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SOMMAIRE 

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 Version actualisée (octobre 2003) de l’article paru dans le numéro 61 (juin 1990) de LMDP  

© LMDP * Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source

 Voyage au bout du Rhinocéros

 Parcours ionesquien en sept temps * Récit : José Voss, ISM –Arlon

Synopsis pour lecteurs pressés

 1. Dissertation à propos d’une phrase de Notes et Contre-notes : Les gens sont devenus des murs les uns pour les autres.

2. Lecture d’une page de Antidotes, suivie d’un débat sur le thème Oser ne pas penser comme les autres.

3. Lecture de Rhinocéros illustrée de documents sonores :

Pierre Vanek dans le monologue final de Bérenger

Eugène Ionesco lisant le texte intégral de la nouvelle dont la pièce est tirée.

4. Diffusion de l’entretien que Ionesco a accordé à Luce Perrot. Procès-verbal de l’émission avec échange de vues.

5. Devoir de lecture comprenant : une étude comparative de la pièce et de la nouvelle ; une interprétation du message de Rhinocéros ; un atelier consacré à la réécriture du monologue final de Bérenger.

6. Représentation de la pièce au Théâtre des Capucins à Luxembourg.

7. Essai de dramatisation d’une scène de l’acte III (Daisy – Dudard –Bérenger).

 *

 Le projet s’adresse à une classe de 6e rénovée (classe terminale du secondaire), aux options variées (sciences économiques, sciences sociales, langues, arts) et de niveaux et d’horizons culturels assez hétérogènes.

 Acte 1 – 15 septembre1989

 Tout commence par une activité de scription traditionnelle : les élèves sont invités à élaborer une « production textuelle de caractère discursif ». Le point de départ de la dissertation est une citation de Notes et Contre-notes (1962) : Les gens sont devenus des murs les uns pour les autres.

 Cette première étape met en œuvre un type d’exercice connu de tous : ne nous y attardons pas.

Acte II – 6 octobre 1989

 Les élèves sont invités à lire un extrait de Antidotes (1977). Cette lecture se situe au début d’une période de cours – de préférence matinale... ! – et se déroule silencieusement, si possible même dans le recueillement (produit de luxe par les temps qui courent !). Conçue comme un véritable bain de silence, constituant une manière très efficace d’entamer le cours dans des conditions optimales d’attention, cette pratique de lecture silencieuse s’inscrit dans le contexte de ce que j’appelle les textes-prières.

 Le titre du passage lu est explicite : Oser ne pas penser comme les autres. Au terme de la lecture, je demande que l’on souligne la phrase clé du texte. Un large consensus se dégage autour de : C’est une poignée de quelques hommes, méconnus, isolés au départ, qui change la face du monde.

 Suit un échange de vues auquel tous sont censés participer : chacun y apprend à défendre son point de vue dans un climat de tolérance réciproque, les choses, comme l’écrit Hanna Arendt dans Vies politiques (1974), ne devenant humaines pour nous qu’à partir du moment où nous sommes capables d’en débattre avec nos semblables.

 Belle école de savoir-vivre, qu’un tel débat ! L’exacte compréhension d’autrui ne demeure-t- elle pas, en effet, la meilleure garantie contre l’arbitraire et l’aliénation, en même temps qu’elle constitue une nécessité pour la vie commune comme pour le bonheur individuel, une incontournable urgence de l’action efficace, indispensable, en tant que telle, à des hommes libres ?

 Au professeur animateur du débat, il incombera d’éviter deux écueils diamétralement opposés : le mutisme d’élèves intimidés ou indifférents, l’agressivité qui fait dégénérer la discussion en rixe de chiffonniers.

 Acte III – 10 novembre 1989

 Quelques semaines sont passées. Les élèves sont priés de lire, sans consigne particulière, mais dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler un devoir de lecture, le texte intégral de la pièce Rhinocéros (1959). Délai de lecture : deux semaines.

 Passé ce délai, les élèves sont confrontés avec deux documents sonores. Le premier restitue, par la voix de Pierre Vanek, ce que l’on est en droit de considérer comme étant, sinon le sommet, du moins comme l’un des sommets dramatiques de la pièce, à savoir le monologue final de Bérenger dont les phrases clefs – Malheur à celui qui veut conserver son originalité et Je ne capitule pas ! – n’échappent guère à la sagacité générale et sont amplement commentées.

 Le second document, dont l’audition se situe dans la foulée du premier détour médiatique, comprend la lecture, par l’auteur, de la nouvelle intitulée, elle aussi, Rhinocéros, et publiée par Ionesco dès 1957 dans Les lettres nouvelles. Document historique, inestimable ! Les élèves apprécient beaucoup, étonnés qu’ils sont – Étonnez-moi ! disait Cocteau à ses disciples – d’entendre la voix du maître, l’une des grandes voix du siècle.

 Ce deuxième détour débouche sur une confrontation des deux œuvres. Pour être menée de vive voix, spontanée et informelle, celle-ci n’en est pas moins significative. Les uns signalent les modifications de perspective, d’attitude ou d’intention de l’auteur qu’implique le passage de la forme narrative à la forme dramatique. D’autres remarquent les divergences au niveau de détails quelquefois infimes. D’autres encore sont sensibles aux différences d’évolution des personnages : central (Bérenger) ou autres (Daisy, Botard, Dudard, etc.). D’aucuns iront jusqu’à être attentifs à des modulations ténues de climat ou d’accent ; c’est ainsi, par  exemple, que la nouvelle leur semble, à juste titre, plus ambiguë que la pièce, laquelle, à son tour, est jugée comme étant plus artificielle que la nouvelle.

 Acte IV – 5 décembre 1989

 Quelques semaines à peine se sont écoulées. Les élèves, à présent, sont conviés à suivre sur écran de télévision l’enregistrement de l’entretien que Ionesco a accordé fin 1988 à Luce Perrot. Emerveillés, les élèves découvrent un visage, un être en chair et en os, plein de vie malgré son âge (il est alors âgé de 76 ans) et de verve, pétillant d’intelligence, d’esprit et d’humour, tantôt grave, mystique, tantôt enjoué, espiègle.

 La projection est suivie d’un échange de vues au cours duquel réactions aux propos tenus par l’auteur alternent avec commentaires, questions, critiques, objections, et ce à la lumière des notes prises durant la diffusion du document. Les thèmes abordés vont de la vie à la mort en passant par l’écriture, le totalitarisme, l’anticonformisme, l’adolescence, la quête du moi, du sens, de Dieu.

 Acte V – 12 janvier 1990

 Etape suivante : la rédaction du devoir de lecture. Au cours des étapes précédentes, les élèves ont eu tout loisir de s’initier à l’univers de Ionesco. Le travail écrit qui les attend à ce stade comporte trois volets :

 -    l’étude comparative de la pièce et de la nouvelle dont elle est tirée ;

-     l’exploration du message philosophique que véhicule Rhinocéros, mi-fable, mi-farce ;

-    la réécriture du monologue final (du Bérenger de la pièce) induisant un dénouement différent.

 D’aspect structural, le premier volet, indépendamment des questions de fond que soulève le rapprochement des structures dramatiques et narratives, et des différences de perspectives qui en résultent, est conçu avant tout comme un exercice de style où l’élève s’emploi à mettre en musique, c’est-à-dire à structurer par écrit les informations qu’il a glanées à l’occasion de la diffusion des documents sonores et du débat qui l’a suivie.

 Relatif à l’exégèse du système formel, le second volet, en revanche, privilégie le fond, met en valeur la capacité critique des élèves. A la lecture de leurs copies, très largement consensuelles, il apparaît que la maladie épidémique que l’auteur fustige représente allégoriquement le conformisme des moutons de Panurge. Dans une société atteinte de rhinocérite aiguë, c’est-à-dire d’uniformisation galopante, les Grands Timoniers, les Petits Pères des Peuples et autres Conducators ont beau jeu de métamorphoser les hommes en bulles d’approbation ou en pléonasmes vivants.

 Seul existe celui qui résiste, celui qui ose ne pas penser comme les autres. Seuls ont raison les individus ; les masses ont toujours tort. Nous avons grand besoin d’un monde où l’on ne risque rien à affirmer sa différence ou à être simplement homme, un homme libre, un homme-saumon. « Qui suit un autre ne suit rien », disait déjà Montaigne.

Quant au troisième et dernier volet de ce triptyque, il est conçu comme atelier d’écriture : celui-ci va permettre à l’élève de s’affranchir des exigences reproductives en valorisant l’imagination créatrice et la production autonome.

 Acte VI – 13 février 1990

 Nous assistons tous ensemble à la représentation du Rhinocéros au Théâtre des Capucins à Luxembourg. Ainsi la boucle est bouclée. Lire une pièce, c’est bien. La voir, après l’avoir lue et étudiée, c’est mieux. Ceci est particulièrement vrai dans le cas d’un auteur dramatique dont on connaît par ailleurs l’engouement pour le guignol de son enfance. Au spectacle de marionnettes, il s’agit de frapper fort, très fort, en cédant délibérément à l’outrance et en s’adressant de manière primordiale aux sens de la vue et de l’ouïe !

Acte VII ... acte ‘manqué’ ?

 En guise d’épilogue – et pour s’approprier davantage l’œuvre et la vision humaniste de notre auteur – il restait un pas que nous avons hésité à franchir cette année : un prolongement créatif oral sous la forme d’un essai de dramatisation.

 S’il existe des classes aux aptitudes théâtrales plus manifestes, il en existe aussi qui sont moins portées à jouer ensemble la comédie. Il faut, comme on dit, faire avec. Acte manqué ? Pas vraiment, puisque c’est l’occasion de réfléchir avec les élèves sur les raisons de leurs réticences... Cela ne m’empêche pas de croire en la vertu de la représentation comme approfondissement de la lecture d’une œuvre et comme apprentissage du travail en équipe.

 Pour conclure, trois réflexions d’ordre plus général.

 Dans un monde où l’information tient lieu de culture, où les médias, selon l’expression de Jean-Luc Godard, fabriquent de l’oubli, il est bon de prendre du temps pour aller au bout des choses. Je crois donc aux vertus de la lecture suivie d’une œuvre en version intégrale, à la nécessité de familiariser les élèves avec d’autres nourritures que le patchwork des textes en miettes et autres pièces détachées que sont les pages d’anthologie.

 Recourir aux moyens audio-visuels, ce n’est pas opposer l’univers du son et de la lumière à la galaxie Gutenberg, mais mettre l’un au service de l’autre, pour diversifier, vivifier un cours qui, sans ces moyens, risquerait de sombrer dans le livresque, l’abstrait, l’anachronique, l’archaïque.

 Tout au long de cette expérience, nous avons été soucieux de réduire l’outillage conceptuel au strict minimum : ni artillerie analytique, ni grille de lecture sophistiquée et contraignante ! Notre credo ? D’une part, promouvoir le texte, pratiquer la lecture comme production de sens, en évitant toutefois de ravaler le texte au statut de prétexte, c’est-à-dire de faire-valoir d’un quelconque modèle conceptuel... ! D’autre part, déscolariser d’une certaine façon la  lecture de l’élève, c’est-à-dire ne pas confisquer la parole de celui-ci. Rendre la parole au texte et à son auteur, c’est à nouveau laisser parler les élèves.

*

L’actualité a voulu que notre lecture de Rhinocéros coïncidât avec la fin de la rhinocérite en Roumanie. En prise directe sur les bouleversements à l’Est, les élèves, du moins les plus lucides d’entre eux, n’ont pas manqué de faire le rapprochement avec les pachydermes nazis stigmatisés par Ionesco et les sbires de Ceaucescu : entre la genèse d’un régime totalitaire et les convulsions révolutionnaires qui en marquent la fin.

 jvoss@pt.lu

 Adresse utile :

 http://www.ionesco.org/   [l’excellent site de SÖREN OLSEN]

 

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