du verre à Charleroi

* Les musées royaux des Beaux-Arts, à Bruxelles. Ce qui a suscité et enrichi le projet de rédaction de contes, qui sera développé plus loin.

* Couvin et ses grottes

Signalons encore la confection d’un calendrier, dont chaque mois a été illustré par une photo et/ou un dessin, par une comptine inventée par les élèves: un travail en collaboration avec Madame Collinet, professeur d’éducation plastique.

2. Le champ de la fiction: lire et écrire des contes

Au point de départ de ce projet, la visite au musée des Beaux-Arts à Bruxelles, où nous découvrons Breughel, Rubens, et quantité d’autres maîtres de la peinture: œuvres de fiction pour la plupart, qui ont été pour beaucoup dans la mise en route de notre projet autour des contes.

Nous nous sommes largement inspirés du manuel de M. Sanz, Lire et écrire des contes, Bordas, destiné en principe à des classes primaires (du CE2 au CM2), mais qui inspire facilement à de jeunes ados des initiatives où entre davantage de complexité d’observation et de production.

Voici les étapes du travail:

1. Confectionner un jeu de cartes (deux équipes de quatre élèves).

* Découper dans du papier à dessin 40 rectangles de 10 cm sur 5 cm.

* Pour peindre ces 40 cartes, choisir huit couleurs différentes (ex.: rouge, jaune, bleu, noir, orange,marron, rose vif et vert) et peindre la face de 5 cartes de la même couleur.

* Illustrer l’autre côté de la carte (dessiner, décalquer, photocopier...). Chaque série de 5 cartes correspond à un élément du conte que l’élève connaît (prérequis).

Première série (cartes rouges): le héros Cinquième série (cartes orange): les épreuves

Deuxième série (cartes jaunes): l’objet de la quête Sixième série (cartes marron): les défaites

Troisième série (cartes bleues): les amis du héros Septième série (cartes roses): les victoires

Quatrième série (cartes noires): les ennemis du héros Huitième série (cartes vertes): les lieux

2. Ecriture du conte

a/ Ranger les sept premières séries de cartes dans l’ordre indiqué ci-dessus, en paquet devant le groupe.

b/ Mettre un peu à part la huitième série (les lieux), dans laquelle on piochera quand bon semblera.

c/ Commencer par Il était une fois ou Il y a fort longtemps, et piocher une carte dans le premier tas (les héros). Décrire ce qu’on voit. Par exemple:

Il était une fois une jeune princesse à la chevelure blonde, vêtue d’une robe d’or...

d/ Ensuite, piocher dans le second tas (l’objet de la quête) et continuer l’histoire en expliquant quel est le problème du héros. Par exemple:

Elle rêvait d’être comme toutes les jeunes filles du royaume: elle voulait jouer, courir, danser; mais son père la gardait jalousement enfermée afin que jamais personne ne puisse la voir...

e/ Prendre une carte dans le tas «les amis» et expliquer qui est cet ami en sachant qu’il pourra, plus tard dans le conte, venir au secours du héros. Par exemple:

Elle avait pour seul compagnon un pigeon qu’elle avait recueilli dans la cour du donjon alors qu’il était blessé. Elle l’avait soigné sans relâche...

f/ Ensuite, il faudra piocher dans le tas «les ennemis», puis dans les tas «les épreuves», dans «les défaites» et enfin dans «les victoires», pour qu’enfin le héros obtienne satisfaction.

g/ Quand on le juge nécessaire, piocher dans «les lieux», et décrire l’illustration afin que le récit soit plus riche encore.

On n’épuisera sans doute pas toutes les cartes de toutes les séries.

3. Dès que les deux contes eurent été corrigés et recopiés, les élèves ont procédé à leur enregistrement avec des bruitages (synthétiseur).

Ensuite, ils ont minutieusement choisi des reproductions de peintures (mise à profit de notre visite au musée des Beaux-Arts de Bruxelles!) afin d’illustrer les différents épisodes de l’histoire.

Des invitations au spectacle ont été rédigées, et la classe a été transformée en cinéma miniature.

En conclusion...

...Et en toute simplicité: je considère que l’adolescent doit aller à la rencontre des «choses de la vie».

Ces choses de la vie, c’est aussi bien le champ du réel - les métiers, les milieux de vie, les loisirs, les monuments, l’administration, la politique - que le vaste champ de la fiction, de l’humour et de la fantaisie.

Faire de l’élève un acteur curieux et responsable: l’objectif se justifie d’autant plus dans la situation des élèves meurtris par une scolarité perturbée.

Le bon élève est un voyageur sans bagage... Il ne s’agit pas de l’équiper, mais de l’aiguiser. Des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, une tête bien faite, c’est-à-dire disponible.

Gilbert Cesbron

début article

Le triangle didactique du conte

Trois articulations sont nécessaires dans la pratique scolaire du conte: tout d’abord l’illustration, qui recrée le lieu, l’époque, les usages...; ensuite, la voix haute qui engage le corps dans la communication; enfin l’activation de la mémoire culturelle qui fait de l’auditeur-lecteur un visionnaire créateur.

En d’autres termes, mettre en action le regard, l’écoute et le mouvement, déployer le rêve et la fantaisie.

D’après Serge Martin, Les contes à l’école, coll. Parcours didactiques, Bertrand Lacoste, 1997, p. 55.

Le vécu, l’imaginé...

Quant aux livres, ils sont nécessaires à un double titre. D’abord, ils nous mettent en relation avec le passé (c’est le "don des morts"), ils nous transmettent en héritage toute l’expérience de l’humanité et en même temps permettent d’inscrire notre petite vie dans la trame de l’histoire mondiale. D’autre part, loin d’être une évasion, ils nous amènent à saisir l’ordre et le projet de la vie, donc à lui découvrir un sens. Les livres de fiction, romans et poésie, sont à cet égard plus efficaces que les autres: pour être compris, le monde vécu doit être doublé d’un monde imaginé.

Todorov Tzvetan, L’Homme dépaysé, Seuil, 1996, p. 169

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