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pédagogiques
Activités
de langue française dans l’enseignement secondaire * Revue trimestrielle
Alors, la route sembla charrier du sang.
Etude
de Germinal V, 5 (1885)
Récit
de Chantal Homel, 3e degré, ISM, Arlon
Article paru dans le numéro 108 (mars 2002) de LMDP * Remise à jour: décembre 2009
genèse,
titre et trame du roman *
la technique
naturaliste
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Émile Zola, Germinal, V, 5. Folio PP. 344-5 - Poche 333
1. La
genèse du roman
En 1884, a lieu une grève de 56 jours dans une mine du Nord.
Zola s’est rendu sur les lieux et a pu descendre au fond.
Mais son projet est plus ancien. Il
a étudié les grèves du Second Empire (1852-1870).
Commencé le 2 avril 1884, il est achevé le 23 janvier 1885, mais
depuis novembre déjà, il paraît en feuilleton dans le Gil Blas.
2.
Son titre
Parmi ceux écartés, La Lézarde, La Maison qui craque,
Le Feu qui brûle,
L’Orage qui monte, L’Avenir qui souffle, il a trouvé Germinal.
C’est un mois du calendrier révolutionnaire: «Je cherchais un titre
exprimant la poussée d’hommes nouveaux, l’effort que les travailleurs font,
même inconsciemment, pour se dégager des ténèbres si laborieuses où ils
s’agitent encore. Et c’est un
jour, par hasard, que le mot «germinal » m’est venu aux lèvres.
Je n’en voulais pas d’abord, le trouvant mystique, trop symbolique,
mais il représentait ce que je cherchais, un avril révolutionnaire, une envolée
de la société caduque dans le printemps (…).
Il est devenu pour moi un coup de soleil qui éclaire toute l’œuvre.»
3. Sa trame
Etienne Lantier,
fils de Gervaise Macquart, trouve du travail dans une mine du Nord.
La misère y est très grande, le travail, pénible.
La grève couve. Etienne les
y entraîne. La direction compte
sur la faim pour la réduire. Les
mineurs tiennent un temps, mais, affamés, ils échappent au contrôle de
Lantier et la grève se termine dans un bain de sang, les gendarmes tirent.
Les mineurs retournent au trou pour ne pas mourir de faim.
Une catastrophe, provoquée par un anarchiste (nihiliste), Souvarine,
ensevelit des équipes entières. Lantier
s’en va à Paris défendre la cause et l’émancipation des travailleurs.
4. La
technique
naturaliste
Cette superbe description, la marche des mineurs, prouve à elle seule
le but de Zola. La description
naturaliste a une fonction dramatique : elle participe au drama, à l'action.
Zola veut montrer la déshumanisation de l'homme par le travail, son
assujettissement : la mine abrutit et tue.
La grève a transformé les êtres en bêtes sauvages, mais elle menace
aussi les bourgeois: les mineurs les "saigneront"!
Déshumanisation, mort...: c'est ce que tente de mettre en relief le
tableau suivant.
"hommes
et femmes"
Les femmes avaient paru
près d'un millier de femmes cheveux épars dépeignés guenilles
peau nue quelques-unes... d'autres gorges gonflées vieilles affreuses (...) hurlaient cous décharnés
Et les hommes deux mille furieux masse compacte confondue un seul bloc culottes déteintes la même uniformité bouches noires
visages atroces le diable... un seul! ces bandits-là face placide
Alors... le soleil pourpre sombre... la route sembla...
les femmes, les hommes Oh! superbe... une belle horreur |
"animalité"
des nudités de femelles lasses d'enfanter...
leur petit...
terreuse en un mugissement confus
débandade enragée
mâchoires de bêtes fauves
continuaient... galoper |
"mort"
...des meurt-de-faim
ainsi qu'un drapeau de deuil
vengeance
de guerrière une hache passa
hache unique (...) comme l'étendard
(au) profil aigu d'un couperet de guillotine ensanglantaient charrier du sang
saignant comme bouchers en pleine tuerie |
1. Pourquoi les femmes en tête
de la marche?
Les femmes sont en première ligne parce qu'elles y sont tous les jours,
elles doivent assurer la subsistance de toute leur famille, nombreuse car un
enfant, c'est un salaire en plus! Or
la mine ne suffit pas et, quand le pain manque, elles sont réduites à la
mendicité, voire à la prostitution, à l'infamie. Les femmes sont aussi aux avant-postes parce que, comme le
dit Zola "on verrait bien si les gendarmes oseraient taper sur des
femmes" (chap. IV, P. 326). Beaucoup
de guerres ont vu les chefs se servir d'elles!
2. Les femmes en tête,
c'est le premier effet de surprise. D'où
vient le second?
Il vient de la multitude, "près d'un millier de femmes".
D'abord présentées d'une manière générale, elles sont ensuite individualisées,
des jeunes, des vieilles, les mères; ce sont des femelles dont les petits sont
voués à la mort.
3. Comment sont présentés
les hommes?
Les différences : ils sont présentés en bloc, confondus dans la
multitude, unis dans leur révolte. Les ressemblances, deux mille maintenant,
les vêtements en loques, ils mugissent.
4. Quelles figures emblématiques
(symboliques, emblèmes, mythiques) trouve-t-on dans ce texte?
- l'enfant
®
drapeau de deuil, de vengeance,
seul espoir du peuple
- la femme
®
guerrière
®
amazone
- la hache
®
étendard
couperet de guillotine
®
fin d'une société
- le mineur
®
boucher
- le soleil
®
sang (couchant)
Et la puissance menaçante des mineurs s'oppose à l'immobilisme, à
l'impuissance des bourgeois réduits au rôle de spectateurs.
Zola aimait tout ce qui était nouveau, novateur, dans les sciences, les
idées; il a défendu Gustave Eiffel, il se passionna pour la photographie...
Parmi ses fascinations, la peinture impressionniste. Il lui a fait une
place dans les Rougon-Macquart avec L’Œuvre;
comme par hasard, c'est Claude Lantier, le frère d'Etienne qui en est le
héros. Zola aime cette peinture et
on peut dire que la mise en place de Germinal, le Ier chapitre, participe de sa
technique : de petites touches de lumière, de bruits, dans les profondeurs de
la nuit.
Ici aussi apparaît le Zola artiste : la description se transforme en
hallucination, en vision fantasmatique, la laideur devient beauté, "oh!
superbe", l'horreur devient esthétique, "une belle horreur".
C'est aussi le Zola spectateur de sa propre écriture, étonné de ce qu'il écrit,
de sa capacité à mettre en scène ce peuple, porteur de valeurs nobles, avide
de justice, mais dominé par des forces instinctives, primitives qu'il admire et
qui le dégoûtent en même temps.
De la même auteure:
Parcours "réalisme" (Flaubert...). LMDP 110 (septembre 2002) Ouvrir
Des "nouvelles" de Maupassant (Hors-série "3e degré", 1990; actualisé en 2004) Ouvrir