Astuce !

Pour toute recherche dans LMDP, ouvrez ALPHABET : accès direct à 700 fichiers

langue maternelle * documents pédagogiques

Ressources pour la classe de français dans l'enseignement secondaire * Revue trimestrielle

 http://docpedagfrancais.be/ *  Écrivez-nous

Échange, recherche, formation

 

 

Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source

 

ACCUEIL
Ouvrir un numéro en ligne

ALPHABET

Index de tous les fichiers LMDP

COIN LECTURE

bibliographie, programmes, sites...

LIBRAIRIE

livres recensés depuis janvier 2001

ARCHIVES:

  86 articles parus dans LMDP

JULIBEL, le français d'aujourd'hui

Base de données initiée à la rédaction de LMDP

Julibel - recherche * Julibel - mode d'emploi

SOMMAIRE 

numéros parus depuis 1990

 

Numéro 120 * Mars 2005

 

 

Au sommaire

* Contage de légendes 

Animation au 1er degré et... pour jeunes Ukrainiens * IND Arlon * Sébastien Mauer 

* Un vent de poésie souffle sur l'école

Semaine du livre cuvée 2004 * De la 1re à la 7e * ISJ Charleroi * Patricia Andris et "complices"

* En joue: quelques enjeux des jeux du je

Réel et fiction, réel ou fiction? Repères pour lecteurs des 2e et 3e degrés * Michel Voiturier

* Amin Maalouf, Les identités meurtrières

Pistes d'exploitation d'un essai * 3e degré * IND St-Hubert * Anne-Françoise Hansen 

* Document brut: Devoir de mémoire...: le détour par la fiction (Luc Ferry, le lendemain de la commémoration de la Shoah à Auschwitz, le 27 janvier 2005).

Le paysage, métaphore pour l'interdisciplinarité

Je ne pouvais détacher les yeux de tous ces noms de hameaux, de forêts et d'étangs. J'aurais voulu me fondre dans le paysage. Déjà, à cette époque, j'avais le sentiment qu'un homme sans paysage est bien démuni. Une sorte d'infirme.

P. Modiano, Accident nocturne, Gallimard, 2003, p. 139-140

Ce paysage, c'est la diversité de tout ce qui constitue notre milieu de vie, nos savoirs, nos émotions, nos projets, nos souvenirs. Pas seulement l'eau de la rivière, mais aussi le poisson, le nénuphar, le pêcheur, la Truite de Schubert, le barrage hydroélectrique, la Loreley d'Apollinaire... Le chimiste s'intéresse à l'eau, le biologiste au poisson, le botaniste au nénuphar, le sociologue au pêcheur, le musicien à la Truite de Schubert, l'économiste au barrage hydroélectrique, le littérateur à La Loreley d'Apollinaire...  Chacun dans son coin, peu ou mal informé de la curiosité et du langage de l'autre. Comme dans une école!

Tandis que le sage tisse toutes les curiosités, met en réseau la diversité des méthodes et des savoirs, saisit l'harmonie du paysage, se fond dans le paysage. * J. Bradfer, pour la rédaction de LMDP

sommaire 120

 

 

CONTAGE DE LÉGENDES AU PREMIER DEGRÉ

Récit de Sébastien Mauer

Mise en perspective * Réflexions préliminaires * Définir l'art de conter * Dispositif pédagogique * Biblio- sitographie * Ecrire à l'auteur

Mise en perspective

Dans les lignes qui vont suivre, je vais vous faire part du fruit d’une expérience pédagogique relative à l’art de conter au profit de l’apprentissage de l’oral.

Ces réflexions sont en fait issues de mon travail de fin d’études, présenté en juin 2004 à la Haute Ecole Blaise Pascal (Bastogne, Belgique) et expérimenté dans des classes de Jean-Luc LÉONARD, à l’IND d’Arlon.

Il ne s’agit bien sûr que d’un condensé de ce travail.

Initialement, mon travail concernait cet apprentissage de l’oral en français langue maternelle tout comme en français langue étrangère (à destination de jeunes Ukrainiennes et Ukrainiens: voir encadré ci-dessous). Mais ne vous sera présentée ici que la séquence concernant des élèves francophones.

Concernant l'expérience en FLE : 

Cette séquence didactique fut également adaptée à un public de non francophones. En effet, la problématique de mon TFE portait sur

«la transdisciplinarité entre les disciplines du français langue maternelle et du français langue étrangère

Peut-on établir des ponts entre ces disciplines ? Est-il possible d’adapter une séquence de FLM à un public de non francophones ? Quelles stratégies pédagogiques peuvent être transférées d’une de ces disciplines à l’autre ? Quelles adaptations sont nécessaires ? …

 

C'est ainsi que cette séquence portant sur l'apprentissage de compétences à l'oral au travers du contage de légendes fut adaptée pour le FLE. J'y abordais notamment la notion de conte au travers d'un jeu, je débutais aussi cette séquence par des activités de 'découverte', de 'rencontre'. Enfin, au terme de cette séquence, ces élèves allophones contaient leur légende devant une classe primaire de l'INDA.

Cette séquence fut expérimentée avec  un public d’allophones regroupés exceptionnellement pour la durée de cette séquence, à savoir ici les étudiants ukrainiens en séjour à l’INDA pour un mois ( 6 étudiants âgés de 9 à 14ans)  et une étudiante colombienne de 18ans, venue passer son année terminale en Belgique.

 

Cette séquence fut reconnue comme bénéfique aux élèves allophones par leur professeur de français, Madame Tania Mokrouchina, qui les accompagnait durant ce séjour. Cela avait permis essentiellement de développer chez ces élèves la 'gestion' de l'anxiété langagière (habituellement inhibitrice à la communictaion) et d'utiliser le paraverbval et le non verbal pour aider à la construction du sens (passage pour le  'corps' de 'parasite' à adjuvant de la communication) .

début contage sommaire 120

Réflexions préliminaires

Le contage est une pratique sociale qui, aujourd’hui, suscite un regain d’intérêt. Son insertion dans les apprentissages scolaires est intéressante. En effet, il favorise l’acquisition de compétences à l’oral, notamment dans ses composantes non verbales et paraverbales. Or la maitrise d’aptitudes dans les situations de communication orale est primordiale pour tout citoyen responsable.

L’oral défini comme une situation de communication où les propos sont transmis par la voix, mérite toute notre attention d’enseignant de français. Les textes officiels, en accord avec les recherches didactiques, revendiquent l’apprentissage de la communication orale. Il importe de développer les compétences langagières de nos élèves. Notamment en ce qui concerne l’usage des ressources non verbales et paraverbales comme adjuvants de la communication.

Le contage en tant que genre de l’oral, peut favoriser l’acquisition de compétences langagières et comportementales : les techniques et stratégies sollicitées peuvent aisément être transférées dans d’autres situations orales de communication.

Qu’est-ce que l’art de conter ?

L’art de conter, ou contage, est une situation de communication spécifique qui se différencie du théâtre, de la déclamation,…

Voici une explication relative au terme de contage :

«‘contage’ est un néologisme. Le mot approprié pour désigner la pratique d’énonciation des contes est ‘récitation’. En effet, la récitation est bien l’acte de restitution orale d’un récit. Nous employons cependant le terme ‘contage’, la pratique scolaire ayant connoté trop spécifiquement la récitation ».

POPET (A.) & ROQUES (E.) - Le conte au service de l’apprentissage de la langue – Retz, Paris, 2000.

Le contage peut aussi se définir comme un récit oral, à savoir un « échange par lequel un énonciateur (ra/conteur) essaie de captiver X énonciataires (son public) grâce à une trame d’événements et à des séquences qu’il juge nécessaires à son entreprise : mise en scène, digression, bruitage, aparté… »

Pourquoi apprendre l’art de conter ?

Comme le prescrit le programme du 1er degré commun, « c’est sur les genres concrets de textes, observés dans la réalité de leur usage que se fonderont plutôt les pratiques et les observations ».

C’est dans cette optique que le contage a été choisi pour travailler l’oral, et plus particulièrement l’emploi du paraverbal et du non verbal pour donner du sens au verbal.

Ce choix du contage comme situation de communication est doublement motivé :

L’oralité a eu une influence incontestable pour l’élaboration des contes. En effet, ceux-ci sont issus d’une tradition orale. Les contes, récits en proses d’événements fictifs transmis oralement, s’élaborent, se modèlent et se remodèlent en même temps qu’ils se transmettent. Le conte est le produit d’une succession de récitations.

Le contage permet aux élèves d’apprendre à raconter une histoire, ce qui nécessite bon nombre de stratégies. La narration orale impose des règles tant langagières que comportementales dont l’acquisition se révèle nécessaire pour la maitrise de la langue.

début "contage"

Dispositif pédagogique :

Voici la séquence didactique qui a résulté des différentes réflexions préliminaires, présentées succinctement dans les lignes précédentes.

Ce dispositif pédagogique fut initialement conçu pour des élèves de 2ème année commune.

Il s’agit des classes de 2c et 2d de Monsieur LéONARD, en 2004, à l’Institut Notre-Dame d’Arlon.

début 'contage' sommaire 120

Titre, sujet ou entrée de la séquence :

Classe d’application : 2ème Commune

Conte toujours … tu m’intéresses

Objectif :

Au travers du contage de légendes, l’élève sera amené à utiliser pour la production de sens les ressources du non verbal et du paraverbal.

Compétence dominante :

PARLER ( 6 & 7 ) ? essentiellement en activités de structuration

Etape n°

Objectif

Amener les élèves à :

Activité (P.A.R.)

Compétence et outils conceptuels

Outils didactiques

Temps

une période
50 minutes

1

Identifier ce qui permet d’assurer au spectateur une séance de contage agréable
(atmosphère, présentation, …)

? analyse/observation

¨ Au départ d’un extrait vidéo d’un conteur en action, les élèves émettent des hypothèses : De quoi s’agit-il ? Comment rendre un conte agréable à écouter ? Qu’est-ce que conter ?

? présentation du projet et consignes

¨ Explication du projet de contage de légendes + choix d’une légende ¨ Distribution des objectifs, du plan du cours ainsi que du portfolio (reprenant tous les exercices et les données ‘théoriques’).

¨ Consignes et explications : prise de notes en vue de créer personnellement sa ‘fiche outil’. (liste des paramètres du contage, définition et effets de ses paramètres,…)

¨ Explications relatives à l’évaluation : les critères d’évaluation seront repris sur une grille donnée dès le début aux élèves. Ponctuellement, les élèves s’évalueront et seront évalués. (Evaluation formative)

ECOUTER :

 

_ Associer à la construction du sens les éléments non verbaux employés.

 

_ Interpréter les aspects phoniques qui produisent des effets de sens

_ extrait vidéo de l’enregistrement des Nuits du conte de Chiny

(01/03/03)

 

_ Liste de légendes de la région d’Arlon et de Virton

 

_ Plan du cours, liste des objectifs, portfolio

 

_ Grille d’évaluation

Une période

REMARQUE : tout au long de la séquence, les élèves prennent les notes nécessaires à la constitution de leur ’fiche outil’ finale. Pour s’aider dans leur tâche de production d’une synthèse, les élèves disposent du plan de la séquence, du portfolio, des activités ponctuelles de mise en commun, du professeur-ressource. La synthèse à produire devrait reprendre les différents paramètres du contage, leur ‘définition’, leurs effets, …

début "contage"

2

 

Confronter leurs hypothèses personnelles à celles de leurs camarades ainsi qu’à des références externes ( sources théoriques et personnes ressources ) en vue d’établir une synthèse.

? Analyse

¨ Les élèves confrontent leurs hypothèses relatives à l’art de conter à des sources théoriques : 9 sources sont proposées aux élèves . Après cette confrontation individuelle, les élèves échangent leurs commentaires en groupes mixtes ( sources diverses ). Puis mise en commun avec l’ensemble de la classe : quels sont les ingrédients d’un contage réussi ?

¨ Chaque élève lit les caractéristiques du conte, de la légende… + mise en commun

 

LIRE / ECOUTER:

 

_ Elaborer des significations 
(dégager la thèse)

 

ECRIRE / PARLER :

 

_ Elaborer des contenus

 

 

_ Portfolio : extraits de sources théoriques

 

 

1

3

 

Soigner l’articulation lors de leur prise de parole en sachant l’effet produit.

? Pratique (travail en autonomie)

¨ Les élèves s’exercent librement à l’articulation. Ils reçoivent un bain de virelangues à réciter oralement.

? Analyse

¨ Seuls puis en commun, les élèves réfléchissent au paramètre travaillé : qu’est-ce ? quel effet cela produit-il ? + lecture du portfolio

? Structuration.

? Réinvestissement

¨ A la lumière de ce qui a été vu, les élèves travaillent leur légende.

 

PARLER

 

_Veiller à la présentation phonique du message : assurer une articulation suffisante / exagérer l’articulation

 

_ série de virelangues dans le portfolio

Une période

4

Employer un débit conforme à l’intention désirée et soutenir son discours par le regard.

? Pratique (travail en autonomie)

¨ Par 2, les élèves se lisent un récit en veillant à distribuer des regards, à varier le débit (doubler ou réduire le temps) , à exprimer des intentions diverses via le débit ou le regard.

? Analyse

¨ Seuls puis en commun, les élèves réfléchissent au paramètre travaillé : qu’est-ce ? quel effet cela produit-il ? + lecture du portfolio

? Structuration.

? Réinvestissement

¨ A la lumière de ce qui a été vu, les élèves travaillent leur légende.

PARLER

 

_ Veiller à la présentation phonique du message : réguler son débit / varier le débit

 

_ Associer à la parole les éléments non verbaux adéquats : le regard

_ extraits de deux textes à lire (narratif et descriptif) dans le portfolio

Une période

5

Exprimer délibérément une attitude précise lors de sa prise de parole.

? Pratique (travail en ateliers)

¨ Les élèves sont répartis dans quatre ateliers. Après +/- 10 min, changement d’atelier.

¨ Atelier mimes : mimer en fonction de la fiche tirée une relation entre individus, un ‘temps-climat’,… à faire découvrir aux autres membres du groupe.

¨ Atelier ‘description’ : décrire une image choisie durant 90secondes

¨ Atelier ‘Cyrano’ : les élèves s’exerceront à varier les expressions en oralisant ‘la tirade du nez’ issue de Cyrano de Bergerac

¨ Atelier ‘gestuelle’ : uniquement via des gestes, un élève ‘raconte’ en 1 min. aux autres une histoire célèbre qu’il devra leur faire deviner. (liste des histoires affichées au mur)

? Pratique (disposition scène)

¨ En déplaçant un objet, un élève devra faire ressentir une attitude ( tirée au hasard ) sans exprimer un mot.

¨ En récitant une phrase, un élève devra faire ressentir une attitude ( tirée au hasard ) sans expression du visage ( masque blanc ).

? Analyse

¨ Seuls puis en commun, les élèves réfléchissent au paramètre travaillé : qu’est-ce ? quel effet cela produit-il ? + lecture du portfolio

? Structuration.

? Réinvestissement

¨ A la lumière de ce qui a été vu, les élèves travaillent leur légende.

PARLER

 

_ Associer à la parole les éléments non verbaux adéquats : exprimer avec le corps et/ou le visage une attitude, une émotion

 

_ Veiller à la présentation phonique du message : l’intonation.

 

_ Elaborer des contenus : amplifier, décrire une image.

 

_ chapeau contenant une série de cartes colorées avec un mime à réaliser + référentiel (couleur = …)

 

_ série de photographies de paysage

 

_la célèbre tirade du nez issue de Cyrano de Bergerac, d’E. Rostand.

 

_ liste d’histoires célèbres + chapeau contenant cartons où est inscrit le titre d’une des histoires

 

_ série de cartons où est notée 1 attitude à exprimer

 

_ masque blanc, série d’objets à déplacer

Deux périodes

6

Conter une légende à un public en tenant compte des divers paramètres travaillés précédemment.

? (Auto) Evaluation formative

¨ Les élèves content leur légende devant la classe-public + caméra. Chaque élève a déterminé sa mise en scène, son ambiance.

_ Imaginer, créer, prendre du plaisir : raconter des histoires

_ caméra

Une période et demie

REMARQUE :Les deux activités suivantes se dérouleront simultanément : une moitié de la classe pour chaque activité durant une heure et puis les groupes s’inversent.

sommaire 120 début "contage"

7

Repérer par le visionnage de leur présentation ce qui est à améliorer prioritairement.

? Analyse

¨ Les élèves disposent du matériel nécessaire pour visualiser les contes de la veille.

¨ Chacun des élèves visionnera sa prestation et l’évaluera selon la grille d’évaluation reçue précédemment. De plus, chaque élève demandera à deux camarades d’évaluer sa prestation. Ainsi chaque élève pourra identifier ses points faibles, ses ‘défis’.

? Réinvestissement

¨ A la lumière de ce qui a été vu, les élèves travaillent leur légende.

PARLER

 

_ Associer à la parole les éléments non verbaux adéquats : exprimer avec le corps et/ou le visage une attitude, une émotion

_ Veiller à la présentation phonique du message : l’intonation.

 

S’EVALUER

_ T.V. + magnétoscope + cassette vidéo reprenant les contes filmés la veille

Une période

8

Réduire leur texte original à un schéma que les élèves pourront amplifier lors de la prestation.

? Pratique

¨ Au départ d’images, les élèves devront tenter de dire un maximum de choses en continue durant 90sec.

? Analyse

¨ Rappel du schéma narratif et de son intérêt.

? Pratique

¨ Décomposition par chacun de son conte en un schéma .

? Réinvestissement

¨ A la lumière de ce qui a été vu, les élèves travaillent leur légende.

PARLER :

 

_ Elaborer des contenus

 

LIRE :

 

_ Elaborer des significations

_ séries d’images

Une période

9

Conter une légende à un public en tenant compte des divers paramètres travaillés précédemment.

? Evaluation sommative

¨ Les élèves content leur légende devant un public ( autres classes invitées) . Chaque élève a déterminé sa mise en scène, son ambiance.

¨ Les élèves désignent les groupes qu’ils ont préférés. Chacun s’évalue selon ses défis.

_ Imaginer, créer, prendre du plaisir : raconter des histoires

/

Une période et demie

REMARQUE : Les activités suivantes sont des propositions d’activités pour poursuivre la séquence.

début "contage"

10

Déterminer les caractéristiques du conte et de la légende

 

? Analyse

¨ Seul puis par groupe de trois, les élèves lisent 2 légendes et 2 contes : ils doivent tenter de relever les caractéristiques communes et différentes de chacun de ses genres.

¨ Mise en commun : tour à tour, chacun des groupes proposent son tableau récapitulatif (= et ¹ ). Confrontation et rédaction d’une synthèse.

LIRE

 

_ Elaborer des contenus

 

_ Dégager l’organisation générale d’un texte

_ 2 contes : La princesse sur un pois, Le petit chaperon rouge

 

_ Légendes : celles déjà distribuées et travaillées.

 

11

Rédiger leur légende par écrit en vue de créer un recueil.

 

? Pratique

¨ Les élèves mettent par écrit leur légende, à savoir la légende qu’ils ont étoffée pour leur prestation.

¨ Ils en rédigent le plan puis le texte.

¨ En classe, nous corrigerons ensemble ces productions : correction à l’aide des autres dont les professeurs, des référentiels, …

? Réinvestissement

¨ Les textes ainsi produits seront réunis dans un recueil de légendes.

ECRIRE :

 

_ Elaborer des contenus

 

_ Veiller à la présentation orthographique du message

 

_ Assurer la cohérence entre P. et groupes de P.

_ Divers référentiels : grammaires, dictionnaires, …

 

 

 

 

 

 

 

Deux périodes

 

 

 

début "contage" sommaire 120

 

Propositions pour une sito- bibliographie:

(en rouge: les documents qui me furent le plus utiles)

 

Ouvrages:

ABDALLAH-PRETCEILLE (M.) – Des enfants non-francophones à l’école : quel apprentissage ? quel français ? . – Armand Colin-Bourrelier, coll. Cahier de pédagogie moderne, Paris, 1982.

CHARMEUX (E.) – Ap-prendre la parole. – Editions SEDRAP, 1996

DE CRUYENAERE (J.-P.) & DEZUTTER (O.) - Le conte. – Didier Hatier, Coll. Séquences, Bruxelles, 1990.

POPET (A.) & ROQUES (E.) – Le conte au service de l’apprentissage de la langue. – Editions RETZ, Paris, 2000.

WARKER (N.), traduit par NEUBERG (A.) – Wintergrün. Histoires, contes et légendes de la Province de Luxembourg. – Musée en Piconrue, Bastogne, 2004.

Revues:

Art du conteur-acteur, dossier in L’autre parole, Maison du Conte de Bruxelles-Capitale, décembre 2003, n°14.        Enseigner l’oral, numéro spécial de Français 2000, SBPF, décembre 2001, n°175-176.

 Oser l’oral, dossier in Les cahiers pédagogiques, janvier 2002, n°400.

Vers une didactique de l’oral ?, numéro spécial de Enjeux, CEDOCEF, décembre 1996, n° 39/40.

htp:/crdp.ac-reims.fr.cddp10/ia/ress_ped/dossiers/oral/8_a?htm   

http://pages.infinit.net/folklore/html/legendes.htm 

http://users.swing.be/paroleactive/special.htm 

http://www.ac-creteil.fr/mission-college/apprentissage_oral/evaluer_oral.htm

 Serge Martin, Les Contes à l’école, coll. « Parcours didactiques à l’école », Paris, Bertrand-Lacoste, 1997 (158 p.).

Des belles et des bêtes. Anthologie de fiancés animaux, coll. Merveilleux, n. 23, éd. établie et postfacée par Fabienne Raphoz, éd. Corti, 2003, 504 pages, octobre 2003.

Nadine Decourt & Michelle Raynaud, Contes et diversité des cultures, coll. «Argos Démarches», CRDP Lyon, 196 p.
Nadine Decourt, Littérature Orale Touarègue (Contes Et Proverbes), L'Harmattan, 1997, 245 p.  

http://www.ac-creteil.fr/lettres/pedagogie/college/6e/conteuse.htm   Ecrire un conte en sixième : une expérience de travail
en collaboration avec une conteuse.

http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/lettres/new/conte/contecra.htm  Groupe Ressource Pédagogique. L'oralité dans le conte. Écrire un conte et le raconter en 6e.

http://expositions.bnf.fr/contes/pedago/atelier/index.htm Ecrire un conte en ligne (dans le 'menu' pour le lycée: "autour du Chaperon Rouge")

sommaire 120 * début article contage *

 

 

 

 

Semaine du livre, cuvée 2004

 

Un vent poétique souffle à l'Institut Saint-Joseph de Charleroi!

 

 

De la première à la septième

Récit de Patricia Andris

 

A l'Institut Saint-Joseph de Charleroi, la semaine annuelle du livre, c'est devenu une tradition.

 

Et c'est également, chaque fois, une aventure: prendre rendez-vous avec des animateurs, des écrivains, des artisans en précisant bien la demande et la durée; constituer une équipe de collègues (et pas seulement en français, cette année 2004); aménager les horaires de cours; disposer les locaux; assurer l'intendance (réception des invités, confection de panneaux pour l'exposition, fléchage, etc. ; exposer les travaux réalisés... 
Avec une direction d'école qui soutient toujours volontiers notre projet!

 

 

Quatre journées - du 29 mars au 1er avril - sur le thème de la poésie.

 

Quelles activités furent proposées?

 

1. Autour du haïku: Des ateliers d'écriture et arts plastiques animés par la Maison de la poésie d'Amay.
   
BP.12 4540 Amay Belgique - Diffuse la revue L'arbre à Paroles.
  
Public visé; des classes de 2e de l'enseignement général.
    Les élèves ont pu, grâce à cet atelier, réaliser des 'boîtes à haïkus' sur le thème de l'arbre.

Un site sur le haïku (avec quelques orientations pédagogiques): http://pages.infinit.net/haiku/ 

 

 

2. Avec Colette Nys-Masure, un atelier d'écriture en laissant libre cours à l'imagination pour développer la créativité.
    Public visé: une classe de 2e année.

 

3. Une journée "papier" : fabrication du papier, reliure, imprimerie, calligraphie, enluminure.
    Avec la Maison de l'Imprimerie de Thuin.
    Public visé: les élèves de 1re année de l'enseignement général.

 

 

4. Une ludictée autour des expressions utilisées par les jeunes dans leur SMS. Avec une correction collective.
    Animateur: Bruno Coppens * http://www.ifrance.com/aubonsketch/Coppens.htm http://www.webzinemaker.com/admi/m6/page.php3?num_web=8526&r ...
    Public visé: toutes les classes de 3e de l'enseignement général.

 

Bruno Coppens se souvient...:

Heureux! J'étais heureux de vous rencontrer, chouettes élèves de l'Institut Saint-Joseph. Vraiment ce fut une matinée placée sour le signe de l'humour. Et puis, on a appris des choses sur le langage des jeunes, celui des adultes. Le tout dans la décontraction. Et puis, si on m'avait dit qu'un jour je ferais le cache-cache-pub avec trois cents ados et une dizaine de professeurs et éducateurs.
Merci pour ce moment, cette rencontre. Ce souvenir restera dans ma mémoire longtemps longtemps longtemps...

 

 

5.  Rencontre avec Françoise Lison-Leroy et Colette Nys Masure autour de leur roman Flore et Florence (Editions Memor http://www.memor.be )

Françoise Lison-Leroy, enseignante de français, participe à la page culturelle du journal Le Courrier de l'Escaut, est intervenante à l'Ecole Supérieure de Journalisme de Lille. 
De Colette Nys-Masure: Poésies (Le For intérieur, 1999; Trois suites sans gravité, 1999; Enfance portative, 2000), Théâtre (Tous locataires, avec F. Lison-Leroy, 2002)

Public visé: les classes de 2e de l'enseignement général.
Une rencontre en deux temps:
* Discussions autour du métier d'écrivain.
* Réponses aux questions posées par les élèves (questions élaborées préalablement en classe).
Rencontre prolongée par une relation écrite.

sommaire 120

 

6.Atelier écriture et arts plastiques en collaboration avec Véronique Petit, du secteur Arts appliqués à la Fédération de l'enseignement secondaire catholique
Public visé: classe de 3e
Réalisation d'une bouteille décorée avec de la poésie, et d'une boîte à poèmes

 

Trouvé ceci dans la boîte à poèmes...:

[Thème de l'amour - Poème libre]
La tristesse d'un amour
Son coeur brillait de mille feux
Fidèle dans le ciel
La nature était prête à pleurer
Car aujourd'hui
L'amour de sa vie l'avait quitté
A la lumière du jour
Ses larmes coulent
Car son premier amour
Aujourd'hui s'écroule

Samuel, 2e H

[Poème sur mon prénom. Jennifer]

Jennifer, un prénom super

Rempli de lumière

Pas souvent en colère

Mais très tête en l'air

Elle a un sourir d'enfer

Et un bon caractère!

 

Jennifer, 3e I

Réécriture à partir de différents poèmes de Verlaine]

Il pleure dans mon coeur

Vers d'autres lieux à d'autres amours

Quelle est cette langueur?

 

De la musique encore et toujours!

Mon coeur a de la peine

De ne pas savoir pourquoi

Tu n'es plus là!

 

Une élève de 3e I

 

 

Différentes expositions furent organisées par les élèves:

*    L'histoire de l'écriture, par une classe de 7e professionnelle, option Monitorat d'accueil
*    Travaux d'un atelier d'écriture organisé en 5e de l'enseignement général (dans le cadre du cours de français).
*    Des poèmes de toutes les langues: anglais, néerlandais, latin, grec, espagnol
        Les élèves ont inventé ou recherché des poèmes dans différentes langues.

 

Epopée épuisante mais ô combien gratifiante, que cette Semaine du Livre, où petits et grands ont pu constater que l'objet livre a encore de beaux jours devant lui.

sommaire 120 * début Semaine du livre

 

 

 

 

En joue: quelques enjeux des jeux du je

 

Réel et fiction, réel ou fiction? Repères pour lecteurs des 2e et 3e degrés

 

Propositions de Michel Voiturier

 

 

je quel drôle de mot  nécessaire pour commencer  à cesser à tour de drôle d’être jeu seulement de moi nécessaire pour commencer à jouer notre va-tout

Pierre Alechinsky*

 

 

La question du vrai et du faux, du crédible et de  l’invraisemblable, voilà un bel os à ronger.

Pierre Mertens*

 

 

Aujourd’hui, je ne s’intéresse plus qu’à lui et il ne se trouve pas drôle.

    André Balthazar

 

En poésie

Dans le roman

Au théâtre

Réel et fictif

Bibliographie

Retour sommaire 120

 

 

Les noms des auteurs belges sont suivis de *

 Le plasticien Alechinsky constate : en peinture, le je n’existe pas. Rôle autrement compliqué en littérature où le je s’écrit à tout bout de page.   Entre le  Madame Bovary, c’est moi de Flaubert et le  Je est un autre de Rimbaud, l’écriture possède en effet un jeu de je entre lesquels l’identification de l’auteur au narrateur ou son écart  par rapport à lui est multiple.

  Lors d’une communication à l’Académie de Langue et de Littérature françaises, Marc Wilmet*  s’interrogeait :  j’imagine que si le hasard m’avait fait écrivain, au moment de prendre la plume […], penché sur la page blanche, j’aurais eu à me poser une série de questions, notamment ‘ qui parle ?’  (ou ‘qui dois-je faire parler ?’), et ‘ quand ?’ (en chroniqueur, en spectateur ou en prophète), et ‘ comment ?’ (de façon peu ou prou réaliste). Les incipit des romans portent la trace de ces choix. 

  S’il est davantage acquis que l’usage de la première personne du singulier en poésie correspond souvent au scripteur exprimant de manière directe ses émotions et ses sentiments, le roman ou la nouvelle demeurent ambigus. Surtout dans les narrations épistolaires. Et davantage encore lorsqu’on parle d’autofiction.  

  Au théâtre, bien entendu, le je interprété par le comédien est celui du personnage, même si c’est bien l’acteur, en personne, qui le profère devant le public réellement installé dans la salle. Quoique, en fonction de certains artifices inspirés de la distanciation brechtienne, le personnage puisse se transformer à son tour en comédien commentant l’action. Mais là encore les paroles ont été préalablement écrites par le dramaturge et dans ce cas, l’interprète joue son propre rôle de comédien.   

  En ces trois domaines littéraires, il y a des cheminements divers à faire à travers les milliers de livres qui paraissent. Ce qui suit n’est qu’un exemple de parcours, partiel, partial où se retrouvent quelques-unes des utilisations de ce pronom dont Blaise Pascal prétendait qu’il était haïssable et à propos duquel Cioran constatait : Dès que sors du ‘je’, je m’endors.

   

        En poésie

sommaire 120 * début Jeux du je

Dans le poème, la première personne du singulier est souvent à prendre comme telle. C’est bien l’écrivain qui parle de lui, depuis les sonnets de Ronsard jusqu’aux autoportraits d’une Claire Lejeune* sans cesse en rapport avec son existence, d’une Liliane Wouters* mettant en vers sa naissance dans des Fragments autobiographiques ou d’une Anne-Marie Derèse*. Un des textes de cette dernière est intéressant en classe pour servir de structure à des autoportraits d’étudiants :

J'habite en moi.

Je me tolère.

Un mètre septante-cinq de faiblesse,

d'orgueil,

de luxure.

Je me supporte,

je me caresse,

Je me suspecte,

j'invente des légendes.

Un mètre septante-cinq

de rêve,

de mensonge,

de fleurs froissées,

de sexe de service.

Je suis en moi,

j'attends ma naissance.

Il arrive néanmoins, surtout lorsque la poésie prend des allures narratives, que le je soit fiction : C’est le cas du célèbre « Petit déjeuner du matin » de Jacques Prévert, dans Paroles. Néanmoins, un artiste tel que William Cliff*, ne cesse, lui, de relater les péripéties de son destin. Il est vrai qu’un poème tel que Journal d’un innocent indique clairement par son titre de quoi on va parler, même si c’est rédigé en vers.

 

 

 

 

 

Dans le roman

sommaire 120 * début Enjeux du je

Côté roman, le fictif s’exacerbe dans des pages comme celles de États de lame de Pascale Fonteneau*, paru dans la Série Noire, où l’histoire est racontée par le couteau qui a servi à perpétrer des assassinats. Cette focalisation interne permet d’envisager des points de vue très inhabituels, notamment en ce qui concerne les sensations éprouvées par le narrateur-objet.

  Lorsque le personnage est un humain, l’identification devient plausible quoique pas systématique. Impossible, par exemple, d’établir une relation directe avec François Emmanuel* qui dit en ouverture de Le Tueur mélancolique : Je n’ai jamais été très bon pour tuer les gens. Ni de croire aveuglément à cet incipit de l’impertinent opuscule Dieu et moi de Jacqueline Harpman(maladroitement désamorcé lors d’une dernière page superflue) dans lequel elle se délecte entre autre d’un dialogue caustique d’athée avec son créateur : Je mourus par un bel après-midi d’automne, m’épargnant ainsi l’hiver que j’ai toujours détesté.  Bien que la suite soit clairement consacrée aux idées chères à l’auteure et que la narratrice se révèle sa porte parole autant que son double.

 

Pas davantage il n’est pensable d’assimiler Élisabeth Bélorgey* à son  Autoportrait de Van Eyck. Ni Gaston Compère* à un souverain lorsqu’il intitule un de ses romans Je soussigné, Charles le Téméraire. Encore que dans ce cas, on serait en droit de se demander si le choix de son personnage n’a pas été dicté par une envie personnelle de changer d’identité puisqu’il  met sous la plume de son héros : Mon histoire m’a été imposée. J’ai toujours rêvé d’une autre.

 

 

  Fréquemment, dans le genre dit historique, il arrive que l’écrivain glisse sa propre vision du monde à travers les phrases qu’il met dans la bouche ou sous la plume de son héros.  Car il advient plus souvent qu’on ne le croirait qu’un prosateur se laisse envahir par l’une ou l’autre de ses créatures, vivant ainsi un destin imaginaire le temps de la rédaction d’un ouvrage. Il est bien sûr hautement improbable que l’écrivain ait réellement vécu ce dont il parle. On se souvient sans doute du passage de La Nausée de Jean-Paul Sartre au cours duquel Roquentin décide d’arrêter ses recherches sur une figure de la petite histoire, le marquis de Rollebon,  parce qu’il se sent envahi par un être du passé qu’il est en passe de ressusciter . Cela tout en constatant : M. de Rollebon était mon associé : il avait besoin de moi pour être et j’avais besoin de lui pour ne pas sentir mon être. Moi, je fournissais la matière brute, cette matière dont j’avais à revendre, dont je ne savais que faire : mon existence. Lui, sa partie, c’était de représenter. Il se tenait en face de moi, et s’était emparé de ma vie pour me représenter la sienne. Je ne m’apercevais plus que j’existais, je n’existais plus en moi mais en lui […].

 

   

Dans le domaine de la littérature fantastique, on sait que, du moins sous sa forme traditionnelle, une de ses composantes est que les histoires sont transmises par le narrateur lui-même car, afin d’accentuer le vraisemblable, il est sensé les avoir vécues. Chez Jean Ray*, par exemple, parmi les nouvelles de Le grand nocturne, plusieurs sont à la 1ère personne : « Le fantôme dans la cale », « La ruelle ténébreuse », « Le psautier de Mayence ». Dans Les cercles de l’épouvante, il en va de même pour « La main de Goetz Von Berlichingen » qui se déroule dans un quartier de Gand où le conteur résida,  « L’assiette des Moustiers », « Le cimetière de Marlyweck », « Dürer l’idiot » et « Hors des cercles ».

 

Le très foisonnant aTCHoum !  d’Otto Ganz*, sous-titré « Fables et osselets », est composé d’un certain nombre de soliloques attribués à Marie, Anton, Rossa No, Joseph, Pilou R., Sarah-Lou, Jarvis, Judith, Glon Yo, Robert, Ben Oït, Sproutch, Séauton… dont l’ensemble kaléidoscopique finit par composer un univers particulier. Aucun de ces êtres, affublés de l’épithète de nains, n’est Ganz. D’autant qu’il ne craint pas le paradoxe de faire affirmer par l’un d’entre eux, alors même que rien n’est plus littéraire que son écriture : Je ne crois pas à la littérature…ceux qui en parlent veulent y mettre de l’indiscutable et de l’authentique, de la catharsis, de la discipline ou de l’initiation aux vérités… Pures foutaises !

sommaire 120 * début 'Enjeux du je'

Un roman comme Eitô (lampe d’ombre) de Daniel De Bruycker* est passionnant au sujet du narrateur. Celui-ci décrit de l’intérieur ce qui a pu être ressenti par les habitants d’Hiroshima le 6 août 1945 lors du bombardement atomique de la ville. La première personne du singulier permet à l’écrivain d’intégrer des émotions, de les transposer littérairement. C’est également une façon de nous transmettre son amour et sa connaissance de la culture japonaise, entre autres par l’invention de haïku  à l’aspect presque authentique. À la fin, l’auteur (mais est-ce lui réellement ou un personnage qui endosse son rôle ?) intervient  avec un ton d’historien objectif.

   Ce jeu d’ambivalence donne poids à ce livre par ailleurs profondément humain. D’un autre côté, lorsqu’on interviewe l’écrivain, il affirme que son héros c’est lui : « Le réveil, tous les matins, c’est pour moi un peu comme Hiroshima car passer du sommeil à la veille est une épreuve qui me dit  que je suis plus vieux d’une journée, qu’il va falloir affronter la réalité, savoir que cette journée me rapproche de ma fin. Mon roman est une confession. »

   C’est précisément l’écriture, soignée, complexe, jouant souvent sur des associations ternaires, qui donne son prix à ce livre. Davantage que naguère Les Fleurs d’Hiroshima d’Edita Morris où le témoignage se coulait dans une structure aux apparences d’un romanesque plus traditionnel.

  Derrière la colline de Xavier Hanotte* est lui aussi particulièrement riche quant à l’utilisation de la première personne du singulier. En effet, plusieurs protagonistes racontent l’histoire et certains appartiennent au passé, d’autres au présent. Il faut un certain temps au lecteur pour passer d’un narrateur à un autre. Comme au surplus il y a des identités usurpées, la complexité s’accroît. Cela, au-delà du message pacifiste puisant ses arguments dans la barbarie de la première guerre mondiale, rend ce roman fort attachant du point de vue littéraire car le lecteur est amené à dénouer activement l’écheveau des éléments qui s’entrelacent.

   Familier de ce procédé, Hanotte le reprend de manière plus abordable dans une autre histoire à la portée directe des adolescents. Il s’agit de Les lieux communs qui se situe simultanément dans les tranchées de 14-18 et dans le parc d’attraction de Bellewaerde. Les séquences paires sont consacrées au récit d'un combattant de l'Yser. Les impaires laissent éclater la verve d'un gamin de huit ans. La confrontation de deux parlers très dissemblables avive la réflexion au sujet de la communication et des niveaux de langue.

   Inclassable se révèle le je des Trois siècles d’amour que signe Eva Kavian*. Elle s’aventure dans un kaléidoscope d’événements vus et vécus et sans doute fantasmés par son héroïne. Cela tient du roman d’anticipation, du fantastique, de la fantaisie débridée. Une sorte de délire savamment entretenu qui débouche sur une vision du monde où l’humain a sa place malgré les dérèglements dus aux négligences des terriens. L’onirique rejoint ici la réalité.

   Proche de l’autofiction s’avère Da Solo de Nicole Malinconi*. Elle y trace le portrait de son père. Ici encore la littérature rend le souvenir plus présent. Ici le je s’amuse à devenir tu de temps à autre car le personnage se parle à lui-même ou, qui sait, s’adresse parfois à un invisible interlocuteur. Le pathétique est présent sans jamais être forcé. C’est celui d’une vie. Cependant, et c’est ce que souligne Marie Klinkenberg* dans la postface de la réédition : le lecteur n’ayant aucune connaissance de la vie de l’auteure et n’ayant pas au préalable lu ‘Nous Deux’ ne peut donc établir de relation entre Malinconi et le narrateur du récit. La commentatrice ajoute : l’œuvre est bien un travail auto-réflexif sur la mémoire.

   Précisément, dans Nous Deux que Malinconi consacre à sa mère, le je discret se rapproche nettement de l’autobiographique. Mais ce qui aurait pu n’être qu’un livre mémorial confirme, comme le précédent, un souci esthétique constant quant à la musique et au rythme des mots.

   On est en plein dans l’autofiction avec La petite dame en son jardin de Bruges  de Charles Bertin*, qui sous-titre d’ailleurs son livre du mot « récit » car il s’agit de souvenirs d’enfance. Mais que penser des histoires narrées dans une publication au titre emprunté à Rimbaud,  Jadis, si je me souviens bien… où s'entrelacent à coup sûr la mémoire du vécu et le travail d’écriture ? Par contre Journal d’un crime de la même plume ne permet guère l’identification, pas davantage que le long monologue du « juge pénitent » de La Chute d’Albert Camus avec lequel il a quelques accointances.

  Les derniers ouvrages d’Eddy Devolder* sont très volontairement autobiographiques. Le romanesque y tient une place minimale. D’autant que le style est réduit à des phrases relativement simples. La ligne de partage se promène à travers des évocations de jeunesse. La Russe, au sein de quoi se mêlent des bribes d’histoire personnelle, se présente comme la narration d’un périple par un enfant kidnappé et laisse planer des doutes et se termine par cette phrase ambivalente : Un jour, peut-être, je partirai, et je sortirai de cette histoire. Mais Hugo Pratt a carrément des allures de notations régulières, mi-journal intime, mi-reportage à propos d’une collaboration avec le dessinateur de « Corto Maltese ». Au fil des pages, ce sont deux je qui alternent, parfois sans transition, celui de l’écrivain et celui de son interlocuteur.

  Un cas exemplaire est celui de Jean-Claude Pirotte*. Et sans doute est-ce à lui que s’applique le mieux cette assertion de James Joyce : Toute fiction est une autobiographie fantasmée.  La plupart de ses publications ont en effet pour sujet fondamental ses pérégrinations d’homme en cavale depuis que le tribunal de Namur l’a condamné à tort en tant qu’avocat soupçonné d’avoir aidé un de ses clients à s’évader. Dans ses histoires, comme le souligne Pol Charles* au cœur de son analyse de La pluie à Rethel, le moi se dilue, se brise, s’éparpille, se vaporise, s’indifférencie. Parfois, le il et le je, pronoms flous se superposent. Et le littérateur lui-même avoue, au début de Un voyage en automne : Je tenterai de poursuivre l’interminable monologue intérieur de la déchéance et de la dépossession.  

sommaire 120 * début 'enjeux du je"

   Il ajoute, quelques pages plus loin, qu’il a bricolé des livres avec les instruments en creux du mutisme.  Il avait déclaré – c’était dans Plis perdus et au sujet de sa manie des citations mais sa remarque s’appliquera volontiers à toute sa production – : Comme si le texte m’était nécessaire pour m’installer dans la vie et y croire un peu. Encore une preuve, s’il le fallait, que je n’ai pas vécu, que j’ai perdu depuis longtemps toute aptitude personnelle à vivre. Je prélève de cette façon des morceaux choisis de vie rapportée, qui ne sont que de la littérature, et je ne fais plus de différence entre le tunnel et le bleu du ciel.

 Qu’on le veuille ou non, cet écrivain parle de lui-même. Il a beau s’en défendre au moyen d’une remarque d’Henri Thomas mise en exergue, difficile de ne pas le découvrir derrière ses phrases : Il s’agit bien là de choses vécues, selon la bizarre expression consacrée, mais on se tromperait en y voyant une esquisse d’autobiographie. Cela pose, une fois encore, la question fondamentale de la frontière séparant le réel du fictif, la vie de l’art.

 Pierre Mertens*, dans Une paix royale, aborde totalement cette problématique de la fiction du monde tel qu’il est. Lorsqu’il note, parlant d’un parti politique, qu’il veut déstabiliser le pays en reconstruisant sur place du faux vrai plaqué sur le vrai faux, on serait tenté de croire que cette remarque s’applique parfaitement à son écriture.

 En effet, ce livre est rédigé à la première personne. Il met en scène des personnages de fiction mais nombre d’événements cités ont bel et bien eu lieu ; quantité de personnalités monarchiques, gouvernementales, sportives… ayant très réellement existé interviennent au cours de l’histoire après avoir vécu dans l’Histoire. Ceci lui a d’ailleurs valu quelques démêlés judiciaires avec la princesse de Réthy et l’éditeur fut contraint à retirer  divers passages du livre.

  L'équivoque prend toute sa portée au moment où le narrateur raconte une interview du coureur cycliste Rik Van Steenbergen.  À la fin il m’a demandé ce que je comptais ‘‘faire avec toutes ces notes’’ ? ‘‘Je ne sais pas trop, une sorte de roman’’, lui ai-je dit, en manière de boutade, bien sûr. ‘‘Un roman, s’est-il exclamé. Mais je suis tout de même vrai ?’’

  Quant à Colette Nys-Mazure*, son dernier ouvrage, L’Enfant neuf, s’insère résolument dans la problématique du littéraire et du biographique. La première partie est consacrée aux souvenirs de l’auteure au moment de la mort de ses parents, lorsqu’elle avait sept ans. Son écriture s’aventure à l’évidence dans le réel mais s’avoue comme une reconstruction par le langage d’une réalité ressentie au plus intime de l’enfance.  Et, à travers les mots qui reconstituent le passé, il est intéressant de remarquer combien, aux moments où la gamine se sent ballottée, manipulée au sein d’un monde adulte qu’elle est encore incapable de comprendre, la phrase passe brutalement du je intime au on d’une certaine forme de dépersonnalisation, d’anonymat parmi une foule de gens qui ne sont plus ni la mère, ni le père.  

 

Au théâtre

sommaire 120 * début Enjeux du je

 

Sur scène, il y a des je qui jouent avec une ambiguïté particulière. Ainsi le personnage imaginé par Jean-Pierre Dopagne* dans L’Enseigneur ou une ombre au tableau (pièce rebaptisée plus banalement Prof ! lors de la deuxième édition du livre par les Français férus de simplification démagogique). Il s’agit en effet d’un enseignant contraint par la justice à interpréter chaque soir son propre rôle devant un public afin de lui expliquer pourquoi il a flingué un jour les élèves de sa classe. Vis-à-vis des spectateurs, la situation est assez semblable à celle jouée par Annie Girardot dans la Madame Marguerite de Roberto Athayde : les spectateurs se voient métamorphosés en élèves sagement assis face à un maître. Chez Dopagne, l'attention est ravivée par une constante analogie analytique entre le métier d’enseignant et celui de comédien, entre enseignement et spectacle théâtral.

 

Stanislas Cotton*, lui, dans Bureau national des allogènes, permet une comparaison fructueuse de langages. Ses deux personnages ne se rencontrent pas sur le plateau. Chacun y va de son monologue. L’un est employé à l’office des étrangers et a pouvoir d’accorder ou non le droit d’asile ; l’autre est un africain immigré clandestin à qui il a refusé le visa d’entrée en Belgique. Tous deux révèlent leur perception du monde. Leur manière de dire, personnalisée jusque dans le rythme et la musicalité des phrases, est révélatrice d’une relation étroite entre leur parole et la façon dont ils existent.

 Chez Bruno Verbrugge*, les monologues successifs, à juxtaposer ou à entrecroiser, sont au nombre de 10 dans  Tout le monde connaît Bob Marley. Ce qui permet une assez vaste variété de tons et de langage. Chaque personnage représente un membre de la famille du célèbre chanteur de reggae. L’ensemble des fragments finit par constituer une sorte de fresque familiale, quasi tribale au sujet de ce qui a suivi la mort du musicien et de quelle façon certains ont voulu récupérer l’image charismatique de la vedette.

  De son côté, un Slimane Benaïssa, surtout dans Les confessions d’un musulman de mauvaise foi, étale à l’envi ses souvenirs de maghrébin écartelé entre deux cultures, deux religions. Comme il signe la mise en scène de son œuvre et y interprète lui-même plusieurs rôles, son plaidoyer en faveur de la tolérance et de la coexistence multiculturelle n’en prend que davantage de force.

 

 

Réel et fictif

sommaire 120 * début Enjeux du je

 Reste une constatation. Celle que la majorité des gens éprouvent une difficulté manifeste à accepter que la littérature est avant tout fiction puisque le travail littéraire est identique sur une matière soit vécue, soit imaginaire. Et sitôt que l’auteur appartient à la sphère médiatisée des gens prétendument célèbres, l’amalgame devient immédiat entre les créatures sur papier imprimé et la réalité brute du plumitif, qu’il use ou non du je dans sa production. Preuve en est à travers l’actualité de la rentrée littéraire : le coup de colère poussé par Patrick Poivre d’Arvor lorsque la presse people a répandu la rumeur qu’il était atteint d’un cancer parce que la figure centrale de son dernier ouvrage, La mort de Don Juan, est gangrenée par cette maladie. Il a d’ailleurs déclaré sans ambages à l’hebdomadaire Téléstar : La tumeur au cerveau est une métaphore de la perte de création, c’est symbolique.

  En fin de compte, rien n’est résolu car, même si on pense, comme Wolfang Kayser, que le narrateur n’est jamais l’auteur, déjà connu ou encore inconnu, mais un rôle inventé et adopté par l’auteur, l’ambivalence subsiste. Ainsi dans un roman à clé où les personnages sont identifiables. C’est le cas du très bref Vae Victis de Vincent Engel*.  Comment juger en effet une fable où le narrateur se nomme Baptiste Morgan - pseudonyme qu’utilisa l’auteur pour une de ses publications - et que son interlocuteur - avec lequel il règle ses comptes - s’appelle Marek Mauvoisin, alias Marc Quaghebeur, avec qui il eut maille à partir lorsque ce dernier occupait d’importantes fonctions au sein de l’administration de la culture chargée des lettres ?  Les réseaux d’identités, feintes ou véritables, s’entrecroisent et nourrissent l'équivoque. Sans doute, finalement, pour le plus plaisir accru du lecteur.

  Ce point de vue vient d’être dernièrement sujet à polémique avec la parution du livre de la comédienne Marianne Denicourt, rédigé en complicité avec Judith Perrignon, Mauvais génie, au sujet de ses différends avec le cinéaste Arnaud Desplechin transformé pour la circonstance en Arnold Duplancher. Cette transposition, ce dernier semble l’avoir prise avec du recul en déclarant que les auteures lui faisaient jouer un rôle dans un bouquin de la même façon que  lui fait jouer des acteurs dans ses films.

  Certains écrivains, il est vrai, se complaisent à brouiller le jeu. Ainsi l’homme à la mode, Frédéric Beigbeder, dans L’amour dure trois ans où il finit, entremêlant le tout de provocations parfois faciles, par changer l’identité de son personnage en la sienne propre en émettant des considérations sur la littérature et son travail personnel d’écriture.

  Casa Le Moult. Me voici à Formentera pour finir ce roman. Ce sera le dernier de la trilogie Marronnier (dans le premier, je tombais amoureux; dans le second, je me mariais; dans le troisième, je divorce et retombe amoureux. La boucle est bouclée). On a beau essayer d'inno­ver dans la forme (mots étranges, anglicismes, tournures bizarroïdes, slogans publicitaires, etc.) comme dans le fond (nightclubbing, sexe, drogue, rock'n roll...), on se rend vite compte que tout ce qu'on voudrait, c'est écrire un ro­man d'amour avec des phrases très simples­ - bref, ce qu'il y a de plus difficile à faire.

J'écoute le bruit de la mer. Je ralentis enfin. La vitesse empêche d'être soi. Ici les journées ont une durée lisible dans le ciel. Ma vie pari­sienne n'a pas de ciel.

  Il pousse l’idée jusqu’à prendre des distances avec ce qu’il est en train de raconter. Le personnage féminin de son livre intervient, laissant de la sorte percer que l’écriture est surtout un travail de réécriture permanent :

  Ensuite, elle lit ceci par-dessus mon épaule et me demande de supprimer «je l'encule ». J'ac­cepte, j'écris «je la prends », et quand elle s'éloigne je fais un petit « Pomme Z» sur mon Macintosh. La littérature est à ce prix, l'His­toire des Lettres n'est qu'une longue litanie de trahisons, j'espère qu'elle me pardonnera.

   Quant au rapport entre bouquin et réalité, Beigbeder insiste afin d’être perçu comme un équilibriste entre son vécu et son perçu. Et pour ce, s’adresse directement à son lecteur.

  J'espère que le titre mensonger de ce livre ne vous aura pas trop exaspéré : bien sûr que l'amour ne dure pas trois ans; je suis heureux de m'être trompé. Ce n'est pas parce que ce livre est publié chez Grasset qu'il dit nécessairement la vérité.  

sommaire 120 * début 'enjeux du je"

  Alors, l’auteur apparaît narrateur de lui-même  et sous-entend, peut-être, que l’expression artistique permet à celui qui la pratique de trouver un équilibre personnel, voire à tout le moins de mieux se comprendre lui-même:

 Épicure préconise de s'en tenir au présent, à la plénitude du plaisir simple. Faut-il préférer le plaisir au bonheur? Plutôt que de se poser la question de la durée d'un amour, profiter de l'instant est-il le meilleur moyen de le prolonger? Nous serons des amis. Des amis qui se tiennent par la main, qui bronzent en se roulant des patins, s'interpénètrent avec délicatesse contre le mur d'une villa en écoutant Al Green, mais des amis quand même.

 Une journée splendide a béni notre anniversaire. À la plage nous avons nagé, dormi, heu­reux de chez Heureux. Le barman italien du petit kiosque m'a reconnu:

- HelIo, my friend Marc Marronnier!

Je lui ai répondu:

      - Marc Marronnier est mort. Je l'ai tué. À partir de maintenant il n'y a plus que moi ici et moi je m'appelle Frédéric Beigbeder.

      Il n'a rien entendu à cause de la musique qu'il diffuse à tue-tête. Nous avons partagé un melon et une glace. J'ai remis ma montre. J'étais enfin devenu moi-même, réconcilié avec la Terre et le temps.

  Le mécanisme de l’écriture qui navigue entre le il et le je, c’est probablement ce que vit Raphaël, l’adolescent du roman Monsieur Bonheur  de Frank Andriat* lorsqu’il se pose des questions au sujet de soi :

 Je m’arrête au milieu du large couloir de l’entrée pour faire le point. Raphaël Valaisse est plein de remords et il en est tout étonné. Quand les choses ne sont pas claires, je préfère m’écarter de moi et m’examiner à la troisième personne. Oui, Raphaël est triste ; il se voit obligé de reconnaître qu’il apprécie énormément monsieur Bonheur et qu’il s’en veut d’avoir eu des pensées incorrectes à son propos. Raphaël Valaisse deviendrait-il excessivement sensible ? Il a toujours été choqué par toutes les injustices et il lui semble qu’il vient d’en commettre une.

  Voilà.  Ça va mieux. Je rejoins mon « je ». J’y vois enfin clair. 

  Pour le lecteur comme pour l’analyste, toutes lectures faites, ce n’est peut-être pas si sûr… 

 Michel Voiturier

 

sommaire 120 * début Enjeux du je

 

Bibliographie

sommaire 120 * début Enjeux du je  * début Semaine du livre 

 

 

Les noms des auteurs belges sont suivis de *

 Pierre Alechinsky*, André Balthazar*, L’air de rien, La Louvière, Musée Ianchelevici, 2004

Frank Andriat*, Monsieur Bonheur, Bruxelles, Memor, 2003

Frédéric Beigbeder, L’amour dure trois ans, Paris, Gallimard, Folio, 1997

Slimane Benaïssa, Les confessions d’un musulman de mauvaise foi, Carnières, Lansman, 2004

Charles Bertin*, La petite dame en son jardin de Bruges, Arles, Actes Sud, 1996

Charles Bertin*, Journal d’un crime, Bruxelles, Labor, Espace Nord, 2001

Charles Bertin*, Jadis, si je me souviens bien…, Arles, Actes Sud, 2000

Albert Camus, La Chute, Paris, Gallimard, 1956

William Cliff*, Journal d’un innocent, Paris, Gallimard, 1996

Stanislas Cotton*, Bureau national des allogènes, Carnières, Lansman, 2002

Thierry Debroux*, Le livropathe, Carnières, Lansman, 2003

Daniel De Bruycker* Eitô (lampe d’ombre) Actes Sud, Arles 2001

Marianne Denicourt, Judith Perrignon, Mauvais génie, Paris, Stock, 2005

Anne-Marie Derèse*, Le secret des portes fermées, Paris, Belfond, 1994

Eddy Devolder*, Hugo Pratt, Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, 2003

Eddy Devolder*, La ligne de partage, Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, 2003

Eddy Devolder*, La Russe, Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, 1998

Jean-Pierre Dopagne*, Prof !, Carnières, Lansman, 2002

Vincent Engel*, Vae Victis, Bruxelles, Le Grand Miroir, 2001

Pascale Fonteneau*, États de lame, Paris, Gallimard, Série noire, 1993

Xavier Hanotte*, Derrière la colline, Paris, Belfond, 2000

Jacqueline Harpman, Dieu et moi, Paris, Mille et une nuits, 2001

Eva Kavian*, Trois siècles d’amour, Bordeaux, Castor astral, 2003

Wolfang Kayser, Qui raconte le roman ? in Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977

Claire Lejeune*, Mémoire de rien, Bruxelles, Labor, Espace Nord, 1994

Nicole Malinconi*, Nous deux - Da Solo, Bruxelles, Labor, Espace Nord, 2002

Pierre Mertens*, Une paix royale, Paris, Seuil, 1995

Edita Morris Les fleurs d’Hiroshima, Julliard, 1961

Colette Nys-Mazure, L’enfant neuf, Paris, Bayard, 2005

Jacques Prévert, Paroles, Paris, Gallimard, 1949

Jean Ray*, Le grand nocturne – Les cercles de l’épouvante, Bruxelles, Labor, Espace Nord, 1989

Jean-Claude Pirotte*, La pluie à Rethel, Bruxelles, Labor, Espace Nord, 1991

Jean-Claude Pirotte*, Plis perdus, Paris, La table ronde, 1994

Jean-Claude Pirotte*, Un voyage en automne, Paris, La Table ronde, 1996

Patrick Poivre d’Arvor, La mort de Don Juan, Paris, Albin Michel, 2004

Jean-Paul Sartre, La Nausée, Paris, Gallimard, 1938

Bruno Verbrugge*, Tout le monde connaît Bob Marley, in La scène aux ados 2, Carnières, Lansman,                         2004

Liliane Wouters*, Poésie 1950-2000 Changer d’écorce, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001

 

 

 

 

 

Amin MAALOUF, Les identités meurtrières

 

 

Pistes d'exploitation d'un essai

 

 

Troisième degré (cl. de 6e) - ISJ Saint-Hubert

Récit d'Anne-Françoise Hansen

 

retour sommaire 120 début 'Amin Maalouf'

Plan du parcours

 

 

Découverte, rappels, motivation...

1. Questionnaire préalable à la lecture.

2. Approche globale: le paratexte

3. Lecture plus approfondie d'un extrait.

4. Questions portant sur l'ensemble de l'essai (préparées à domicile). Synthèse.

5. Intertextualité : Montaigne, réflexion sur le fanatisme.

6. Exercice d'écriture: rédaction d'une lettre d'opinion à l'auteur.

7. Biblio- et sitographie pour prolonger la recherche

 

 

Cette lecture nous avait été conseillée par Claude MARION dans le cadre d'une formation sur le 16e siècle. Le propos était sensiblement le même; nous parlions en effet des dérives entendrées par la colonisation liée aux grandes découvertes. La réflexion de Montaigne (Essais, III, Les boiteux) m'a été fournie dans ce contexte également. 


Ma dette envers la formatrice est immense: je la remercie de m'avoir fait connaître cet auteur libanais ainsi que son remarquable ouvrage (et les autres, parmi lesquels Léon l'Africain).
Les séquences de travail organisées à partir de l'oeuvre d'Amin Maalouf s'inscrivent dans le cadre d'un chapitre consacré à l'essai. Durée des séquences: 8 périodes, 1er trimestre 2004-2005. 

 

 

 

 

Découverte  

* Les activités que je vous propose ont été précédées d'une définition (née de la confrontation de plusieurs dictionnaires), d'une caractérisation (effectuée à l'observation de diverses couvertures et quatrièmes de couverture., d'un relevé des caractéristiques lexicales et stylistiques du genre, de la lecture d'extraits 'classiques' (Montaigne, La Bruyère) et contemporains (R. Petrella, E. Godaux).

 

 

 

 

Rappels...

* Un rappel des notions d'argumentation, approfondies en cinquième, s'est avéré nécessaire: 

* identification des arguments et instances du scénario imaginaire (qui plaide?)

* Quelle est la thèse? Comment est-elle défendue?

* L'auteur s'implique-t-il à visage découvert ou à visage masqué?

* Y a-t-il une thèse adverse?

* Quels sont les indices d'accréditation et de discréditation?

 

Cf  N. Bayet-Lindelauf, Je pratique l'argumentation, De Boeck-Duculot (l'argumentation comme 'mise en scène'

[V. aussi Alain Rabatel, Argumenter en racontant, De Boeck-Wesmael, 2004 (l'argumentation comme 'narration')]

 

 

 

 

Motivation et objectifs

Cette lecture me paraît essentielle à plus d'un titre; l'auteur aborde une problématique à laquelle nous sommes confrontés au quotidien par le biais des médias: le besoin d'appartenance collective des hommes et les dérives que génèrent les crispations identitaires, qu'elles soient d'ordre national, culturel, linguistique, racial ou religieux.

 

Ensuite, la démarche est didactique. Maalouf accompagne le néophyte dans une réflexion profondément humaniste avec un bagage lexical adapté au vocabulaire des adolescents. Il aborde enfin un autre thème interpellant pour les jeunes qui seront les acteurs des décennies à venir: la mondialisation, dont il signale les enjeux, les bénéfices et les pièges.

 

 

1. Questionnaire avant lecture  

 

 

* Que recouvre selon vous la notion d'identité? Que signifie l'expression revendiquer son identité?

Illustrez par des références actuelles concrètes.

* Pensez-vous qu'il y ait de bonnes et de mauvaises doctrines / civilisations? Si oui, auxquelles pensez-vous, et pourquoi?

* Percevez-vous la mondialisation comme un facteur d'enrichissement ou d'appauvrissement culturel? Justifiez.

* Citez l'un ou l'autre conflit (ou massacre) dans l'histoire passée ou récente qui vous semble né d'un conflit identitaire.

* Notez VRAI ou FAUX à côté des assertions suivantes.

 

 

 

Aucune doctrine n'est en soi libératrice ou pervertie

 

L'Islam a un passé fait d'intolérance: il n'a jamais admis la coexistence.:

 

Aucune doctrine n'est en soi libératrice ou pervertie.

 

L'histoire du christianisme n'est pas exempte de dominations et de tyrannies.

 

L'Islam est immobiliste, passéiste, ringard: la problématique née du port du voile le prouve.

 

Le radicalisme religieux est la voie actuellement adoptée par l'Islam parce qu'il n'avait pas d'autre choix.

 

La langue est un facteur important dans le façonnement de l'identité.

 

La Belgique ne souffre fort heureusement d'aucune crise identitaire.

 

 

début 'Amin Maalouf' * sommaire du 120

 

2. Etude du paratexte

 

Edition de 2001, 189 pages

 

 

Le livre de poche (édition 2001) présente en couverture un détail du tableau de Rubens, Caïn tuant Abel: il s'agit du meurtre fondateur, de la première bête identitaire de l'occident chrétien. La quatrième de couverture énonce les composantes de l'identité, justifie le titre, annonce une réflexion dans l'air du temps (la mondialisation), laisse présager un essai de type méditation (une pensée qui se construit, revendique sa subjectivité) plutôt que de type diagnostic (un état de la question, objectif) et présente Maalouf comme une sorte de lieu d'autorité en raison de sa multiculturalité (il est né au confluent de plusieurs traditions), de son humanisme (l'homme doit rester acteur de l'histoire), de sa pensée modérée sans toutefois sombrer dans la consensualité.

 

Le tableau en entier

 

Courtauld Institute of Art, London

http://www.courtauld.ac.uk 

 

 

 

 

3. Lecture plus attentive d'un extrait du chapitre 3 (p. 71 à 77)

 

 

 

Les élèves répondent aux questions classiques: 

Qui plaide? 

Quelle thèse défend-il?

 S'implique-t-il ou donne-t-il l'impression de rester neutre? 

Qui représente la partie adverse?

 Quelle thèse défend-elle?

 Le plaideur la réfute-t-il de manière nuancée ou tranchée?

 Quelle thèse défend-elle?

 Le plaideur la réfute-t-il de manière nuancée ou tranchée?

 Quels arguments le plaideur utilise-t-il?

[ne sont repris ici que le début et la fin]

On aura compris que je ne souscris pas à l'opinion commune, si répandue en Occident, qui voit commodément dans la religion musulmane la source de tous les maux dont souffrent les sociétés qui s'en réclament. Je ne crois pas non plus qu'on puisse dissocier une croyance du sort de ses adeptes, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire. Mais il me semble que l'on exagère trop souvent l'influence des religions sur les peuples, tandis qu'on néglige, à l'inverse, l'influence des peuples sur les religions. (...)

Ce contre quoi je m'élève ici, c'est cette habitude que l'on a prise - au Nord comme au Sud, chez les observateurs lointains comme ches les adeptes zélateurs - de classer chaque événement se déroulant dans chaque pays musulman sous la rubrique "islam", alors que bien d'autres facteurs entrent en jeu qui expliquent bien mieux ce qui arrive. Vous pourriez lire dix gros volumes sur l'histoire de l'islam depuis les origines, vous ne comprendriez rien à ce qui se passe en Algérie. Lisez trente sur la colonisation et la décolonisation, vous comprendrez beaucoup mieux.

 

 

 

4. Questionnaire portant sur l'ensemble de l'essai 

début 'Amin Maalouf'

 

Cette partie a fait l'objet d'une recherche à domicile. Nous effectuons la synthèse en classe sur base des informations récoltées.

    1.    De quels domaines l'essai relève-t-il?

    2.    Quelle est la proportion accordée par A. Maalouf à la partie descriptive et à la partie solutions?

    3.    Essayer de cerner les options idéologiques de l'auteur à l'aide des mots-clefs suivants. Vous justifiez à l'aide du texte. 

            Amin Maalouf est-il

humaniste

mondialiste

relativiste

extrémiste

réaliste

utopiste

conformiste

émancipateur

    4.        A-t-on affaire à un essai de type méditation ou diagnostic? Nuancez.

    5.        Donnez une définition exhaustive de l'identité.

    6.        Pourquoi peut-elle devenir meurtrière?

    7.        Comment l'auteur explique-t-il les dérapages actuels de l'Islam?

    8.        Pourquoi se réclame-t-on de son identité religieuse actuellement?

    9.        Quelles solutions l'auteur propose-t-il pour gérer les dérapages?

    10.      Quel est l'intérêt de cet essai? Avez-vous aimé? Pourquoi? 

début 'Amin Maalouf' * sommaire 120       

 

 

 

5. Montaigne, Essais, III, 11 (Des boiteux) [voir le texte d'après l'édition de 1595]

 

 

 

*    Trouvez une définition implicite du fanatisme

*    Montaigne fait l'apologie d'un état d'esprit qui n'est pas compatible avec le fanatisme. Lequel, et pourquoi?

*    En quoi la pensée de Maalouf et de Montaigne se rejoignent-elles?

*    Identifiez les comportements dénoncés par Montaigne. Lesquels avez-vous retrouvés sous la plume d'A. Maalouf?

 

[Texte adapté in Lire l'essai, de M. Baar & M. Liemans - Voir bibliographie]

Il n'est rien de plus commun aux hommes que la tendance à faire admettre leurs opinions. Quand le moyen ordinaire se révèle insuffisant, nous y ajoutons le commandement, la force, le fer, et le feu. Il est bien malheureux d'en être arrivé à ce que la pierre de touche de la vérité d'une chose soit le nombre de ceux qui croient cette chose vraie, alors que dans une foule, la quantité des fous surpasse la quantité des sages. «Quasi vero quidquam sit tam valde, quam nil sapere vulgare. Sanitatis patrocinium est, insanientium turba.» [Comme si le manque de jugement n'était pas la chose la chose la plus courante (Cicéron, De divinatione, II, 30). Une foule d'idiots comme garantie de la sagesse (St Augustin, Cité de Dieu, VI, 10)] Il est difficile de faire compter son jugement face à ce que tout le monde pense. La première conviction, fondée sur le sujet même, s'empare des esprits simples et, à partir de là, elle gagne les esprits subtils étant donné l'autorité du nombre et l'ancienneté des témoignages. Pour ce qui est de moi, si je ne crois pas une personne, je n'en croirai pas cent et une disant la même chose, et je ne juge pas des opinions en prenant leur ancienneté en considération. (...)

Il s'engendre beaucoup d'erreurs au monde ou, pour le dire plus hardiment, toutes les erreurs du monde sont engendrées par le fait qu'on nous apprend à craindre d'avouer notre ignorance et également parce que nous sommes obligés d'accepter tout ce que nous ne pouvons pas réfuter. Nous parlons de toute chose en donnant à notre propos des allures de maximes et de fermes décisions. L'usage, à Rome, était que, même lorsqu'un témoin témoignait de ce qu'il avait vu de ses propres yeux, même lorsqu'un juge décidait en se fondant sur le plus sûr des savoirs, l'on utilise la formule «Il me semble». On me fait détester les choses vraisemblables quand on me les impose comme incontestables. J'aime ces mots qui adoucissent et modèrent la témérité de nos opinions: Il arrive, Quelquefois, Un Certain, On dit, Je pense, et autres semblables. Et si j'avais eu à élever des enfants, je leur aurais tant mis à la bouche cette façon de répondre interrogative et non assertive: «Qu'est-ce à dire? Je ne comprends pas. Il se pourrait. Est-il vrai?» qu'à soixante ans, ils auraient toujours eu des comportements d'apprentis, alors qu'à dix ans, ils se comportent comme des docteurs. Celui qui veut guérir de l'ignorance doit faire aveu d'ignorance. (...) Le point de départ de la sagesse, c'est l'étonnement, son progrès, c'est la recherche, son point d'aboutissement, l'ignorance. Mais en vérité, il est une ignorance forte et généreuse, une ignorance qui fait honneur tout autant qua la science, qui ne demande pas moins de courage que la science, une ignorance qui est le fruit d'autant d'efforts de connaissance que la science elle-même. (...)

Les sorcières de mon voisinage hasardent leur vie sur l'avis de chaque nouvel auteur qui vient donner corps à leurs illusions. Pour appliquer à la sorcellerie moderne, dont nous ne comprenons ni les causes ni les moyens, les exemples que les Saintes Ecritures nous donnent de telles illusions - exemples dont on ne saurait douter ni discuter - il faut plus  de génie que nous n'en avons. C'est au tout puissant témoignage de Dieu qu'il nous faudrait éventuellement nous en remettre. Si Dieu disait: «Celui-ci est un sorcier, celle-là une sorcière, mais non cet autre», nous devrions le croire et nous aurions raison de le croire. Mais quelle raison de croire l'un d'entre nous, hébété de sa propre narration - et nécessairement hébété à moins d'être lui-même insensé - soit qu'elle porte sur les actes d'autrui, soit qu'elle porte sur ses propres actes. (...)

Je dirais volontiers que c'est bien assez qu'un homme, si recommandable soit-il, soit cru à propos de ce qui relève de l'humain (...) J'ai les oreilles rebattues de mille contes comme ceux-ci: «Trois le virent un tel jour en orient; trois le virent le lendemain en occident, à telle heure, en tel lieu et ainsi vêtu.» Assurément n'en croirai-je pas mes propres yeux. Je trouve bien plus naturel et vraisemblable de penser que deux hommes mentent que de penser qu'un troisième passe, comme le vent, en douze heures d'orient en occident. Je trouve bien plus plausible la perte du sens commun quand notre esprit se détraque et se met à battre la campagne que ces histoires de gens qui s'envolent sur un balai, en chair et os, par le tuyau de la cheminée, habités qu'ils sont pas un esprit étranger. Ne cherchons pas hors de nous-mêmes la cause de nos illusions, nous qui, constamment, nous illusionnons bien tout seuls. Il me semble qu'on est pardonnable de douter d'une chose tenant du miracle, tout au moins si on peut expliquer ce qui passe pour miracle d'une autre manière. Et je suis l'avis de saint Augustin selon lequel le doute vaut mieux que l'assurance, s'agissant de ce qu'il st difficile de prouver ou dangereux de croire.

sommaire 120 * début 'amin maalouf'

 

 

 

6. Lettre ouverte d'opinion à l'auteur

Cette activité nécessite la maîtrise d'un mécanisme que les élèves ont appris à reconnaître dans un texte à manipuler: la concession / réfutation. [Bref rappel par simple précaution...]

La consigne est la suivante:

 

 

 

L'auteur des Identités meurtrières a le sentiment d'avoir échoué. Le regard qu'il porte sur le monde, quelques années après avoir rédigé son essai, le conforte dans l'idée qu'il a fait tout ça pour rien. Interpellé(e) par la problématique et les pistes esquissées par l'oeuvre lue en classe dans le cadre du cours, tu lui écris donc pour lui remonter le moral.

Ton texte devra répondre aux critères suivants: comporter une thèse clairement énoncée, étayée par deux arguments au moins (dont l'un, illustré par un exemple personnel), il sera pourvu d'un paragraphe de concession / réfutation; la concession sera assortie d'un argument.

Les composantes de la lettre seront respectées; tu veilleras en outre à ne pas négliger le code (syntaxe, ponctuation, orthographe).

début 'Amin Maalouf'

 

 

Voici une des lettres; deux élèves se sont unis pour la rédiger. S'ils désirent garder l'anonymat, c'est parce que, disent-ils, "notre texte doit beaucoup aux échanges avec nos condisciples; il exprime le sentiment partagé par l'ensemble de notre classe". 

 

 

A lire ce texte, nous pouvons rassurer l'auteur: il n'a pas perdu son temps, beaucoup de préjugés sont levés au terme de ce parcours.

 

 

 

Monsieur Maalouf,

Dans le cadre du cours de français, nous avons eu l’occasion de lire votre ouvrage « Les identités meurtrières ». Par ce courrier, nous voulions non seulement vous témoigner notre sentiment de sympathie, mais également discuter la démotivation que vous avez marquée à la suite de la publication de cet envoi. 

Il faut admettre, en effet, que passer un message de tolérance tel que celui explicité à merveille dans votre livre dans une société et époque où l’individualisme règne à son plus haut niveau n’est pas chose aisée, et que celui-ci, même plein de sens, pourrait paraître utopiste aux yeux de certains qui prennent aisément pour exemple des conflits identitaires sans cesse plus désastreux... J’en veux pour preuve le conflit israélo-palestinien ou encore même, à une échelle plus nationale, le conflit actuel entre Flamands et Wallons qui parlent de plus en plus d’une confédération de la Belgique...  

 

 

Toutefois, malgré votre démotivation bien compréhensible, nous tenions à vous affirmer que les exemples de citoyenneté auxquels vous aspiriez ne sont pas définitivement révolus... Et ce à plusieurs niveaux qui nous concernent directement, nous étudiants, comme je vais pouvoir vous le montrer en prenant des exemples de notre participation à l’école notamment, mais également par des activités périphériques à ce milieu d’apprentissage, ou encore par des fonctions extrascolaires que certains élèves de notre classe ont le privilège d’assurer...  

 

Commençons ainsi par des exemples concrets qui proviennent de notre école... Nous éviterons de développer le concept « Cap 2000 » – activité réalisée il y a quatre ans entre quinze écoles européennes et qui fut synonyme de partage de cultures par divers échanges durant un an – car nous n’y participions malheureusement pas encore. Mais nous pourrions par contre donner en exemple le jumelage existant depuis plus de quinze ans entre notre école wallonne et l’école de Hamme, en Flandre, qui permet de prouver que les convictions des jeunes peuvent passer par-dessus les basses considérations politiques qui se discutent actuellement... Les actions menées par l’école même pour sensibiliser les jeunes à la tolérance, à la non-violence,  etc. ne sont-ils pas également des exemples tentant de prouver que la société actuelle est encore tolérante à plusieurs niveaux ?  

 

 

Les diverses activités liées à l’école constituent également des actions de tolérance ou d’écoute de l’autre... Ainsi, les différents conseils d’élèves, de participation, etc. créés par notre école permettent à chacun de s’exprimer, selon un exemple parfait de démocratie, et, bien sûr, d’ouverture d’esprit de tous ! Mais ce n’est pas tout ! Les différentes actions menées par nos gouvernements même vont également dans ce sens ! Ainsi, plusieurs élèves de l’école ont le privilège cette année de participer au projet « mini-entreprises ». Le but de ce projet est de monter l’entreprise la plus « rentable »  en concurrence des autres écoles qui participent au projet... Une fois de plus, n’observe-t-on pas une tentative d’alliance de plusieurs organismes ? Les différents concours, toujours menés dans ce même esprit remportent aussi un vif succès, preuve de l’intérêt porté par les jeunes à la découverte d’autres « horizons »... Ainsi, l’an passé, l’opération FAX lancée par notre école a permis de réunir des textes ou compositions centrées sur un sujet identique des écoles américaines, italiennes, belges, ... mais aussi japonaises et même turques, deux cultures bien différentes des idées « occidentales » ! Terminons enfin, même si la liste pourrait encore être longue, par notre visite au parlement européen de Bruxelles, où nous avons pu apprendre que même si des conflits règnent toujours, un exemple d’alliance aussi important qu’est celui de l’Europe nous permet de dire que notre société évolue également dans le bon sens à propos de l’ouverture à l’autre et au « partage »... N’est-on pas sur le point d’accueillir la Turquie, alors que ce pays possède à priori des tas de différences culturelles par rapport à l’Europe occidentale ?  

 

Quittons, pour terminer, le milieu scolaire pour nous intéresser aux activités extrascolaires exercées par différents élèves et qui sont synonyme une fois de plus, de tolérance et d’ouverture d’esprit... Ainsi, nous abordions ci-dessus le conseil d’élèves créé par l’école il y a quelques années. Or un élève de la classe a l’occasion de participer à ce même type de conseil, mais au niveau provincial... Ainsi, ces réunions, approuvés et « guidées » par les autorités politiques du pays, permettent non seulement de découvrir de plus près le fonctionnement d’une démocratie, mais aussi d’avoir en quelque sorte son mot à dire dans la société actuelle ! Les groupements de jeunes, ou encore les groupements humanitaires de jeunes ainsi que les divers camps qu’ils organisent vers les pays étrangers sont aussi en quelque sorte une ouverture d’esprit, puisqu’ils peuvent découvrir la culture étrangère et s’ouvrir à celle-ci. A propos de camp humanitaire, nous avons ainsi pu recueillir le témoignage d’une élève de notre école qui s’est rendue au Bangladesh avec la Fondation Damien, afin de se rendre compte de la situation... Ces exemples sont ainsi de parfaits éléments prouvant que la tolérance et l’ouverture d’esprit telle que celle exprimée dans votre livre sont encore de mise à l’heure actuelle !!!  

 

Des centaines d’exemples pourraient encore être donnés dans ce sens... tout comme dans l’autre ! Mais force est de constater un chose : même si la situation pourrait paraître comme critique à certains endroits ou à certains moments, peut-être aussi à cause d’une médiatisation trop importante, notre société pose encore à l’heure actuelle un regard tolérant sur ses voisins... Et votre livre reste parfaitement réaliste à ce niveau, et nous permet bien de nous ouvrir encore un peu plus à l’autre ! Encore une fois, nous vous remercions de nous avoir fait partager  le regard que vous portez sur le monde actuel. 

Les élèves de 6ème C – Institut St-Joseph – St-Hubert - Belgique

sommaire 120 * début 'amin maalouf'

 

 

Biblio- et sitographie  

 

 

*Quelles situations pour argumenter?

par Caroline Golder et Delphine Pouit, paru dans Le français aujourd'hui, n. 123, sept. 1998 (numéro spécial sur l'argumentation). 

* Site pédagogique sur l'Islam: comprendre l'islam et la civilisation arabo-musulmane France 5 et l'IMA (Institut du monde arabe) http://www.imarabe.org/

* Marc Lits, Pierre Yerlès, L'essai (Livre de l'élève - Guide pédagogique), coll. Séquences, éd. Didier, 1994

Référence Bibl. Espace 27 Septembre:  F 31598 B/12,1

* Approches de l'essai. Anthologie, textes rassemblés et présentés par François Dumont, Québec, Éditions Nota bene, 2003, 276 p. (Coll. « Visées critiques ».)

* Michel Baar et Michel Liemans, Lire l'essai Collection Savoirs en pratique, Ed  De Boeck Université

Référence Bibl. Espace 27 Septembre: F 44461 B/4 

* Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur, Seuil, 2000, 136 p. Sept chapitres: Les cécités de la connaissance (erreur et illusion), Les principes d'une connaissance pertinente, Enseigner la condition humaine, enseigner l'identité terrienne, Affronter les incertitudes, Enseigner la compréhension (intéressant pour le prof de français!), L'éthique du genre humain.[Souligne à plusieurs reprises l'illusion de croire que la langue est limpide à l'autre...]

Référence Bibl. Espace 27 Septembre: F 44958 B

N. Bayet-Lindelauf, Je pratique l'argumentation, De Boeck-Duculot (l'argumentation comme 'mise en scène'

Alain Rabatel, Argumenter en racontant, De Boeck-Wesmael, 2004 (l'argumentation comme 'narration')]

sommaire 120 * début 'amin maalouf'

      

Montaigne, Essais, III, XI, Des boyteux. [d'après l'édition de 1595] En gras, les extraits étudiés en classe. 

 

Il n'est rien à quoy communement les hommes soyent plus tendus, qu'à donner voye à leurs opinions. Où le moyen ordinaire nous faut, nous y adjoustons, le commandement, la force, le fer, et le feu. Il y a du mal'heur, d'en estre là, que la meilleure touche de la verité, ce soit la multitude des croyans, en une presse où les fols surpassent de tant, les sages, en nombre. Quasi vero quidquam sit tam valde, quàm nil sapere vulgare. Sanitatis patrocinium est, insanientium turba. C'est chose difficile de se resoudre son jugement contre les opinions communes. La premiere persuasion prinse du subject mesme, saisit les simples : de là elle s'espand aux habiles, soubs l'authorité du nombre et ancienneté des tesmoignages. Pour moy, de ce que je n'en croirois pas un, je n'en croirois pas cent uns. Et ne juge pas les opinions, par les ans.

Il y a peu de temps, que l'un de nos princes, en qui la goute avoit perdu un beau naturel, et une allegre composition : se laissa si fort persuader, au rapport qu'on faisoit des merveilleuses operations d'un prestre, qui par la voye des parolles et des gestes, guerissoit toutes maladies : qu'il fit un long voyage pour l'aller trouver : et par la force de son apprehension, persuada, et endormit ses jambes pour quelques heures, si qu'il en tira du service, qu'elles avoyent desapris luy faire, il y avoit long temps. Si la fortune eust laissé emmonceler cinq ou six telles advantures, elles estoient capables de mettre ce miracle en nature. On trouva depuis, tant de simplesse, et si peu d'art, en l'architecte de tels ouvrages, qu'on le jugea indigne d'aucun chastiement : Comme si feroit on, de la plus part de telles choses, qui les recognoistroit en leur giste. Miramur ex intervallo fallentia. Nostre veuë represente ainsi souvent de loing, des images estranges, qui s'esvanouyssent en s'approchant. Nunquam ad liquidum fama perducitur.

C'est merveille, de combien vains commencemens, et frivoles causes, naissent ordinairement si fameuses impressions : Cela mesmes en empesche l'information : Car pendant qu'on cherche des causes, et des fins fortes, et poisantes, et dignes d'un si grand nom, on pert les vrayes. Elles eschappent de nostre veuë par leur petitesse. Et à la verité, il est requis un bien prudent, attentif, et subtil inquisiteur, en telles recherches : indifferent, et non preoccupé. Jusques à ceste heure, tous ces miracles et evenemens estranges, se cachent devant moy : Je n'ay veu monstre et miracle au monde, plus expres, que moy-mesme : On s'apprivoise à toute estrangeté par l'usage et le temps : mais plus je me hante et me cognois, plus ma difformité m'estonne : moins je m'entens en moy.

Le principal droict d'avancer et produire tels accidens, est reservé à la fortune. Passant avant hier dans un village, à deux lieuës de ma maison, je trouvay la place encore toute chaude, d'un miracle qui venoit d'y faillir : par lequel le voisinage avoit esté amusé plusieurs mois, et commençoient les provinces voisines, de s'en esmouvoir, et y accourir à grosses troupes, de toutes qualitez : Un jeune homme du lieu, s'estoit joüé à contrefaire une nuict en sa maison, la voix d'un esprit, sans penser à autre finesse, qu'à joüir d'un badinage present : cela luy ayant un peu mieux succedé qu'il n'esperoit, pour estendre sa farce à plus de ressorts, il y associa une fille de village, du tout stupide, et niaise : et furent trois en fin, de mesme aage et pareille suffisance : et de presches domestiques en firent des presches publics, se cachans soubs l'autel de l'Eglise, ne parlans que de nuict, et deffendans d'y apporter aucune lumiere. De paroles, qui tendoient à la conversion du monde, et menace du jour du jugement (car ce sont subjects soubs l'authorité et reverence desquels, l'imposture se tapit plus aisément) ils vindrent à quelques visions et mouvements, si niais, et si ridicules : qu'à peine y a-il rien si grossier au jeu des petits enfans : Si toutesfois la fortune y eust voulu prester un peu de faveur, qui sçait, jusques où se fust accreu ce battelage ? Ces pauvres diables sont à cette heure en prison ; et porteront volontiers la peine de la sottise commune : et ne sçay si quelque juge se vengera sur eux, de la sienne. On voit clair en cette-cy, qui est descouverte : mais en plusieurs choses de pareille qualité, surpassant nostre cognossance : je suis d'advis, que nous soustenions nostre jugement, aussi bien à rejeter, qu'à recevoir.

Il s'engendre beaucoup d'abus au monde : ou pour dire plus hardiment, tous les abus du monde s'engendrent, de ce, qu'on nous apprend à craindre de faire profession de nostre ignorance ; et sommes tenus d'accepter, tout ce que nous ne pouvons refuter. Nous parlons de toutes choses par preceptes et resolution. Le stile à Rome portoit, que cela mesme, qu'un tesmoin deposoit, pour l'avoir veu de ses yeux, et ce qu'un juge ordonnoit de sa plus certaine science, estoit conceu en cette forme de parler. Il me semble. On me faict haïr les choses vray-semblables, quand on me les plante pour infaillibles. J'aime ces mots, qui amollissent et moderent la temerité de nos propositions : A l'avanture, Aucunement, Quelque, On dict, Je pense, et semblables :

Et si j'eusse eu à dresser des enfans, je leur eusse tant mis en la bouche, cette façon de respondre : enquestente, non resolutive : Qu'est-ce à dire ? je ne l'entens pas ; il pourroit estre : est-il vray ? qu'ils eussent plustost gardé la forme d'apprentis à soixante ans, que de representer les docteurs à dix ans : comme ils font. Qui veut guerir de l'ignorance, il faut la confesser. Iris est fille de Thaumantis. L'admiration est fondement de toute philosophie : l'inquisition, le progrez : l'ignorance, le bout. Voire dea, il y a quelque ignorance forte et genereuse, qui ne doit rien en honneur et en courage à la science : Ignorance pour laquelle concevoir, il n'y a pas moins de science, qu'à concevoir la science.

Je vy en mon enfance, un procez que Corras Conseiller de Thoulouse fit imprimer, d'un accident estrange ; de deux hommes, qui se presentoient l'un pour l'autre : il me souvient (et ne me souvient aussi d'autre chose) qu'il me sembla avoir rendu l'imposture de celuy qu'il jugea coulpable, si merveilleuse et excedant de si loing nostre cognoissance, et la sienne, qui estoit juge, que je trouvay beaucoup de hardiesse en l'arrest qui l'avoit condamné à estre pendu. Recevons quelque forme d'arrest qui die : La Cour n'y entend rien ; Plus librement et ingenuëment, que ne firent les Areopagites : lesquels se trouvans pressez d'une cause, qu'ils ne pouvoient desvelopper, ordonnerent que les parties en viendroient à cent ans.

Les sorcieres de mon voisinage, courent hazard de leur vie, sur l'advis de chasque nouvel autheur, qui vient donner corps à leurs songes. Pour accommoder les exemples que la divine parolle nous offre de telles choses ; tres-certains et irrefragables exemples ; et les attacher à nos evenemens modernes : puisque nous n'en voyons, ny les causes, ny les moyens : il y faut autre engin que le nostre. Il appartient à l'avanture, à ce seul tres-puissant tesmoignage, de nous dire : Cettuy-cy en est, et celle-là : et non cet autre. Dieu en doit estre creu : c'est vrayement bien raison. Mais non pourtant un d'entre nous, qui s'estonne de sa propre narration (et necessairement il s'en estonne, s'il n'est hors du sens) soit qu'il l'employe au faict d'autruy : soit qu'il l'employe contre soy-mesme.

Je suis lourd, et me tiens un peu au massif, et au vray-semblable : evitant les reproches anciens. Majorem fidem homines adhibent iis quæ non intelligunt. Cupidine humani ingenii libentius obscura creduntur. Je vois bien qu'on se courrouce : et me deffend-on d'en doubter, sur peine d'injures execrables. Nouvelle façon de persuader. Pour Dieu mercy. Ma creance ne se manie pas à coups de poing. Qu'ils gourmandent ceux qui accusent de fauceté leur opinion : je ne l'accuse que de difficulté et de hardiesse. Et condamne l'affirmation opposite, egallement avec eux : sinon si imperieusement. Qui establit son discours par braverie et commandement, montre que la raison y est foible. Pour une altercation verbale et scholastique, qu'ils ayent autant d'apparence que leurs contradicteurs. Videantur sanè, non affirmentur modo. Mais en la consequence effectuelle qu'ils en tirent, ceux-cy ont bien de l'avantage. A tuer les gens : il faut une clairté lumineuse et nette : Et est nostre vie trop réelle et essentielle, pour garantir ces accidens, supernaturels et fantastiques. Quant aux drogues et poisons, je les mets hors de mon conte : ce sont homicides, et de la pire espece. Toutesfois en cela mesme, on dit qu'il ne faut pas tousjours s'arrester à la propre confession de ces gens icy. car on leur a veu par fois, s'accuser d'avoir tué des personnes, qu'on trouvoit saines et vivantes.

En ces autres accusations extravagantes, je dirois volontiers ; que c'est bien assez ; qu'un homme, quelque recommendation qu'il aye, soit creu de ce qui est humain : De ce qui est hors de sa conception, et d'un effect supernaturel : il en doit estre creu, lors seulement, qu'une approbation supernaturelle l'a authorisé. Ce privilege qu'il a pleu à Dieu, donner à aucuns de nos tesmoignages, ne doit pas estre avily, et communiqué legerement. J'ay les oreilles battuës de mille tels contes. Trois le virent un tel jour, en levant : trois le virent lendemain, en occident : à telle heure, tel lieu, ainsi vestu : certes je ne m'en croirois pas moy-mesme. Combien trouvé-je plus naturel, et plus vray-semblable, que deux hommes mentent : que je ne fay qu'un homme en douze heures, passe, quant et les vents, d'orient en occident ? Combien plus naturel, que nostre entendement soit emporté de sa place, par la volubilité de nostre esprit detraqué ; que cela, qu'un de nous soit envolé sur un balay, au long du tuiau de sa cheminée, en chair et en os ; par un esprit estranger ? Ne cherchons pas des illusions du dehors, et incogneuës : nous qui sommes perpetuellement agitez d'illusions domestiques et nostres. Il me semble qu'on est pardonnable, de mescroire une merveille, autant au moins qu'on peut en destourner et elider la verification, par voye non merveilleuse. Et suis l'advis de S. Augustin : qu'il vaut mieux pancher vers le doute, que vers l'asseurance, és choses de difficile preuve, et dangereuse creance.

retour extrait Montaigne étudié en classe * sommaire 120 * début 'amin maalouf'

 

 

 

 

 

 

sommaire 120

 

 

 

 

 

Document brut: 

 

Devoir de mémoire...: le détour par la fiction

 

 

Luc FERRY, philosophe, à l'émission Le rendez-vous des Politiques, sur France-Culture, 28 janvier 2005, 

 le lendemain de la commémoration de la Shoah à Auschwitz.

 

Les intertitres entre crochets sont de la rédaction de LMDP.

 

 

 

[Devoir de mémoire, oui, sans doute, mais...]

 

 

Avec cette affaire de devoir de mémoire, on produit deux effets pervers.

 

 

Premier effet, on laisse le négationnisme de Le Pen organiser les cérémonies, si je puis dire, parce que, sans s’en apercevoir, on prend comme objet de la commémoration le négationnisme, et donc on essaie de combattre le négationnisme – ce qui évidemment est plus que légitime, mais la commémoration n’est pas la commémoration du négationnisme, donc le devoir de mémoire n’est pas adapté à l’objet même de la commémoration.

 

 

Deuxièmement, on donne à croire que le mal a eu lieu par manque d’histoire ou de mémoire ou de culture, alors que c’est exactement l’inverse. Le mal a eu lieu au présent, l’antisémitisme exterminateur existe au présent et nullement parce que les nazis n’étaient pas agrégés d’histoire.

 

 

 

 

 

[Le mal, c'est aujour'hui]

 

 

Donc ce n’est pas une question de mémoire. Le mal, il existe au présent, il a existé au présent, il existe encore au présent, dans d’autres génocides qui ont eu lieu il y si peu de temps qu’on en est terrifié. Et donc on oublie en disant : « Il suffit de se souvenir pour éviter le mal ! Mais non ! Le mal existe, il est totalement indépendant du souvenir ; donc c’est pour ça qu’on passe à côté.

 

 

 

 

 

[Le problème pédagogique...: Le détour par la fiction]

 

 

On passe à côté du vrai du vrai problème pédagogique aujourd’hui. C’est : que faire, face aux gamins qui vous disent « Oh! avec votre discours moral, vous nous cassez les pieds ; en gros, c’est de la propagande pro-israélienne ! »

 

 

Donc, le problème est : quoi leur dire ? Il faut passer par le détour de la fiction, par le détour des œuvres pour toucher les jeunes gens aujourd’hui. Ce n’est pas un discours moral, ce n’est pas un discours historique qui va les atteindre. Et quand vous voyez La liste de Schindler ou quand vous lisez Le choix de Sophie, eh bien, pour les adolescents, c’est infiniment plus bouleversant et propédeutique, préparatoire à un bon cours sur le génocide, que le discours moralisateur sur le devoir de mémoire.

 

[France-Culture, émission Le rendez-vous des politiques, 28 janvier 2005]

début texte de Luc Ferry * sommaire LMDP 120