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JULIBEL, le français d'aujourd'hui Base de données initiée à la rédaction de LMDP |
SOMMAIRE |
Numéro
123 - Décembre 2005
Au
sommaire
1. Christian Thys, Romulus et Rémus, Caïn et Abel... et les autres: rivalités et médiations * Lecture d'oeuvres classiques au 3e degré 2.
Chantal Homel, Nouveau roman et théâtre nouveau,
Compétences
de lecture-écriture, 3e degré 3. Paul Verheggen, Voyage scolaire à Paris : Arts & Lettres dans nos bagages, 2e degré TQ
4. Emmanuelle Florent et Marie-José Eppe, S'identifier à partir d'une image, 1er degré |
En
guise d'éditorial Le désir d'apprendre M. Cros, professeur de mathématique, et M. Oneto, professeur de physique, me permirent de passer mon baccalauréat, sans rien comprendre aux mathématiques ni à la physique. Mais ces deux bons maîtres m'avaient appris, à mon insu, la seule chose qu'ils pouvaient m'apprendre et qui était capitale: ils m'avaient appris le désir d'apprendre. Marcel PAGNOL, Le Temps des Amours, Julliard, 1977, p. 329.
Plus que le savoir, l'enseignant transmet le désir et les moyens d'y accéder. Pascal BOUCHARD, Métier impossible - La situation morale des enseignants, coll. Pédagogies, ESF, 1992, pp. 97. |
Romulus et Rémus, Caïn et Abel... et les autres : rivalités et médiations
Lecture d'oeuvres classiques au 3e degré
Christian Thys, pr. hon. HE Léonard de Vinci
Plan
A. Préliminaires théoriques: les formes, les valeurs
B. Partie pratique:
1.
Rivalités brutales |
Romulus
et Rémus, Caïn et Abel, Joseph et ses frères |
2.
Médiation impossible |
|
3.
La médiation souhaitée: trois cas de fraternité
d'arme |
Renoir,
La grande illusion; Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas
lieu; P. Weier, Master and Commander |
4.
La médiation en échec |
Maupassant,
Pierre
et Jean |
5.
Les aléas d'une médiation criminelle |
Racine,
Britannicus |
6.
La médiation perverse |
Seven,
de
Anthony Bruno |
7.
Les atouts d’une médiation féminine |
Tennessee
Williams, La
Chatte sur un toit brûlant |
8.
La médiation par le sang |
Martin
du Gard, Les Thibault |
C.
Conclusions |
|
D.
Annexe |
A. Préliminaires théoriques : les formes, les valeurs
Les formes
Notre
approche prend son point de départ
dans l’observation d’un tableau
résumé des traits physiques, psychologiques et sociaux portés par
divers protagonistes appartenant tant au roman
d’aventure populaire qu’à l’épopée. De ce tableau, publié
en annexe, ressort clairement le
choix structurel par les auteurs d’une symétrie des caractères qui
permet d’exploiter selon
des modalités diverses les ressources de la ressemblance et de la différence
comme origines alternatives
de conflits. A l’origine, peut-être une
constatation triviale : les hommes, jouets de leurs intérêts et de
leurs passions, sont en proie à la violence et s’adonnent passionnément
à la dialectique des conflits et des combats. Par le biais de ce
ressort littéraire, les littératures populaires rejoignent l’articulation
binaire des systèmes de pensée traditionnels. |
Le roman par lettres de Kressmann Taylor, Inconnu
à cette adresse, offre un exemple typique de l’exploitation
de la différence dans la symétrie. Les deux personnages
centraux sont des marchands de tableaux respectivement américain et
allemand. Leur amitié se brise au fur et à mesure que l’ami allemand
se rallie avec plus de conviction aux thèses nazies. |
Mais notre
lecture portera moins sur ces
paires antagonistes bien connues que sur les tentatives de leurs réductions
ou de leurs dépassements dans des formules médiatrices plus ou moins abouties. Par médiations,
nous visons tant les comportements adoptés par les personnages que leurs
arguments pour
rapprocher les points de vue ou surmonter les conflits. Dès lors, le
fratricide occupe à nos yeux
une place spécifique au sein d’une thématique plus large, celle du
double opposé. Dans notre thématique restreinte, les liens de sang
exacerbent la rivalité.
Otto Rank, spécialiste de ce thème,
nous indique que la haine entre frères a été
typique de la littérature allemande du XVIII e. siècle.
Conformément à cette proximité entre double et haine fratricide,
nous n’hésitons pas
à étendre notre propos à
la fraternité des armes,
lieu privilégié des oppositions et des médiations dans les
romans d’action. Nous regroupons donc la thématique de la fraternité
et de la confraternité sous
la dénomination commune de topos
de la médiation des conflits. Dans
ce topos, nous voyons
un moment privilégié
et hautement dramatique où
les acteurs, jouant cartes sur tables, déclinent leurs mobiles profonds
et invoquent les maximes éthiques qui guident leurs
choix. |
Ce terme médiation
n’est pas du tout pris dans le sens de René Girard où le médiateur du
désir est l’Autre désirant le Même. |
D’un point de vue structural, nous notons sans y insister que la scène de la rencontre médiatrice est réglée selon un schème qui serait du type :
réussite, réduction des antagonismes
acceptation
échec, renforcement des antagonismes
rencontre proposition
refus
Par
rapport au tableau des caractères, notre projet
se limite à explorer
le premier axe des relations, celui
qui associe et oppose le héros et l’anti-héros.
Un second
axe opère de la même manière
pour le héros et son faire- valoir ;
nous l’appellerions axe de la communication, même si cette dernière est loin
d’être toujours transparente. Cette division en axes
est purement pratique : il est clair que toutes les intrigues
auxquelles les protagonistes sont
mêlés peuvent être redoublées par les acteurs de second plan comme les
confidents de la tragédie, les adjuvants ou les traîtres du roman populaire.
Et que les avatars que rencontrent ces derniers
peuvent interférer avec l’axe des héros. On peut par exemple imaginer
que par trahison les faire-valoir
complotent contre les protagonistes et contrarient leurs projets.
Nous considérons donc les axes d’opposition comme le moteur de la machine narrative, les caractères des personnages et leurs positions vis-à-vis des valeurs comme ce qui l’alimente.
Les valeurs
Nous tenons à spécifier que la fonction de support de valeurs ou d’options éthiques que nous imputons aux personnages n’est pas une simple résurgence d’une forme passée de commentaire littéraire. Comme témoin de la permanence de cet intérêt pour le monde axiologique, nous invoquons Thomas Pavel, peu suspect de conservatisme et fidèle compagnon de Cl. Bremond. Dans de sa conférence à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales du 10 juin 2003, Pavel défend une conception du littéraire entre deux extrêmes, l’esthétisme et le réalisme, et, déclinant ses dettes envers Boltanski, Thévenot, Schaeffer n’hésite pas à réaffirmer l’importance des valeurs morales dans la création des mondes fictifs :
« Examinés de loin et dans une perspective externe, les éléments d’une intrigue sont certes ce que les spécialistes de la narratologie y ont découvert, à savoir des fonctions narratives abstraites (Manque, Transgression, Réparation, etc.) qui obéissent à une logique, tout aussi abstraite (…).
Considérés
en revanche du point de vue du lecteur qui s’engage aux côtés des
personnages, ces exploits sont autant d’actions qui demeurent incompréhensibles
tant qu’on les sépare des raisons qui les sous-tendent (…) ».
Dans la pensée de Pavel, il s’agit même plus que d’une prévalence : le conflit entre l’évidence de la norme et son peu de pouvoir effectif devient le paradoxe axiologique, objet premier de la littérature. Nous serions tenté de dire qu’après une éclipse due aux intérêts des artistes pour des structures romanesques innovantes l’accentuation porté sur le conflit des valeurs reprend sa place.
début rivalités médiations * sommaire édito 123
B. Partie pratique
Nous
suivrons donc ce paradoxe axiologique au
moyen de supports divers : la confrontation des rivaux à l’état pur dans
trois mythes classiques, la réduction de valeurs humaines à des valeurs de
survie dans un récit d’anticipation, l’affirmation
de valeurs héroïques au sein de la fraternité d’armes, la dégradation
des valeurs les plus sacrées dans l’échec volontaire des médiations, le
dernier recours à la médiation dans les liens du sang.
1.
Des rivalités brutales :
Romulus et Rémus, Caïn et Abel, Joseph et ses frères
Nous
nous arrêterons d‘abord à deux mythes fondateurs bien connus qui mettent en
scène deux fratricides. Ce qui trouble dans
ces mondes anhistoriques, c’est que les transgressions des lois
humaines peuvent être
fondatrices, comme si avec l’approbation des dieux tutélaires la fin
justifiait les moyens.
Dans le mythe du
fratricide de Rémus par Romulus, la violence et la rivalité pour la fondation
de Rome laissent filtrer un
avertissement qui se manifeste déjà dans leur ascendance de
jumeaux issus d’une relation suspecte entre Mars et la Vestale Rhea
Silvia. Celle-ci est fille de Numitor, roi légendaire d’Albe La Longue, dépossédé
de son trône par son cadet Amulius. Amulius emprisonnera Rhéa et ordonnera la
mort par noyade dans le Tibre des nouveau-nés, mais ceux-ci sont recueillis par
une Louve et un berger qui les prennent sous leur protection. Le même
sort qui a affecté les frères ennemis semble
se transmettre aux jumeaux. Leur rivalité au cours de
la fondation d’une ville nouvelle déclenche
deux actes de violence frontale. Dans une des versions de Tite-Live (Histoire
romaine, Livre I), Remus franchit
par dérision le sillon sacré qui entoure la future ville. La riposte de
son frère est immédiate : Romulus
sous l’effet de la colère le tue. Si on suit Lévi-Strauss, pour qui les
mythes sont porteurs de questions
qu’une société se pose, le récit soulève
le problème des luttes pour la succession au trône, et constitue dans son dénouement un
avertissement sévère à quiconque voudrait
s’emparer d’une parcelle du sol sacralisé.
Dans une de ses multiples versions, on raconte
que Faustulus trouvera la mort en tentant de s’interposer entre les frères
ennemis.
Par
certains de ses aspects, ce
mythe étrusco-romain rejoint
le mythe judaïque considéré comme le premier meurtre de l’histoire.
L’interprétation classique attribue à Caïn premier fils d’Adam et Eve,
dont les sacrifices ont déplu, une
jalousie vis-à-vis de son cadet dont les sacrifices
sont agréés par l’Eternel. On connaît la suite :
interpellé par Dieu, Caïn décline sa responsabilité et est condamné
à quitter les sols arables. Son frère devient le symbole de la victime
innocente qui préfigure le sacrifice du Christ. Il semble donc que l’obéissance
du premier ait eu plus de prix aux yeux du Créateur que la révolte du second
ou que, selon certaines versions, l’avarice
dont il aurait fait preuve dans ses sacrifices.
A
y voir de plus près, le mythe comporte des ellipses qui laissent le lecteur
critique assez perplexe. Pourquoi l’Eternel porte-t-il un regard
favorable sur l’offrande du berger, des premier-nés de son bétail, et non
sur celle du cultivateur ? Or ce regard,
vexatoire pour Caïn, déclenche
la rivalité entre les frères. Pourquoi l’Eternel pose-t-il à Caïn la
question des raisons de son découragement alors qu’il est à la source de
la zizanie (Genèse 4, 6) ? Pourquoi Caïn est-il mis à l’épreuve
de la jalousie et non son frère ? Pourquoi la tentative de médiation
effectuée par Caïn (Genèse, 4,8) reste-t-elle sans effet ? Enfin comment
se fait-il qu’Abel reste sans progéniture alors que Caïn est d’une
certaine manière protégé par le signe de l’Eternel (Id., 4, 15) et
assuré d’ une progéniture mais on ignore avec qui ?
Dans
le cadre très spécifique d’une réflexion sur
la manière de
canaliser l’hostilité qui
découle tant de la concupiscence que du souci de sécurité, Hobbes,
l’auteur du Léviathan, apporte une interprétation
originale. Caïn
combat pour légitimer son sacrifice, pour défendre sa différence de
cultivateur contre celle de son frère. Et ce
combat tourne au tragique. Or dans cette rivalité,
l’Eternel a sa part
de responsabilité, car c’est lui qui a troublé l’harmonie initiale
entre les deux frères. Ceci expliquerait
qu’il compense son
intervention en permettant à
Caïn d’obtenir protection et de
bénéficier d’une descendance: « Si l’on tue Caïn, il sera
vengé sept fois. » |
Hobbes (1588-1679). Notons que cette
interprétation précède de loin celle de Girard. |
Cette
interprétation rejoint des considérations savantes
émises par N. Frye. Le professeur canadien observe d’abord
qu’on rencontre dans la littérature sumérienne des récits de disputes
entre laboureurs et bergers, mais là,
dans un pays tributaire de l’irrigation, c’est
le laboureur qui l’emporte. Il souligne aussi le fait que Dieu
accepte l’offrande de sang dont l’analogie avec la Pâque juive ne
fait aucun doute. Si le don
de Caïn ne trouve pas grâce, c’est que Dieu a maudit la terre après
la chute d’Adam. Cette malédiction qui frappe les premiers hommes est
levée après le Déluge grâce à un contrat avec un nouveau médiateur,
Noé, qui vient
de faire un énorme massacre d’animaux comme holocauste. (Gn 8,
21, 22). |
N. Frye (1912-1991), Le Grand Code, Paris Seuil, 1984. Professeur à l’Université de
Toronto, il est connu également pour Anatomie
de la critique (1957). |
En
outre, d’autres spécialistes relèvent que des
mythes de ce type dont un des frères, et non le meilleur, devient la
souche de la lignée postérieure se retrouvent dans des populations sibériennes,
dans des tribus amérindiennes, et dans la mythologie chinoise.
L’issue
violente de ces mythes
donne tout son relief au second récit
de rivalité fraternelle, la belle histoire de Joseph et de ses frères
(Genèse 45) qui comporte un épisode
rare : celui du bien rendu
pour le mal, et celui d’une médiation réussie dans laquelle la sympathie qui
naît entre Joseph et Benjamin s’étend à l’ensemble de la fratrie.
Alien, Le huitième passager, coll. J’ai Lu, 1980, 1115.
A la suite des mythes fondateurs, nous présentons un cas d’hostilité pure, donc sans médiation. On connaît le scénario d’Alien de A. Dean Foster [Adaptation cinématographique de Ridley Scott, 1979] qui, dans ses rebondissements multiples, a longtemps alimenté la littérature d’anticipation. Entre le Passager monstrueux, issu d’on ne sait quelle galaxie, aucun point commun avec l’héroïne, Ripley, sinon un âpre réflexe de survie.
Toute médiation est impossible, même si l’observation scientifique du Huitième Passager en question pourrait renseigner les humains sur de nouvelles formes de vie adaptées à des milieux particulièrement hostiles. D’où l’intensité physique des affrontements qui ne peuvent que mener à la destruction d’un des protagonistes. L’imagination de l’auteur a cependant trouvé une médiation assez inattendue qui fait écho aux individus parasitaires du monde de l’infiniment petit : la reproduction de l’Animal dans le corps même de son ennemie.
Qu’on
ne dévalorise pas trop ce type de
littérature. Pavel concède lui-même
que des films de ce genre prennent le relais des romans de chevalerie.
début rivalités médiations * sommaire édito 123
3. La médiation souhaitée : Trois cas de fraternité d’armes
Ce film est accessible en DVD.
On se souviendra de l’estime qui unit le capitaine de Boïeldieu et l'officier allemand Von Rauffenstein, tous deux détenteurs des valeurs et des privilèges d’une caste que le tumulte d’une guerre absurde emportera avec elle. C’est désespéré et à contre-cœur que von Rauffenstein blesse De Boïeldieu quand il tente une diversion pour aider ses modestes compagnons de captivité à s’enfuir. Se sacrifier pour eux, c’est reconnaître que l’avenir appartient à une autre France, plus terre-à-terre, sans doute, mais aussi plus démocratique. Le seul point de divergence entre les officiers concerne précisément la vision d’un avenir, égalitaire pour l’un, aristocratique pour l’autre. A la mort du Français, von Rauffenstein, fort diminué par une blessure de guerre, en vient presque à envier son ennemi. Mais, grâce à ce sacrifice, la dignité de la grande noblesse est préservée, voire sublimée parce que pour l’accomplir il fallait à Boïeldieu accéder à une conscience de classe plus éveillée.
Livre de
Poche, 945
On sait que Giraudoux, germaniste de formation, a toujours cru après la Première Guerre Mondiale en un rapprochement franco-allemand. Ce souhait l’a encouragé à adopter une attitude vichyssoise pendant les années noires de la défaite française. Un tel idéal de réconciliation trouve son écho dans l’entrevue qui clôt sa pièce, désormais classique.
Dans
une dernière tentative pour sauver la paix, Hector et Ulysse, l’aristocratie
des futurs belligérants, a
l’occasion d’évaluer les enjeux de ce qui pourrait arriver et de se trouver
dans un dialogue franc quantité de points communs :
la noblesse et surtout le fameux battement
de cils qui, dit Ulysse, rapproche leurs épouses. Mais la dignité des Grands
est contrecarrée par le fanatisme et la concupiscence des
seconds couteaux, et la guerre aura bien lieu
conformément à la tradition.
[Adaptation de Peter Weir. Le film, très fidèle au dixième roman de Patrick O’Brian, The far side of the world, est traduit sous le titre de Maître à bord par J.-Ch. Provost, Presses de la cité, 1999.]
Ce film présente une variante de la situation précédente. De son ennemi, Jack Aubrey ne connaît que les attaques surprises qui ont causé des avaries sérieuses à son vaisseau. Il devra répondre à la ruse par la ruse pour venir à bout du navire français dont, astuce finale, le capitaine s’est échappé en se faisant passer pour le médecin du bord.
La
nouveauté réside dans une situation où l’un des protagonistes
reste d’autant plus dangereux qu’il
garde l’anonymat et peut resurgir
à tout moment. Les protagonistes partagent
leur opiniâtreté et le goût de
la dissimulation dans l’action.
Quand les protagonistes sont habités par l’adhésion aux mêmes valeurs de recherche de la gloire, de l’obéissance, de sens du devoir, du respect de la famille, l’issue du conflit aboutit presque nécessairement à une reconnaissance par le survivant de la valeur de son adversaire et du bien-fondé de l’adhésion à la valeur qui les a conduits à l’affrontement. Il s’agit alors pour les uns et les autres d’une sorte de victoire posthume sur la mort ou de la sublimation du modèle partagé.
Ce
scénario qui appartenait à des temps héroïques se trouve de plus en plus
contesté dans une société marchande par des modèles plus complexes qui font
largement appel à des niveaux
de motivation et de justification de moins en moins avouables.
4. La médiation en échec : Pierre et Jean de Maupassant
Référence est faite à l’édition Librio.
Le
roman de Maupassant peut être
lu comme une enquête effectuée par le fils légitime d’une famille de
marchands pour découvrir le secret qui
entoure la naissance de son frère. Mais Pierre, l’enquêteur qui
engage cette démarche, n’a rien d’un pur esprit inspiré
seulement par
le souci de l’honneur de sa mère. Ce qui titille Pierre, c’est
très clairement la jalousie qu’a allumée le succès de son cadet auprès
d’une jeune veuve. Comme il se montre dédaigneux vis-à-vis de
Mademoiselle de Rosémilly (26, 45, 55), on peut supposer
que la jeune veuve ne l’intéresse
que comme objet du désir fraternel. Se trouve alors parfaitement
exemplifiée la
théorie de la mimésis
d’appropriation chère à René Girard et qu’on peut formuler
comme suit : est désirable
ce que l’autre désire. Or
la jalousie est ici une conseillère ambiguë : elle
reporte les soupçons de Pierre sur quelques détails
qui le mettent sur la voie d’un
éventuel adultère maternel. Il est médecin, sans poste, oisif,
rompu aux méthodes d’observations, et doté d’un caractère
pessimiste et amer. De fil en aiguille, il accumule les preuves de ce
qu’il soupçonnait : Jean
serait le fils de ce Maréchal dont l’héritage lui
revient intégralement, alors même que les deux frères étaient
en bons termes avec lui. Il suffit à Pierre de rassembler les indices :
le portrait dudit Maréchal qui
a subitement été dérobé
aux regards, les
ressemblances entre le père et le cadet, l’intonation de la voix
maternelle quand on l’interroge sur l’ami en question, ses silences,
ses réponses tantôt évasives, tantôt
embarrassées. |
Comme on sait, René Girard s’est
efforcé de multiplier les commentaires visant à confirmer son
anthropologie. L’expérience immédiate prouve qu’effectivement la
possession d’un être ou d’objet par un autre suscite rivalités et
jalousies. A ce constat évident, on peut objecter un autre, tout aussi
évident, que le désir n’a point besoin d’autrui pour se
manifester et se fixer. |
Il y a encore chez Pierre, pourtant peu scrupuleux sur ses amours de passage (45, 118), une hypersensibilité à la souillure qui provient sans doute d’un attachement oedipien à sa mère. Et c’est parce que cet attachement jaloux vicie ses intentions que l’enquêteur ne peut éviter de se muer en juge puis en tortionnaire (81).
Une
issue se profile (66) qui pourrait arrêter la machine infernale : demander
à son frère Jean de renoncer à l’héritage. Mais cette possibilité de médiation
n’est pas sans évoquer des obstacles.
D’abord Jean risque de se rendre compte de son origine véritable ; et
lui-même devrait renoncer à la possibilité d’un
prêt sur cet héritage, lequel lui permettrait de s’installer et
d’exercer ses fonctions (40). D’un autre côté, le secret serait éventé
et l’honneur maternel bafoué.
Tandis qu’il envisage les différentes solutions à ce dilemme, l’héritage est accepté et facilite les perspectives de mariage et d’installation de Jean, futur avocat. Mais, déçu par sa mère, la misogynie de Pierre [« Alors, il la regardait d’un regard froid de magistrat qui instruit le procès des femmes, de toutes les femmes, ces pauvres êtres ! » (20)] ne cesse de croître (54,55,66) et ses bonnes intentions de décliner (67,72,80,81). C’est donc sous l’emprise de ce que Maupassant appelle le hors soi qu’il aborde en l’absence des autres membres de la famille la rencontre décisive avec son frère.[Une imagination qui échappe à sa volonté et rapporte des idées inavouables qu’il cache en lui, les colères impuissantes, les rancunes écrasées, les révoltes domptées, le désespoir silencieux, bref le subconscient que les convenances et une éthique élémentaire obligent à refouler (94).] D’entrée, tandis qu’il plaisante de manière ironique sur les appâts de Madame de Rosémilly, il apprend la décision de son frère et donne libre cours à sa colère. La spirale des reproches violents est engagée jusqu’au moment où, pour l’emporter, il prononce la délation infâme qui consomme la rupture et le condamne à l’exclusion. Non sans remords, parce qu’il termine sur un jugement très dépréciatif vis-à-vis de lui-même : « Tiens, je suis un cochon d’avoir dit ça ! » (96) Que fera Jean après cette altercation, lui, ce caractère tempéré, ordonné, un peu conventionnel ? Consoler sa mère et lui pardonner, après avoir envisagé le problème comme un avocat « habitué d’ailleurs à démêler et à étudier les situations compliquées, les questions d’ordre intime, dans les familles troublées » (104).
D’une certaine manière, c’est la confiance d’un fils illégitime envers sa mère qui se substitue au soupçon du fils légitime.
Quant à Pierre, il se trouve « condamné à cette vie de forçat vagabond, uniquement parce que sa mère s’était livrée aux caresses d’un homme » (116). Alors que peut-être il aurait pu lui laisser le bénéfice de ses choix sentimentaux.
Deux
visions de la femme se sont affrontées :
une vision sceptique, voire sarcastique, celle de Pierre, guidée par un œil
jaloux qui objective, et ne voit dans le comportement amoureux qu’une comédie
grotesque ; celle aussi
d’une conscience divisée dans les méandres de laquelle le narrateur
s’introduit avec complaisance. L’autre vision, que se partagent
Jean et Madame de
Rosémilly revendique le
droit au plaisir et au bonheur, mais aussi à la consolation et au pardon.
Cette dualité reproduit-elle un vécu de l’auteur lui-même ? C’est ce qui semble ressortir de l’ investigation biographique de Pingaud dans sa Préface de l’édition Folio à laquelle nous renvoyons, ce point étant hors de notre propos.
début rivalités médiations * sommaire édito 123
La bibliothèque, Gallimard, 1995
Au centre de la tragédie de Racine, non Britannicus, mais Agrippine. C’est elle qui avant que la pièce ne commence caresse l’illusion d’être parvenue à ses fins politiques et à un compromis stable entre les prétendants à la succession de Claude : mettre sur le trône le fils qu’elle a eu de Domitius Ahenobarbus, Néron, arrière-petit-fils d’Auguste ; évincer du trône le fils de Claude, Britannicus tout en lui conservant la vie et une possibilité de mariage avec Junie. Ce compromis, qui a quand même duré trois ans, semble heureux (Acte I, 21 à 23 ; 25 à 30) puisque Rome y a gagné un Empereur modèle. Pour arriver à ses fins, Agrippine a mobilisé les ressources d’une ambition qui s’est exercée dans un complot aux péripéties multiples : un divorce d’un Domitius Ahenobarbus à la mauvaise réputation ; des relations plus que douteuses avec Caligula, son frère ; un veuvage rapide avec C. Passienus Crispus ; la conquête de deux amants, disent les mauvaises langues, Pallas et Sénèque ; un mariage incestueux avec Claude, son oncle ( v. 307, 308, 1124 à 1130) ; l’éviction de Britannicus ; enfin, le probable empoisonnement de Claude (1180). Avec le pouvoir à Néron et la neutralisation de Britannicus évincé (911), Agrippine peut imposer sa loi par personne interposée. [Dans les préfaces à sa pièce, Racine décline Tacite comme source principale.]
Mais c’est sans compter avec le caractère de Néron qui commence à s’affirmer et qui, sur le terrain de l’ambition, peut rivaliser avec sa mère. La stratégie élaborée par Agrippine est donc mise en échec par celui à qui le crime profite le plus. Voilà que Néron manifeste une inquiétante froideur vis-à-vis de sa mère et prend des initiatives intempestives comme celle d’enlever de force Junie, alors qu’il a épousé Octavie, sœur de Britannicus. Et l’exil de Britannicus, ou pire même, sera la suite logique de cet enlèvement. La manière dont Néron parle de sa victime laisse percer un goût pour le voyeurisme, la passion et la violence : « Et c’est cette vertu si nouvelle à la cour dont la persévérance irrite mon amour (417,418). » Néron découvre la véritable nature de sa libido (750 à 756). C’est Burrhus qui se le confie avec crainte : « Enfin, Burrhus, Néron découvre son génie. Cette férocité que tu croyais fléchir de tes faibles liens est prête à s’affranchir (Acte III, sc. 2, v. 800 et suiv.). »
La tragédie développe alors progressivement la dégradation de la fragile médiation instaurée par Agrippine (A.1, sc. 4, v. 306). Les positions sur l’échiquier de la vie et de la mort changent. De médiatrice ou d’entremetteuse, comme l’on voudra, Agrippine est contrainte de choisir son camp (722), mais quoi qu’elle fasse Néron est en mesure (712) d’imposer à Junie les conditions d’un marchandage odieux qu’il substituera à celui de sa mère : que Junie accepte ses hommages pour sauver la vie de Britannicus (A.2, sc.4, v. 669, 671, 683, 689).
Les heurts entre Néron et Britannicus sont les signes avant-coureurs d’une rivalité plus âpre (880, 915 à 925) entre Néron et sa mère. Néron se trouve partagé entre la volonté de s’affirmer, d’un côté, et le respect filial, de l’autre. Seule la peur de la réputation de sa mère, sa popularité auprès de l’armée, le risque de ses aveux publics peuvent le faire reculer (850 et suiv.). Mais, informé des intentions de Britannicus par leur confident commun, Narcisse, Néron surprend son frère aux pieds de Junie et le fait arrêter aussitôt (A.3, sc. 8). Il ne lui reste plus qu’à affronter sa mère qu’il continue à redouter. Pour mieux l’emporter, il ruse et dans un premier temps accepte les conditions d’un accord. La scène 2 de l’acte 4 se présente comme une nouvelle médiation qui devrait réduire les tensions entre eux et opérer un retour à la situation initiale. Un contrat de dupes, car Néron loin du regard d’Agrippine révèle à Burrhus ses véritables intentions : « J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer (1314) ». Mais la popularité d’Agrippine auprès du peuple le fait encore hésiter. Jusqu’au dernier moment, il est prêt à se raviser et à se rallier aux conseils de Burrhus. C’est alors que doublant Junie, Britannicus et Agrippine, Narcisse, le double machiavélique de Néron, emporte la décision (1450). Britannicus est la première victime, mais le matricide d’Agrippine n’est plus qu’une question de temps.
Dans l’univers impérial où les valeurs familiales sont inversées (l’épouse contre l’époux, le fils contre la mère, le beau-frère contre son alter ego), l’amour partagé entre Junie et Britannicus reste ce qui subsiste d’humanité entre les personnages.
Anthony
Bruno, Pocket 4475, ch. 25.
Le polar présente quantité de situations où le policier et sa proie rivalisent par leur flair ou leur acharnement. Il tire sa noblesse de l’exploration des racines de la violence et prend le relais de la littérature psychologique. Dans ses versions récentes, il présente même des situations où l’enquêteur troque sa mise d’honnête homme pour mieux pénétrer le milieu criminel ou à force de fréquenter ce milieu, il devient lui-même criminel. L’univers de Seven met en scène un cas de ce genre. Etrange justicier dont les victimes ont transgressé les vertus cardinales, John Doe défie la Loi tout en attirant vers lui les inspecteurs Somerset et Mills pour mettre fin à une série de crimes quasi rituels. Il n’hésite pas à s’en prendre à ses poursuivants en exécutant par décollation la jeune épouse de Mills à l’insu de son mari. Pour enfermer le policier dans un dilemme inextricable, il accepte sous condition de se rendre à la Justice. Cette condition, c’est la réception d’un colis en plein désert, lequel s’avèrera macabre. Horrifié devant les restes de son épouse, le jeune policier ne résiste pas à assouvir sa vengeance, ce qui par contrecoup anéantit sa nature de représentant de la Justice. A ce moment, il n’a jamais été à la fois aussi proche et aussi éloigné de sa proie. Doe : « C’est bien que nous puissions bavarder un peu, inspecteur. » (…) Je l’ai prise parce que j’envie votre vie normale, inspecteur. Il semble vraiment que mon péché à moi, ce soit l’envie »(248). Comme si, ayant tellement souffert lui-même de son vice, Doe, le tueur, passait à Mills le flambeau de la vengeance et, comme si, en obligeant Mills à l’exécuter, il trouvait dans cet acte fatal un alibi à son propre sadisme. L’apparente soumission à la Loi dont il fait preuve cache un défi : Serions-nous tous des assassins en puissance ? A cause de l’élimination sommaire de Doe, le lecteur n’en saura évidemment pas davantage sur son passé ni sur sa vocation de serial killer.
Dans le roman de Bruno, l’assassin devient le médiateur entre les pulsions de vie et de mort du policier.
[La pièce portée au cinéma par Richard Brooks et interprétée notamment par P. Newman et E. Taylor,
est accessible en DVD. Le texte est réédité par 10/18, domaine étranger.]
Ce
qui est en cause dans la pièce de Tennesse Williams, c’est l’héritage
important de Grand-Père, une vaste plantation dans le Delta du
Mississipi, l’œuvre d’un self-made-man qui souffre à son insu d’un
cancer en phase avancée. Deux fils pourraient se le partager. Le premier,
avocat, à la tête d’une famille
nombreuse, Gooper et sa femme Edith. Ce couple sérieux, mais intéressé,
semble le mieux placé pour
se poser en digne héritier. En face de Gooper et de sa descendance, le
couple de Brick et de
Margaret est instable et stérile. Il ne fait pas le poids. Pourtant la préférence
de Grand-Père reste marquée pour
Brick, un ancien sportif de haut niveau qui avec son copain Skipper a
constitué une paire fameuse de footballeurs.
Au
moment où la pièce s’ouvre, Brick manifeste
les signes d’une profonde alcoolémie et
souffre d’une jambe qu’il a stupidement brisée dans un défi
inutile. Incapable de s’intéresser à la question de l’héritage, il
regarde d’un air amusé les belles-sœurs s’entredéchirer. S’il
a trouvé consolation dans la boisson, c’est qu’il
a la nostalgie de son passé
sportif prestigieux mais trouble. Skipper
s’est suicidé et Brick s’est
éloigné de Maggie qu'il
soupçonne d'être la cause du drame en s’imposant
et en écartant son copain.
Mais
Maggie a une autre version de leur relation, plus clairvoyante : celle d’un couple ambigu,
homosexuel, qui ne voulait pas, surtout du côté de Skipper, sortir de son
adolescence. Elle conserve aussi le
souvenir d’une
scène intime où Skipper a
lamentablement révélé ses véritables penchants.
Cette vérité,
insoutenable pour Skipper, est, dit-elle, la véritable cause de
son suicide.
Qu’espérer
encore après le suicide de Skipper ? Maggie a une réponse tout prête, parfaitement en
rapport avec son tempérament : « Je comprends cette histoire, tu le sais
bien, voyons. Je la trouve très noble, et je la respecte, Brick. Mais
l’histoire est finie et maintenant il faut vivre. Le songe s’est évanoui,
mais la vie continue. (…) Et puis Skipper est mort, et moi, je suis vivante. »
(Acte 1)
Si
Brick se désintéresse de l’accès à l’héritage, Maggie est décidée
contre la volonté de son mari à se
battre et à se poser en rivale crédible. Précisément, c’est cette
combativité que Grand-Père admire chez la jeune femme, parce qu’elle lui
rappelle sa jeunesse. Mais comment
Maggie va-t-elle prouver au reste de la famille que son couple a des chances de
survivre ? La vie vaut bien un
mensonge ; ce mensonge sera le cadeau de Brick et Maggie à leur père :
Maggie
« Je porte dans mon ventre un peu de la vie de Brick. Ce sera l’enfant
de Brick et de Maggie la chatte. Et voilà mon cadeau (Acte 3).
(…)
Brick
« La vie, c’est quelque chose d’acharné, et Maggie la dans le
ventre… quelque chose d’acharné et de désespéré qui ressemble à Maggie. »
Cet
acharnement est communicatif, amène Brick à accepter le mensonge et à faire
front avec Maggie contre le couple Gooper-Edith qui
reste sceptique. Brick :
« Je ne suis pas tout à fait aussi vivant que Maggie, mais je suis tout
de même vivant. »
Voilà Brick ramené par Maggie à la vie. Et voilà le Grand-Père tel Moïse rassuré :
«
Où allez-vous Grand-Père ?
Grand-Père
Sur le toit de ma maison, contempler mon royaume, avant de le remettre…
quatorze mille hectares !… des terres les plus riches d’ici à la vallée
du Nil ! (Acte 3)
C’est
la force vitale de Maggie plus que la ruse qui l’emporte auprès de
Grand-Père et auprès de Brick. Sa ténacité renoue avec l’esprit de conquête
que Gooper a abandonné dans la poussière de ses archives de bureaucrate.
Victoire et happy end ? Peut-être,
si l’on considère que le couple Brick et Maggie devient un interlocuteur
valable. Mais si Brick se pose en allié face à la famille de son frère,
l’incertitude subsiste quant à ses relations intimes avec Maggie. Cependant celle-ci reste pleine d’espoirs : « La
force soulage l’amour de la crainte et de la gêne. Je crois que je vais
pouvoir t’aimer librement. J’ai menti à Père, mais nous pouvons changer ce
mensonge en vérité… n’est-ce pas ? » (fin de l’Acte 3).
Et
le rideau tombe sur leur intimité.
Avoir
fait de Maggie, la médiation entre le père et le fils est une manière
originale de revisiter la
symbolique chrétienne.
La
saga de Martin du Gard reprend la structure triangulaire du mythe de Cain
et d’Abel avec une variante importante : si les frères
réagissent différemment à l’éducation imposée par le père
Thibault, c’est que leur comportement face à l’autorité n’est pas
la même. L’aîné, Antoine suit
pour l’essentiel les traces du père, médecin, catholique de droite,
ambitieux, d’une mentalité
parfaitement bourgeoise. Globalement,
Antoine accomplit le rêve
du désir paternel de se prolonger dans ses fils. Mais ses positions sur l’éducation et sa vision du monde
vont évoluer en fonction de son expérience médicale et en fonction de
l’autorité paternelle
dont l’arbitraire se
fait de plus en plus sentir. En quelque sorte Abel vient en aide à Caïn,
même si Caïn peut devenir une entrave aux projets d’Abel (206). |
L’œuvre a reçu pas mal d’éditions.
Nous nous appuyons sur l’édition en 3 volumes de 1970,
respectivement Folio 788, 140, 3940. Elle a été récemment portée
au petit écran (octobre 2003) où, dans son dernier rôle, Jean Yanne
incarnait Oscar Thibault ; J.-P. Lorit, Antoine ; Malik Zidi,
Jacques. |
Il en va tout autrement de Jacques. Confronté au modèle paternel et à ses relais idéologiques, il manifeste un esprit frondeur, une indépendance de pensée, une curiosité dans ses lectures qui inquiètent ses maîtres autant qu’une amitié d’adolescent qu’un début de siècle soupçonneux traite rapidement de vice. Pour le Père, il devient l’adolescent frondeur qu'il faut briser. Ce à quoi il s’emploie avec un acharnement et une conviction qui ne sont freinés que par la peur de la mort. Car de la religion, le père Thibaut a hérité un profond sentiment de culpabilité.
Qu’est-ce qui unit les frères Thibaut tout en leur permettant de prendre leurs distances vis-à-vis de l’autorité paternelle ? Le père Thibault joue un rôle paradoxal de diviseur et de rassembleur. Il laisse à ses fils l’héritage d’un nom et d’un élan : « Nous ne sommes pas seulement deux individus, Antoine et Jacques : nous sommes deux Thibault, nous sommes les Thibault, est-ce que tu comprends ce que je veux dire ? Et ce qui est terrible, c’est justement d’avoir en soi cet élan, l’élan des Thibault. Comprends-tu ? Nous autres, les Thibault, nous ne sommes pas comme tout le monde. Je crois même que nous avons quelque chose de plus que les autres, à cause de ceci : que nous sommes des Thibault (213) » dit Antoine à son frère.
Face à la déclaration de guerre de 1914, les deux frères adoptent un comportement qui est la conséquence directe de leur cheminement antérieur. Leur dernière confrontation avant la mort de Jacques permet, dans un calme relatif, aux deux frères de justifier leur point de vue (L’été 1914, ch. LXI). L’aîné se soumet sans enthousiasme à la mobilisation et accomplit sur le front son devoir de médecin. Victime de l’usage des gaz, il décède après de longues souffrances le 18 novembre 1918. Le cadet sacrifie l’amour qu’il voue à son amie, Jenny, et, en militant socialiste de choc, tente de lancer d’un avion des tracts pacifistes le jour de la déclaration du guerre. Héroïsme gratuit et vain. Il se retrouve grièvement blessé au sol et, considéré comme espion par des troupes françaises en déroute, est froidement abattu sur son brancard (T. III, 304).
Que reste-t-il des Thibault ? Il reste Jean-Paul, le fruit de l’amour de Jacques et de Jenny, qui hérite du sacrifice héroïque de son père à ses convictions, d’un côté, et de l’expérience plus pragmatique de son oncle qu’ il apprendra à connaître par le cahier intime du médecin. Après avoir vécu l’horreur, Antoine Thibault rejoint dans ses réflexions les rêves pacifiques de son frère. Pourquoi une Europe unie serait-elle impossible ? « Les principales nations de l’Europe ont bien su, peu à peu, forger leurs unités nationales. Pourquoi le mouvement n’irait-il pas en s’amplifiant, jusqu’à la réalisation d’une unité continentale ? (T.III, 528) » Jean-Paul héritera donc de deux visions du monde. L’une, engagée, volontariste, utopique, visionnaire : « Le plus irritant, disait Jacques, le front barré d’un plis rageur, c’est de penser qu’un jour viendra, fatalement, et très proche peut-être, où l’on ne comprendra même plus que ces histoires de service armé, de nations sous les drapeaux, aient pu avoir le caractère d’un dogme, d’un devoir indiscutable et sacré ! » (21) ; l’autre, plus désenchantée, mais confiante dans la force aveugle de la vie, culmine dans une sorte de naturalisme serein : « La vie n’a pas de sens. Et rien n’a d’importance si ce n’est de s’efforcer à être le moins malheureux possible au cours de cette éphémère villégiature… Constatation qui n’est pas aussi décevante, ni aussi paralysante qu’on pourrait croire. Se sentir bien nettoyé, bien affranchi, de toutes les illusions dont se bercent ceux qui veulent à tout prix que la vie ait un sens, cela peut donner un merveilleux sentiment de sérénité.(T.III, 602). »
Et ce naturalisme serein, parfois proche de l’élan vital de Bergson, fonde ses espérances sur l’hérédité : « Quel miracle – pas d’autre mot- que l’apparition de cet enfant à l’instant précis où les deux lignées dont il sort, Fontanin et Thibault, allaient s’éteindre sans avoir rien donné qui vaille ! Qu’est-ce qu’il porte en lui de son hérédité maternelle ? Les meilleurs éléments, j’espère. Mais ce que je sais déjà, sans doute possible, c’est qu’il est bien de notre sang à nous. Décidé, volontaire, intelligent. Fils de Jacques. Un Thibault (T.III, 513) ».
début rivalités médiations * sommaire édito 123
Il
n’est évidemment pas question de tirer des
principes généraux à partir des coups de sonde qui ont été effectués
dans les domaines du roman, du théâtre et du cinéma. En revanche, il est
permis de tracer des parallèles et de suggérer des analogies. Le théâtre américain
de Tennessee Williams pose à des années lumières de distance et dans le cadre
d’un capitalisme de combat le même problème de la succession au trône impérial
que le théâtre ne le fait au départ de la monarchie absolue. Et si, évidemment,
Brick n’est pas un Britannicus sobre, ni Gooper un jeune loup comme Néron,
Agrippine et Maggie ont engagé, la culpabilité criminelle en moins,
la même force vitale.
Dans
le monde des affrontements guerriers, un même héroïsme et une même noblesse
ont essaimé depuis l’Iliade jusque dans certains récits de science-fiction,
et que l’épée soit en cuivre, en acier ou en électrons libres ne change
rien à l’affaire.
La
tragédie classique partage avec le roman policier la perversité de ses
personnages, à cette différence près que les protagonistes de Racine
n’appartiennent pas au vulgum pecus. En une véritable crise de conscience
européenne, la guerre de 1914 sonne la fin de l’héroïsme guerrier. Mais
l’héroïsme se déporte vers
d’autres cibles : la paix, l’unité européenne, l’Etat social. Après
la figure du soldat, deux nouveaux personnages font leur apparition sur la
scène littéraire : le médecin, tel Antoine Thibault. Et, avec lui, la
vulgarisation scientifique et l’évocation sous un jour nouveau de
problèmes comme l’euthanasie et les manipulations génétiques que
la fin du XX e. tentera de résoudre. A la suite du médecin, vient
s’imposer le révolutionnaire dont Malraux et Camus décriront les déchirements
intérieurs.
Le
XIXe bourgeois partage avec le
XVIIe et le XXe la plongée dans les passions qui déclenchent refoulement et
retour du refoulé. Maupassant,
moins athée que révolté contre
Dieu, a gardé de l’éducation de son enfance le sens aigu de la faute et de
la grandeur du pardon, vertus qu’il
a peut-être puisées dans l’histoire de Joseph.
Le
monde contemporain ne croit plus dans les rivalités fondatrices, mais n’hésite
pas à bâtir de nouveaux empires économiques
rivaux. Et pour les
justifier et entraîner les peuples dans les croisades conquérantes, les
dualismes simplistes sont toujours invoqués avec autant d’efficacité. De ce
fait, ils suscitent des vocations au martyr.
Les
différents auteurs passés en revue déploient des trésors d’imagination
dans les scènes de médiation sur lesquelles nous nous sommes arrêtés et qui
demanderaient lecture plus approfondie : le sang, l’héroïsme, la séduction,
la perversion, et sans doute bien d’autres…
Sur
le terrain pédagogique, il va de soi que nous n’imposons à personne la
lecture que nous avons proposée et que nous laissons entière liberté à celui
qui voudrait tenter l’aventure autrement et avec d’autres supports.
Nous tenons simplement à dire que, expérience faite, les sources les
plus classiques ont pu trouver un regain d’intérêt auprès des élèves de
terminale. En outre, il est rare que l’une ou l’autre pièce de Tennessee
Williams ne soit pas montée sur les scènes françaises ou belges.
L’apparition de lecteurs de DVD et la reprise en ce format de classiques du
cinéma devraient succéder au règne
des magnétoscopes.
Ch. Thys
début rivalités médiations * sommaire édito 123
Tableau
des caractérisants stéréotypés
Masculin |
Héros |
Faire-valoir |
Anti-héros |
Faire-valoir |
|
-bonne
constitution -alerte
-dynamique
|
-bonne
constitution
-âge
différent
-défauts
physiques
-doté
d'un pouvoir particulier
|
-bonne
constitution
-jeune
ou adulte
-alerte
-dynamique
|
-bonne
constitution
-âge
différent
-défauts
physiques
-doté
d'un pouvoir particulier
|
|
-courageux/
franc
-obstiné
-idéaliste
-au
service de la justice et du bien |
-marqué
par un passé
-louche,
un excès -fidèle
+/-
-soumis |
-rusé,
lâche -obstiné
-destructeur
-au
service de l'injustice et du mal |
-marqué
par un passé
-louche, un excès -de
condition inférieure
-fidèle
+/- -soumis -plus
ou moins adroit |
|
-position
élevée mais menacée -position
basse mais digne d'une position élevée |
-position
égale ou plus basse |
-position
élevée -position
basse -parfois
au service des intérêts d'un autre |
-position
égale ou plus basse ou hors norme sociale |
Féminin |
-jolie -fragile
mais endurante |
-bonne
constitution -âge
différent -défauts
physiques -dotée
d'un pouvoir particulier |
-bonne
constitution -jeune
ou adulte -alerte -dynamique |
-bonne
constitution -âge
différent -défauts
physiques -dotée
d'un pouvoir particulier |
|
-bonne
constitution -jeune
ou adulte -alerte -dynamique -cultivée -décidée -amoureuse |
-marquée
par un passé louche, un excès -de
condition inférieure -
fidèle +/- -soumise |
-bonne
constitution -jeune,
adulte, vieille -alerte -dynamique -jalouse -ambitieuse |
-marquée
par un passé louche, un excès -de
condition inférieure -fidèle
+/- -soumise |
|
-
position élevée mais menacée -position
basse mais digne d'une position élevée |
-position
égale ou plus basse |
-position
élevée -position
basse -parfois
au service des intérêts d'un autre |
-position
égale ou plus basse |
début rivalités médiations * sommaire édito 123
Compétences
de lecture-écriture
Séquence XXe siècle : théâtre
nouveau et nouveau roman
Classes de 6e G et TT * Isma * ARLON * Récit de Chantal
Homel
Plan
1.1. Tardieu,
La Comédie du Langage
1.2. Ionesco,
Notes et Contre-Notes
1.3. Sartre,
La Nausée
1.4. Simenon,
Les trois Crimes de mes Amis
2.1. Choix
de lectures:"Apprivoiser le nouveau roman" (Enjeux, n°14, 1988) et autres documents
2.2. Ionesco, La
Cantatrice chauve : analyse de la 1re scène
2.3. Beckett, En
attendant Godot : début des deux scènes
2.4. Perec, Les
Choses (chap.1)
A nos plumes… La réécriture de
l'un des extraits vus en classe…
3.1. La recherche
attendue
3.2. Le
plat pays
3.3. La
comédie du langage
1.1. Tardieu, La
Comédie du Langage [in Théâtre de
chambre (1955-1965)]
Le Présentateur
« Les
paroles volent, dit-on, de bouche en bouche et d'oreille en oreille.
Elles vibrent, elles bourdonnent dans l'air comme des moustiques.
D'ailleurs, chaque tête, même la plus légère, n'est-elle pas comme un
dictionnaire rempli de mots prêts à tourner à tous les vents?
Prêtez l'oreille et, à travers les paroles qu’échangent des
personnes sensées, vous entendrez la danse absurde des mots en liberté. (Le
présentateur disparaît.)
-
Monsieur Pèrémère (à mi-voix,
tout en disposant les cartes de sa réussite avec le plus grand sérieux) -
Un dix de trèfle, une dame de cœur, un valet de pique, un chat de
gouttière, une vache à lait... Voyons,
voyons! (Réfléchissant)
Je retourne encore celle-ci, œuf à
la coque, gare de triage et voici l'as de carreau!...
Diable!... Et toi, l'autre
petite, dans le coin, ne vais-je pas te soulever, jupon, soutien-gorge et
mandragore?... Allons du courage! Du courage à la
vapeur, à la hussarde, ôte-toi de
là que je m'y mette, crapaud-buffle, queue de rat!
-
Madame Pèrémère (sans lever les yeux et
continuant à tricoter) - Vous
êtes bien silencieux, Gustave? Poil
de carotte et riz caroline, vous n'êtes pas souffrant, j'espère?
-
Monsieur Pérèmère - Mais non, mon amie, chiendent, moleskine! (Avec une nuance
d'humeur) Crocodile, pistache,
jujube, vous voyez bien que je fais une réussite!
-
Madame Pèrémère - Bon, bon! (Avec un
soupir) - Mais vous savez, linon, téléphone et bretelle, combien votre
silence me pèse, à la ville comme à la
campagne.
(Comme en écho atténué) Au
chenil comme au poulailler, boule de gomme, sinapisme, aventure...
-
Monsieur Pèrémère (agacé, haussant les
épaules et continuant sa réussite) - Depuis trente ans que vous le
subissez, mon silence, Artaxerxes, plume de coq, poule au pot, vous vous y
habituerez bien un jour.
Un court silence. Puis chacun
continuant, l'un sa réussite, l'autre son tricot, se met
à murmurer ou ronchonner des mots sans suite qui, pareils au vain
crissement des insectes dans l'herbe, semblent symboliser la chaleur d'un après-midi
d'été.
-
Monsieur Pèrémère (comme encore en colère)
- Grosse mère, pile ou face, je pose six et je retiens mouche!
Rateau, ficelle, boulet, la truite, bande de vauriens, si je vous tenais,
va te faire lanlaire, fille de peu, propre à rien, fais tes malles et fiche-moi
la paix...
-
Madame Pèrémère (comme en rongeant son
frein) - J'aurais dû, tarte aux fraises, mais aussi, cinquante kilos,
attends un peu, fils à papa, saltimbanque, billet de banque, compte en banque,
rastaquouère, moustache en croc, croc-en-jambe, bilboquet, savon, locomotive,
surprise, soupière..
Dora, en costume de plage,
provocante et joyeuse, entre brusquement par la porte du fond.
-
Dora - Tiens, vous êtes là? Vous
dormiez, boules de suif?
Monsieur et madame Pèrémère relèvent
brusquement la tête, comme sortant d'un assoupissement.
-
Monsieur Pèrémère - Mais non, bouteille!
-
Madame Pèrémère - Pas du tout, Pois chiche!
-
Dora - Je croyais, homard! (S'approchant) Vous ne venez pas un peu à la plage? Vulcain,
groseille, tyran, satin, miracle, il y fait bien meilleur qu'ici.
-
Madame Pèrémère (dédaigneusement)
- Non, vois-tu, tout ce bruit, tous ces gens qui parlent à tort et à travers,
sébile, astrakan, Canada, pour ne rien dire, pince à épiler, hors classe,
rage de dents, corne de cerfs - cela me fatigue les oreilles.
-
Monsieur Pèrémère (sentencieux) -
Ta mère a raison, pousse-caillou, rhume des foins, parlementaire.
Il ne faut jamais, sucre de canne, patrouille, Trafalgar, parler pour ne
rien dire! »
(in Tardieu, Théâtre de chambre 1955-1965)
sommaire
& édito 123 * début
nouveau roman
Tardieu est "le poète de l'univers-désert, mais ce désert a un secret qu'il ne cesse de pourchasser – secret énigmatiquement situé entre l'être et le néant, monde du silence et de l'absence mais aussi de l'écoulement des choses et du temps" [in
Dictionnaire Bordas de littérature
française, dirigé par H. Lemaître, Bordas, Paris,1994]
|
Objectifs
1. surprendre les élèves, cela ne manque pas, surtout quand, avec la même classe, nous avons vu l'Andromaque de Racine, en 5ème.
2. partir des repères du théâtre "classique" : reconnaissance de l'utilisation d'un prologue, des didascalies, l'alternance du dialogue.
3. découvrir les spécificités de ce texte : le Présentateur remplit son rôle, il établit la situation au lever du rideau, mais ici, le héros, les héros seront les mots (voir champ lexical), que les didascalies précisent bien le jeu, mais peuvent aussi être purement littéraires ou poétiques ("pareils au vain crissement…"), que le dialogue pour le moins débridé se double d'un autre, cohérent, lui, et qu'au milieu de la logorrhée, apparaissent les clichés, la caricature du vieux couple, la mésentente, le tricot, les cartes.
4. conclure que "la danse absurde des mots en liberté" fait des personnages des automates dans un ballet de paroles et qu'il s'agit bien d'une libération du langage (faire référence au titre). Il se révélerait ainsi comme un "bla-bla" pratique qui empêche de penser ou comme une manifestation de l'impossible communication entre les êtres.
1.2. Ionesco, Notes et Contre-Notes
Propos sur mon théâtre et sur les propos des autres
Conférence prononcée à la Sorbonne en mars 1960
« Peut-être une œuvre n’est-elle que ce que l’on en pense. Mais plutôt que de ne la penser qu’à travers les autres, vaudrait-il mieux la penser elle-même sans tenir compte des interdictions, avertissements, encouragements que l’on prodigue à son propos.
Je n’affirmerai pas que de nos jours on ne pense pas. Mais on pense sur ce que quelques maîtres vous donnent à penser, on pense sur ce qu’ils pensent si on ne pense pas exactement ce qu’ils pensent, en répétant ou en paraphrasant.
Et le moins que l’on puisse dire des maîtres à penser c’est qu’ils nous enferment dans leur doctorale ou moins doctorale subjectivité qui nous cache comme un écran, l’innombrable variété des perspectives possibles de l’esprit.
Il ne s’agit certainement de repousser les données qu’on nous présente et de mépriser les choix, les formules, les solutions des autres : cela n’est d’ailleurs pas possible ; mais on doit repenser tout ce qu’on nous veut faire penser, les termes dans lesquels on veut nous faire penser, tâcher de voir ce qu’il y a de subjectif, de particulier dans ce qui est présenté comme objectif ou général ; il s’agit de se méfier et de soumettre nos propres examinateurs à notre libre examen et d’adopter ou non leur point de vue qu’après ce travail fait.
Il est très évident qu’on ne peut vous juger qu’à travers soi ou ses principes, encore qu’il faille faire l’effort suprême, désirable, d’admettre l’autre, de l’accepter comme tel. C’est la première règle du libéralisme qui aujourd’hui, est passé de mode, même chez les libéraux.
Jean-Paul-Han, dans sa Petite Préface à toute Critique, n’a-t-il pas dit que « le blâme, de nos jours, sert une œuvre mieux encore que l’éloge. Si le Marquis de Sade, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont nous parviennent dans leur étonnante fraîcheur, c’est grâce à quelques dénigrements ou diffamations. L’éreintement conserve un auteur mieux que l’alcool ne fait d’un fruit ».
La moindre des choses que l’on pourrait attendre des critiques ce serait de l’objectivité dans la subjectivité, c’est-à-dire la bonne foi.
Cela peut prouver qu’aucune idéologie n’est contraignante, qu’elle n’est qu’une vue de l’esprit, un choix personnel, qu’elle n’est pas une vérité objectivité. Reste la science. Et reste la création artistique qui, en tant que construction, univers autonome, monument, devient une réalité objectivité, même si, bien sûr, elle est subjectivement interprétée.
Il me semble que la solitude et surtout l’angoisse caractérisent la
condition fondamentale de l’homme.
Mais simplement que l’homme n’est pas seulement un animal social prisonnier de son temps, mais qu’il est aussi, et surtout, dans tous les temps, différent historiquement, dans ses accidents, identiques dans son essence. C’est dans notre solitude fondamentale que nous nous retrouvons et que plus je suis seul, plus je suis en communication avec les autres, alors que dans l’organisation sociale, qui est organisation des fonctions, l’homme ne se réduit qu’à sa fonction aliénante. »
Objectifs
1. approcher un texte difficile, philosophique, en faire l'analyse
2. montrer que les auteurs du nouveau roman ou du nouveau théâtre veulent tout autant une libération de l'œuvre que de l'auteur, afin de distinguer, comme le fait Barthes, "l'écrivant" de "l'écrivain", le premier étant "celui qui considère le langage comme un instrument, un véhicule (c'est la conception sartrienne de la littérature), l'écrivain, quant à lui, est "un homme qui absorbe radicalement le pourquoi du monde dans un comment écrire".
3. conclure que les critiques servent l'œuvre et l'auteur, que le blâme même les libère; sans eux, nous ignorerons peut-être aujourd'hui Baudelaire et Rimbaud!
sommaire
& édito 123 * début
nouveau roman
1.3. Jean-Paul Sartre, La Nausée
"Bien raconter, c'est (…) faire ressembler ce que l'on écrit aux schémas préfabriqués dont les gens ont l'habitude, c'est-à-dire à l'idée toute faite qu'ils ont de la réalité". A. Robbe-Grillet [cité in Littérature
Référentiel de J.-L. Dufays & J.-M. Rosier, De Boeck &
Larcier, Bruxelles, 2003] |
« Quand on vit, il n’arrive rien. Les décors changent, les gens entrent et sortent, voilà tout. Il n’y a jamais de commencements. Les jours s’ajoutent aux jours sans rime ni raison, c’est une addition interminable et monotone. De temps en temps, on fait un total partiel : on dit : voilà trois ans que je voyage, trois ans que je suis à Bouville. Il n’y a pas de fin non plus: on ne quitte jamais une femme, un ami, une ville en une fois. Et puis tout se ressemble : Shanghai, Moscou, Alger, au bout d’une quinzaine, c’est tout pareil. Par moments – rarement – on fait le point, on s’aperçoit qu’on s’est collé avec une femme, engagé dans une sale histoire. Le temps d’un éclair. Après ça, le défilé recommence, on se remet à faire l’addition des heures et des jours. Lundi, mardi, mercredi. Avril, mai, juin. 1924, 1925, 1926.
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Ça, c’est vivre. Mais quand on raconte la vie, tout change ; seulement, c’est un changement que personne ne remarque : la preuve, c’est qu’on parle d’histoires vraies. Comme s’il pouvait y avoir des histoires vraies ; les événements se produisent dans un sens et nous les racontons en sens inverse. On a l’air de débuter par le commencement : « C’était par un beau soir de l’automne de 1922. J’étais clerc à Marommes. » Et en réalité c’est par la fin qu’on a commencé. Elle est là, invisible et présente, c’est elle qui donne à ces quelques mots la pompe et la valeur d’un commencement. « Je me promenais, j’étais sorti du village sans m’en apercevoir, je pensais à mes ennuis d’argent. » Cette phrase, prise simplement pour ce qu’elle est, veut dire que le type était absorbé, morose, à cent lieues d’une aventure, précisément dans ce genre d’humeur où on laisse passer les événements sans les voir, mais la fin est là, qui transforme tout. Pour nous, le type est déjà le héros de l’histoire. Sa morosité, ses ennuis d’argent sont bien plus précieux que les nôtres, ils sont tout dorés par la lumière des passions futures. Et le récit se poursuit à l’envers : les instants ont cessé de s’empiler au petit bonheur les uns sur les autres, ils sont happés par la fin de l’histoire qui les attire et chacun d’eux attire à son tour l’instant qui le précède. » (La Nausée, Gallimard, Paris, 1938)
1.4. Simenon, Les trois Crimes de mes Amis (Gallimard, 1938)
« Par où commencer ?
C’est déroutant ! tout à l’heure, que dis-je, il y a un instant encore, en écrivant mon titre, j’étais persuadé que j’allais commencer mon récit comme on commence un roman et que la seule différence consisterait dans sa véracité.
Or, voilà que je découvre soudain ce qui fait l’artifice d’un roman, ce qui fait qu’il ne peut jamais être l’image de la vie : un roman a un commencement et une fin !
Hyacinthe Danse a tué sa maîtresse et sa mère le 10 mai 1933. Mais quand le crime a-t-il réellement commencé ? »
Vivre, raconter la vie, écrire?
Deux extraits d'auteurs bien différents, et pourtant!, que le hasard ou le même questionnement a vu écrits la même année!
Celui de Sartre se situe dans le cadre des rencontres d'Antoine Roquentin avec celui qu'il appelle "l'Autodidacte" à la bibliothèque de Bouville et où il est fait de nombreuses allusions à la littérature.
Objectifs
1. Situer le nouveau roman dans son temps, celui des années Sartre (voir ci-dessous : 2.1.), comparer ce que dit Ionesco à propos de la condition humaine et les grandes idées de l'Existentialisme.
2. Préparer l'analyse des extraits de la décontextualisation qui
montreront comment et pourquoi les nouveaux romanciers vont attaquer les notions
"classiques" d'intrigue, de personnage, de temps et espace, et
insister sur la notion d'"écriture"
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nouveau roman
2.1 Choix de lectures
* Le chapitre 1, Nouveau roman, lectures nouvelles, du livre de J.-P. Goldenstein, Pour le lire le roman (Collection Langages nouvelles, pratiques nouvelles, De Boeck, Bruxelles, 1980.)
* Apprivoiser le nouveau roman, article paru dans la revue Enjeux, n° 14, 1988. [Cet article peut être consulté à la Bibliothèque des Fac. Un. N.-D la Paix de Namur. La revue Enjeux est également à la Bibliothèque Espace 27 Septembre, Bruxelles : bibli27sept@cfwb.be * http://www.bibli27sept.cfwb.be ]
* Gerald Prince, Le nouveau roman, in De la littérature française, sous la direction de Denis Hollier, Bordas, 1993, p. 929-934
2.2. Ionesco, La Cantatrice chauve
Pistes
1. Etudier la didascalie liminaire, la comparer par exemple à une autre du théâtre classique, voire contemporaine, Le Visiteur de E.- E. Schmitt. Le décor qui renvoie à tous les stéréotypes du salon bourgeois doit être montré comme une critique du théâtre de boulevard également que Ionesco détestait.
2. Montrer que la 1ère scène consiste en un pastiche de la scène d'exposition, dès la 1ère réplique : madame Smith donne précisément le temps, l'intrigue, le lieu et le nom des personnages. Chacun de ces ingrédients voit sa logique s'effriter très vite. Le temps est contredit par les sonneries de l'horloge. L'action apparaît dérisoire puisqu'il s'agit de la description d'un repas dont les plats sont détaillés à l'extrême et souvent rendus ridicules (satire de la cuisine anglaise aussi) et où l'on voit l'écriture "s'amuser", devenir instrument; on sait que Ionesco voulait apprendre l'anglais, qu'il le fit avec la célèbre méthode Assimil. Ainsi, il joue avec les degrés de l'adjectif, il se livre à des jeux de mots, des calembours (les mots sel et vaisseau), des jeux phonétiques (appendicite, apothéose, etc). Les noms des personnages sont, soit caricaturaux et interchangeables (Smith, Watson – autre perturbation du temps : quand finalement est-il mort?).
3. Etudier, dans le même ordre d'idée les nombreux clichés, le couple, la femme volubile, le mari qui lit son journal en fumant sa pipe, la transmission de leur caractère réciproque aux enfants, la bonne, les points de vue radicaux sur la médecine, la marine, etc.
4 Reprendre le titre, le sous-titre : le premier est fortuit et provient d'une erreur d'une actrice qui aurait dû dire "l'institutrice blonde", le second est parlant : Anti-pièce!
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nouveau roman
2.3. Beckett, En attendant Godot (début des 1ère et 2de scènes)
Pistes
1.
Reprendre les pistes suivies pour Ionesco : didascalies liminaire, intermédiaire
et intersticielle dans les deux scènes (intéressantes, les allusions des
personnages à la représentation, à la qualité de leur prestation!
On peut penser à la distanciation chez Brecht.), et comparer avec
"la cantatrice", la scène d'exposition qui revient 2 fois
(ressemblances et différences), les
ingrédients (le temps, très intéressant car contrarié lui aussi, les
personnages ne semblent pas le dominer, mais il a passé, la "feuille"
au début de la sc. 2 et les disputes à son propos entre Vladimir et Estragon,
l'action ou la non-action, les dialogues qui passent apparemment du coq-à-l'âne,
les jeux de mots aussi, les clichés sont là aussi, etc.
2. Montrer que Beckett illustre bien une autre caractéristique du NR, à savoir le non-respect d'un principe fondamental du récit "traditionnel", la cohérence du récit. On peut d'ailleurs présenter aux élèves les deux premières pages de l'un des ses romans, Molloy [Les Editions de Minuit, Paris, 1951]
3. Pourquoi Godot? Qui est Godot? Pas God, mais plutôt "godillot", disait Beckett et son extraordinaire réponse : "parce qu'il faut un COD au verbe attendre". Citer cette réplique de la page 126 (dans l’édition de 1976) : "Elles accouchent à cheval sur une tombe", un "raccourci" qui ne manque pas d'évoquer les idées de l'Existentialisme, de Heidegger ("Dès qu'un enfant naît, il est assez vieux pour mourir.") à Camus ("Nous sommes tous des condamnés à morts.") à Sartre (voir le 1er paragraphe du texte vu en contextualisation). Le NR s'est nourri des "maîtres du soupçon (Marx, Nietzsche, Freud)"! p 93 [cité in Littérature Référentiel de J.-L. Dufays & J.-M. Rosier, De Boeck & Larcier, Bruxelles, 2003]
2.4. Perec, Les Choses [Julliard, Paris, 1965, Editions 10/18, 2001]
Pistes
1. Découvrir que les trois quarts du premier chapitre se présentent comme
une sorte de didascalie liminaire, très détaillée, et qu'il faut attendre
pour découvrir la présence de personnages, simplement désignés par
"ils".
2. Montrer tout l'impact de l'emploi du conditionnel qui confère à l'ensemble une sorte d'irréalité, mais qui laisse supposer aussi l'émergence d'autres potentialités.
3. Rappeler ou dire l'importance des objets dans le Nouveau Roman (voir autres textes étudiés)
4. Evoquer une possible satire du Réalisme à la Flaubert. En effet, outre le clin d'œil à l'incipit de L'Education sentimentale avec le Ville-de-Montereau, la description se révèle quasi encyclopédique avec des détails (les couleurs), des énumérations (le contenu des étagères), la recherche dans les matières (bois, acajou, cuir, cuivre, etc.), le mobilier (table lorraine, fauteuil-club,etc.) , les allusions aux peintres, et tant d'autres éléments.
5. S'interroger sur le sous-titre et évoquer les réactions de l'époque : s'agit-il d'un roman? Faut-il parler, comme le fait J. Leenhardt dans la postface (8), un "roman non romanesque? (Mais là, il serait bon que les élèves aient lu toute l'œuvre.
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nouveau roman
A nos plumes…
"En attendant Godot", de Christian WILMES et Monique BRAZ SALGADO
Parc ensoleillé avec banc.
Buush, vêtu d'un costume noir, avec attaché-caisse noir, regarde d'un air statique, ses chaussures noires, fait quelques pas de gauche à droite, s'assied sur le banc et regarde devant lui.
Entre Sam.
Sam : (regarde Buush, s'approche de lui, mais n'ose pas lui parler; il s'assied)
(Il jette des regards interrogatifs vers Buush, se ressaisit et regarde sa montre
Vous avez l'heure?
Buush : (tournant la tête très lentement vers Sam et lui répondant sèchement)
- Non!
Sam
: (se serrant le poignet)
- Vous avez une cigarette?
Buush : (sans même regarder Sam)
- Non.
Sam
(commençant une nouvelle question est
interrompu par Buush)
Buush (d'un ton furieux) – Ecoutez, Monsieur, vous m'exaspérez avec vos tentatives de socialisation. Cela ne fonctionne pas avec moi. Regardez-vous donc! Nous n'avons pas les mêmes valeurs!
Sam (montrant les chaussures noires de Buush) – Vous avez marché dans du caca.
Buush (regardant ses chaussures, choqué) – Comment?… Pourquoi?
Sam sort un mouchoir et se mouche
Buush (ne trouvant pas de solution, se tourne vers Sam) – Auriez-vous la gentillesse de me procurer un mouchoir, s'il vous plaît?
Sam
(répondant d'un coup sec, comme Buush
auparavant) – Non.
Buush
: - Vous venez de vous moucher.
Sam : - Je sais, et alors?
Buush
: Et puis, (silence) vous pourriez me
donner un mouchoir, vous en avez un.
Sam (d'un air noble) – Nous n'avons pas les mêmes valeurs… (silence) Mais le caca semblant être frais dégage une odeur peu respectable. Tenez. (Il lui tend un mouchoir)
Buush
(nettoyant sa chaussure) – Merci.
Dites-moi, que venez-vous faire ici?
C'est un endroit peu fréquenté.
Sam : - La même chose que vous.
Buush (d'un air interrogatif) – Comment ça?
Sam : - J'attends
Buush : - Vous attendez?
Sam
: - La même chose que vous.
Buush (inquiet) – Comment ça?
Sam : - Oui, comme tout le monde.
Buush; - Je croyais être le seul.
Sam (riant) – Oh! Non, loin de là!Buush : - Alors, comment se fait-il que nous soyons tout seuls?
Buush : - Alors, comment se fait-il que nous soyons tout seuls?
Sam : - Chacun a sa méthode, son endroit, son moment.
Buush : - Ca fait longtemps que vous attendez?
Sam : - Je ne sais pas, je ne sais plus. Et vous?
Buush : - Ca fait très longtemps.
Sam : - Et depuis tout ce temps, il n'est pas encore passé?
Buush (regardant le ciel, désespéré) – Je ne sais pas, je ne crois pas. Il paraît que parfois il passe si vite qu'on ne le voit même pas passer. Et quand il est passé, il ne revient pas.
Sam
: -C'est malheureux.
Buush (énergique) – C'est désastreux et angoissant. Il faut rester vigilant.
Sam : - Moi, quand je l'attends, je bois. Le temps me paraît alors moins long et j'ai l'impression qu'il est plus près. Le problème est que je m'endors et qu'au matin, je ne suis plus sûr de l'avoir rencontré, donc je recommence.
Buush : -J'étais comme ça avant. Ma vie est une succession d'échecs, que ce soit dans mes études ou dans le pétrole. Et puis, je l'ai vu.
Sam (étonné) –Noooon.
Buush : - Un court moment, une fraction de seconde. Je ne sais pas à quoi il ressemble. Mais je le reconnaîtrais. Depuis, je prie. Toute la journée. Il paraît que ça l'attire.
Sam :- C'est vrai? Et puis, quand il est là, qu'est-ce qu'il faut faire?
Buush : - Quand il est là, il faut le garder près de soi. La plupart des gens lui courent après, d'autres font semblant de pouvoir se passer de lui. D'autres encore croient l'avoir, mais ils se trompent car ils ne l'ont pas reconnu. C'est un vrai problème.
Sam
: - Comment ça? J'ai cru qu'il était
la solution à tout.
Buush : - Oui, mais il est différent pour chacun et pareil pour tout le monde. De plus, si on l'a, il faut l'entretenir, sinon, il part.
Sam : - Cela devient abstrait, je ne comprends pas.
Buush : - Il n'y a rien à comprendre. C'est comme ça.
Sam
(se lasse et sort une canette de bière de
sa veste) – C'est comme ça, c'est comme ça.
Moi, ça me fatigue, j'ai besoin d'un coup en l'attendant et, en plus, je
me sentirai plus proche de lui.
Buush : - Non, croyez- moi, il n'y a que la prière qui soit un appât appétissant pour lui.
Sam : - Comment pouvez-vous en être aussi sûr?
Buush
: - C'est écrit dans ce livre (Il ouvre
un attaché-caisse et sort un gros livre)
Sam
: - Moi, je ne lis pas, je regarde. La
télé, par exemple. Il y a
beaucoup de séquences entre les feuilletons où il passe sous différentes
formes. Car on parle de lui, mais
on ne le voit pas.
Buush
: - Non, ça, ce n'est pas lui! C'est
quelque chose d'autre qui se fait passer pour lui.
Salaud!
Sam
: - Vous croyez?
Buush
: - Oui, je vous le promets.
Sam
: - Oh! J'ai donc été trahi? Depuis
tout ce temps?
Buush
: - Oui, d'une certaine façon. Mais
ce n'est plus important, Monsieur. Quel
est votre nom?
Sam
: - Je m'appelle Sam, comme samedi. A
propos, quel jour sommes-nous?
Buush
: - Je ne sais pas. De toute façon, le temps n'a pas d'importance; seule la vie
compte. Moi, je me nomme Buush.
Avec deux U.
Sam
: - Très bien. Que faisons-nous
maintenant?
Buush
: - Nous attendons qu'il arrive.
Sam
: - Croyez-vous que cela peut durer longtemps?
Buush
: - Cela dépend. Sept minutes,
sept heures, sept jours, sept mois. Peut-être
sept ans. J'espère qu'il viendra
pour nous deux. En tout cas,
restons vigilants.
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nouveau roman
"La cantatrice chauve" de Cristina LOPES COSTA et Nadège MINGOU
Le
plat Pays
Extérieur hollandais avec tulipes hollandaises. Monsieur Peters, Hollandais, d'une grandeur et d'une blondeur hollandaises, est assis dans son relax hollandais et espionne ses voisins hollandais, monsieur et madame Janssens. Madame Peters, Hollandaise, a des cheveux hollandais et un tablier à rayures hollandaises et s'occupe de son jardin hollandais et de ses fleurs hollandaises.
Mme Peters :- T'as pas chaud, Piet? Le soleil est déjà haut aujourd'hui. Je n'aime pas quand il est là, pourtant j'aime qu'il soit là.
M. Peters (occupé par le voisin qui range ses chaises et sa table) – Mais, qu'est-ce qu'il fait? Comment il s'y prend?
Mme Peters (n'ayant pas compris la question, mais contente d'avoir l'occasion d'exposer son savoir) – Alors!… D'abord le soleil est au centre de l'univers, puis la terre tourne autour du soleil et, nous, nous tournons sur la terre. Voilà la raison pour laquelle j'ai la tête qui tourne!
M.
Peters (ne prêtant pas attention à sa
femme ) – Mumh…Mumh.
Mme Peters : - Les tulipes sont belles cette année. Plus que l'année dernière et moins que l'année prochaine. Je savais qu'en les plantant en décembre, elles pousseraient mieux. Elles sont jaunes, je préfère les rouges, mais je voudrais qu'elles soient bleues.
M. Peters : - Bleues comme les Schtroumpfs ou bleues comme les éléphants? Tu sais, M. Menteur, il m'a raconté qu'un jour, en hiver, il a vu dans son jardin un éléphant qui écrasait ses carottes. Il était grand, bleu, et c'est grâce à sa petite taille qu'il est passé en dessous du portail.
Mme Peters : - Mes pauvres tulipes jaunes, si je devais choisir, ce serait mieux que cet éléphant écrase mes fleurs rouges, ou mieux, celles des Janssens! Hi...hi...hi!
M.Peters (regardant chez les voisins) – Tu as vu, les Janssens sont de retour? Il paraît qu'il sont partis à Salou en Caravane. Salou en Espagne. Tu te souviens quand on est parti, la maison au bord de la mer? Elle était belle. Heureusement que, sur la route, on a trouvé un dépanneur pour la caravane, sinon, on aurait dû louer une villa.
Mme Peters : - Ca fait une semaine que les Janssens sont de retour. Il y a quinze jours. Lene m'a raconté leurs vacances. Ils ont deux enfants, le petit Sene, la petite Liselotte et la petite Maria. Et, tu sais? Liselotte s'est trouvé un copain de vingt-trois ans; depuis, elle veut se marier le vingt août.
M. Peters : - Ah! Oui! J'ai vu Sene et il m'a dit que nous étions invités à son mariage avec Tinne Guldemond.
Mme Peters : - Guldemond… (Elle reste songeuse) C'est pas la famille de la rue des Cerisiers? Ou alors de la rue des Tilleuls?
M.
Peters :- Non, rue des Cerisiers, il n'y a que des garçons et, à la rue des
Tilleuls, il n'y a qu'une fille de dix ans.
Par contre, à la rue des Cerisiers, il y a une fille que la famille
Guldemond veut marier.
Mme Peters : - Tu sais, j'ai entendu dire, d'après une amie éloignée de la cousine d'une tante de la meilleure confidente de la sœur de la fille qui se marie que la robe de mariage coûtera autant que le buffet du soir!
M. Peters (agacé) – Je n'ai rien compris.
Mme Peters : - Je pensais leur offrir du fromage d'Edam, mais peut-être que "La vache qui rit" coûtera moins cher?
M. Peters (exaspéré et sûr de lui) – Ce n'est pas une question de qualité/prix!!! Et puis, de toute façon, les fromages de chez nous sont les meilleurs. Notre fromage hollandais est le meilleur.
Mme Peters (un peu gênée) – Tiens, Pieteke, je me pose une question… Je ne sais pas trop… si je dois te demander (hésitante… après un petit silence… se décide à poser sa question, alors que M. Peters s'est remis à son espionnage) Pourquoi la vache rit?
M. Peters : - Bon sang, mais de quelle vache parles-tu? Je croyais que tu t'entendais bien avec notre chère Lene Janssens? Pourquoi la traites-tu de vache?
Mme Peters : - Et toi, pourquoi parles-tu de Lene? Je ne comprends pas ce que tu me dis. Encore une fois, tu ne m'écoutais pas! Je parlais du fromage.
M. Peters (prenant un air innocent) – Mais, bien sûr que je t'écoutais.
Mme Peters (fâchée) – Cela fait trente ans que tu ne m'écoutes plus. Les voisins t'intéressent plus que moi, tu n'as qu'à aller les rejoindre.
M. Peters (tout gentil) – Mais non, ma Boulette. J'aime te voir dans tous tes états. (lui faisant un clin d'œil) Tu ne trouves pas qu'il commence à faire froid? Si on rentrait…
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nouveau roman
"La comédie du Langage" de V. REIS et S. VILLANCE
La Comédie de M. Hubin
[M.
Hubin, professeur de mathématique, n'a pas sa langue en poche et adore
ponctuer ses cours à la façon du même Haddock!]
Le
Présentateur : "Les chiffres volent, dit-on, de bouche en oreille et
d'oreille en bouche. Il sifflent,
ils rampent sur les feuilles comme des serpents.
D'ailleurs, chaque cerveau, même le plus léger n'est-il pas comme une
calculatrice remplie d'insultes du capitaine Haddock?
Prêtez l'oreille et, à travers les équations qu'échangent des
personnes sensées, vous entendrez la danse absurde des maths en liberté."
(Le Présentateur disparaît.)
Il (à voix basse en gribouillant quelques chiffres) – Intégrale cosinus carré, limite de x carré divisé par deux, je retire trois, gueule de rat, tortionnaire, … mathons! Mathons! (Se grattant la tête) – Attrape-nigaud, bachi-bouzouk, et voici la première variable… Diable! Et toi, l'autre racine, dans le coin, ne vais-je pas te calculer, freluquet, sinistre farceur, cannibale?… Allons du courage à la patate, à la zouave, ôte-toi de là que je m'y mette, saperlipopette, bougre d'ectoplasme.
Il (en regardant le tableau) – Tu es bien silencieux, voisin? Bandit et catachrèse, tu n'es pas souffrant, j'espère?
Il
:- Mais non, mon ami, vipère, Ravaillac! (avec
énervement) Escogriffe, lâche,
rapace, tu vois bien que je calcule mes limites!
Il : - Bon, bon! (Avec un soupir), mais tu sais, vilain coco, graisse de trombone à coulisse et va-nu-pieds, combien ton silence me pèse, en math comme en français (gros soupir) en allemand comme en anglais, grotesque polichinelle, vampire, patate.
Il (énervé, barrant une réponse et continuant à calculer) – Depuis septembre que tu le subis mon silence, freluquet, diable, brute, tu t'y habitueras d'ici au mois de juin.
Un court silence, puis chacun continuant, l'un à user sa bosse des maths, l'autre à jouer avec son bic, se met à énoncer ou à éructer des nombres sans suite qui, pareils au vain crissement de la craie sur le tableau neuf, semblent symboliser le ras-le-bol d'un après-midi de cours.
Il (devenu comme enragé) : - Mamma mia, tonnerre de tonnerre, je tape six et je divise mouche! Canaille, soupe aux poireaux, ophicléide, pantin, bougre, si je l'additionnais, va te faire lanlaire, mitrailleur à bavette, blanc-bec, fais ton sac et fiche-moi la paix…
Il (patiemment) – J'aurais dû, anacoluthe, mais aussi bande de brutes, Mussolini de carnaval, attends un peu, moujik, marin d'eau douce, pleurnichard, papaye des Carpates, mercenaire, sémaphore, zigomar, zoulou, aztèque, barbare, gibier de potence, cercopithèque.
M. Hubin s'approche des deux élèves, les interpelle brusquement.
M. Hubin : - Tiens, vous n'en êtes que là? Ventricule, cabus roussi! Vous dormiez, pignouf à roulette?
Les deux élèves le regardent avec effroi, comme sortant d'un cauchemar.
Il : - Mais non, pétomane!
Il : - Pas du tout, bandit!
M. Hubin : - Je croyais, clète ! (Pointant le tableau) Au tableau! Bande de sauvages, cloportes, chenapans, énergumènes, trununus, on y voit beaucoup plus clair.
Il (bâillant) – Non, voyez-vous, toutes ces maths, tous ces calculs qui partent à tort et à travers, doryphore, épave, espèce de chouette mal empaillée, froussard, gaillard, judas, malotru, sapajou, vieux farceur, phlébotome, vivement qu'il sonne.
Il (en ricanant) – Mon voisin a raison, imbécile, tortionnaire , Sibérie, il ne faut jamais, moule à gaufre, catacombes, faire des maths pour le plaisir.
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nouveau roman
Voyage scolaire
à Paris : Arts et lettres dans nos bagages
D’après un document pédagogique de Paul Verheggen, Institut Technique de Namur, 2e degré
objectifs * musée d'Orsay * au Louvre: La Joconde, la mémoire de La Fontaine * quartiers chics et SDF: la voix de Prévert
Ce document fait partie d’une série intitulée Dialogue * Ce mot ‘Dialogue’ souligne bien l’intention de l’enseignant de fonder sur l’échange la construction des savoirs et des savoir-faire : échange professeur-classe, échange classe-milieux divers, échange entre élèves : Ceux-là qui n’échangent rien ne deviennent rien, écrit Saint-Exupéry dans Citadelle.
Durée 'approximative' de cette préparation du voyage: 4 périodes de cours pendant 4 semaines.
Les objectifs de la démarche
Objectif culturel et interdisciplinaire |
* découvrir des monuments, des paysages, c’est aussi découvrir l’histoire : œuvres d’art, artistes et auteurs, personnages historiques... Le Musée d'Orsay, La Joconde au Musée du Louvre, la Cour du lion de La Fontaine |
* visiter une grande ville |
en songeant à la diversité des conditions sociales (de la bourgeoisie aisée aux Sans Domicile Fixe : c’est la raison de lire La grasse matinée de Jacques Prévert), |
en se rappelant le passé (avec La Fontaine, remémorer le pouvoir absolu de Louis XIV, dans la fable La Cour du lion) |
Objectif langagier : dans cette découverte qui se prépare longuement en classe, apprendre à se documenter, à créer diverses formes d’expression à partir de ces documents: synthétiser, orner, réécrire (La cour du lion), "jouer au guide" (par exemple pour La Joconde....), participer à un débat (à partir de La grasse matinée) |
Musée d’Orsay
Documents pour la recherche:
La BD sur le Musée d’Orsay, parue dans le numéro 17 (août 1998) de la revue d'initiation artistique Le Petit Léonard [ http://www.faton.fr en cliquant sur Le Petit Léonard ] * Demande de copie pour usage privé à p.verheggen@caramail.com
Voir aussi http://www.musee-orsay.fr
Questionnaire sur la BD
Vocabulaire * Explique: verrière - parvis - tutu - Douanier Rousseau
Personnages cités * Quelle profession exerçaient le personnes suivantes: Le Corbusier - Victor Laloux - Orson Welles - Douanier Rousseau - Gabriel Ferrier
Un peu d'histoire * Quelles furent successivement les destinations de cet endroit de Paris (sept étapes!)
Sur le Parvis * Que trouve-t-on précisément à cet endroit (nommer les deux oeuvres, leur auteur)
Quels sont les peintres cités dans cette BD? Idem pour les sculpteurs?
Citer deux raisons de l'abandon de la gare d'Orsay? |
Les peintures: deux titres précis de peintures sont cités dans la BD ; lesquels et de quels peintres? |
Au Musée du Louvre, La Joconde, la mémoire de La Fontaine
La Joconde
La
Joconde (Huile
sur panneau de bois de peuplier – 77 X 53 cm) |
Au lieu de souffler des réponses par des questions trop délimitées, mettre les élèves en piste, faire d'eux des guides... Et ça marche! Car plusieurs fois, d'autres visiteurs approcheront de notre groupe, s'intéresseront aux commentaires de ces ados venus de Belgique. Principales
observations: 1.
Décor impossible.
Le paysage de gauche ne peut se raccorder à celui de droite. 2.
Sourire énigmatique. Quel
est son secret ? Le paysage de gauche attire l’œil
vers le bas et celui de droite vers le haut, cela donne
l’impression qu’elle commence un léger sourire. 3. Les contours brumeux. Les ombres et les lumières créent une atmosphère étrange. La chevelure est enfermée dans une mantille de soie. 4.
L’illusion de mouvement.
Elle est donnée par les plis de l’écharpe prolongés par l’aqueduc
romain (= seule trace de l’homme avec les routes à l’arrière-plan). 5.
Les mains. Léonard
les a peintes plus grandes pour qu’elles ressortent sur la robe.
Elles sont décontractées et soulignent la douceur de Mona Lisa. 6.
La Joconde. Cela
signifie « Joyeuse » en italien. 7
. 7.
La pose de Mona Lisa. Tête
et buste forment un triangle : Léonard a étudié la géométrie et
l’utilise dans ses tableaux, ce qui est neuf pour l’époque.
8.
8.
La colonne.
Celle-ci se répète des 2 côtés. Il
n’en reste presque rien car le tableau a été découpé.
Ces colonnes donnent l’impression que Mona Lisa est devant une
fenêtre ou une loggia. 9.
9.
Paysage rocheux.
Léonard aimait peindre les rochers, la mer.
Il était fasciné par le mouvement de l’eau. 10. 10. Absence de sourcils. Léonard a ajouté les sourcils sur la peinture sèche. Lors d’une restauration, ils ont été effacés par un solvant inadéquat. Pour l’artiste, l’œil est la « fenêtre du corps humain". |
La Fontaine, La Cour du Lion
Fables,
Livre VII
LA COUR DU LION
Sa Majesté Lionne un jour voulut
connaître 10
Devait être un fort grand festin, |
Texte vraiment difficile pour des ados du deuxième degré en filière technique! Le professeur la relit, en traduisant certains termes:
* mander, députés * vassaux
* circulaire écriture * sceau * 'l'écrit portait'
* Cour plénière * Fagotin [singe célèbre dressé par le marionnettiste Brioché],
* d'abord [aussitôt]
* envoyer chez Pluton,
* Caligula [après la mort de sa soeur Drusilla, l'empereur Caligula fit mettre à mort ceux qui ne pleuraient pas ainsi que ceux qui pleuraient parcequ'ils offensaient ainsi la morte en ne croyant pas qu'elle était devenuedéesse. Impopulaire par ses extravagances, il fut assassiné]
* fade adulateur |
"en son Louvre, il les invita"
Les élèves aussi seront comme invités quand ils verront de leurs yeux ce monument imposant! Ils pourront se représenter le faste d'une réception dans ce palais d'un souverain absolu, et imaginer les comportements lèche-botte de certains invités. Sur place, la fable leur parlera encore mieux!
Un bon moyen de vérifier la compréhension: faire réécrire la fable
Consigne:
Raconte en dix lignes (moins de cent mots) ce qui s'est passé au Louvre, et dresse ainsi un portrait du souverain.
Le support prendra l'apparence d'un document d'archive sur parchemin (charte, édit, testament, diplôme...) qui aurait été découvert dans un grenier imaginaire...
Voici trois travaux, à titre d'exemples (en gras, ce qui est 'commenté' à la suite des écrits d'élèves) :
Il
demanda qu'on écrive une lettre pour le peuple. Dans
cette lettre on pouvait lire : " Pendant un mois, je vous offre nourriture
et distraction …" Beaucoup de monde vint au château. Il y
régnait
une certaine odeur. Un
homme mal poli fit une remarque sur celle-ci.
Ceci ne plut pas au roi et il le tua. Un autre fit le "frotte-manche" et le roi fit de même. Il demanda à une troisième
personne
si ça sentait mauvais. Celle-ci répondit
qu'elle ne pouvait pas sentir car elle avait
le nez bouché. Elle eut la vie sauve. Moralité
: " Pour être apprécié, il ne faut dire ni oui, ni non". |
Le roi
Louis XIV voulait connaître les gens de son entourage.
Il demanda à un député de rédiger une lettre au peuple disant que
pendant un mois entier il offrirait à manger au peuple. Il
voulait montrer sa richesse et sa bonté à tous les gens. Une fois dans le château, une personne dit que ça sent la
mort et directement le roi l'envoie au diable.
Une autre personne fait l'hypocrite en disant que ça sent très bon de
ce magnifique château et lui aussi est envoyé au diable. Encore une autre personne arrive, mais elle se fait
questionner par le roi. Celle-ci
ruse et dit qu'elle ne sent rien à cause de son rhume et s'en tira. |
Le roi
Louis XIV voulant faire connaissance de toutes les personnes de son royaume,
leur fit savoir que durant un mois, le château leur serait ouvert. Il y
aurait un grand repas et des tours de singes, mais quand les gens arrivèrent au
château, ils furent pris par une odeur de mort. L'un
deux ne peut le cacher et sa grimace déplut au roi. Un autre
voulut flatter le roi et fut puni. Et
un
autre plus rusé dit qu'il avait un grand rhume donc il ne sentait rien et lui
avec son excuse, il s'en sort bien. |
ce qu'il y avait dans son royaume (1): est mieux précisé dans (2), mieux encore dans (3)
je vous offre nourriture et distraction (1): discours direct à comparer avec (2) disant que... et (3) fit savoir que...
une certaine odeur (1): est-ce à prendre comme une litote habile voulue par l'élève?
celle-ci ruse (2), un autre plus rusé (3)... tandis que dans (1) l'intention de ruse est simplement sous-entendue.
L'intention du roi (étaler sa puissance): cette information n'est reprise que dans (2): Il voulait montrer sa richesse et sa bonté à tous les gens sauf que étaler sa bonté n'est vraiment pas l'intention du monarque autoritaire.
La combinaison passé simple - imparfait est correcte dans (1).
Dans (2), l'indicatif présent est choisi à partir de une fois dans le château (mis à part le s'en tira final);
dans (3), deux emplois cohérents du futur du passé (le château leur serait ouvert / il y aurait un grand repas); plus loin, le passage du présent au passé (ne peut cacher... sa grimace déplut), puis du passé au présent (il avait..., il ne sentait... il s'en sort bien) he se justifie guère.
début voyage à Paris * sommaire et édito 123
Jacques Prévert, La grasse matinée (Paroles, 1945)
Il est terrible
le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui faim
5 elle est terrible aussi la tête de l'homme
la tête de l'homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
10 ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
dans la vitrine de chez Potin
il s'en fout de sa tête l'homme
il n'y pense pas
il songe
15 il imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de vinaigre
ou une tête de n'importe quoi qui se mange
et il remue doucement la mâchoire
20 doucement
et il grince des dents doucement
car le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
25 un deux trois
cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé
et il a
beau se répéter depuis trois jours
Ça ne peut pas durer
ça dure
30
trois jours
trois nuits
sans manger
et derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
35 poissons morts protégés par les boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines...
40 Un peu plus loin le bistro
café-crème et croissants chauds
l'homme titube
et dans l'intérieur de sa tête
un brouillard de mots
45
un brouillard de mots
sardines à manger
œuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
50
café-crème
café-crime arrosé sang ! …
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
l'assassin le vagabond lui a volé
55
deux francs
soit un café arrosé
zéro franc soixante-dix
deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
60
Il est terrible
le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim.
Prévert et le cinéma... [d'après NRP HS PREVERT 01/05]
Rappel de quelques procédés de l'écriture
cinématographique
Rendez à chaque procédé sa définition: a. Ellipse * b. Zoom * c. Travelling * d. Caméra subjective * e. Séquence * f. Plongée * g. Voix off * h. Montage 1. Technique
de tournage consistant à montrer ce que voit un personnage. 2. Prise
de vue où la caméra est placée au-dessus du sujet. 3. Organisation
des plans (fragments du film) que l'on enchaîne selon un certain ordre. 4. Effet
narratif consistant à ne pas montrer certaines parties de l'action et à
laisser le spectateur les imaginer. 5. Voix
dont la source n'est pas représentée à l'écran (on entend la voix mais
on ne voit pas qui parle). 6. Rétrécissement
ou élargissement du champ de vision, la caméra étant fixe. 7. Succession de plans ou de scènes formant une unité, mais ne se situant pas nécessairement dans le même décor. 8. Déplacement de la caméra |
Imagine-toi cinéaste... Quels procédés cinématographiques repères-tu dans les extraits suivants: [35-38] poissons morts protégés par les boîtes, boîtes protégées par les vitres, vitres protégées par les flics, flics protégés par la crainte [15-16] il imagine une autre tête, une tête de veau, par exemple [52-59] un homme très estimé (...) a été égorgé (...) le vagabond lui a volé (...) le pourboire du garçon [40-41] un peu plus loin le bistro café-crème et croissants chauds [2-11] le petit bruit de l'oeuf cassé sur un comptoir (...) il regarde dans la vitrine de chez Potin Choisis dans ce poème deux ou trois extraits: comment les transposerais-tu au cinéma? |
Autres poèmes dans les bagages pour le voyage à Paris:
Sous le pont Mirabeau, Bergère ô Tour Eiffel de Guillaume Apollinaire
début voyage à Paris * sommaire et édito 123
S'identifier à partir d'une
image, 1er degré
Récit et documents: Emmanuelle Florent et Marie-José Eppe, CNDB, Virton (Belgique)
Se dire et se présenter à ses condisciples, c'est exercer et développer en situation réelle et motivante la double compétence parler - écrire. C'est aussi apprendre à s'intégrer dans un groupe, à apprécier chacune et chacun, à découvrir que la diversité est plus une richesse qu'un prétexte à affrontement et à rejet.
L'exercice raconté ici a toute sa raison d'être vers le début d'une année scolaire, qui est aussi l'accès au secondaire: sortis de l'école primaire, venus de quartiers et de villages différents, les élèves ont tout intérêt à bien se connaître pour bien vivre ensemble. Le recours à la médiation de l'image tempère le risque d'un dévoilement de soi...
Tâche difficile de parler de soi mais combien importante dans une classe pour faire connaissance avec les autres, pour les apprivoiser.
Ce petit exercice a été mis en route durant la première période de français avant de leur parler du cours en lui-même, des objectifs, de la matière qui sera vue durant l’année, des compétences à acquérir … Il a été réalisé en deux temps: une période pour faire réaliser le document (rédiger, décorer...), une période pour la présentation à la classe.
J’ai proposé à la classe toute une série de dessins à colorier retirés sur le site http://www.fermeauxcoloriages.net
Il s’agit d’illustrations de bandes dessinées (Astérix, Titeuf, Cédric...) ou encore de dessins animés (Bob l’éponge, Chicken Run, Hamtaro, Inspecteur Gadget, Caliméro …).
(Je présente plusieurs exemplaires de chaque personnage pour laisser le plus grand choix aux élèves.)
La consigne est la suivante :
Choisissez un personnage auquel vous vous identifiez. Choisissez celui qui vous ressemble le plus au niveau physique ou au niveau de son caractère ou parce qu’il fait telles ou telles actions auxquelles vous adhérez.
Vous le coloriez, le collez sur la feuille et ensuite vous répondez aux questions posées.
Votre feuille doit être soignée et personnalisée. Vous viendrez ensuite vous présenter devant les autres et expliquerez vos choix.
Le texte de l'élève se présente selon la disposition suivante:
SE DIRE Compétence parler et écrire: Se présenter
[Veiller à la présentation phonique du message : prononciation, articulation, volume et intonation.] [Associer au texte et à l’image tous les éléments non verbaux adéquats : écrire lisiblement, soigneusement.]
Je m’appelle ………………………………………….. et j’ai …………. ans.
J’ai choisi ce personnage car ……………………………………………..
Mon rêve : ……………………………………………………………………….
[Je place ici le dessin de mon personnage]
Ma devise : « .......................................................................................................................... »
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Variations libres sur "mon prénom":
Recherches diverses
* étymologie :
Philippe - ami des chevaux, Marguerite - pierre précieuse; Vital, Vitalie - bien vivant(e);
[démarche en lien avec une recherche antérieure sur l'étymologie, sur les racines latines et grecques: exploration du dictionnaire...]
* recherche sur tel ou tel personnage (historique ou imaginaire) ayant porté mon prénom;
Martin de Tours - Nicolas de Smyrne - Claire d'Assise - Jeanne d'Arc - Georges et le dragon - Ali, gendre de Mahomet - Alice au pays des merveilles...
[articulation avec l'étude du milieu: ces personnages réels ou imaginaires évoqués dans nos milieux de vie ou dans d'autres régions...]
* le patron ou la patronne...
des boulangers? des aviateurs? des orfèvres? des musiciens?
* variations de forme :
Charles, Karl, Charlie; Henri, Henry, Harry; Claire, Clara; Louis, Ludovic, Ludo; Madeleine, Mado; Nicolas, Nicole, Nicolina, Colas, Colin; Jean, Jeannette, Jeannot; Catherine, Cathy...
* écrire mon prénom en différentes graphies: couleur, police (caractère arabes - Azouz - Anouar - Sara, gothiques ou grecs, par exemple... ; variations de signature; associer une image au prénom... )
[l'écriture comme expression, comme image de soi]
* mon prénom en acrostiche, par exemple:
Laetitia est mon prénom
Attachante pour certains
Et moins pour d'autres
Triste, je le suis rarement;
Irresponsable, je ne crois pas.
Tout cela est incomplet:
Il y a encore beaucoup à dire...
Apprenez à me connaître, vous verrez
La présentation orale de chacun se prolongera par un affichage en classe. Apprendre à "exposer" un texte - respect des normes de lisibilité, d'esthétique, de concision... Chaque élève remplit un bristol (10 cm sur 15 cm) avec diverses indications à partir de son prénom. Ces cartons seront affichés en classe
En guise d'au-revoir...
Les élèves ont pris du plaisir pour colorier, écrire, réfléchir ; ils demandent bien souvent aux autres comment ceux-ci les perçoivent parce qu’ils ont du mal à trouver les adjectifs qui les qualifient le mieux.
La présentation orale fut laborieuse pour certains ( timidité, gêne, peur de parler de soi …) mais s’est faite dans le respect de chacun.
Cette activité fut révélatrice pour moi aussi : j’ai pu cerner plus facilement chaque personne.
Les élèves ont demandé en retour que moi aussi je me présente et que je m’identifie à un personnage.
J’ai bien entendu choisi Alice au pays des merveilles.
Faire découvrir la richesse de la 'variation' dans l'écriture! «(...) ce qui m'intéresse, c'est de dire: "faire autrement", plutôt que "faire mieux". A l'école, on dit encore souvent à l'élève: Ce n'est pas bien, il faut faire mieux; mais ce qu'on ne lui a pas permis de découvrir, c 'est que réécrire peut être un jeu; que ce n'est pas tout de suite soumis à la notation, que c'est un plaisir.»
Almuth Grésillon, linguiste et écrivain, interviewé par la rédaction du FA (Le français aujourd'hui), 114 (janvier 2004), p. 12. |
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11/02/2018