langue maternelle

documents pédagogiques

Activités de langue française dans l’enseignement secondaire * Revue trimestrielle

 http://docpedagfrancais.be/Sitelmdp/   

 

Ceux-là qui n'échangent rien ne deviennent rien. (Saint-Exupéry, Citadelle)

Tir au but * Conférencier 

Deux mots pour une fable * L'écriture: contrainte et liberté                                 

Deuxième et troisième degrés

Article publié dans le numéro 85, juin 1996 (version "papier") de LMDP. Remanié : novembre 2009 

objectifs et activités * séance d'écriture: les Papous (France Culture), 5 janvier 1996  

* mais est-ce bien sérieux? * propositions d'activités

 


 

L'écriture en classe: un lieu convivial...

« Si l'enseignant veut remplir sa mission, il doit être lui-même un praticien; l'écrit ne peut être enseigné valablement que par quelqu'un qui a une pratique personnelle de l'écrit. De plus, l'enseignant doit écrire devant les élèves, avec eux, en intervenant au moment même du processus de production de l'écrit. » 

Pierre SAGET, Le Français dans le Monde, 192 (avril 1985), p. 52 (art. intitulé Le plaisir d'écrire). 

 

Objectifs et activités

Découvrir l'écriture littéraire ludique comme espace de contrainte(s) et de liberté

Observer dans cette forme d'expression le travail sur le champ lexical

Relever les procédés de l'humour et de la parodie

Pratiquer diverses formes d'écriture créative: humour, jeu sur le son, pastiche, lipogramme, sigles imaginaires...

 

Voir, dans  le document Compétences terminales en français (éd. Communauté fse de Belg.),

        le paragraphe Lire: Identifier, interpréter et comprendre différents de textes

        le paragraphe Écrire : Développer la créativité au travers de l'écriture

 

Les Papous : Un atelier d'écriture sur France Culture 

Vous connaissez - ou feriez bien de connaître ! - l'émission Les Papous dans la tête, animée chaque dimanche de 12h45 à 14h sur France Culture par Françoise Treussard.

Y participent des écrivains qui se plient dans la bonne humeur à diverses contraintes d'écriture telles que :  

* Retranscrire un texte (souvent un poème connu) en s'interdidant telle voyelle (lipogramme) Voir 5 essais d'élèves

* Échange épistolaire parodique entre un auteur et un éditeur

* Rédaction de notes infrapaginales (parodie des éditions savantes)

* Parodie de défenses de thèse universitaire

* Récit dont la dernière phrase est homophonique - ou presque - d'une première phrase imposée

* Récit contenant les 10 mots imposés à l'écrivain par ses comparses de l'atelier. Voir un ex. des Papous ! 

* Au téléphone: Imaginer les reparties au bout du fl. Puis comparer avec la "vraie" conversation. Exemple de consignes

* Deux phrases tirées au sort doivent être respectivement la première et la dernière phrase d'un récit.

* Composition d'un poème où sont imposés des couples de mots de même rime

 

        Et bien d'autres contraintes!

Plusieurs professeurs de français s'inspirent volontiers de certaines de ces contraintes dans les ateliers d'écriture avec leurs élèves.

 

Au programme des Papous, ce 5 janvier 1996: Les nouveaux fabulistes   

Françoise Treussard (FT) présente l'émission. En piste, Jean-Bernard Pouy (JBP) et Lucas Fournier (LF). 

FT - Si le renard peut parler avec le corbeau, pourquoi la petite cuiller ne parlerait-elle pas avec le dauphin, ou bien l'imbécile avec le marronnier? Tout peut devenir personnage de fable: il suffit de le décider. Ainsi, nous prenons au hasard... ou presque, des mots dans un dictionnaire, et nous les imposons comme sujets d'une fable à imaginer. [...]

Jean-Bernard Pouy, on vous a demandé de vous intéresser à deux noms qui sont le tir au but et le conférencier. Ce sont des mots qui ont été confiés à Lucas Fournier, qui a énormément travaillé sur ces deux mots. Et vous, Lucas, on vous a demandé, comme ça, au débotté, de faire une petite fable!

LF - Oui... [Bref silence.] Ça craint! [Puis il lit son texte.]

Le tir au but et le conférencier

On a bien repéré, à l'université de France,

La façon dont se closent toutes les conférences.

Le vrai conférencier ne peut jamais finir

La causerie pour laquelle on l'avait fait venir,

Car il y a toujours, pour son plus grand malheur,

Caché dans l'auditoire, un fin contradicteur,

Énervé, ulcéré, vite vociférant,

C'est pourquoi le recteur, pensant au foot-e-ball,

Prit une solution, ma foi, pas bien morale:

Pour les départager, «séance de tirs au but!»

Qui se résume, en gros, à une belle lutte

Facile à exprimer, difficile à mener.

Les deux contradicteurs, au lieu d(e) se bouffer l(e) nez,

S'envoient de beaux concepts en travers de la gueule

Et doivent, dans la seconde, s'ils ne sont pas veules,

Y répondre illico, assenant le plus vite

Un syntagme fleuri, et puis ainsi de suite.

Sortant, comme un beau diable, de l'avant-dernier rang;

Et la bataille est rude: chacun marque des points...

Quelquefois, le verbal se règle à coups de poing.

Mais l'Université aime ses auditeurs:

Jamais y a un vaincu, jamais y a un vainqueur,

Car les joutes mentales sont bien trop embrouillées

Et, d'ailleurs aucun d'eux vraiment n(e) veut se mouiller.

Le premier qui hésite et répond à côté

Perd toute la partie et puis se voit ôté

Le droit de revenir à toute conférence

Pendant un mois au moins, et dans toute la France.

Car c'est navrant qu'à l'Université

Le rhéteur n(e) jouiss(e) pas de toutes ses facultés.

Le tir au but verbal, accompli sans filet,

Excita les malins et les fit défiler.

C'est sans doute pourquoi, aujourd'hui, en Sorbonne,

À toute conférence, il n'y a plus personne.

 

FT - Vous êtes proche de cette version, Jean-Bernard Pouy ?

JBP - Non! Mais j'aurais aimé la faire... [Puis il lit son texte:]

 

    Le tir au but et le conférencier

 

Un officier d'état-major,

Grand artilleur, se faisait fort

D'expliquer à l'École de Guerre

Quel était l'art et la manière

De tirer droit au but à tout coup.

Il parlait haut, fort et beaucoup.

Chacun écoutait en silence

Cette savante conférence.

Notre expert en l'art de la guerre,

Armé d'un compas, d'une équerre,

Calculait sur le tableau noir

L'endroit exact où devait choir,

D'après la trigonométrie,

Tout obus tiré sur l'infanterie.

Tandis que notre homme devisait

Sur le choix des angles de visée,

Sur le fût du canon, sur le vent,

Sur le poids des obus, devant

Un auditoire de galonnés,

Attentif à la leçon donnée,

Un planton, au fond de la pièce,

Somnolait, assis sur ses fesses,

Quand il vit au dehors un sniper!

Le planton, saisi par la peur,

Sauta d'un bond par la fenêtre

Et, après avoir chuté de trois mètres,

Repartit en courant, laissant

Là le conférencier bavassant,

Tandis que tombait sur la moquette

Le missile du lance-roquettes.

Dans la salle de l'état-major,

Il y eut ainsi beaucoup de morts,

Qui purent vérifier, dans la pratique,

Leur dernier cours de balistique.

Le planton, qui n'avait rien su

De la leçon de tir au but

Fut nommé chef des artilleurs

Et reçut même la croix d'honneur.

On tirera de cette fable

Les deux leçons inestimables

Qu'il vaut mieux être, tout d'abord,

Un sot vivant qu'un savant mort

Et que, malgré ce que l'on dit,

Il n'est pas toujours pericoloso sporgersi.

 

 

Est-ce bien sérieux ? Est-ce bien nécessaire ?

Réflexions et propositions méthodologiques

 

1.         Perte de temps, plaisirs futiles (débiles même, diront certains) ?

            La réponse d'un écrivain, philosophe et romancier, se réclamant... d'Aristote:

[Jorge observait qu'il n'est pas permis d'orner d'images ridicules les livres qui contiennent la vérité.] Et Venantius observa qu'Aristote lui-même avait parlé des traits d'esprit et des jeux de mots, comme instruments pour mieux découvrir la vérité, et que, partant, le rire ne devait pas être mauvais s'il pouvait se faire un véhicule de vérité.

            Umberto ECO, Le nom de la rose, Grasset, LP, p. 143 (c'est nous qui soulignons).

2.         La rigueur et le désir

Qu'il s'agisse d'écrits usuels (décrire, prescrire, raconter...) ou d'écrits "pour plaire ou pour rire"..., des règles, parfois très rigoureuses, sont à respecter: règles de progression, de cohérence, d'unité de forme, de conformité au code lexical, syntaxique; d'occupation de l'espace sur un support, etc. 
L'écriture est donc un "labeur". 

La RIGUEUR s'impose donc, dans toutes les formes.

Mais tout autant, le DÉSIR!

La rigueur d'une technique n'est vraiment admise et pratiquée que s'il existe le désir, individuel... ou partagé, de faire de l'écrit l'instrument de la socialisation par l'affirmation de soi et la reconnaissance de l'autre. Le "soi-même" et "l'autre" étant littéralement (c'est le cas de le dire!) construits et structurés par le jeu et le travail des mots assemblés.

D'où l'importance de faire de l'école un lieu... convivial. «On n'apprend pas à écrire dans une caserne.» (Alain ANDRÉ, Éloge du bouton de col à bascule, in Le français aujourd'hui, n° 93 (mars 1991), p. 95. Article sur les ateliers d'écriture) 

Utopique, ce lieu convivial? Espérons que non!

 

3.         Quelques propositions, de la 1re à la 6e

a. La satire du débat d'idées, du débat universitaire en particulier, du langage pédant dans la fable de Lucas Fournier. Relever les termes, les expressions qui dépeignent ce débat sous un jour peu favorable; observer aussi le registre de parole.

Compréhension de quelques formes: 
se mouiller, joutes mentales, ulcéré, rhéteur, syntagme fleuri, vociférant, veule, illico...

Lexique familier: foot-e-ball, se bouffer le nez, en travers de la gueule...

b. Dans la fable de Jean-Bernard Pouy, l'aimable plaisanterie sur le monde militaire vire à un moment précis à l'humour macabre. Repérer ce moment. Quels mots ou expressions le prouvent?

Compréhension de: se faire fort, le planton, sniper, la balistique, bavassant, pericoloso sporgersi...

c. Des couples et du sens...

Quelles autres histoires vous viendraient à l'esprit, avec ces deux noms, conférencier et tir au but ?

Et d'autres couples pour quelles histoires? Pour donner à l'exercice une allure ludique mais contraignante, on peut présenter un sac rempli de noms. Le concurrent en tire un au sort, peut le refuser et se donner une seconde chance, mais DOIT accepter au troisième tirage. Idem pour le deuxième nom.

Assez naturellement, l'exercice va déboucher sur la question: "Tous les mots sont-ils compatibles?" Excellente question! Qui amène à parler, selon le niveau de la classe:

        * de la notion de champ lexical

 

Dans les fables de notre document, les auteurs choisissent et combinent, tout simplement... et habilement, des termes de deux champs lexicaux: celui de la "conférence" et celui du "tir au but" (ce dernier terme est cependant détaché dans la seconde fable de son contexte normal: le domaine du sport).

Recherchons ces termes, par exemple

        "la conférence": université, causerie, auditoire, contradicteur, se faisait fort d'expliquer...

        "le tir au but": foot-e-ball, départager, séance (de tirs au but), lutte, perd la partie, marquer des points...

        Constatation importante: aucun champ lexical n'est tout à fait limité, fermé.

        * de la cohérence textuelle

Deux champs lexicaux (CL) principaux... et qui peuvent sembler ne pas être faits pour s'entendre... et pourtant, il y a unité et cohérence du texte!

C'est précisément à la façon habile d'associer deux CL que le texte doit sa cohérence. On pourrait dire que l'unité est paradoxalement due à une tension, résolue par l'auteur, entre ces ensembles de termes.

*      de progression narrative

Les personnages et leur rôle; les temps verbaux du récit; les péripéties, l'intention narrative (la critique sociale, la morale à tirer)...            


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