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Article paru dans le numéro 98 (septembre 1999) de LMDP - Mise à jour 08.2017

© LMDP Copie autorisée pour usage pédagogique non lucratif et avec mention de la source

De la peinture à l’écriture par la grâce de deux contes

5e et 6e générales

Récit de Pierre Paul Delvaux, CS.SB.SS, Liège

le travail d'Amélie * H. Gougaux, L'arbre à soleil (Seuil), extrait.

L’objectif de l’activité décrite ci-dessous est de mettre les jeunes en projet d’attention et d’implication par rapport à une exposition de peinture. La production est un récit construit par imitation. (1)

Au cours de ce récit, je m’efforcerai de mettre à jour les croyances personnelles qui sont à la base de ma démarche.

Contexte et difficultés :

La visite d’une exposition de peinture - ou l’exploration de l’œuvre d’un peintre par tout autre moyen, livres ou diapositives – fait toujours surgir deux difficultés :

1. Nos élèves ont généralement une connaissance très limitée du langage pictural. Très souvent, ils considèrent le réalisme de la représentation comme un critère essentiel. Le contact avec l’œuvre d’un peintre moderne est donc difficile sans points de repères. On peut, même rapidement, leur donner les rudiments de cette grammaire. A cet égard, le livre de Philippe Minguet, L’art dans l’histoire, édité chez Casterman, reste, pour moi, une référence pour sa maîtrise du sujet, sa concision et sa clarté. Ce type de préparation est généralement bien reçu.

2. La visite d’une exposition est souvent vécue comme une simple excursion, et de toute façon, même si des points de repères peuvent aider les jeunes, ils ne savent pas par «quel bout» prendre les choses. Les amener à s’impliquer personnellement est, à mes yeux, une bonne manière d’entrer dans l’univers de la peinture en général et en particulier dans l’univers de la peinture moderne. Ma croyance ici est que la rencontre avec l’œuvre d’art doit avant tout être un événement relationnel et non pas une substance à examiner.

Pour les inviter à s’impliquer, j’ai imaginé et appliqué à plusieurs reprises le dispositif suivant :

Description de l’activité :

Nous lisons (ou je raconte, cédant ainsi à ce qui pour moi est un plaisir) deux contes:

- Comment Wang-Fo fut sauvé raconté par Marguerite Yourcenar dans ses Nouvelles Orientales (Gallimard 1978).

- Les aventures de Chu, conte de la tradition chinoise, raconté par Henri Gougaud dans L’arbre à soleils, Points-Seuil, et repris en annexe.

Une brève analyse permet de dégager la structure essentielle qui m’aidera à les mettre en projet:

- Dans la nouvelle de M. Yourcenar, Wang-Fo, menacé, trouve refuge dans son tableau.

- Dans le conte chinois, le héros entre littéralement dans le tableau, vit un épisode intense qui modifie définitivement l’œuvre dont il finit par sortir, sans être tout à fait indemne…

Dès lors, j’invite les élèves à visiter l’exposition avec le projet de repérer un tableau dans lequel eux- mêmes ou un personnage de leur cru pourront, soit trouver refuge à l’instar de Wang-Fo, soit y entrer, y vivre un moment intense qui modifie le tableau, puis en ressortir en partie transformés.

Je leur demande aussi de se préparer à mettre le tableau choisi en tête avec tous ses détails, en prenant des notes ou en achetant le cas échéant une carte postale si elle existe ou en travaillant sur le catalogue… Je souhaite aussi qu’ils puissent «durer» devant le tableau choisi… Tout cela pour imaginer un récit relativement court calqué sur un des deux récits proposés.

Ils ont ensuite quelques jours pour réaliser leur travail d’écriture.

Les critères d’évaluation sont précisés: correction de la langue et de l’orthographe, conformité par rapport à l’un des deux modèles, usage correct des temps, mise en valeur des tournants du récit (le manque, insistance sur les sensations lors de l’entrée dans le tableau, enrichissement des moments importants grâce au VAKOG: Visuel, Auditif, Kinesthésique, Olfactif, Gustatif).

Les résultats sont toujours au moins satisfaisants et souvent remarquables par la qualité de l’écriture et par la qualité d’implication, l’essentiel à mes yeux, pour ce type d’activité.

Bénéfices :

Oser des liens entre un peintre moderne et le vieux fonds des contes est en soi une aventure qui vaut son prix. Apparemment tout les sépare, mais mystérieusement il peut y avoir des «correspondances». Ma croyance est que ce genre de démarche enrichit l’imagination de façon décisive.

Ils sont amenés à penser en «je» devant une œuvre même déroutante, ce qui a pour effet d’installer l’œuvre de façon durable dans leur imagination, et quand il s’agit de Picasso, Magritte, Monet ou Chagall, convenons qu’ils sont en bonne compagnie.

Cette démarche les invite à pratiquer un geste d’imagination, ce qui leur permet de le démonter et donc aussi de le désacraliser, non pour déboulonner des statues mais pour abolir la distance que certains artistes ont mise entre eux et le commun des mortels et donc de montrer que ces grandes œuvres sont proches tout en touchant du doigt le talent voire le génie… Autre croyance.

La démarche convient aux différents profils d’élèves. Ainsi l’opposant choisira volontiers de prendre l’aventure de Chu pour modèle et donc de modifier quelque chose de la peinture qui l’a néanmoins accroché. Ce n’est pas de l’iconoclasme, c’est inviter à approcher puis à réagir personnellement, qui est ma définition de la culture. En outre, cette démarche de transformation est proche de l’attitude de beaucoup de peintres modernes et spécialement Cézanne qui proclamait pour le peintre le droit à un regard subjectif et même le droit de modifier la réalité perçue.

En cours de visite, le dialogue s’établit entre eux ou entre eux et moi… et comme ils ont la «permission» d’être personnels, ces petits bouts de dialogues sont très riches. Je voudrais souligner le mot «permission» et dire à quel point la «coutume didactique» les éloigne souvent de toute forme d’approche personnelle. Ils se sentent souvent peu libres… Qu’avons-nous fait pour cela ?

Pertes :

Cette démarche les rend moins attentifs à l’aspect strictement esthétique. Cela dit, mon expérience de terrain m’a souvent montré que cette sensibilité aux moyens mis en œuvre par le peintre se développe dans un deuxième temps. L’essentiel est le choc… Là encore, c’est une croyance.

Je vous souhaite beaucoup de plaisir à pratiquer cette démarche.

Pierre Paul Delvaux. Mars 99

début article

Ci-dessous, le devoir d'Amélie (octobre 1998), qui se situe dans la moyenne de ce que j'obtiens.

 

L’œil vert

Vendredi 14 heures, Chagall nous attend. Nous pénétrons dans la «salle aux trésors » et partons à la recherche des couleurs, des styles et des symboles. Chacun prend des directions différentes suivant son intuition et ses préférences. Tous les tableaux retiennent mon attention par leurs rouges flamboyants et leurs bleus tantôt électriques, tantôt azur.

Mais celui qui m’a plu tout de suite n’a rien de cela, il est vert pastel. C’est une peinture douce et délicate. Une paysanne est en train de traire une vache bleue dans un paysage paisible, agréable. Et sur le toit de la ferme, un immense et magnifique œil vert veille. Longtemps, je reste devant cette toile aux couleurs tendres et elle me regarde de son grand œil expressif.

Ce tableau est simple, ce tableau est beau. Je m’approche, je veux caresser l’œuvre. De mon doigt, je touche le pis de la vache et une couleur bleuâtre apparaît sur ma peau. Je lève ma main vers ma bouche et lèche la jolie couleur.

Le vide, encore le vide… le noir… le vert… ce même vert pastel.

J’entends murmurer mon prénom, c’est la paysanne. Je vais vers elle et m’installe à ses côtés dans l’herbe fraîche. Un léger rayon de soleil transperce le ciel nuageux. La fermière commence à me raconter sa vie : où, quand et comment Chagall l’a peinte. Elle me dit que c’est grâce à lui qu’elle possède une ferme pour s’abriter et une vache pour se nourrir. Elle lui est très reconnaissante. Elle me dit aussi combien de visages avaient admiré ou ignoré sa présence. Elle me questionne sur le monde extérieur, et moi sur le monde intérieur. Nous avons continué à parler ainsi pendant trois quarts d’heure. Et pendant tout ce temps, l’œil nous regardait, nous surveillait avec un air malicieux et coquin. Il sait sans doute beaucoup de choses sur moi, maintenant. Peut-être est-ce un Dieu pour elle, qui veille sur son domaine et sa personne. Elle ne m’en a pas parlé.

Je pense regarder derrière moi, je vois dans un large rond gris et flou toute une série de gens et je crois apercevoir quelques camarades de classe. Ils n’ont pas l’air de me voir. Bien vite, ils continuent leur parcours.

La jeune fermière m’invite à boire un peu de son lait pour que je puisse rejoindre mon monde. Mais elle est triste, je le lis dans ses yeux. Je sais que ma compagnie lui fait plaisir. Je lui promets de repasser la voir pour passer plus de temps à discuter de nos différentes vies. C’est donc à contrecœur que j’accepte la gorgée de lait bleuâtre.

Le noir… le vide… encore le vide, et le «rêve » s’achève. Je me trouve à nouveau devant la peinture.

Je regarde encore une fois ce qui est devenu pour moi un chef-d’œuvre. Il n’a pas changé, il est toujours comme à mon arrivée, comme s’il ne s’était rien passé.

En regardant bien, une larme est en train de perler au coin du grand œil, mais disparaît bien vite par un rapide clin d’œil…

L’aventure de Chu (Henri Gougaud, L’arbre à soleils, Seuil, «Points» 1979).

Il était une fois deux voyageurs, l’un nommé Chu et l’autre Meng. D’où venaient-ils, où allaient-ils, qu’importe, ce n’est pas là l’histoire. Ils cheminaient, le ciel sur la tête, le baluchon à l’épaule et sous les pieds la terre ferme. Et voilà qu’un jour de pluie et de grand vent, au bout d’un chemin bordé de roseaux, le dos courbé sous l’averse, ils arrivent devant un petit temple délabré mais tout à fait bienvenu par ce mauvais temps. Chu et Meng s’y mettent à l’abri. Alors, dans ce lieu paisible où le silence n’est troublé que par les rafales de pluie, ils voient venir vers eux un vieil homme maigre, au regard innocent, un ermite qui vit là, loin du monde et qui accueille les deux voyageurs avec une courtoisie touchante.

- Venez, leur dit-il, venez, je vais vous faire visiter les fresques qui ornent les murs de cette pauvre et belle demeure. Elles sont merveilleuses.

Le vieil homme part en trottinant devant eux. Chu et Meng le suivent.

Le mur au fond du temple est en effet décoré d’une fresque magnifique. Un groupe de jeunes filles est représenté dans un bosquet de pins parasols. L’une d’elle cueille des fleurs. Elle est coiffée de longues tresses noires. Elle sourit doucement, ses lèvres sont vives comme la chair des cerises, et ses yeux brillent. Chu est fasciné par ces yeux peints avec une étonnante minutie. Il regarde la jeune fille, longuement, si intensément qu’il se sent flotter dans l’air. Et voilà que tout à coup, il n’est plus dans le petit temple délabré, il n’entend plus la pluie tambouriner sur le toit, mais le vent léger dans des pins parasols. Il entend aussi parler. Les jeunes filles pépient comme des oiseaux. Chu voit celle qu’il a remarquée sur la fresque rejeter en arrière ses longues tresses et s’éloigner en riant. Il la suit. Le ciel est bleu comme il l’a vu sur la peinture mais le paysage maintenant autour de lui est vivant. Le soleil chauffe ses épaules, la jeune fille va son chemin, il court derrière elle. Elle se retourne, elle lui sourit, longe la grille d’un jardin et pousse la porte d’une petite maison. Elle attend Chu sur le seuil, elle lui fait signe d’entrer. Les voilà tous les deux dans une chambre aux murs de papier blanc. Ils s’embrassent comme deux amants éperdus. Chu a soudain le sentiment d’être amoureux de cette jeune fille depuis des siècles. Ils tombent ensemble sur le lit. Quand ils se relèvent ils sont mari et femme. Alors devant son miroir l’amoureuse dénoue ses tresses et coiffe ses cheveux en lourd chignon sur sa nuque, car telle est la coiffure convenable des femmes mariées. Elle sourit et Chu sourit aussi. Ils parlent comme deux amants qui se retrouvent après avoir été trop longtemps séparés.

Soudain, ils entendent un remue-ménage effrayant. Des éclats de voix retentissent dehors, des cliquetis de chaînes et le pas lourd d’une paire de bottes. Quelqu’un traverse le jardin, devant la maison. La jeune fille pâlit, se précipite dans les bras de Chu, lui met la main sur la bouche :

- Ne dis pas un mot !

Ensemble, osant à peine respirer, par une fente de la porte ils regardent. Ils voient un homme colossal vêtu d’une armure d’or. Son visage est noir comme un boulet de charbon, il tient dans ses poings des fouets et des chaînes. Les jeunes filles qui tout à l’heure étaient dans le bosquet de pins parasols l’accompagnent. Elles sont épouvantées. Le colosse rugit d’une voix menaçante:

- On m’a dit qu’un mortel se cachait parmi vous. Faites place, je vais fouiller la maison.

Le visage de la jeune épouse est gris comme la cendre tant elle a peur. Elle dit à Chu :

- Cache-toi sous le lit.

Chu se précipite sous le lit. Il entend et voit deux bottes entrer dans la chambre.

Pendant ce temps, devant la fresque, au fond du petit temple délabré, son compagnon Meng s’aperçoit que Chu n’est plus auprès de lui. Il se tourne de tous les côtés et demande au vieux moine :

- Où est-il parti ? Il était là, il y a un instant.

- Oh, il n’est pas loin, répond le moine.

Il s’approche de la fresque, il frappe du doigt contre le mur et dit :

- Monsieur Chu ! Qu’est-ce donc qui vous retient si longtemps ? Votre ami s’impatiente.

Alors Chu apparaît comme s’il sortait de la muraille. Il a l’air abasourdi, ses genoux tremblent, il est livide. Meng le prend par les épaules.

- Hé, que t’est-il arrivé ? lui dit-il.

Chu répond d’une voix chevrotante:

- Je ne sais pas, j’étais caché sous le lit, j’ai entendu un fracas de tonnerre, je suis sorti pour voir ce qui se passait et me voici.

Les deux amis regardent la fresque. La jeune fille est toujours là, qui ramasse des fleurs dans le bosquet de pins parasols. Mais elle a changé de coiffure: elle ne porte plus les tresses. Elle porte maintenant le chignon des femmes mariées, et son sourire est peut-être un peu plus mélancolique, un peu plus rêveur. Le vieux moine dans un coin du temple est perdu dans ses prières, le visage illuminé. Les deux voyageurs s’éloignent lentement. Dehors, il ne pleut plus. Ils s’en vont sans un mot. Ils ont encore un long chemin à faire.

début de l'article

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