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JULIBEL, le français d'aujourd'hui Base de données initiée à la rédaction de LMDP |
SOMMAIRE |
Numéro 156 * Mars 2014
Dans ce numéro de printemps
1. Entre gens de qualité : la moniale de Nantes et Bernard Thibault de la CGT. Un échange épistolaire Documents bruts ► 2. Quand l'écriture met en scène l'événement Dramatisation et autres figures narratives * De Roncevaux au maquis : le passage en littérature * D'octobre 2013 à février 2014 : de l'événement à la coupure de presse Une panoplie de moyens d'expression ► 3. Estime de soi, estime de l'autre Activités d'expression pour primo-arrivants Récit d'Emma Ryer. Institut de la Providence, Anderlecht (Bruxelles) ► 4. Décrire ou commenter son propre langage ou celui d'un autre : le métalangage Ses différents mécanismes Quand il se colore d'humeur et d'humour ! ►
Percevoir le tragique par le détour de la fiction
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Plaisir d'apprendre (aux deux sens du verbe !) Un grand merci à Jules d'avoir introduit ce sujet. Il me semble aussi que voir ce plaisir d'apprendre, c'est la meilleure récompense de l'enseignant ! Mais, cela signifie qu'il a su le créer par son amour du métier, par sa démarche pédagogique et sa vision du monde, sa conception de l'homme... Pour répondre à la question de Virginie Je dirais donc que les options méthodologiques fondamentales pour éveiller le plaisir et le désir d'apprendre seraient - entre autres - les suivantes : – Placer les apprenants en situation de réussite. – Les aider individuellement à construire le savoir par des stratégies d'enseignement variées : stratégie verbale et visuelle, mode de pensée analytique et globale sollicités simultanément, informations transmises selon plusieurs modalités, démarche déductive inductive, auto- évaluation… – Ancrer les nouvelles informations et connaissances sur ce qu'ils connaissent déjà, partir du connu, des savoirs acquis, éviter les informations isolées, les inciter à établir une connexion entre ce qu'ils savent déjà et ce qu'ils découvrent. – Varier et alterner les sources d'information, faire en sorte qu'elles proviennent de plusieurs sources sensorielles : typographiques, auditives, visuelles. Hélène (Athènes), Virginie (Rouen) et Jules (LMDP), Linkedin, 01.2014 |
Entre gens de qualité :
la moniale de Nantes et Bernard Thibault de la CGT
Un échange épistolaire
Source : Revue de la Coreb, n. 12, 09.2012
Voici deux lettres (novembre 2004), toutes deux authentiques nous certifie-t-on…
La première a été écrite par la Sœur M., moniale visitandine à Nantes. La réponse est signée par Bernard Thibault, alors secrétaire général de la C.G.T. (Confédération Générale du Travail, syndicat français proche du parti communiste).
Lettre adressée par Sœur M. à la C.G.T.
« Madame, Monsieur,
Religieuse cloîtrée au monastère de la Visitation de Nantes, je suis sortie, cependant, le 19 juin, pour un examen médical. Vous organisiez une manifestation. Je tiens à vous féliciter pour l'esprit bon enfant qui y régnait. D'autant qu'un jeune membre de votre syndicat m'y a fait participer ! En effet, à mon insu, il a collé par derrière sur mon voile l'autocollant CGT après m'avoir fait signe par une légère tape dans le dos pour m'indiquer le chemin. C'est donc en faisant de la publicité pour votre manifestation que j'ai effectué mon trajet.
La plaisanterie ne me fut révélée qu'à mon retour au monastère. En communauté, le soir, nous avons ri de bon cœur pour cette anecdote inédite dans les annales de la Visitation de Nantes.
Je me suis permis de retraduire les initiales de votre syndicat (CGT = Christ, Gloire à Toi). Que voulez-vous, on ne se refait pas. Merci encore pour la joie partagée. Je prie pour vous.
Au revoir, peut-être, à l'occasion d'une autre manifestation.
Sœur M. »
Et voici la réponse du secrétaire général de la C.G.T. :
« Ma sœur,
Je suis persuadé que notre jeune camarade, celui qui vous a indiqué le chemin, avait lu dans vos yeux l'humanité pure et joyeuse que nous avons retrouvée dans chacune des lignes de votre lettre.
Sans nul doute il s'est agi d'un geste inspiré, avec la conviction que cette pointe d'humour « bon enfant » serait vécue comme l'expression d'une complicité éphémère et pourtant profonde.
Je vous pardonne volontiers votre interprétation originale du sigle de notre confédération, car nous ne pouvons avoir que de la considération pour un charpentier qui a révolutionné le monde.
Avec tous mes sentiments fraternels et chaleureux,
Bernard Thibault, Secrétaire général de la CGT »
Suggestion : avec les élèves, relever quelques "habiletés" d'écriture, chez chacune et chacun, gardant tous deux leur savoir-vivre et leurs convictions
sommaire 156 * début "entre gens de qualité"
Quand l'écriture met en scène l'événement
Dramatisation et autres figures narratives
de l'événement historique à la création littéraire * du faits divers à la coupure de presse
Observons la grande diversité de moyens d'écriture pour saisir un événement. Celui-ci, d'une certaine manière, n'existe, ne revit, ne prend sens que dans le passage à l'écrit. Autant de narrateurs, autant de récits. L'événement ne serait-il pas plutôt... le récit qu'on en fait ! |
1. De Roncevaux au maquis... Le passage en littérature
sommaire 156 * début "événement mis en scène
15 août 778 - Bataille de Roncevaux
Le comte Roland chevauche par le champ. / Il tient Durendal, qui bien tranche et bien taille, / Des Sarrasins il fait grand carnage. /Si vous eussiez vu comme il jette le mort sur le mort, / Et le sang clair s'étaler par flaques ! / Il en a son haubert ensanglanté, et ses deux bras / Et son bon cheval, de l'encolure jusqu'aux épaules. (...)
Chanson de Roland, CV, éd. Bédier; fin du XIe s. ►
30 juin 1670 - Mort brutale de Henriette d'Angleterre
Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt ! Madame est morte ! (...)
Messire Jacques-Bénigne Bossuet, Oraison funèbre de Henriette d'Angleterre, 16 août 1670 ►
26 avril 1671 - Suicide à Chantilly
(...) Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du coeur, mais ce ne fut qu'au troisième coup, car il s'en donna deux qui n'étaient pas mortels ; il tombe mort. La marée cependant arrive de tous côtés. On cherche Vatel pour la distribuer. On va à sa chambre. On heurte, on enfonce la porte, on le trouve noyé dans son sang. (...)
Madame de Sévigné, même date ►
1er novembre 1755 - Tremblement de terre à Lisbonne (entre 50.000 et 100.000 victimes)
O malheureux mortels! ô terre déplorable! Ô de tous les mortels assemblage effroyable! D'inutiles douleurs éternel entretien! Philosophes trompés qui criez: "Tout est bien" Accourez, contemplez ces ruines affreuses Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses, Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés, Sous ces marbres rompus ces membres dispersés (...)
Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756 ►
18 juin 1815 - Bataille de Waterloo
Sa lunette à la main, il observait parfois / Le centre du combat, point obscur où tressaille / La mêlée, effroyable et vivante broussaille, / Et parfois l’horizon, sombre comme la mer. / Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! - C’était Blücher. / L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme,/ (...)
Victor Hugo, L'expiation, 1853, II, 16-21 ►
1940-1945 - L'unité dans la Résistance
Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas / Tous deux adoraient la belle / Prisonnière des soldats / Lequel montait à l'échelle / Et lequel guettait en bas / Celui qui croyait au ciel / Celui qui n'y croyait pas / Qu'importe comment s'appelle / Cette clarté sur leur pas /Que l'un fût de la chapelle / Et l'autre s'y dérobât (...)
Louis Aragon, La Rose et le Réséda, 1943 ►
Essai de synthèse De l'événement à l'écriture littéraire, un grand choix de détours : épopée, hyperboles, métaphores, comparaisons, oppositions, antithèses, apostrophes, lyrisme, rythmes et sonorités, formes grammaticales (juxtaposition, choix des temps, équivalence)... |
2. Octobre 2013 - janvier 2014 : de l'événement à la coupure de presse
sommaire 156 * début "événement mis en scène
Découvrir une panoplie de moyens d'expression
Date et événement |
Le journaliste et son "papier" |
Moyens d'expression |
Jeudi 24 octobre 2013
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Parution de la BD Astérix chez les Pictes, de Ferri et Conrad.
Deux échos dans la presse : |
Jacques Drillon, Le Nouvel Observateur, 30.10.2013 |
"Astérix chez les Pictes" ? C'est pathétix Jacques Drillon a mis son nez dans l'album qui sort aujourd'hui. Il n'a pas beaucoup ri. |
Dans chaque texte, création lexicale avec rime en -ix
Le jugement est franchement défavorable chez l'un, favorable chez l'autre (avec cependant la légère nuance du pas grand-chose) |
Alexandre Phalippou, Huffingtonpost, 24.10.2013 |
On a lu "Astérix chez les Pictes" : Pariréussix ? Il ne manque rien ou pas grand-chose |
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Dimanche 27 octobre 2013 |
Mort de Lou Reed, auteur-compositeur-interprète
Deux échos dans la presse
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François-Marie Santucci, Libération (republication d'un article paru le 21.04.1998) |
Appâts de Lou Le Lou(p) se fait agneau, tellement mielleux qu'on en reste coi; des esquives passablement hautaines, quelques flagorneries ineptes, une fausse candeur et une réelle opacité. |
Lou / loup ; appâts de loup, à pas de loup : jeu sur l'homophonie (ainsi que dans le titre) et sur l'opposition de sens (loup/cruauté vs agneau/douceur) Choix d'un vocabulaire assez dévalorisant, en forme de liste d'attitudes. (recours au dico si nécessaire) [Beau débat en vue entre fans et "anti" !] |
Christophe Goffette, sur Arte, 29.10.2013 |
On a tous adoré détester Lou Reed Petit père des punks et salpêtre des peuples, il était le ver de la Grosse Pomme. Portraitiste racé, il a arpenté le pavé new-yorkais et nous l'a recraché à la gueule comme personne. |
"on" et "tous" : l'anonyme et l'unanime dans ce couple de pronoms ; adoré vs détester : comment cette opposition rend compte de l'attitude du public ? Staline en filigrane dans les deux premières périphrases? Equivalence syntaxique : apposition + phrase. appositions détachées. |
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Vendredi 22 novembre 2103
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50e anniversaire de l'assssinat de Kennedy. |
Cécile Bertrand (Les Poux), texte et dessin dans La Libre Belgique, 22.11.2003 (voir son site) |
Le dessin : Un Américain relax devant la TV, fusil à la main. (voix off de Cécile Bertrand) : Les Américains n'ont pas oublié. (l'Américain) : Je me souviens très bien. C'était le jour où mon père m'a offert ma première arme à feu. |
La tenue relax du spectateur détone avec le drame rappelé à ce moment l'écran et avec l'arme prête à l'emploi (confort vs agressivité). L'intention satirique est forte pour viser cette pratique yankee du port d'armes. Deux souvenirs se mêlent, très contrastés: le souvenir d'un assassinat, le souvenir du cadeau : c'est celui-ci qui semble l'emporter !
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Mardi 26 novembre 2013 |
Un Eros Center à Serains sur un site industriel ? |
Armand Lequeux, dans la Libre Belgique, 26.11.2013 (titre, deux extraits) |
[Titre. Deux extraits] Ciel nuageux à Seraing Le projet de reconversion du site industriel de Seraing en "Eros Centre" est interpellant à plusieurs égards. (...) les concepteurs de l’"Eros Centre" ont prévu qu’en cas de modification de la législation, on pourrait les transformer en chambres d’étudiants. Restons sereins, la Wallonie est en bonnes mains. |
Emploi ludique de deux homophones. "nuageux à Seraing" ambigu "pour l'oreille", avec double sens de la préposition Contraste entre l'usage prévu en principe et un éventuel autre usage. "nuageux" insinue sans doute que le projet n'est pas bien défini "en bonnes mains" : l'allusion érotique est à peine voilée, sous la plume d'un sexologue bien connu. |
Jeudi 19 décembre 2013
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Sarkozy et Hollande venus séparément en avion à l'hommage à Nelson Mandela |
Claude Garcia, sur son blog «Prof mis en examen», Le Monde, 19.12.2013 (titre & 1er paragraphe) |
Hollande et Sarkozy n’ont pas su inventer le co-avionnage Ces deux présidents ne nous aident pas. On finit un chapitre sur le développement durable, la soutenabilité de la croissance, et voilà qu'un exemple consternant nous vient d'en haut, du ciel. (...) On aimerait cependant un peu d'exemplarité. Si on nous incite à développer le co-voiturage, ils doivent pouvoir se mettre au co-avionnage. |
"nous" et "on" désignent globalement les enseignants dans leur mission d'éducation civique. Leur message - protéger le milieu de vie - est contredit par Sarkozy et Hollande... Double sens de "en haut". A la façon d'une remontrance du maître au mauvais élève !
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Mercredi 15 janvier 2014 |
Politique anti-roms en Slovaqquie |
Blaise Gauquelin, La Libre Belgique (& Libération), 15.01.2014 |
Marian Kotleba fait Führer Le 23 novembre, Marian Kotleba, un nostalgique affiché du IIIe Reich qui s’est fait un nom localement en promettant l’expulsion des Tsiganes, a été élu au poste prestigieux de gouverneur de la région de Banská Bystrica. |
Ambiguïté du titre, à l'audition ! M. Kotleva et Hitler : même idéologie, même politique. Sens de "nostalgique affiché", "se faire un nom" ? "a été élu" : comme Hitler, en 1931, démocratiquement...! Mauvais présage ? |
Jeudi 30 janvier 2014 |
Décès de François Cavanna à 90 ans |
Jean-Marc Proust, Slate.fr,30.01.2014 |
Cavanna et l'humour libre sont morts Rejoignant au cimetière ses potes Reiser, Choron ou Gébé, l'humoriste et écrivain emporte avec lui une France libre, celle du mauvais goût, où la provocation était un désir et pas un fonds de commerce. |
humour, amour (y compris celui de la langue), liberté : c'est tout Cavanna. Lien idéologique entre "humour libre" et "France libre" (la gauloiserie en littérature, en dessin...) Sens péjoratif de "fonds de commerce" [PR 2014, s. v. fonds : Fig. Fonds de commerce : thème privilégié. La sécurité, fonds de commerce d'un parti politique]. |
Essai de synthèse
De l'événement à la coupure de presse, divers procédés : Création de mots, rythmes et sonorités, allusion, satire, contraste, pastiche, intertextualité, périphrase, opposition de sens, double sens, insinuation, implication du narrateur ... |
sommaire 156 * début "événement mis en scène
Estime de soi - Estime de l'autre
Activités d'expression pour primo-arrivants en classes parallèles
Récit d'Emma Ryer, IP Anderlecht
Information préliminaire sur l'accueil des primo-arrivants en milieu scolaire Classes parallèles pour primo-arrivants, rebaptisées désormais DASPA - sigle pour Dispositif d'accueil et scolarisation des primo-arrivants - qui a pour mission d'orienter et d'intégrer ces jeunes dans l'enseignement en Belgique. À l'Institut de la Providence d'Anderlecht, quatre groupes d'environs 40 élèves, en tout, cette année 2013 2014, avec cependant beaucoup de transferts et renvois, pour cause de politique actuelle. Pas de cours communs avec les autres classes. Ils restent en classe DASPA minimum 6 mois et maximum 18 mois Au terme de ce cursus, ils intègrent un cursus normal via un CIE - Conseil d'intégration élargi avec un inspecteur - ou via une équivalence du parcours scolaire effectué dans le pays d'origine si suffisant. Pour en savoir plus, voir le site de l'Institut de la Providence ► |
S'L'ÂME fait du bien
« JE » est Poète de 7 à 100 ans
Entendu quelque part en salle de profs :
Tu fais bien de leur demander de s'exprimer correctement ! |
Financé par la cellule Culture et Enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le projet s'est déroulé dans deux écoles d'Anderlecht (Bruxelles) : La Providence et Léonard de Vinci. Voici comment Emma Ryer en présente l'intention et le contenu :
J'oeuvre pour ceux qui à priori ne considèrent pas l'écriture et la poésie comme un moyen d'expression et de développement personnel utiles pour la vie parce que l'expression écrite et orale est souvent l'objet d'à priori : l'auto-censure est presque une habitude. ("Je ne sais pas écrire " La Poésie c'est trop difficile " etc.) Il est étonnant de constater comment, une fois la glace brisée, le rapport à l'écriture et à la langue devient plus ludique. Orthographe, grammaire, syntaxe... sont alors considérés comme des moyens de parfaire l'expression et non comme des buts abstraits et ingrats. En ce sens, l'initiation à cet art développe la confiance en ses propres capacités et encourage les élèves dans leur apprentissage global.
OBJECTIFS POURSUIVIS
Écrire et déclamer son autoportrait poétique en langue française
Créer une relation personnelle et ludique à l'expression écrite et orale
S'approprier l'écriture et la poésie comme outils de connaissance et d'estime de soi, de l'autre et du monde .
Se familiariser avec la prise de parole
Prendre conscience de la présentation de soi
Développer la concentration et l'écoute des participants
Développer la dimension humaine du rapport professeur /élève
DESCRIPTION et DÉROULEMENT
début primo-arrivants * sommaire et édito 156
La poésie et l'écriture sont des domaines dont la majorité des écoliers se détournent ou plus exactement s'excluent de prime abord parce que «c'est trop difficile , je ne suis pas écrivain » ou que « je fais des fautes d'orthographe » ou encore parce que « j'y comprends rien » .Comme si ces disciplines étaient très éloignées de leurs univers.
Quant à envisager de dire un texte en public, cette perspective génère des angoisses chez le plus grand nombre qui, a priori se sent incapable d'un tel exploit, comme si l'art de la parole était inaccessible.
Pourtant chacun naît avec ces dons, mais tend à l'ignorer et finalement se sous-estime.
Cette attitude serait d'autant plus prononcée chez les participants au projet, pour certains parce qu'ils se destinent à apprendre un savoir technique et déconsidèrent d'office ce qui semble « inutile », et pour d'autres parce que leur langue maternelle est autre que celle utilisée en classe et qu'ils ont pour mission d'acquérir le français .
L'atelier « S'l'âme fait du bien » est un jeu qui permet dans un esprit positif de réveiller ces outils puissants de découverte de soi, des autres et du monde que sont l'expression écrite et orale, quel que soit le métier auquel on aspire et la langue que l'on parle .
Il encourage l'apprentissage et constitue en cela une approche pédagogique innovante grâce à la complicité des enseignants qui l'accueillent.
Il s'agit d'une double initiation :
D'une part, à l'écriture poétique, selon la technique de la louange (cet art est pratiqué dans beaucoup de cultures africaines et se nomme le Kàsàla; il consiste à faire l'éloge de la personne.
D'autre part, à l'expression publique de la personne selon des rudiments de technique vocale (cet aspect s'inspire du travail d'Augusto Boal (1931-2009), fondateur brésilien du théâtre de l'Opprimé : théâtre de traitement des conflits, où le spectateur se fait acteur, "en scène et dans la vie")
En moyenne il est souhaitable de consacrer 2/3 des séances à l'exercice d'écriture (durant lequel les élèves lisent à haute voix leurs productions mais ne font pas spécifiquement l'objet de remarques visant à les faire progresser, contrairement au 1/3 restant des séances consacrées à l'expression orale).
Au cours des deux premières séances, les règles du jeu sont exposées et notées par les participants (elles seront cependant rappelées tout au long du parcours)
Et la majorité s'essaye généralement à une première tentative d'écriture.
Les séances suivantes, selon le niveau de français des classes, sont consacrées à un travail en amont de l'écriture poétique qui permet d'explorer des champs sémantiques directement utiles:
les traits de caractères, les matières, les couleurs, les Cinq sens., les éléments de la nature, la flore, la faune.
La recherche créative des élèves génère des questions tant du point de vue du vocabulaire que de la grammaire ou de l'orthographe et devient un support d'apprentissage très concret et si personnel que ce qui est découvert est généralement retenu pour de bon.
De même, à l'oral, les remarques de phonétique ou sur l'articulation prennent un sens positif puisqu'elles sont destinées à permettre à l'élève de faire entendre ce qu'il a composé, de le considérer comme tout pratiquant d'un art de la parole - acteur, chanteur, orateur - et non comme "un élève parlant mal".
En outre, cet exercice développe la concentration, l'écoute, le respect, l'esprit d'équipe et l'affirmation de soi (car chacun sent, lorsqu'il passe à l'oral, à quel point il est nécessaire d'obtenir l'attention des autres, mais apprend aussi à gérer les limites de cette solidarité.)
Enfin la poésie, vécue comme une perception du monde, la plus fine et personnelle possible, devient une attitude constructive et valorisante plutôt qu'un art inaccessible .
Les textes s'écrivent à des rythmes différents pour chaque participant.
L'essentiel est, qu'au terme du projet, chacun ait atteint la satisfaction d'avoir créé un texte et travaillé à l'oral de façon personnalisée.
ÉVALUATION
début primo-arrivants * sommaire et édito 156
Un tel exercice, créer ET déclamer un texte directement lié à son propre moi, est en soi très difficile à exécuter, même pour un professionnel, même dans sa langue maternelle .Que dire de son exécution en langue étrangère ?
Imaginez-vous catapulté en pays étranger depuis quelques mois et soumis à ce jeu, en public, sur un podium !!!
La lecture des textes écrits par les participants aux ateliers est concluante. Le pari audacieux risqué par l'Institut Providence est gagné. La barrière de la langue tombe devant le plaisir pris par ces auteurs en herbe à donner, et écouter leurs mots. La peur et la honte ressenties au départ font place aux sourires et à une meilleure estime de soi, des autres et du monde .
Un premier pas vers une plus grande confiance - en soi et dans les autres - indispensable pour affronter l'univers dans lequel nous évoluons.
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Un petit livret couleur, intitulé Être soi, a pu être créé à partir des textes et dessins des élèves et nous espérons que d’autres élèves auront la chance de participer à ce parcours l’année prochaine. |
Le projet a pu s'élargir encore cette année (2012 - 2013) : non seulement le public de la fête de quartier, place Lemmens, a applaudi nos jeunes slameurs, mais la majorité des poèmes a trouvé un prolongement, un supplément d'expression, grâce à la complicité de Fabienne Rouvroy, professeur d’éducation plastique, qui a travaillé sur l’autoportrait dans ses groupes comme nous l’avions envisagé fin 2012. |
La parole aux élèves
début primo-arrivants * sommaire et édito 156
Jeanne :
« J’ai appris que je suis ouverte envers
les autres.
Je suis très étonnée de moi-même car avant je n’aimais pas lire devant
tout le monde, j’avais très honte avant.
J’ai appris que beaucoup d’autres personnes dans mon groupe sont très
ouvertes et ne sont plus timides comme auparavant. J’ai découvert
de belles choses en faisant ce cours. Je suis très contente en lisant
mon texte et je suis très fière de moi. »
Marie Patrice :
« J’ai appris que j’avais assez de
courage pour lire mon texte devant les gens.
Je me suis découvert des amis dans cette école. La première fois que
j’ai lu mon texte, je tremblais, j’avais peur. Maintenant je suis capable
de le faire.»
Youssef :
« J’ai découvert que je peux bien
m’exprimer et que chacun d’entre nous a un petit poète en soi. Quand je
lis, ça me fait du bien et j’ai appris à ne pas avoir peur pendant qu’on
lit. »
Girard :
« Moi j’ai trouvé que je peux m’exprimer et
être moi même parce que moi je suis quelqu’un de très timide.
Sur les autres j’ai découvert leur histoire leurs caractères et leur
image.
Quand j’ai lu pour la première fois j’étais très timide et je n’avais
pas envie de lire en public. Après j’ai commencé à me découvrir et à ne
pas être timide.»
Bernard :« J’ai appris sur moi-même qu’avant je
n’aimais pas lire devant tout le monde, je ne prononce pas bien les mot, je ne parle pas fort mais après j’ai commencé à lire en public devant
beaucoup de gens et je suis étonné.
J’ai senti que je n’ai pas peur et je suis content. »
Aissatou Diallo :
« Avant de lire j’avais une émotion. Devant le public j’ai la peur et le
cœur qui bat ; je respire avant de commencer et une fois que je commence
à lire je me sens à l’aise avec un sourire qui éclate parce que ça
provient de moi.
Après avoir fini de lire je me suis sentie super et j’ai encore envie de
continuer parce que ça fait du bien ».
Sira Mara :
« J’ai découvert en lisant et en écrivant un poème, mon courage, ma
joie, ma capacité et jusqu’où je pourrai aller avec mes propres idées.
J’ai été surprise, je pouvais lire en public sans stress bien que le
début n’ait pas été facile.
Chez les autres, surtout chez les timides j’ai senti une grande émotion
en eux et surtout leur grande capacité et courage.»
Linda : « En lisant en public avant j’avais la peur, la honte .Après c’était la joie, j’étais contente. »
La parole aux enseignants concernés par le projet
début primo-arrivants * sommaire et édito 156
Mme Bernadette Férire :
« Cet atelier ouvre l'esprit des élèves et leur ouvre des horizons: ils
observent des tableaux, touchent des matières. Il enrichit leur
vocabulaire et leur donne l'impulsion de construire des phrases.
Cela les valorise, car ils réussissent à lire leur texte de façon claire
et expressive, grâce au travail sur la voix et la position, la
prononciation.
Ils se font comprendre, créent un texte alors qu'ils s'en sentaient
incapables au début et qu'ils étaient souvent réticents.
C'est semer une graine pour leur épanouissement personnel. Je pense que
c'est une chance pour des élèves qui ont souvent une mauvaise image
d'eux mêmes.»
Mme Katarina David :
« Le travail sur "JE", permet aux jeunes de réfléchir sur eux-mêmes,
d'aller chercher ce qu'ils ont en eux. C'est très difficile pour
certains parce qu'ils ne sont pas habitués à ce genre d'exercice et
restent bloqués au début. Mais peu à peu, à force d'encouragements, ils
parviennent à sortir quelques mots puis quelques phrases et enfin un
texte. A travers leurs mots, certains expriment des choses qu'ils
hésitent à nous montrer habituellement. Je pense que pour ceux-là,
l'écriture peut être une sorte d'échappatoire aux aléas de la vie. Et
puis, plus on écrit, mieux on écrit... A travers cet exercice, l'élève
apprend autant à rédiger qu'à être créatif. Et surtout, il apprend à se
connaître. »
Annexe
Voir la vidéo de la fête du Quartier Lemmens (printemps 2012) réalisée par Corsaires tv 23:56 ►
Avec le soutien du Fonds Social Européen. Reportage : Pauline Bombaert
Parmi les groupes participants (Cosmos, Avicenne, Jeunesse al-Fath, Espace culturel belgo-camerounais, Bruxelles-Environnement...), l'Institut Providence, "école ouverte", pour une exposition de dessins.
Décrire ou commenter son propre langage ou celui d'un autre :
le métalangage
1.Observons quelques mécanismes *2. Tentons une synthèse * 3. A nous de découvrir et d'analyser * 4. Quand le métalangage se colore d'humour et d'humeur !
Ça va servir à quoi ? Parlons donc objectifs ! Ce n'est pas l'étiquette appliquée à un fait syntaxique qui est le plus important, mais bien la description de ce fait MAHMOUDIAN M., Pour enseigner le français, PUF, 1976, p. 164. L'enseignement de la grammaire est encore trop souvent perçu comme un enseignement de règles, et non conçu comme une réflexion sur le fonctionnement de la langue. Danielle Alexandre, Le français aujourd'hui, 124 (12.1998). L'étiquetage et le relevé des faits de langue sont à proscrire s'ils ne débouchent pas sur l'interprétation et le réemploi. Roberte Tomassonne, Id., 140, (01.2003 Enseigner l'oral ne doit pas se limiter à mettre les élèves en situation de parler, mais doit proposer une réflexion métalangagière relative aux pratiques langagières en jeu. Marie-Claude Rosat, id. 101 (03.93). |
1. Observons quelques mécanismes
Entendu à la radio ou à la télévision
1. 21 décembre 84, France-Inter - Rappel de la carrière du Maréchal Ustinov, décédé l'avant-veille: Il a été bombardé par Staline - c'est le cas de le dire! - Ministre des Munitions. |
1. Le journaliste commente lui-même ce qu'il est en train de dire, pour apprécier à la fois la pertinence et l'humour involontaire des mots qu'il a choisis. |
2. 4 février 97, 12h55, France-Inter - Louis Bozon, animateur du Jeu des mille francs à Saint-Denis-en-Val dans le Loiret: Saint-Denis-en-Val! J'aime bien répéter ce nom! |
2. Le locuteur décrit le sentiment de plaisir, de sympathie suscité par la forme sonore (sans doute aussi par le pouvoir évocateur) du signifiant "Saint-Denis-en-Val". |
3. Même jour, 13h20, France-Culture - Émission Panorama, débat sur les mandats politiques des femmes... Question à un participant: Quand vous dites «la parité», ça veut bien dire cinquante pour cent? |
3. Un locuteur A veut s'assurer qu'il a bien compris un locuteur B qui vient d'employer le mot «parité». Le locuteur B va d'ailleurs confirmer que l'interprétation «cinquante pour cent» est la bonne. |
4. Même jour, 13h45, France-Culture - L'émission Musique à lire est consacrée à la musique baroque (16e siècle) dans le Nouveau Monde... La présentatrice introduit un autre aspect du sujet: Il y a aussi tout l'aspect organologique... Je veux dire ce qui concerne l'orgue à cette époque. |
4. Le locuteur, pour s'assurer qu'il est bien compris, définit un terme technique - qui peut passer pour du jargon... S'agissant d'une émission de radio, la reformulation est sans doute destinée davantage à l'auditeur qu'au spécialiste interviewé... |
5. «Tu as mal à la tête? Prends un analgésique! - Un analgésique? - Oui, un anti-douleur, si tu veux!» |
5. Même mécanisme: pour être compris et pour être efficace, le locuteur utilise un synonyme. |
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Lu dans le journal ou dans les livres...
6. Vers l'Avenir, 7 novembre 95, reportage sur les facteurs et agents de quartiers: (...) deux chercheuses ont accompagné dans leurs activités quotidiennes ces «lubrifiants sociaux complémentaires» que sont les facteurs et les agents de quartiers. |
6. Par sa façon d'expliquer une expression empruntée au jargon des sociologues, le journaliste semble mêler le sérieux et l'humour. |
7. Roger IKOR, La pluie sur la mer, Bibl. du Club de la Femme, Albin Michel, 1962, p. 131: - Allons, un peu de nerf, espèce de tr... Le père Ghège s'interrompit net et jeta un regard inquiet vers Doriane. Elle semblait n'avoir pas entendu. [...] A l'atelier, le mot trou du cul revenait au tournant de chaque phrase; devant les dames, c'était l'imparfait du subjonctif et le ne explétif. |
7. Le personnage évalue instantanément et va sans doute réajuster son langage - son registre de parole - à la situation, c'est-à-dire à la présence d'oreilles féminines. Le commentaire du narrateur illustre la capacité qu'a le personnage de sélectionner le registre qui convient.
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8. François NOURISSIER, Le maître de maison, Grasset, 1968, p. 100: La baronne Dudevant, née Aurore. Un trop joli nom pour fumer la pipe. [...] |
8. Le personnage souligne une sorte de contradiction entre le signifiant [Aurore] et le signifié [George Sand]. Noter aussi le clin d'œil de la connivence culturelle...
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2. Tentons une synthèse
Nous venons d'observer quelques procédés du métalangage:
* En général (surtout dans les exemples 3 & 4), il s'agit - pour un locuteur ou pour son interlocuteur - de s'assurer et de vérifier que "le message passe bien", répond bien à l'intention de communication, et qu'il n'y a pas de risque de malentendu.
- On est alors dans le registre de la dénotation, de la conformité (au réel ou à l'imaginaire).
Autres mécanismes dans ce même registre:
le locuteur (exemples 1, 5 & 6) revient presque aussitôt sur ce qu'il vient de dire ou d'écrire pour apprécier la pertinence - et parfois aussi le comique, ou l'inattendu - de telle ou telle forme, qui peut être un terme technique peu connu, et pour expliciter au besoin celui-ci.
le locuteur (exemple 7), prend en compte la situation, le statut social ou culturel des partenaires de la communication et adapte, réajuste son registre de parole...
* Parfois aussi (exemples 2 & 8), le locuteur - ou son interlocuteur - souligne le plaisir (ou le déplaisir...) que suscite en lui tel mot, telle expression en raison de sa sonorité, de sa graphie, de son action sur l'imaginaire...
- On est alors dans le registre de la connotation, dans l'univers poétique.
Même mécanisme dans l'exemple 8: la réflexion métalinguistique consiste à apprécier la "saveur", la "musique" d'une forme, mais aussi sa convenance - ou sa non-convenance - avec ce à quoi elle réfère (on est donc, dans ce cas, autant dans le registre de la connotation que dans celui de la dénotation).
3. A nous de découvrir et d'analyser l'activité métalinguistique
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1. Henri GUILLEMIN, extrait d'une conférence intitulée Un détraqué, Jean-Jacques Rousseau, éd. du CEP, Bruxelles, 1974, p. 25 (il s'agit texte oral retranscrit par Guy Peeters):
Je voudrais vous apporter là une phrase que j'ai trouvée dans Gargantua et que je voudrais appliquer à Jean-Jacques. Rabelais, à propos de Gargantua, dit: «Il avait l'esprit infatigable et strident - c'est beau, cela, l'esprit infatigable et strident! - comme le feu parmi les brandes.» Les brandes, cela veut dire les branchages. Cette espèce de connaissance dévorante, c'est celle de Jean-Jacques dans un univers qui lui est révélé.
2. Louis ARAGON, La mise à mort, Gallimard, 1965, p. 48 [Le narrateur rapporte les paroles de Michel, correspondant de presse durant la guerre d'Espagne.]:
Vous avez remarqué, rédacteurs, correcteurs, éditeurs, comme ils prononcent ce mot-là avec une sorte de chanson, coupûre, les lèvres en sifflet, on dirait qu'ils parlent de quelque mignonnerie: le sort du réalisme, c'est toujours qu'on y pratique... pratique! des coupes...
3. François NOURISSIER, Le maître de maison, Grasset, 1968, p. 89 [Un scorpion a été découvert dans la maison restaurée... Geneviève est la femme du narrateur.]:
«Elle me fait peur, dit Geneviève; qu'est-ce que c'est? - Un joli scorpion. Simplement un très joli scorpion.» Ce que c'est que le pouvoir des mots!
4. François NOURISSIER, Allemande, Grasset, 1973, L. P., p. 179 Le héros, le jeune Lucien, écrit à Marie-Noëlle; il mêle, dans sa pensée, la tension entre lui et sa correspondante, et une visite récente à un ami...]:
Les deux ordres de réflexions se bientôt rejoints, mêlés. (Pardon d'écrire aussi solennel!...)
5. François NOURISSIER, Le maître de maison, Grasset, 1968, p. 206 [Intervention de Bettina, sa fille, que le narrateur commente ensuite).]:
«Dans le fond, tu n'as jamais eu l'air de le supporter...»
Elle a dit, plus rudement, piffer, ou blairer, mots qu'interdit la subtilité des mouvements de mon cœur.
6. MAUD FRÈRE, Le temps d'une carte postale, Gallimard, 1966, p. 91:
«Je jure de ne plus fumer!» Combien de fois avait-il prêté ce serment? Prêter! C'est bien cela. On prête serment. On sait la suite.
7. Paul MORAND, L'homme pressé, Gallimard, 1941, L. P., p. 187 [Le héros vit dans le futur, toujours pressé... il rencontre Hedwige, et le prix du moment présent.]:
En te donnant à moi, Dieu m'a fait un présent: le présent. Admire que la langue française n'ait qu'un seul mot pour les deux choses!
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8. Christine ARNOTHY, J'aime la vie, Grasset & Fasquelle, 1976, L. P., p. 149 [lui désigne Morthais, qui vit dans le souvenir de la mort brutale de sa femme...]:
Elle avait levé sur lui un regard doré et métallique, un regard couleur châtaigne. Et quand même froid. « Vous, avait-elle dit, vous... (et ce vous devenait presque une injure), vous ne savez rien de la vie! »
9. Alexis CURVERS, Tempo di Roma, Laffort, 1957, p. 97 [Lord Craven répond à l'objection du narrateur...]:
- Mais on n'a jamais tant voyagé qu'à présent, objectai-je.
- Parfaitement. Mais on voyage en groupe, au commandement [...]. Vous circulez aux frais de la princesse, vous traversez les océans, vous fendez l'air en avion pour assister sans perdre une minute à des parlotes, à des congrès organisés dans le cadre des échanges culturels ou de quelque chose comme ça. Dans le cadre! Notre époque voyage et vit dans le cadre.
10. Robert SABATIER, Les noisettes sauvages, Albin Michel, 1974, p. 170:
Le lieu préféré d'Olivier restait la forge. C'est là qu'il écoutait les dénominations des robes des chevaux. On disait alezan cerise, porcelaine, gris étourneau, herminé, aubère foncé, et cela sonnait joli comme dans les poésies de Théophile Gautier.
11. Hervé BAZIN, Le matrimoine, Seuil, 1967, p. 19 [Mariette parle à son mari de l'aménagement de leur maison.]:
- Moi, le salon, je le ferai communiquer avec la salle à manger.
Je n'ai pas dit non. Je me suis seulement demandé si j'avais bien entendu le futur ferai, abusivement décidé, ou le conditionnel ferais, honnêtement consultatif.
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12. Robert MERLE, Derrière la vitre, Gallimard, 1970, p. 178 [Brigitte, étudiante en Fac à Nanterre, est impressionnée par la délicatesse de sentiment dans les paroles d'Abdelaziz, ouvrier algérien.]:
Brigitte le [Abdelaziz] regarda, saisie. Le premier mot qui lui vint à l'esprit pour définir ce genre d'expression était le mot: noble. Mais comme le terme lui parut un peu con, elle le rejeta. Ce genre d'expression, c'était une manie de Papa, et encore, noble, c'était trop simple. Mais parlez-moi de praxis au lieu de pratique, de logos au lieu de discours, de charisme au lieu de don, de pulsion au lieu d'instinct, de quiddité au lieu d'essence. Ça, Papa, il adore. Il gonfle tout. Peut-être par compensation, il est si petit, il a si peu de corps.
[le commentaire métalinguistique de Brigitte porte sur trois formes de langage: celui d'Abdelaziz (saisie..., expression noble), son propre langage (le terme lui parut un peu trop con), enfin celui de son père (praxis..., logos..., Il gonfle tout..., peut-être par compensation...)!]
13. Jacques RÉDA, La Sauvette (essai), Verdier éd., 1995, p. 28 [A propos de Multibroche, anagramme de Michel Butor.]:
Conformément à l'anagramme que dissimule son nom, la capacité d'écrivain de Michel Butor est multibroche. On l'a vu en effet se brancher d'abord sur le roman [...], sur l'essai littéraire [...], sur l'autobiographie, le récit de voyage, la fantaisie onirique, etc. Il écrit aussi des poèmes.
[le détour subtil par l'anagramme du signifiant souligne la diversité du talent du... signifié, Michel Butor.
Le procédé - gloser un nom par son anagramme - n'est pas rare dans le texte polémique: PÉTAIN - INAPTE; BERLIET - LIBERTÉ (calicot de mai 68); CROATE - ATROCE, BERLUSCONI, LUCRE BONIS, ou : BISON CRUEL]
. Quand le métalangage se colore d'humour et d'humeur !
Commenter le langage d'un autre, c'est très souvent dans une intention humoristique, voire satirique
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Christian Bobin, Ressusciter, Gallimard, 2001, p. 106 : « Mademoiselle C., quatre ans, célibataire »: le notaire a lu cette phrase comme toutes celles qui la précédaient, sur un ton morne, sans éclairer sa voix par un sourire, insensible à cette fantaisie nichée dans l'arbre creux du langage administratif. Le commentaire métalinguistique porte à la fois sur le langage notarial et sur la façon de lire du notaire. |
Petite anthologie - Voyons comment s'exerce le métalangage
1.
Laurent Binet, Le Nouvel Obs', 14.04.2011, commente le slogan de François Hollande pour la campagne électorale : «La France en avant».
Bravo à son équipe de communicants qui a réussi l'impossible exploit de pondre un slogan à la fois ultra cul-cul ET légèrement lepéniste !
2.
Bernard Pivot, Le journal du dimanche, 11.11.2012, sous le titre : La cuisine à l'aïe, il recense Cinquante nuances de Grey (récit sadomasochiste de E.L. James, éd. J-C Lattès, 2012) et conclut :
Oui, chère attachée de presse des éditions JC Lattès, comme vous l’avez craint, j’ai failli mourir à la lecture de ce super-bébêteseller, mais c’est d’ennui.
3.
Pascal PAILLARDET, La Vie, 29.09.2013, p. 8. [Titre. Extrait]
«Liker à la folie»
A force d'aimer à foison, on devient un « serial liker » : un tueur en série qui assassine la « belle langue francoyse » de Joachim du Bellay. Du Bellay, on te «like».
4.
MEHDI FEDOUACH, Le Parisien, 21.05.2012 [Sous le titre "Un détenu s'évade en plein tournoi de basket, en présence de la ministre Taubira", la phrase finale:]
Ironie de l'histoire, note Europe 1, l'administration pénitentiaire [de Fleury-Mérogis] insistait beaucoup vendredi sur l'importance du sport en prison pour «s'évader». Au second degré...
5.
X, Le nouvel Observateur, 05.10.2011 [Titre. Extrait]
Légion d'honneur : quand Sarkozy est moqué par l'assistance
Nicolas Sarkozy a décoré de la Légion d'honneur, le 28 septembre à l'Elysée, la psychanalyste Julia Kristeva et a entrepris de citer ses maîtres à penser. L'assistance a ri aux éclats lorsque le chef de l'Etat a fait référence à Roland Barthes... en prononçant "Bartesse" au lieu de "Barte". L'histoire ne dit pas s'il pensait à l'ancien footballeur Fabien Barthez, à l'ex-tennisman Pierre Barthès ou au présentateur du "Petit Journal" Yann Barthès.
6.
Martine Rousseau et Olivier Houdart, Leur blog des correcteurs du Monde, 02.04.2013 [Titre. Fin de la notice]
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés.
Frappe s'impose quand "nos" troupes ou nos alliés sont engagés (ah ! ce possessif qui petit à petit gagne toute la presse) ; bombardement, quand c'est l'ennemi. Bien sûr, il arrive parfois que la frappe manque son objectif et fasse quelques morts collatéraux parmi les indigènes. Simple faute de frappe.
7.
[Le 29.12.2013, sur France Inter, ce lapsus : Volvograd, au lieu de Volgograd. Le lendemain, ce commentaire de Martine Rousseau et Olivier Houdart, dans leur blog des correcteurs du Monde. Titre et extraits]
Volvograd, la ville qui roule pour Staline
Volvo signifie je roule dans la langue de Cicéron (dans le sens dynamique du
terme, pas dans son sens imagé).
Une seule lettre change et l'esprit part dans une étonnante direction. Nous
ajouterons Volvograd à toute une lignée de coquillettes authentiques et récentes
qui invitent au voyage et à la poésie : le cheval de Troyes (Troie, capitale de
la bonneterie), la rue d'U.L.M. (pour la rue d'Ulm, à Paris), le magnifique
lasser ses chaussures, les chemises à poids, le bas qui blesse, la maison-maire,
le mamiphère (le porteur de mamie ?), le milieu du guet, le balai diplomatique
ou le huit-clos.
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Ça se passe en Lorraine belge...
Cent ans plus tard, le souvenir !
1. trois chantiers au programme * 2. un inspecteur est passé par là ? * 3. extraits du livre J. P., 16ans, fusillé 4. prolongement : un blog histoire-français
A l'initiative du Centre culturel de Rossignol-Tintigny
(CCRT), diverses activités ont été programmées pour commémorer cette tragédie.
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1. Trois chantiers
1. VOIR
Dans la salle de spectacle du CCRT, projection de 14-18 Le bruit et la fureur, film documentaire de Jean-François Delassus, 2008, 1h40mn. * Le regard d'un poilu sur la Grande Guerre.
Présentation du film et
extraits (17:31) :
►
Résumé, illustrations, lien de téléchargement :
►
Disponible au CCRT
2. PARCOURIR
Visite des lieux de mémoire pour 300 jeunes (Habay, Izel, Neufchâteau) avec Jacky Clausse et Jean-François Mouchet du Cercle d'histoire locale :
* les rues de Rossignol (maisons brûlées,
détruites, petites maisons provisoires reconstruites par un Comité de soutien)
* l'église, où trois obus sont encore enfoncés dans la muraille côté nord
* l'orée de la forêt où s'est déroulée la bataille, le
Caveau des Fusillés...
Jean-François Mouchet recommande le site interactif http://1914-18.be/
3. ÉCRIRE
Lancement d'un "chantier d'écriture" :
La consigne, s'identifier à l'un des adolescents fusillés.- d'où le titre qui sera donné au recueil: J. P., 16 ans, fusillé
Durant toute l'année scolaire, des élèves de cinq classes de 3e ou de 5e de deux écoles secondaires de la région, Athénée Royal d'Izel et Communauté Scolaire Saint-Benoît de Habay-la-Neuve, s'engagent dans cette aventure sous la direction de leurs professeures de français - Anandi Cozier, Sophie Drèze, Marielle Gillet, Laurence Orban, Christine Pierre et Sabine Vergaelen,- guidés et conseillés par l'écrivain Jean-Pierre Echterbille, auteur de deux romans sur la Première Guerre mondiale, Faux pas (2006) et Dites-leur que je suis mort (2010) .
Parmi les 58 nouvelles, rédigées tantôt
par un, tantôt par deux ou trois élèves,
41 sont retenues pour la publication
de J.P., 16 ans, fusillé : 216 p., couverture de Jean-Claude
Servais, 40 illustrations (photos d'époque et fac-similés). En
vente au
Bernard Mottet, Directeur du CCRT, et l'écrivain Jean-Pierre Echterbille ont rencontré dans leur école, en janvier 2014, les jeunes auteurs et leurs professeures et leur ont offert cet ouvrage : Ce sera pour eux le souvenir palpable d'un excellent travail de mémoire.
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J.P., 16 ans, fusillé : extraits des préfaces :
Nous avons pris le parti de nous pencher sur l'histoire des victimes civiles d'août 1914. Nous avons aussi souhaité faire ce travail avec des jeunes. Des jeunes qui ont ou auront bientôt l'âge d'un des plus jeunes fusillés de Rossignol : J. P., 16 ans. J. P. a vraiment existé. Une victime innocente parmi tant d'autres. Nous n'en savons que peu de choses. Nous avons donc proposé à des jeunes de son âge d'écrire quelle aurait été son histoire, selon l'angle qu'ils auraient choisi. Bernard Mottet |
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Certains de ces jeunes écrivains ont fait un véritable travail empathique. Ainsi on pourra s'apercevoir que pour eux, l'amitié, l'amour filial et surtout l'amour tendre et vert ne sont pas de vains mots. D'autres ont osé prendre la parti, à juste titre, je crois, de quelques Allemands qui n'étaient pas animés uniquement par le désir de tuer et luttaient contre un manque évident d'humanité. Ils nous donnent, par cette vision, à réfléchir sur cette conception qui a encore été taboue pendant de longues années. Jean-Pierre Echterbille |
2. Un inspecteur est passé par là ?
Je croyais devoir colporter les directives ministérielles. Je transmets beaucoup plus utilement des expériences réussies. Lorsque je ne peux répondre à la question d'un professeur qu'en le renvoyant à la lecture d'un texte officiel, je suis en situation d'échec. Jean Georges, Inspecteur de l'Education nationale [France], L'Ecole des lettres, 2008-2009, 5-6, p. 111 & 114.. |
« Une expérience réussie »
c'est bien cela qui s'est passé à Rossignol (CCRT et Cercle d'histoire locale), à Habay (CS St-Benoît) et à Izel (Athénée Royal).
Si un inspecteur est passé par là, il ne manquera pas d'en parler dans d'autres écoles : n'est-ce pas, d'ailleurs, son rôle ?
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Les ingrédients de la réussite... notules pour un inspecteur
* La conjonction efficace des savoir-faire et des ressources de l'école et de groupes culturels de la région
* Des préliminaires bien choisis - film , visite du village (traces, monuments) - pour ranimer la mémoire et soutenir la motivation dans un projet d'écriture.
* Une démarche interdisciplinaire : histoire, français, morale et religion, connaissance du milieu de vie
* Une démarche citoyenne, pacifiste, attentive au prix de la vie
* L'écriture transforme le regard sur soi, sur autrui, sur le lieu : « Je ne traverserai plus Rossignol comme avant », déclare une élève.
* Une autre façon de voir l'histoire : prendre en compte le vécu des gens plutôt que les batailles et les traités
* Une écriture qui est une forme de décentration : faire sienne l'expérience d'autrui
* Meilleure perception d'un événement tragique par le détour de la fiction
* Une occasion privilégiée de s'engager personnellement dans un projet collectif, de partager les rôles et les responsabilités
* L'intérêt de chacun pour le travail de l'autre : à la fois estime mutuelle et partage des techniques d'écriture
* Professeures et écrivain : un accompagnement d'experts qui suscite la confiance, la motivation. *
Bravo, Jean-Pierre Echterbille : proche des élèves et disponible pour faire aimer l'écriture, pour faire "voir autrement" la place de l'écrivain dans le monde de la culture !
3. Échange épistolaire, discours patriotique, journal intime, confessions... :
pour re-susciter Jean-Pierre, les jeunes écrivains ont varié les formes de textes !
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En voici deux exemples
A.
Jusqu’aux étoiles.
Maëlle Jamme, Coralie Halbardier, Romane Pierret, élèves de 3e année (Habay)
20 août 1914 (matin)
Cher journal,
Les Allemands sont tout près. Tout le monde à très peur. Nous recevons régulièrement des courriers de Maria et Julie. Elles me manquent atrocement.
20 août 1914 (soir)
Cher journal,
Si on m’avait dit il y a une semaine, ce qu’il allait se passer aujourd’hui je n’y aurais pas cru une seconde. C’était… magnifique… non, merveilleux, irréel, indescriptible. Papa a repris le travail et maman m’a laissée aller retrouver J-P près de la rivière. Nous passâmes l’après-midi ensemble.
Nous étions assis au bord de l’eau sans un mot lorsqu’il prit la parole :
- J’aimerais bien te dire quelque chose mais tu ne dois pas m’interrompre Margot. C’est promis ?
- Promis.
- Je…, quand je suis avec toi je suis plus calme, je respire plus lentement, même si mon cœur bat plus vite.
- Tu…
- Attends, je n’ai pas fini. Avec toi j’ai l’impression de quelque chose de plus grand. C’est comme si tu étais un morceau de moi, Margot. Ferme les yeux.
Il s’approcha de moi,
- Je suis amoureux de toi Margot… je t’aime.
- Tu m’aimes ?
- Oui, je t’aime jusqu’aux étoiles.
Il approcha son visage du mien, je sentais son odeur que j’avais tant connue, il déposa un baiser sur mes lèvres puis recula lentement.
22 août 1914
Cher journal,
Les Allemands sont à Rossignol, des coups de feu retentissent de tous les côtés. J’ai peur. Je n’ai aucune idée d’où est mon père. Il m’a dit de ne pas sortir, mais je veux voir Jean-Paul. C’est le seul qui saurait me rassurer. C’est peut-être la dernière fois que je t’écris mais si je meurs, je veux le voir encore une fois avant.
Margot courait dans les rues de Rossignol. Des soldats partout, des coups de feu, des hommes par terre, des cris. Elle paniquait, courait plus vite, tournait, entendait de nouveaux cris, accélérait encore. Elle arriva devant la maison de J-P. Frappa à la porte. Une fois, deux fois, trois fois. Rien. Elle cria son nom, fit le tour de la maison, toujours rien. Des larmes de désespoir ruisselèrent sur ses joues. Elle essayait de se dire qu’il ne lui était rien arrivé, mais n’y arrivait pas. Elle avait le sentiment qu’elle ne reverrait plus jamais son amant. Elle pleura de plus belle, frappa encore à la porte. Une vitre d’une maison voisine explosa. Des gens couraient de tous les côtés, mais Margot n’entendait plus rien. Elle s’effondra par terre.
Les combats s’étaient calmés dans le village. J-P et son père marchaient avec les autres, des soldats allemands criaient tout autour d’eux. A Marbehan, ils les firent monter dans des wagons les uns après les autres. Il ne pensait plus qu’à elle, il était inquiet. Et s’il ne la revoyait jamais ? Il eut l’idée de sortir une vieille feuille de papier et un stylo qu’il avait avec lui et commença à écrire.
6 septembre 1914
Cher journal,
Les Allemands sont toujours là, mais ne combattent plus. Le village est plongé dans un silence inhabituel. Je n’ai pas revu mon père ni J-P depuis mardi. Les journaux affirment que mardi 22 août, une centaine d’hommes ont étés embarqués et fusillés à Arlon. Je suis certaine qu’ils en font partie. Ma mère n’a plus d’espoirs et pleure sans arrêt. Je déteste les Allemands. Je les déteste tous !
Je ne trouve pas les mots pour exprimer ce que je ressens. Voici ce que J-P m’a fait parvenir. Je l’ai reçue ce matin.
Cher Margot, si tu reçois cette lettre c’est que je suis mort. Je voudrais que tu saches que je veille sur toi, de là où je suis, et même si je suis triste, je pars heureux et serein, car j’ai appris avec toi à ne pas avoir peur de ce que nous réserve l’inconnu. J’ai appris que montrer nos fragilités nous rendait plus fort. J’ai appris à croire en mes rêves, à ne pas avoir peur d’aimer. Avec toi Margot, j’ai appris à vivre. Tu vas tant me manquer et pourtant je sais que nous allons nous retrouver. On se reverra, je le sais au plus profond de moi.
Sois heureuse !
Je t’aime jusqu’aux étoiles.
J-P.
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B.
Lettres.
Caroline Vervloet, élève de 5e année (Izel)
Neuköln, le 22 août 1934
Madame,
Vous ne connaîtrez de mon mari que le monstre qu’il a pu être durant tout au plus, deux heures durant sa courte vie. Vous n’éprouverez pour lui que de la rancœur et de la haine. Son nom vous hantera, comme le doux visage de votre fils, des années durant. Plusieurs fois sans doute, vous rêverez de lui et vous vous réveillerez en sursaut, des sueurs froides parcourant tout votre corps. Si toutefois je puis utiliser le mot « rêver ». Peut-être vous arrivera-t-il de voir son visage en croisant un inconnu dans la rue. Vous associerez probablement son nom à toutes les pourritures de ce monde, parlerez de lui et de la patrie allemande comme d’une erreur humaine (ou plutôt inhumaine), pour le reste de vos jours. Il y a également de fortes chance pour que vous vouliez venger votre fils, en faisant subir les mêmes horreurs que votre petit garçon aura vécues durant les dernières minutes de sa vie à ce qui a été, et le sera pour l’éternité, l’unique amour de ma vie.
Je ne connais rien de votre enfant. Je sais juste de lui qu’on le surnommait JP et que le malheureux n’avait que 16 ans. Tout ce que je sais de cet enfant, c’est qu’il est né, comme Franz, l’homme qui l'a tué, de l’union de deux êtres qui s’aimaient. Comme tous les individus de cette Terre, il a, je n’en doute pas une seconde, reçu l’amour inconditionnel d’un père et d’une mère qui auront tout fait pour l’éduquer et lui apporter tout ce qu’ils auront pu.
Pardonnez ma maladresse, de comparer la chair de votre chair avec son assassin. Mais c’est que tous deux avaient, au-delà de leurs différences, énormément de points communs. Autant que nous en possédons toutes les deux... La guerre nous aura arraché tout ce que nous avions de plus précieux, à commencer par les êtres que nous portons, toutes les deux, le plus dans notre cœur. Aucun mot, aucun sentiment ne seront jamais assez forts pour combler l'énorme silence qu'aura engendré cette douleur.
Comprenez donc que cette lettre, Madame, n’a pas pour but d’excuser mon mari. Ce serait une tâche insurmontable et je ne vous demande pas l’impossible. Ces quelques mots, Madame, pour que vous sachiez qu’il existe, de l’autre côté de ces frontières immatérielles que d’autres hommes ont dessinées pour nous, une femme qui vous comprend. Mais nous ne voulons pas être comprises, pas vrai ? Notre seul et unique désir est de retrouver l’être perdu à tout jamais. J’espère tout de même qu’au travers de ces quelques lignes, vous comprendrez que l’homme qui vous a arraché votre enfant pour toujours ne l’a jamais souhaité et que, jusqu’à la fin de sa vie, il aura regretté ses actes. Malheureusement, vous savez aussi bien que moi que la guerre est cruelle et que les meilleurs sentiments n’ont pas leur place dans celle-ci. Ainsi, chaque jour, des milliers d’hommes et de femmes, d’enfants et de vieillards ont perdu la vie dans ce combat infini, faisant couler des rivières de larmes et de sang. L’honneur de milliers d’hommes a chaque jour été dégradé, et ce, uniquement au profit de dirigeants inconscients, qui n’ont décidément toujours pas compris qu’il ne valait pas la peine de sacrifier tous les habitants d’un pays pour la puissance d’une nation.
Il faut que vous sachiez que Franz était un homme merveilleux. C’était un mari aimant et un père attentionné. Il avait toujours le mot pour rire, il savait quoi faire pour éclairer nos jours sombres. C’était aussi un instituteur généreux qui donnait sans compter et veillait sur ses élèves avec attention. Malheureusement, nous n’avons pas eu la chance de vivre à une autre époque, dans un autre contexte. La vie peut être dure parfois, injuste surtout. Malgré tout cela, je me plais toujours à penser que Franz est un homme bon. Et que jamais au grand jamais, il n’a désiré la mort de quelqu’un.
Avant de donner fin à ses jours, Franz m’a écrit une lettre, absolument bouleversante, dans laquelle il me demandait de vous écrire, comme pour justifier ses actes. Il voulait que vous sachiez qu’il avait conscience de tout le mal qu’il avait pu faire et qu’il s’en voulait énormément. Il désirait aussi vous faire savoir que ses actes n’avaient pas été sans importance pour lui, mais qu’il n’avait pas eu le choix. C’était la mort de tous ces innocents contre sa vie. Finalement, ça aura été les deux. Ayant peur de ne pas arriver à dicter sa pensée avec les bons mots, de ne pas m’expliquer de manière assez précise, j’ai joint, à ma propre lettre, la dernière que mon mari m’ait envoyée. Vous comprendrez qu’elle est loin d'être insignifiante à mes yeux, puisque c’est la dernière preuve d’amour d’un homme que j’ai aimé toute ma vie, et que je ne cesserai jamais d’aimer. C’est la dernière lettre du père de ma fille, ce sont les derniers mots qu’il a pensés pour justifier tous ses actes. Vous pourrez, je l’imagine, aisément la faire traduire. Je vous l’offre donc, comme un dernier signe de profonde compassion à votre égard.
Je n’irai pas plus loin, ayant que trop pénétré dans votre intimité. Mon cher Franz trouvera sans aucun doute des mots plus justes, plus profonds, pour exprimer ce qu’il pensait. J’aimerais tout de même m’excuser pour moi, et pour les milliers de soldats, enrôlés de force dans une guerre qu’ils n’avaient pas choisie et qui, chaque jour, ôtait la vie à de pauvres innocents. J’aimerais m’excuser pour tous les Allemands qui, le 22 août 1914, se sont imposés dans votre village et se sont permis les actes les plus abominables. J’aimerais pouvoir excuser nos dirigeants inconscients qui n'ont pas compris qu’ils étaient en train de briser des familles entières. La seule chose que j’arrive finalement à conclure de toute cette inhumanité, c’est qu’il n’y a pas de frontière à l’idiotie et à la barbarie.
J’espère que vous comprendrez, Madame, en lisant cette lettre, que cette dernière n’avait pas une intention mauvaise. Et je vous prie de m’excuser si celle-ci vous a heurtée.
Très respectueusement,
Rosa Schneider.
Ma belle Rosa,
Te souviens-tu du jour de l'annonce de la mobilisation générale ? Moi je m'en souviens... Nous débouchions sur la Grand-Place, nous revenions du marché et nous avions mangé une glace avec la petite. C'était un jour particulièrement ensoleillé et une lourde atmosphère régnait en ville. Alors que nous arrivions à proximité de l'Hôtel de Ville, nous avons remarqué la présence d'un grand rassemblement. Nous nous sommes approchés, tu as pris Maria dans tes bras et nous avons compris que notre vie allait définitivement changer. Ce qui n'était qu'une rumeur c'était finalement bel et bien produit: notre nation entrait en guerre avec la France, je devais partir. Le soir, après avoir couché la petite, nous avons passé un moment au coin du feu, une tasse de thé à la main, juste tous les deux... De petites larmes ont coulé le long de ta joue, je les ai essuyées du dos de ma main puis nous nous sommes enlacés comme jamais. Nous étions tous les deux attachés l'un à l'autre, nous ne faisions plus qu'un et formions comme un énorme nœud que personne n'aurait pu défaire. Personne, sauf la guerre... Les jours qui ont suivi ont été abominables. Il a fallu annoncer à mes petits élèves que je devais partir et que, par conséquent, les cours seraient suspendus quelque temps... Quelque temps... J'avais une boule à la gorge rien que d'y penser ! Ce fut un spectacle aussi déchirant que celui de la Grand-Place. Bon nombre d'entre eux se sont mis à pleurer, réalisant que ce n'était pas seulement leurs pères, leurs frères, oncles et cousins qui partaient, mais bien tous les hommes du village, moi y compris. Certains m'ont même supplié de rester, me promettant de meilleures notes. Mais la vie n'est pas si simple, la guerre est plus forte que tout et rien, pas même toute la bonne volonté d'un peuple, ne peut la faire céder. Ainsi, nous avons bien dû finir par nous séparer. J'ai dû abandonner ce que j'avais de plus cher, c'est-à-dire Maria et toi, sur le quai d'une gare de Berlin. Te souviens-tu ce que je t'ai dit sur ce même quai, alors que tu pleurais dans mes bras? Je t'ai demandé d'être forte, pas seulement pour toi, mais pour Maria et pour les milliers de femmes et d'enfants qui étaient en train de perdre pères, maris, fils. Je t'ai demandé d'être forte pour les dirigeants de toutes les nations qui entraient en guerre et qui étaient en train de détruire la vie de leurs peuples. Aujourd'hui, c'est pour toi que tu dois être forte.
À l'heure où tu lis cette lettre, je suis déjà mort. Du moins, c'est ce que j'espère. Pardonne-moi, Rosa. Promets-moi de te relever, de rester la femme forte que tu as toujours été. Ne laisse pas ta flamme s'éteindre, étincelles après précieuses étincelles, dans les eaux putrides du presque, du pas encore ou du pas du tout. Ne laisse pas périr ce héros qui habite ton âme dans les regrets frustrés d'une vie que tu aurais méritée, mais que tu n'as jamais pu atteindre. Tu peux gagner ce monde que tu désires tant, il existe, il est bien réel, il t'appartient. Tout est possible. Ne laisse pas le chagrin t'envahir et prendre toute la place en toi, je t'en supplie. J'aimerais te laisser avec cette lettre, un surcroît de devoir vivre, d'accomplir la part de vie dont j'ai dû me séparer, mais qui reste intacte. Je ne veux pas que notre merveilleuse Maria vive dans la tristesse et toi seule peux lui donner l'exemple. Il paraît que l'on s'habitue à l'absence. Je me plais à croire que cela doit bien fonctionner pour quelqu'un, mais en tout cas, pas pour moi. Votre absence était pour moi un véritable fardeau. Toutes mes pensées ne faisaient qu'une : il fallait absolument que je trouve le moyen de retourner auprès de vous. Je ne pensais qu'à cela. Le matin en me levant, lors de l'appel, en mangeant, en jouant aux cartes avec mes camarades, en me couchant ... Pas un seul moment ne passait sans que je pense à toi, à vous. Vous m'avez manqué à chaque instant, horriblement. Mais je t'en prie, Rosa, ne te morfonds pas, jamais. Ne prends jamais aucun plaisir dans la tristesse. Et sache que, qu'importe où je sois, je continuerai à veiller sur vous deux, mes deux petits amours. C'est en tout cas ce que j'espère du plus profond de mon coeur. C'est tellement plus facile que de se dire qu'après tout ce que nous avons vécu et aurions dû vivre, il n'y a plus rien, si ce n'est le vide, l'absence, le néant. Cette pensée m'insupporte. Pire, m'horrifie.
Mais laisse-moi t'expliquer. Donne-moi une chance de t'expliquer, pour que tu me comprennes ne serait-ce qu'un seul instant. Il y a quelques jours maintenant, des semaines en réalité, nous avons reçu l'ordre de rejoindre un petit village appelé « Rossignol » au sud de la Belgique. Là-bas, nous devions repousser les Français. Que Dieu me le pardonne, ce que nous avons fait. À cœur joie pour certains. La réalité est que nous avions dû beaucoup marcher, les chaussures de la plupart d'entre nous usées jusqu'à la semelle, la faim nous tiraillant le ventre depuis des jours. Nous sommes arrivés à Rossignol, comme fous. Là, on nous a demandé de brûler des maisons, de capturer des civils et de les enfermer dans le Camp, et de simuler des combats pour justifier la présence de francs-tireurs. Parmi les prisonniers se trouvaient des personnes incroyablement jeunes, et des femmes. Je me souviens avoir cru être sujet à des hallucinations en voyant un garçon qui ressemblait étonnamment à notre voisin, le petit Hulrich. Il avait exactement les mêmes cheveux châtain clair, pâles même, les mêmes yeux d'un bleu vert unique et surtout, ce même visage, long et fin. Il était si jeune... Il devait avoir quoi? 15, 16 ans? Je l'ai fixé un instant, puis suis retourné à ma tâche. C'était un spectacle abominable, une vraie tuerie. Des maisons brûlaient, les femmes criaient. Même l'église n'était plus un lieu sûr. Sans te mentir, Rosa, je n'avais jamais vu autant de rage et de haine dans les yeux des hommes. Au bout d'une semaine d'occupation à peu près, notre commandant nous a ordonné d'emmener les prisonniers à Marbehan, où ils devaient prendre le train pour ensuite rejoindre Arlon. Pardonne-moi Rosa, je t'en supplie, pardonne-moi. Aie la force de le faire, contrairement à moi. Sur le quai de la gare, j'ai été désigné pour fusiller plusieurs innocents. Je n'avais pas le choix. C'était leur vie ou la mienne. Je refuse de devoir vivre toute une vie avec ça sur la conscience. Ça me rendrait fou. Il y a un proverbe qui dit « Qui baigne ses mains dans le sang les lavera dans les larmes ». En réalité, je ne sais pas si c'est la guerre qui m'a endurci, mais je pense que ce n'est pas dans les larmes que j'arriverai à essuyer le sang qui tache mes mains, mais bien dans mon propre sang. Ma décision est prise : je veux en finir. Avant cela, j'aimerais que tu me promettes une chose, Rosa : contacte la mère de cet enfant, ce petit qui ressemblait tant à Hulrich et que j'ai tué. Contacte-la et explique-lui qui j'étais, explique-lui avec tes mots de femme et de mère aimante que jamais au grand jamais, je n'ai désiré la mort de cet enfant. Fais donc cela pour moi Rosa, c'est mon ultime souhait.
Avant de m'en aller pour toujours, je veux aussi que toi et Maria sachiez que je vous aime, plus que tout au monde. Et que je regrette amèrement de ne pas avoir pu être plus présent dans vos vies, à toutes les deux. Je regrette de ne pas avoir fui avec vous, en Suisse ou aux États-Unis, lorsqu'il en était encore temps. Je regrette de ne pas avoir eu l'occasion de voir notre petite grandir, faire ses premiers pas et prononcer ses premiers mots. Tout comme je regrette qu'elle ait à vivre pour toujours sans père. Avant de m'en aller, je veux aussi que tu saches que tu as été une femme merveilleuse. Tu étais aimante, douce et attentionnée. Je n'aurais pu rêver mieux. Reste donc la femme que tu as été, sois là pour quelqu'un d'autre. Continue de vivre comme tu l'as fait.
Je t'aime pour toujours,
Franz
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07/08/2019